Un étrange et puissant blizzard soufflait sur le flanc Est d’une montagne. Loin de la chaleur étouffante du palais d’Horgia, Evysciel s’avançait en fredonnant, imprimant ses pas dans le tapis immaculé sans avoir l’air de souffrir de ce climat hostile.
L’héritage du Zénith – IX
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Bientôt, un immense palais se détacha du rideau blanc. Il jaillit de la montagne dans laquelle il avait été construit il y a bien longtemps par les anges. C’était là leur poste avancé pour observer le monde. En cette époque, Lucifer lui-même faisait encore partie des troupes célestes.
Désormais à l’abandon, ce lieu était devenu le palais privé d’Evysciel, l’ayant surnommé Malphem, qui appréciait son charme étrange et son calme absolu. Il lui permettait de mettre en œuvre ses plans sans avoir à se soucier des désirs de ses serviteurs ou de l’accueil d’éventuels invités.
Personne n’aurait envie de braver l’air glacial du lieu, mais ce n’était pas la seule raison à ce désert blanc.
Entrant dans ce qui devait autrefois avoir été un luxueux jardin, Evysciel passa entre d’imposantes sculptures de glace. En y regardant de plus près, il s’agissait en fait de réelles créatures prises au piège par le gel implacable…
Le palais s’affichant désormais plus clairement, on pouvait le définir comme très haut mais peu large ou profond. Devant la difficulté à creuser davantage la roche en profondeur, les architectes semblaient avoir conçu un palais vertical.
L’impression d’abandon des lieux était grandement renforcée par une étrange dentelle couverte de congères. Elle recouvrait entièrement les façades, les reliant à la roche et aux sculptures, et s’enfonçait profondément dans la neige ou disparaissait derrière son rideau blanc. De-ci de-là, couraient un nombre incroyable d’araignées au pelage laiteux, de toutes tailles : les plus petites l’étant plus encore que celle que cachait Evysciel, les plus grosses rivalisant sans mal avec le cerbère de son père. Mais elles ne semblaient pour autant pas être en mesure d’avoir ainsi paré le palais de ce châle soyeux…
En pénétrant dans l’édifice, c’est un décor figé dans le temps par le gel qui attendait le regard : les murs, le sol… Tout était recouvert d’une fine pellicule de givre scintillante réfléchissant à l’infini les façades et les statues de glaces disposées un peu partout sans aucune vision décorative. Elles ornaient les lieux comme autant de personnes surprises par une glaciation brusque et inattendue les ayant congelées dans leurs activités quotidiennes… Evysciel avançait vers l’imposant escalier en colimaçon disparaissant dans la brume froide, qui masquait un plafond que l’on pouvait imaginer extrêmement loin du sol. Sur son passage, différentes araignées de belles tailles vinrent emporter certaines statues, les remplaçant aussitôt par des corps gémissants capturés par les chasseuses.
Les araignées entreposaient leurs victimes ici, les destinant à geler sur place en attendant d’être dévorées plus tard par les arachnides démesurées…
Le palais n’était en fait constitué que de trois salles : l’entrée gigantesque, servant également de garde-manger aux locataires majoritaires, occupait quasiment tout le palais. La salle du trône, de belle dimension également, se dévoilait en parvenant au bout de l’immense escalier. De cette salle enfin, une seule chambre était accessible, assez vaste également, mais dérisoire comparée aux deux autres pièces. C’est dans la salle du trône que parvint donc Evysciel, qui se dirigea vers le siège d’or tranchant par sa couleur dans un décor unicolore bleuté et s’y assit. À peine en place, une masse gigantesque se mit aussitôt à remuer dans son dos. Un morceau de patte blanche et soyeuse, aussi large et longue que les imposants piliers soutenant la salle, vint glisser contre la joue de l’enfant de Lucifer, qui sourit en portant la main à elle.
— Oui, c’est moi Arianée… Il y a longtemps que tu le sais de toute façon… J’ai vu que nous avions eu de la visite… Tu as bien travaillé, je te rends ta fille à présent, elle a été très utile…
De sa manche, la « petite » araignée blanche sortit et grimpa rapidement sur l’immense patte qui se rétracta aussitôt vers une autre lui ressemblant en tout point mais d’une taille démentielle. Elle prenait presque tout l’espace de la salle du trône. L’abdomen rond, énorme, pendant dans le vide de l’entrée par un trou fait à même le sol, trônant sur une immense toile scintillante sous le gel. Des fils s’en dégageaient dans tous les sens, quittant le palais par les fenêtres, parcourus inlassablement par la progéniture de cette géante soyeuse couverte d’un pelage ivoirin. Huit perles rouges de la taille d’une des têtes du cerbère lui servant d’yeux, ornant sa face au-dessus de mandibules arborant deux crochets massifs, sur lesquels on aurait pu sans mal empaler un homme de bonne constitution…
Evysciel, laissa passer un instant de calme et lâcha :
— Giziel, nous avons à parler…
Une ange sortie de la chambre, de longs cheveux blancs, le visage marqué par le froid.
C’était ce visage qui était apparu dans la neige tourbillonnante pour informer Evysciel de la convocation au palais.
Elle avait les ailes enchaînées. Un bandeau noir sur les yeux trahissait sa cécité. Elle était vêtue d’une longue robe blanche, semblant bien ancienne, au buste lacé d’or.
Malgré son handicap, elle se déplaça pourtant sans mal parmi les araignées et les fils, et vint s’agenouiller face à Evysciel.
— Votre Altesse…
— Je vais avoir besoin de toi, et de ta magie, plus que jamais très chère… Mon père va bientôt céder sa place à l’un de nous… Inutile de te dire que mon frère a moyennement apprécié la nouvelle… Lui qui se voyait déjà sur le trône…
— Et qu’en est-il de votre jeune sœur ?
— Lisithia ? Elle…, soupira Evysciel. Même si ce n’est qu’en partie, c’est une humaine après tout alors… Elle vit sa vie… Cela ne l’intéresse pas. Elle ne sera pas un obstacle…
— Vous sous-estimez Lucifer.
— Tiens donc, et pourquoi ça ?
— Je luttais déjà contre lui bien avant votre naissance. S’il a décidé de ne pas choisir, c’est que dans son esprit, vous avez autant de chance que votre frère et votre sœur d’accéder au trône impérial. Peu importe votre motivation, vous n’êtes que des pions pour lui. Et personne ne dit non à Lucifer. Le Ciel lui-même n’a pas pu.
Evysciel sourit puis partit dans un franc rire :
— Décidément ma chère, ta présence est un délice ! J’imagine tous les sévices que mon frère te ferait subir si tu osais lui parler ainsi ! Mais le pire c’est que, bien consciente de cela, tu le ferais quand même…
— Vous ne m’épargnez pas non plus…
— Plains-toi ! Je n’y suis pour rien pour tes yeux ! Quant à tes ailes… C’est juste une précaution pour que tu évites les murs ou la toile d’Arianée en essayant de t’échapper… Et puis, tu aurais pu tomber bien pire… Après tout, ce sont les tiens qui t’ont abandonnée ici parce que, aveugle, ils te considéraient comme inutile… Moi au moins, je t’apprécie à ta juste valeur… D’ailleurs…
Evysciel se pencha vers elle, qui ne put éviter le baiser rapide posé sur ses lèvres :
— Va m’attendre dans la chambre, je suis de bonne humeur, je sens qu’on va bien s’amuser… Qui sait ? Peut-être aujourd’hui sauras-tu enfin qui partage tes draps…
Giziel n’esquissa aucune réaction à cette allusion. Ni de contentement, ni de dégoût. Elle s’inclina et regagna la chambre… Evysciel resta un instant sur place à caresser la patte d’Arianée, son regard perdu dans l’horizon, avant de se lever, pour se diriger vers la chambre, en murmurant, sourire aux lèvres :
— Ô père, que j’ai hâte de savoir ce que tu nous prépares…
Brrrr … ce n’est pas là que j’irai passer mes vacances ^^…