L’héritage du Zénith – XVI

5 mins

Du balcon de la plus haute tour du palais princier, Hachbanmeraug observait la scène en silence, l’air toujours aussi sévère. Evysciel, portant à présent de luxueux habits d’une couleur bleue nuit, brodés d’or, lui donnant un air de noble prince, s’appuya sur son dos et suivit du regard leur sœur s’éloignant de la cité, en soupirant :

— Notre petite sœur quitte le nid…

— Elle quitte la gueule du loup pour un nid de vipère…

— Tu t’inquiètes pour elle, « grand frère » ?

Il repoussa la présence sans ménagement en se retournant :

— Je me moque bien de ce qui peut lui arriver…, réfuta-t-il en détaillant Evysciel. Que comptes-tu faire ainsi ? C’est plutôt rare de te voir aussi clairement masculin… Tu as peur que père ne veuille pas voir une fille s’asseoir sur le trône ?

— Petit curieux ! J’ai mes secrets…

— Secrets ? Parle plutôt de manigances…

— Il y a une différence ? s’amusa Evysciel un instant avant de reprendre son sérieux. Revenons-en à notre chère sœur. Tu parles de nid de vipères, je suppose donc que tu sais où elle va ?

— Et je suppose que ce n’est pas un secret pour toi non plus…

Evysciel afficha ce sourire qui, à lui seul, était capable de mettre son frère hors de lui tant il était empreint de sous-entendus, d’ironies, de sarcasmes et de toute la palette d’émotions feintes dont l’« ange sombre » comme il l’appelait dans ces cas là, pouvait en faire l’étalage.

— Je déteste ce sourire… Tu ne peux donc pas faire une réponse claire ?

— Tu es un vrai répulsif à la joie de vivre. Bien sûr que je sais où elle va… Mais je me demande ce qui sera le plus dur pour elle : le lieu, ou son passé ?

—Je me moque bien de tout ça… Si quelque chose doit m’inquiéter, c’est plutôt la présence d’Henry à ses côtés…

— J’en conclus donc que tu ne sais rien à son propos…

Il se retourna et dévisagea Evysciel un instant, avant d’afficher un large sourire, bien inhabituel pour lui :

— Je vois… C’est pour ça que tu es là… Toi non plus, malgré tous tes talents, tu ne sais rien à son sujet !

— Tu crois que tu as vraiment raison de t’en réjouir ? Si aucun de nos réseaux respectifs n’a pu obtenir d’informations sur un serviteur vivant à demeure au palais de Père, c’est plutôt misérable pour notre réputation…

— Certes, mais permets-moi tout de même de me réjouir un instant de voir ta prétendue suprématie en matière de renseignements, mise à mal par un simple serviteur…

— C’est vrai… Alors accorde-moi comme pénitence de me montrer humble, et de te demander directement ce que tu sais de cette forêt ? J’ai bien des renseignements mais, à ma connaissance, tu es le seul à y être entré et à avoir pu en ressortir…

Son frère l’observa un instant, puis soupira profondément :

— Je te vais te faire cette faveur… Cette forêt n’en est une que par son nom. C’est un cercueil décoré d’arbres.

Evysciel sembla particulièrement sensible à cette comparaison,  et incita son frère à poursuivre.

— Il y a quelques années de ça, les jumeaux n’étaient pas encore à mon service, j’en avais assez d’entendre dire que ce bois était impénétrable. Certains même affirmaient qu’il s’agissait non pas d’une forêt mais d’une bête avalant quiconque s’aventurait en elle… J’ai voulu en avoir le cœur net.

Je suis donc parti avec un petit groupe de mes hommes, et je les ai envoyés en expédition à l’intérieur. Après trois jours à attendre leur retour, j’ai dû me rendre à l’évidence… Ils ne reviendraient pas. Je n’ai pas entendu le moindre cri ni la moindre demande de secours… Alors, j’ai décidé d’y aller moi-même…

Les premiers mètres, tout allait bien, et cela a perduré tant que je pouvais voir la lisière… Mais une fois que celle-ci disparut derrière les arbres, les choses ont commencé à changer… J’ai été pris de nausées, de vertiges… Les moindres sons, les moindres mouvements des feuilles m’enivraient comme si j’avais passé la nuit à vider les caves des plus grandes tavernes de la région… Et plus j’insistais à vouloir avancer, plus le chemin me paraissait vouloir se dérober sous mes pieds… Et finalement, sans vraiment que je sache comment, je me suis retrouvé de nouveau à la lisière. Très vite, les symptômes disparurent…

— Une telle défaite n’a pas dû te plaire…

— Si tu sous-entends que j’aurais pu vouloir y mettre le feu, tu as raison. Mais aucune torche n’a jamais réussi à noircir le moindre brin d’herbe…

— Même… elle ?

Hachbanmeraug plongea son regard dans celui d’Evysciel… Et il comprit. C’est donc là que l’« ange sombre » voulait en venir…

— Je vois… Tout ça pour ça… Ton intérêt feint pour le départ de Lisithia, ta recherche d’information sur Dam… Tu voulais juste en arriver là…

— Je plaide coupable mon frère, je dois bien avouer que jusqu’à présent, tu n’as fait aucune révélation… Alors, veux-tu bien me parler d’elle ?

— Tss…

Le prince, soupira un long moment puis lâcha finalement :

— Tu crois que je la garde comme une arme secrète ? Peu m’importe que tu en saches plus à son sujet. Si au moins cela peut me garder de ta présence dans jambes… Tu peux te montrer, Ephrydite…

L’une des cheminées se mit à crépiter intensément, comme si on venait de jeter un bois légèrement humide en son cœur. Très vite, une gerbe de feu jaillit de l’âtre et vint tourner autour d’Evysciel, puis de son frère, avant de se modéliser lentement en une étrange créature : elle semblait avoir été taillée dans un bloc de charbon d’un mètre soixante environ, nue, aux formes féminines élancées, sa peau lézardée de fissures incandescentes, une très longue chevelure de feu s’enroulant autour de ses bras et de ses jambes. Ses ongles, aux mains et aux pieds, étaient également de petites flammes bleutées. Son visage figé, sans aucun orifice malgré la présence d’oreilles, d’un nez et d’une bouche, s’illuminait d’un regard rougeoyant, ne montrant aucune limite entre globe, iris et pupille…

Hachbanmeraug reprit :

— C’est elle que tu voulais voir, n’est-ce pas ?

Evysciel s’avança et détailla la créature, avec excitation et fascination. Sa main s’approcha du visage incandescent pour en apprécier la chaleur, sans le toucher :

— C’était donc vrai : je croyais que tu avais anéanti toute son espèce…

— C’est le cas. Mais elle, a décimé, seule, un bon nombre de mes guerriers les plus émérites… Elle s’est même dressée seule face à moi pour donner l’occasion aux siens de fuir… Et elle a survécu… Les élémentaires sont des êtres qui savent reconnaître et honorer la force… J’aime ça.

— Quel magnifique spécimen… Comment parle-t-elle ?

— Elle ne s’exprime qu’à moi. Et pour répondre à ta question : oui, elle a essayé de brûler ce bois. Mais ça n’a pas marché davantage… Tout juste a-t-elle pu griller les premières herbes…

— Fascinant… Je te remercie mon frère pour ces présentations, ce sera notre petit secret, je te le promets.

— Tes promesses ne valent rien. Et je m’en moque. Si tu as obtenu tout ce qu’il te fallait, alors tu peux me laisser à présent, j’ai une cité à gérer moi…

— Je vais te laisser, oui. J’ai moi-même une affaire de la plus haute importance à régler…, conclut Evysciel en s’inclinant dans une révérence exagérément appuyée avant de quitter les lieux.

Hachbanmeraug reporta son regard vers l’horizon, comme cherchant à apercevoir le cortège de Lisithia :

— Parviendras-tu à percer les secrets de cette forêt ? Réussiras-tu là où ma force et la fourberie d’Evysciel ont échoué ? Ou vas-tu t’y noyer ?

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1 Commentaire
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Annick Smits
11 mois il y a

Toujours aussi prenant et intéressant. Vite la suite ^^

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