Crépuscule Gris – Chapitre 2 | Le Désert

7 mins

Chapitre 1 | La grotte de cristal

Résumé du chapitre précédent : Juan, Miguel, Franck, Julie et Marie faisaient partie d’une expédition qui visait à sécuriser une grotte dans une mine. Suite à un effondrement, ils ont émergé dans un désert inconnu.


Mexique ? 1999 ?

Franck se réveilla avec un bourdonnement oppressant qui lui enserrait le crâne. Il n’était plus au bord de l’oasis où le groupe s’était arrêté la nuit précédente. Des souvenirs encore flous revenaient dans le désordre. La grotte, la terre, la marche dans le désert, la nuit, leur arrivée à l’oasis, puis plus rien. Tout son corps était douloureux. Son dos butait contre une surface dure. Comment s’était-il retrouvé ici ? Comment avait-il perdu connaissance ? Et surtout, où étaient les autres ?

La lumière du jour, éblouissante, parvenait jusqu’à lui par l’ouverture d’une sorte de caverne. La cavité semblait assez profonde et faisait un coude. Il ne voyait donc pas directement l’extérieur. Le jour était déjà bien haut ; combien de temps avait-il dormi ? Mystère. Sa montre, encore à son poignet, indiquait quatre heures de l’après-midi. Était-il possible qu’il ait été inconscient toute une journée ? A cet instant, il s’agissait plus que tout de retrouver le groupe. En se redressant avec difficulté, il découvrit que la caverne où il reposait était aménagée. Des poteries, des peaux d’animaux, des tissus en ornaient les murs et le sol.

– Marie ! Marie ! Juan !

L’inspiration qu’il avait prise lui avait demandé un effort surhumain, et il bascula à nouveau sur la couche. Sa vision se troubla. Des bruits de pas se rapprochaient. Il leva péniblement la tête pour apercevoir une silhouette féminine floue, coiffée d’un carré de cheveux sombres

– Julie ? murmura-t-il

La personne s’approcha et lui versa de l’eau dans la bouche. Elle prononça quelque chose dans une langue qu’il ne comprit pas, et lui fit signe de rester allongé. Sa conscience revenait doucement, l’environnement devenait de plus en plus net. Une légère odeur de fumée trahissait la présence d’un feu à proximité. Derrière son dos, la couche était très dure, il devait y avoir tout au plus une natte ou une couverture entre ses omoplates et la pierre. D’au dehors provenaient des discussions diffuses. Plusieurs personnes parlaient dans la langue inconnue. Franck ne connaissait de toute façon que quelques mots d’espagnol. De ce qu’il avait appris dans le dépliant de l’avion, on parlait quarante-six langues au Mexique. Rien d’étonnant à ce qu’il soit tombé sur l’une d’elles. Puis il se rappela de leur sortie de la grotte au milieu du désert : ils n’étaient de toute façon plus à Naica, donc peut-être même plus au Mexique. Ce qui l’inquiétait le plus était l’absence de ses camarades. Comment s’était-il retrouvé ici ? C’était le prochain mystère à résoudre.

Franck se leva à nouveau péniblement. La migraine faisait battre ses tempes, et le moindre mouvement lui était pénible. Il réussit à se mettre sur pieds, pour constater qu’il était en caleçon. Il avança vers la lumière en étirant ses membres courbaturés, protégeant ses yeux du mieux qu’il pouvait. La clarté du jour l’éblouissait déjà à mi-chemin, il appréhendait l’arrivée au coude de la caverne. A l’entrée de la demeure troglodyte, c’était comme si on lui pointait un projecteur de stade en plein visage. Il tâtonna jusqu’à un petit muret. Abasourdi par ce qui s’offrait à lui, il manqua de perdre l’équilibre et s’agrippa chancelant au petit mur de pierres.

Franck se trouvait dans une communauté vivant dans les montagnes. Il devait y avoir une vingtaine de personnes qui s’affairaient en dessous de lui. Toutes s’arrêtèrent instantanément pour le dévisager. Le fait qu’il soit à moitié nu y était certainement pour quelque chose. Mais tous ces regards braqués sur lui lui étaient complètement indifférents. Ce qui le tétanisait était l’effroyable réalité qu’il avait devant les yeux. Au milieu d’un magnifique ciel bleu, presque exempt de nuages brillaient deux magnifiques soleils. Il ferma les yeux plusieurs secondes pour s’assurer que sa vision ne lui jouait pas des tours. Mais les deux astres étaient toujours là lorsqu’il les rouvrit. L’un d’eux, jaune et massif, l’autre blanc et plus discret.

Pourtant bien préparé à faire face à l’imprévu, le spéléologue fut pris d’une crise d’angoisse face à l’inexplicable vérité que matérialisait cette vision. Franck retourna dans la caverne en s’appuyant sur le mur. Il s’assit sur la couche où il s’était réveillé, et resta ainsi le regard dans le vide pendant plusieurs minutes. La jeune fille qui l’avait fait boire peu avant s’approcha de lui prudemment. Elle paraissait méfiante, et prononça quelques mots qui s’apparentaient à une question.

– Je ne vous comprends pas, répondit-il

Elle répéta exactement les mêmes mots en les accompagnant de mouvements de mains

– Je ne vous comprends pas !

Franck se rendit compte qu’il avait involontairement crié. La jeune fille partit en courant. Il était désorienté. Une seule pensée occupait son esprit : rien de tout cela n’était possible. Il allait surement se réveiller dans la grotte aux cristaux, en train d’halluciner. La migraine continuait à lui vriller le cerveau. Il fallait qu’il en ait le cœur net. Il chercha des yeux ses affaires pour sortir de manière un peu plus présentable. Il les trouva pendues à un fil en train de sécher à proximité de la sortie de la caverne.


 
Un grand gaillard entra en trombe dans l’habitation troglodyte et se planta face à lui. Visiblement, sa réaction n’avait pas été appropriée. Franck fit un geste d’apaisement avec les mains, mais l’homme enchaînait les mots sur un ton légèrement agressif. Franck était désemparé. La seule idée qui lui vint fut un cliché rebattu des films. Il pointa son torse et se présenta « Franck ». L’homme le dévisagea, il se dérida légèrement, et posa son index sur le torse du spéléologue et répéta « Franck ». Franck crut déceler une légère forme interrogative, sans pouvoir en être sûr. Il lui sourit et pointa à nouveau son torse en disant « Franck » d’une manière plus affirmée.
La présentation étant une attitude universelle, l’homme pointa son propre torse en donnant à Franck ce qui devait être son nom : « Gebri ». La jeune femme qui observait la scène depuis l’extérieur s’approcha et se serra contre lui, il la pointa et dit « Mara ». Franck en déduisit qu’il s’agissait de sa femme ou de sa fille. Les deux étaient passablement crasseux et la vie ne leur avait pas fait de cadeau : deviner leur âge était impossible. Il lui vint une idée : « Marie ? » demanda-t-il, les deux étrangers se regardèrent incrédules en lui faisant comprendre que cela n’avait aucun sens pour eux. Franck essaya ses autres camarades « Juan ? Miguel ? Julie ? ». Il vit le visage de la jeune femme s’illuminer lorsqu’il prononça le nom de Julie. Elle lui fit signe de la suivre.
Franck sortit pour la seconde fois de la caverne pour découvrir le village. Sa vision s’était nettement améliorée, mais il avait encore de fortes douleurs à la tête. Et les deux soleils le narguaient toujours. Son hôte l’accompagna jusqu’à une autre maison où il trouva Julie recroquevillée sur une couche semblable à la sienne. Lorsqu’elle le vit, elle se précipita vers lui et le serra fort comme une bouée de sauvetage. Plusieurs personnes avaient suivi Franck, et elles étaient maintenant une demi-douzaine à les observer comme des animaux curieux.
– Franck, dieu soit loué. Quel est cet endroit, qui sont ces gens ?
– Je n’en ai aucune idée, je ne comprends pas un mot de ce qu’ils racontent. Sais-tu ce qui s’est passé depuis hier ?
– Je me rappelle juste qu’on est arrivés jusqu’à l’oasis. Il me semble que nous étions tous là, mais tout est flou. Est-ce que quelqu’un va venir nous chercher ?
– Je l’espère. Il faut déjà que nous retrouvions les autres
Franck aperçut la trousse de secours en parcourant des yeux la pièce. Il devait y avoir un antalgique dedans pour se débarrasser de son mal de tête. Un jeune garçon arriva en courant, visiblement excité, et mima des signes pour que Franck et Julie le suivent. Marie était dans une autre maison en train de se réveiller. Julie se précipita pour l’enlacer. Franck s’assit sur le bord de sa couche et prit sa main. Marie avait encore le teint pâle et l’air désorienté. Elle lui sourit néanmoins, puis grogna en essayant de s’asseoir.
Cela en faisait au moins trois de réunis. Juan et Miguel manquaient toujours à l’appel. Des voix espagnoles se firent entendre à l’extérieur peu après. Les deux mexicains essayaient de se faire entendre en vain des villageois qui les guidaient vers les autres membres du groupe. Une cohorte composée probablement de la moitié du village les encerclait en permanence. Les enfants souriaient, les adultes affichaient des visages parfois curieux parfois effrayés. Les compagnons d’infortune sortirent de la maison où se trouvait Marie pour rejoindre Juan et Miguel à l’extérieur. Ils s’assirent ensemble sur le muret d’un passage, à un endroit un peu plus large que les autres sentiers qui reliaient les habitations.
– Est-ce que quelqu’un a une idée de ce qui s’est passé ? demanda Franck
– Nous sommes arrivés à l’oasis hier soir. Après avoir bu, vous vous êtes effondrés les uns après les autres, j’ai entendu des bruits de voix et j’ai pointé la torche dans leur direction avant de m’évanouir aussi, raconta Juan. Cette eau devait être toxique, ou bien nous avons tous pris une insolation, allez savoir.
– Est-ce que vous comprenez ce qu’ils racontent ? demanda Marie sans trop y croire
– Pas du tout, señorita, répondit Miguel
– C’est très bizarre, certains mots ressemblent de loin aux paroles des chansons de ma grand-mère qui était Totonaque. Mais de toute façon je n’ai jamais rien compris à ce qu’elle chantait
– Merci Juan, c’est vraiment utile, ironisa Marie. Il faut qu’on trouve un moyen de leur faire comprendre qu’on doit retourner à la grotte, les secours doivent être arrivés maintenant
– Amuse-toi bien ! lança Franck. J’ai déjà donné !
D’un air de défi, Marie descendit du muret et se dirigea vers le premier autochtone. Franck prit un malin plaisir à la voir gesticuler pour tenter de se faire comprendre face à une assemblée incrédule. Elle finit par baisser les bras et revenir vers les autres.
– J’abandonne. J’ai tenté toutes les langues que je connais, j’ai tenté le langage des signes, je me suis ridiculisée avec des onomatopées, ils ne comprennent rien, rien, rien !

Gebri, l’homme qui avait accueilli Franck, leur fit signe de les accompagner. Ils longèrent le sentier taillé dans le flanc de la montagne pour arriver à une esplanade couverte par une excroissance rocheuse. Cela semblait être la place principale d’un village, avec en son centre un grand foyer que les jeunes garçons s’affairaient à préparer en amoncelant du petit bois. Le jour commençait à baisser. Le soleil jaune disparaissait lentement à l’horizon. Imperceptiblement, les couleurs de l’environnement se désaturaient. Toutes les couleurs ternissaient, le désert en contrebas était passé d’un blanc cassé a un gris triste, et la luminosité avait baissé de moitié. Le spectacle du coucher du premier soleil était à la fois déprimant et incroyablement nouveau.
Un crépuscule gris.

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5 Commentaires
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Ibrahim Najuev
3 années il y a

Trop trop bien ! J’adore cette série, direction chapitre 3 !

Audrey Baille
3 années il y a

Toujours plus intriguant. Cette partie me rend plus curieuse sur ce peuple et ça compense ma petite déception à propos de la scène initiale qui n’a pas été écrite et qui, pourtant a entrainé tout ce chapitre (le désert et la scène de l’oasis).

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