N’y pense même pas !

7 mins
JOUR 1
Le jour se lève, les cris de la marmaille qui joue dehors me ramène à la réalité, je suis en prison. La journée de la veille me revient en mémoire, j’ai été jugé coupable d’un énième vol, le juge ne sachant plus comment faire avec moi a décidé de m’envoyer pour une année dans une prison un peu particulière, il n’y a ni portes, ni fenêtres et encore moins de gardiens, certains pensent que ce lieu est une ochlocratie mais en fait ici il règne un syncrétisme impressionnant car ici on fait front contre la même menace, la Taulière comme on l’appelle entre ces murs de terres ocres. 
De mémoire d’homme ce lieu a toujours existé, certain le voit comme le purgatoire, d’autre la nomme la dernière chance, tout est une question de point de vue. Quand les enfants ne sont pas sages on les menace en leur promettant de les jeter dans une des cellules de Fort Arcilla, un peu comme le père Fouettard mais en plus efficace car la forteresse existe et les bambins viennent jouer sous les fenêtres des prisonniers du lever au coucher du soleil.
La particularité de ce lieu est qu’on vous enferme entre ses murs pour la durée de votre peine mais vous n’êtes pas sûr de ressortir car lorsque vous pénétrez dans le Fort votre vie dépend de vos mains et de votre application. A votre arrivée on vous attribut une cellule, vous pouvez être à 2 maximum, la pièce est meublée d’un lit, un pot, une table et un bloc d’argile. La seule entrave est une chaîne accrochée à vos chevilles pour éviter que vous vous mettiez à courir quand “Elle” arrive.
Pourquoi un bloc d’argile en prison? Et bien c’est simple, notre salut ne tient qu’à ce bloc de glaise, jours après jours nous devons le sculpter, le façonner à notre image, il faut que le résultat soit parfait car une fois par semaine notre geôlière fait une tournée d’inspection. Si notre ouvrage est médiocre elle prend notre vie, en revanche si le travail est soigné on gagne une semaine supplémentaire. 
Vous pensez surement que ce n’est pas très compliqué de se jouer de la Mort mais c’est faux, lorsqu’elle inspecte les statues elle arrive a sentir si vous y avez mis tout votre coeur et votre âme. Si vous échouez vous périssez dans d’atroces souffrances. Ce qui rend fou c’est que toutes les semaines elle emporte avec elle toutes les sculptures, elle se nourrit de la peur et du désespoir des prisonniers. Ainsi semaine après semaine vous devez recommencer votre portrait et l’améliorer si elle vous a laissé la chance de vivre.
JOUR 5
Comme je suis arrivé en cours de semaine ma statue ne sera pas inspectée cette fois-ci. Etant nouveau je dois aller dans les sous-sols de la prison pour entretenir les statuettes récoltées au fil des semaines, çà consiste a faire la poussière et vérifier que tout est en ordre autant vous dire que c’est un travail sans fin car le sol est en terre et que les différentes ouvertures sur l’extérieur donne sur le terrain de jeu des enfants qui en jouant au ballon brassant de la poussière qui retombe sur les statues. Pour remplir ma tache je n’ai qu’un vieux balai qui tombe en morceaux. Les bustes des prisonniers morts ou libérés sont détruits et laisse place pour les nouvelles productions. D’après ce que l’on m’a dit peu de prisonniers arrivent au bout de leur peine, la Mort est exigeante.
Dans cette prison chacun a un rôle a jouer pour faire vivre la communauté, plus le délit est grave et la peine longue plus la tâche sera prenante ainsi le détenu a moins de temps pour travailler sur son buste et a moins de chances de survivre. Les postes les plus redoutés sont la cuisine et la laverie. Pour ma part je m’estime chanceux faire la poussière c’est pas très compliqué et puis il fait sombre ma Taulière verra pas si il reste un peu de poussière…
JOUR 7
Ca y est on y est c’est le jour de l’inspection, mon voisin de cellule est stressé, çà fait plusieurs jours qu’il ne ferme pas l’oeil pour pouvoir peaufiner son ouvrage, il transpire beaucoup et tremble de tout son corps. Je dois dire que la vie dans cette prison n’est pas si terrible, les gens ont tellement peur pour leur vie que chacun reste tranquille dans sa cellule. Même si je ne suis pas concerné pour l’inspection de ce soir je dois dire que l’ambiance est tendue et anxiogène. Pour partir sur un pied d’égalité je n’ai pas eu le droit de toucher à mon bloc d’argile, mais dès demain je serais comme les autres et il faudra que j’apprenne a manipuler ce gros morceau de glaise et que j’arrive à séduire la Mort.
La nuit est tombée, il règne un silence assourdissant, par moment quelques sanglots s’échappent des cellules. Mon voisin semble plus calme, résigné, son buste n’est pas si mal je trouve. Après 5 ans je trouve qu’il a été plutôt chanceux, il ne lui reste plus qu’un mois et il retrouvera sa famille. Je tente de lui faire un sourire mais il s’allonge sur son lit et me tourne le dos. Soudain un bruit sourd suivit d’un autre attirent mon attention, je sors de ma cellule et me penche pour regarder en bas, je plaque ma main sur ma bouche, mon estomac a renvoyé mon déjeuner, deux corps désarticuler jonchent le sol, on dirait des poupées de chiffons.
“Ils ont pas supporter la pression, leurs ouvrages étaient pas mal pourtant…”
Je me tourne vers l’homme qui vient de prononcer cette phrase dénuer d’émotion. Aucun son n’arrive a sortir de ma bouche mais à l’intérieur je commence à prendre l’ampleur de l’horreur de ce lieu, pour survivre il faut rentrer dans le rang, être sage et dénué d’émotions. On nous vole notre liberté, notre humanité… les larmes coulent sur mes joues et je rentre dans ma cellule, je comprends a ce moment précis que je vais devoir rentrer dans le rang ou bien mourir, un frisson me parcours le dos c’est la première fois que quelque chose me fait aussi peur.
Cette nuit là mon voisin de cellule a été emporté par la Mort, elle s’est présentée sous les traits d’une petite fille au sourire inquiétant, elle chantait une sorte de berceuse entêtante, elle a inspecté l’argile, elle l’a touché, respiré puit elle s’est approché de l’homme qui partageait ma cellule, elle lui a chuchoté quelques mots à l’oreille et lui a prit la main, il a hurlé de douleur et a disparu dans des flammes vertes. Avant de quitter la pièce elle m’a regarder droit dans les yeux, c’est comme si elle était rentrer dans ma tête.
“Ni pense même pas”
J’ai fermé les yeux très fort et secouer ma tête quand je les ai rouvert elle n’était plus là mais j’entendais encore sa chanson. Sa collecte a duré toute la nuit. Je n’ai pas pu dormir, au matin j’avais pris une décision, à la prochaine inspection je ne serais plus là.
JOUR 10
J’ai commencé a travailler mon argile, j’espère pouvoir mettre mon plan a exécution avant la fin de la semaine. En faisant le ménage  sur les statuettes j’ai remarqué que les barreaux d’une des ouvertures qui donne sur l’extérieur sont très abimés, en tirant un peu dessus je pourrais les faire tomber et me faufiler. 
JOUR 11
Ca va être plus long que ce que je pensais, il y a du jeu mais les bouts de fer tiennent encore bien, il faut que je creuse un peu la pierre. La tâche ne va pas être simple car il y a une tempête de sable dehors et les grains me rentrent dans les yeux et la bouche c’est compliqué, je ne dois pas négliger mon travail sinon je risque de ne pas avoir le temps de mettre mon plan a exécution.
JOUR 12
Ce matin je suis fatigué, je n’ai plus de motivation, après tout un an c’est pas si terrible, je fais ce qu’on me demande et je rentre dans le rang, ça va aller, ça va aller… NON NON!!!
Je me lève d’un bon, me donne quelques tapes sur les joues, je décide de retourner au sous-sol, je dois avancer. L’homme qui m’avait parlé le jour de l’inspection m’attrape par le bras.
“Tu vas où comme çà gamin?”
– Je vais remplir ma tache au sous-sol pourquoi?
“Tu ne sculptes pas ton portrait? l’inspection est pour bientôt… la première fois c’est toujours la plus importante, Elle se fait son opinion, Elle te jauge, faut pas que tu te foires.”
Je me dégage de son emprise et regarde cet homme qui pourrait être mon père, il paraît calme, sa barbe lui cache la moitié du visage, elle est si longue qu’il en a tressé le bout. Devrais-je le mettre dans la confidence? Une autre paire de mains seraient bien utile pour l’avancée de mon projet. On verra une prochaine fois je n’ai pas le temps de lui expliquer mon plan, je perds déjà trop de temps. Il finit par rentrer dans sa cellule et j’en profite pour descendre.
JOUR 14
Je ne serais jamais prêt pour partir aujourd’hui, il me manque au moins 2 semaines de travail. Pas le choix il va falloir que je passe l’inspection. Pour la première fois de ma vie j’ai prier, prier pour avoir un sursis. J’ai travaillé sur mon ouvrage jusqu’au coucher du soleil. La peur s’est installée dans mon ventre, l’image de mon voisin de cellule me revient je ne dois pas être mieux que lui, il est temps qu’Elle arrive pour en finir. Une fois de plus des corps tombent des étages supérieurs, a ce moment là j’ai pensé :

“Tient çà fera de la place sur les étagères…” J’ai souris machinalement et j’ai senti la nausée montée, je me dégoûte de penser comme çà.
C’est l’heure… la petite chanson résonne entre les murs de la prison, la pression est telle que je perds connaissance. A mon réveil ma statue a disparue et je suis encore en vie, ouf j’ai gagné une semaine. La joie a remplacé la peur, l’espoir est revenu, demain je mets les bouchées doubles.
JOUR 20
J’ai bien avancé, je suis content je vais peut-être pouvoir échapper a l’inspection de demain.
“Que fais tu?”
Je connais cette voix, c’est l’homme barbu. Pris en flagrant délit je n’ai d’autre choix que de dévoiler mon plan. A ma grande surprise, l’homme se met au travail et creuse la roche sans me poser plus de questions, il a de la force et les barreaux ne lui résistent pas longtemps. Après une heure, le passage est ouvert, il n’est pas grand mais vue mon gabarit c’est parfait. Je regarde une dernière fois mon coéquipier, il me fait signe d’y aller, le trou est trop petit pour lui, il est condamné a rester pour finir sa peine.
“T’inquiète il ne me reste pas longtemps, je serais bientôt dehors.”
 
Je me faufile en rampant  dans la poussière, il fait presque nuit. J’avance sans me retourner, il faut que je fasse attention, resté discret jusqu’a ce que j’atteigne la forêt. Soudain quelque chose m’attrape la cheville, je me retourne, ma chaîne s’est prise dans un bout de bois. 
“Papa y a un monsieur qui rampe par terre !!”
Je lève les yeux vers l’enfant et je me fige, c’est la petite fille de la prison, la Mort, elle s’approche de moi en chantonnant sa berceuse, je ne peux plus bouger, je regarde mes pieds et sursaute, l’homme à la barbe, celui qui m’a aidé a creuser s’approche de mon visage, ses yeux sont remplis des flammes de l’enfer et me dit 
“Tu es courageux, j’aime çà, mais la petite t’avais prévenu, n’y pense même pas.”

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8 Commentaires
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Gaëlle Galindo
3 années il y a

Je trouve ça super. Donner un but pour rester en vie.

Babacar Diouf
3 années il y a

Texte vraiment édifiant. Il me semble qu’on a là ”les sangantes mathématiques de l’existence”. Cependant l’homme doit toujours chercher à vaincre la mort.

Philippe Hollingue
3 années il y a

Texte qui fait rêver et situations décrites à la perfection.
C’est comme si on y étais mais heureusement ce n’est pas le cas, je suis pas super doué en sculpture en plus. ^^
Bravo

Équipe WikiPen
Administrateur
3 années il y a

Bonjour Philippe,
Ton Pen est ajouté au concours !

Équipe WikiPen
Administrateur
3 années il y a

Bonjour ,
Ton Pen est ajouté au concours !

Équipe WikiPen
Administrateur
3 années il y a

Hello…Keva !

On peut dire que le podium t’appartient désormais…
C’est bien la 6 ème fois que tu termines dans le top 3 ! (Dont la 4 ème fois consécutive)

Félicitations pour cette 3 ème place.

Gaëlle Galindo
3 années il y a

Encore bravo !

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