Elle passa son regard de l’un à l’autre et ajouta :
-Un seul pour l’instant, si vous voulez bien.
Le garçon la dévisagea avant de lâcher en faisant mine de geindre :
-Qu’est-ce qu’elle a à nous agresser celle-là ? On attendait juste tranquille, là, de pouvoir aller manger et elle, elle nous dit de ces choses.
Hiloy ne s’attendait certainement pas à cette réaction, mais leva, malgré tout, timidement le doigt :
-Iel, en fait.
La fille tapota l’épaule de son frère qui reprit une mine sérieuse :
-C’est à quel sujet ?
La Cinquième se ressaisit :
-Je suis Hiloy Plilaz, du clan…
Il la coupa :
-Je vois bien.
Sa sœur lui tapa l’épaule et, d’un geste, encouragea Hiloy à continuer. Cela ne fit que la déstabiliser davantage.
-Je voudrais avoir un duel avec l’un d’entre vous pour élever mon clan.
Le garçon pointa sa sœur :
-Il faudra la vaincre aussi. On est tous les deux héritiers d’or, donc, si j’échoue, la charge lui revient. Si elle échoue, je reviens. Donc, c’est les deux ou rien.
Je suppose que c’est logique. Hiloy se redressa :
-D’accord.
Ils restèrent sans bouger et elle se sentit obligée d’ajouter :
-On peut faire un duel maintenant.
Le garçon secoua la tête :
-C’est pas possible.
A nouveau, la Cinquième se trouva prise de court.
-Comment ça, pas possible ?
L’adolescent se décala, créant un espace entre lui et sa sœur :
-Assieds-toi donc.
Hiloy lui jeta un regard méfiant :
-Non, ça va.
Le Quatrième haussa les épaules :
-Comme tu veux. Donc, ce n’est pas possible, parce que l’année dernière, nous avons formé une union avec les trois autres. Durant nos années d’école, interdiction de se défier, de tenter de s’assassiner mutuellement. Bref, on veut s’en sortir vivant.
Hiloy resta sans voix. Venait-il de révéler qu’elle ne pourrait pas satisfaire son père ?
-Vous dites qu’aucun de vous ne va tenter de prendre la place des autres ?
Le garçon hocha la tête.
-Mais… pourquoi ? Comment vous allez faire pour élever votre clan ?
Il se pencha en avant :
-Dis-moi, t’en es à combien ?
-Combien de quoi ?
-D’enlèvement, de tentative de meurtre.
Hiloy répondit d’une petite voix :
-Zéro.
Le garçon ouvrit des yeux ronds :
-Sérieux ? C’est mignon. Moi, une fois, une balle m’a frôlé quand je jouais dans notre jardin. Un sniper qui s’est suicidé avant qu’on puisse l’interroger sur son mandataire. Oru, elle, elle s’est fait enlevée quand elle avait sept ans. Le gars lui a coupé la langue.
Sa sœur hocha vigoureusement la tête pour confirmer ses dires. Hiloy marmonna des excuses, étonnée qu’il lui raconte ce genre de choses sur un ton si léger. Le Quatrième continua :
-Après, on a eu des histoires moins graves. Une servante qui a tenté de nous embarquer, le poison dans le goûter.
Il rit en se tournant vers sa sœur :
-Une chance que t’ais voulu nourrir le chien.
La fille sourit de toutes ses dents. Pourquoi ils rient comme si c’était le souvenir le plus drôle de leur vie ? L’adolescent se leva :
-Fais pas cette tête. A partir du moment où on est encore là, on s’en sort drôlement bien. On était moyennement rassuré. Seulement voilà, on s’est retrouvé au milieu d’héritiers ambitieux, sans garde du corps. Puis, Phirand nous a contacté. Comme nous, il était désireux de vivre quelques années sans crise de nerf. Du coup, on s’est allié, jurant de ne pas nous défier. On peut s’entraider aussi… si on veut. Cela dissuade les petits clans de nous chercher des noises.
Hiloy le laissa finir avant de demander :
-Phirand ? C’est qui ?
-L’héritier du clan Doulos, le numéro un. Et maintenant, c’est ton tour.
La Cinquième eut un mouvement de recule quand il s’approcha :
-Mon tour de quoi ?
Il passa un bras autour de ses épaules :
-Ça ne te dit pas de mener une année tranquille ? Sans passer ton temps à craindre ton ombre, à regarder par-dessus ton épaule ?
Sa sœur s’approcha également tout sourire. Hiloy n’était vraiment pas rassurée :
-Je dois entrer dans l’union ?
Ils hochèrent la tête en chœur.
-Mais… mon père.
Le jeune homme effaça l’objection d’un geste de la main :
-Oh, les parents ! Ils n’ont rien à dire sur ce qu’il se passe ici, n’oublie pas. Et puis, tu pourras toujours écrire que tu tentes des duels, bien que tu n’arrêtes pas de perdre. Il appréciera l’effort.
Hiloy eut un rire sans joie et l’adolescent revint vers elle :
-Dis-toi bien que si tu ne te joins pas à nous, tu seras une cible facile pour les autres. Une union des Cinq, on sera imbattable. Personne n’osera s’en prendre à nous.
C’était tentant, elle devait l’avouer. Toi qui voulais des alliés, t’en as quatre tout donné. Enfin, cinq.
-Où est ta chambre ?
Oru lui prit sa carte des mains alors qu’elle se tournait pour répliquer au frère :
-Rendez-moi ça.
La Quatrième nota la croix sur leur carte et lui rendit en souriant. Son frère sourit :
-On t’apportera le contrat, dès qu’on en aura parlé aux autres.
Hiloy les dévisagea l’un l’autre :
-Parce qu’ils pourraient refuser ?
Le jeune homme fronça le nez :
-Normalement non, mais ils sont méfiants. Si ce qui nous est arrivé t’inquiète, dis-toi qu’eux, ils ont eu droit au niveau au-dessus.
Il mit les mains dans les poches en ajoutant :
-Tu me diras, quitte à risquer ta vie pour prendre la charge d’un des Cinq du roi, autant viser directement les niveaux les plus élevés.
Hiloy dû admettre que c’était vrai. Tu as de la chance au final. Le garçon lâcha soudain :
-Tefpiro.
-Pardon ?
L’adolescent se pointa de la main :
-Mon nom, Tefpiro.
-OK.
Oru tira son frère par le bras en pointant la direction du réfectoire.
-Oui, on va manger. On se reverra, Puîné.e.
Ils s’éloignèrent tous les deux considérant la discussion terminée. Hiloy n’était pas sûr d’avoir bien suivi tout ce qui venait de se dérouler. C’est papa qui va pas être content. Elle s’assit sur le banc déserté et se perdit dans la contemplation de la cour. Au bout d’un moment de rêverie inutile, la Cinquième se remit debout. Si eux ne veulent pas se battre, il doit bien y en avoir un qui le voudra. Elle partit à la recherche des autres héritiers des Cinq. Seulement, Hiloy eut beau parcourir les différents bâtiments, scrutait chaque uniforme ou blason qui passait à sa portée, elle ne réussit pas à trouver les trois autres.
L’adolescente fut étonnée d’entendre la cloche sonnait pour le dîner. Au moins, ça m’aura occupé. Désireuse de se débrouiller sans carte, elle tourna en rond un petit moment avant de pouvoir regagner le réfectoire. Hiloy n’abandonna pas sa quête pendant le repas et guetta chaque personne qui rentrait. Lorsqu’elle retourna dans sa chambre après ses recherches infructueuses, la Cinquième se laissa tomber sur son lit en soupirant.
Quand Hiloy se souvint soudain que les cours commençaient le lendemain, elle roula en geignant :
-Veux pas y aller.
Elle s’immobilisa un instant avant de se redresser en entendant le haut-parleur :
-Vous êtes priez de regagner vos chambres. Fermeture des portes dans vingt minutes.
Un remue-ménage se fit entendre dans les couloirs. Des pas précipités dans la cour. Le haut-parleur annonça dix minutes, puis les dix dernières secondes. On entendit toutes les portes claquer en même temps. Vint ensuite, le son des serrures qui se verrouillent, enfin le silence tomba sur l’école.
Hiloy se réveilla avant que son réveil ne sonne, persuadée de ne pas l’avoir entendu et d’être en retard. En voyant qu’elle avait un quart d’heure d’avance, l’adolescente préféra se lever pour se préparer. Elle prit ses affaires et passa dans la salle de bain privée en plaignant sincèrement ceux qui devaient utiliser les douches communes. Lorsqu’elle fut prête, la Cinquième jeta un coup d’œil timide dans le couloir pour apercevoir les portes qui affichaient toutes une lumière rouge. Elle referma la sienne en se demandant à quoi pourrait lui servir de pouvoir entrer et sortir quand elle le voulait.
Hiloy alla s’asseoir sur son lit, le ventre noué d’angoisse à la perspective de ce premier jour d’école avec d’autres personnes de son âge. Elle était incapable de se concentrer sur quoi que ce soit et se contenta de fixer son réveil pour voir défiler les minutes. N’y tenant plus, Hiloy se leva, vérifia son sac pour la centième fois. C’est là qu’elle entendit les portes s’ouvrirent. Cela ne faisait que la rapprocher du moment où elle devrait se rendre en classe. Hiloy avait l’impression d’étouffer.
A ce moment, l’adolescente entendit une des filles chanter sous la douche. Cela la fit sourire et elle resta à écouter un moment en essayant de resituer où elle avait pu entendre cette chanson. Le garçon qui nettoie la chambre de maman. De là, les paroles lui revinrent progressivement. Hiloy se mit à fredonner avec la fille quand celle-ci se mit à cafouiller avant de se taire, pour reprendre en sautant un couplet. Hiloy l’entendit rire quand elle mélangea les strophes. Je l’aide ou pas ? La Cinquième s’amusait à écouter l’héritière qui tentait différente version de la chanson pour essayer de retrouver la bonne. Finalement, prenant son courage à deux mains en l’entendant à nouveau finir le refrain et buter sur la suite, Hiloy continua en chantant d’une voix suffisamment forte pour qu’elle entende, mais suffisamment bas pour éviter de provoquer un attroupement à sa porte. De l’autre côté du mur, il y eut un silence. Hiloy se tut, accroupi sur sa chaise de bureau, elle entoura ses jambes de ses bras en se demandant si la fille ne se sentait pas honteuse d’avoir été entendu. Cependant, la Cinquième finit par entendre l’héritière lancer :
-Et après ? C’est quoi la suite ?
Hiloy se mit à rire et continua de chanter.
-Ah oui, c’est vrai ! Merci !
La fille reprit sa chanson tandis que Hiloy se décidait à aller manger.
Il y avait déjà un peu de monde au réfectoire, mais elle ne repéra pas les héritiers qui l’intéressaient parmi les secondes années présents. L’adolescente mangea tranquillement, un coup d’œil à sa montre l’ayant informé qu’elle était en avance. Bien en avance. Elle se rendit directement devant sa salle de cours après avoir quitté le réfectoire. Assise sur le bord de la fenêtre, face à la porte, elle attendit patiemment, fermant les yeux de temps en temps pour récupérer un peu de sommeil.
Hiloy se réveilla de nouveau en sursaut, en entendant des éclats de voix dans le couloir. Deux garçons arrivèrent qui s’arrêtèrent à proximité de la porte. Celui qui avait des cheveux couleur de lichen portait un blason d’or. Serpent à deux têtes, le clan Razaug. Le second portait un blason d’argent. Bientôt, un groupe de filles arriva, discutant joyeusement. La seule qui attira le regard d’Hiloy fut une fille au crâne rasé avec le E des esclaves gravé sur le front.
Il était très rare de voir des esclaves à présent. Son précepteur lui avait expliqué que si les clans utilisaient des chemins détournés pour anéantir ou prendre la place de leur ennemi, c’était afin d’éviter une guerre ouverte. Car, dans ce cas-là, seul l’anéantissement d’un des clans pouvait y mettre fin et tous les autres clans pouvaient suivre l’évolution de la situation, voir proposer son assistance à un des camps. Lorsque le clan vaincu était détruit, les survivants pouvaient soit devenir esclave, soit vivre dans la misère dans la zone de départ. Beaucoup choisissait la deuxième option. Cependant, concernant les membres de la grande famille, le chef était en général exécuté et le reste n’avait pas d’autre choix que l’esclavage.
On lui avait expliqué comment se comporter en présence d’esclave. Ils n’existent que pour leur maître. Hiloy n’était donc pas censée ni la regarder, ni lui parler. Elle ne put s’empêcher, cependant, d’observer à la dérobée l’adolescente au regard fixe qui portait le sac de sa maîtresse.
Un groupe turbulent de quatre garçons déboula en criant. L’un d’eux continua dans le couloir jusqu’à ce qu’un de ses amis lui hurle :
-Matior ? Où tu vas ?
L’interpellé regarda autour de lui avec surprise avant de revenir vers eux sous une pluie de rire. Dans le groupe, Hiloy reconnut l’héritier d’or aux cheveux châtains qu’elle avait aperçu la veille sous sa fenêtre. Les trois autres avaient des blasons d’argent. Etait-il possible que les quatre garçons soient du même clan ? Un chef qui privilégierait autant d’enfant du commun prenait le risque de voir trois familles partirent pour joindre ou former un autre clan à la fin de l’école. Il serait sacrément affaibli.
Un nouvel arrivant déboucha dans le couloir. La Cinquième détailla un moment l’adolescent portant jupe et vernis violet. Son regard croisa celui du garçon et elle se détourna aussitôt. Les yeux uniformément noir du nouveau venu avaient quelque chose d’effrayant.
D’autres arrivèrent pour grossir le groupe avant que quatre adultes ne se montrent. Hiloy quitta la fenêtre quand ils ouvrirent la porte.