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Faucheur.
Je dirais bien de père en fils, mais on a qu’une mère en fait.
Si on peut dire.
Et elle, elle est là depuis… Ben que la vie existe en fait. Et elle fermera la boutique comme on dit.
Nous, nous sommes ses enfants, ou ses employés…
Ses larbins, oui.
Faut pas croire.
On se tue à la tâche pour faucher des vies ! Vous pensez qu’on se lève le matin et qu’on lit la rubrique nécrologique du lendemain en sirotant son café ?
(Au passage, si certains d’entre vous en buvaient un peu moins, on aurait moins de boulot… )
C’est pas comme ça que ça marche. Enfin, pas tout à fait.
La liste, on l’a. Et chaque fois, l’angoisse de découvrir à quel secteur on est assigné.
On prie tous pour pas tomber sur vous.
Le plus tranquille, c’est celui des animaux.
Mais là encore, ça dépend lesquels. Faucher Medor ou Felix paisiblement assoupi dans son panier, c’est facile.
Mais quand vous devez faucher un poiscaille étrange au fin fond des fosses abyssales, bonjour l’ambiance !
L’autre jour j’étais de cette corvée. Un blobfish m’a traversé la tête… OK, les vivants nous voient pas… ( rapport à ce que vous auriez un peu peur et que ça risquerait de fausser votre heure de décès ) mais les collègues oui !
Se sont foutus de ma gueule pendant une semaine !
Faut dire qu’avec ce truc, on se rend compte que la génétique a le sens de l’humour.
Mais ça reste préférable à devoir vous gérer, vous…
Déjà, on débarque pas n’importe comment dans le secteur humain.
Faut faire une formation.
Direction la gériatrie. Si on se plante, c’est pas trop préjudiciable.
Oui, pour nous.
Vous ben… ça peut être un peu plus gênant, je vous l’accorde, mais souriez ! Vous formez la fière nouvelle génération de faucheur !
C’est votre problème ça les humains, vous pensez toujours qu’à votre gueule…
Enfin, faut pas trop se tromper non plus, c’est mal vu…
Si on fait du mauvais boulot, on est rétrogradés. Et là, direction le monde merveilleux des insectes…
Bonjour le burn out…
Celui qui n’a jamais été en poste, pendant une journée entière, à côté d’une toile d’araignée, à attendre comme un con pour faucher tout ce qui s’y présenterait, ne peut pas comprendre la difficulté de ce métier !
Parce que là, finies les listes ! Ils sont tellement nombreux et ont tellement de façons de crever, que c’est impossible à suivre !
Et puis franchement, entre nous, vous croyez que c’est simple de faucher la vie d’un acarien avec une faux de deux mètres ?
Sérieusement, les collègues du secteur microbes, bactéries et tout ça, je sais pas comment ils font… On les voit passer comme des âmes en peine…
L’autre jour, j’ai voulu discuter avec l’un d’eux. Il m’a dit qu’il avait passé la veille à faucher des Escherichia coli…
Il a pleuré en répétant “quelle merde, mais quelle merde !”
Pauvre gars…
Et évidemment, pas de droit de grève nous, pas de vacances… Vous imaginez le bazar ?
Un petit nouveau en formation chez vous, a oublié un nom. Le temps qu’on s’en rende compte, vous aviez fait d’un bête oubli une star de la longévité !
Vous vouliez savoir son régime alimentaire, ses habitudes et tous ses secrets pour avoir vécu aussi longtemps…
Ça aurait été marrant que le petit puisse débarquer en mode :
“Désolé. C’est ma faute. Je l’ai oublié. Je répare ça de suite”
Bref, c’est vraiment pas un boulot facile. Et en plus, vous vous multipliez sans arrêt… Toujours plus de boulot pour nous.
En plus, vous êtes les champions de l’imagination dans ce qui est de mourir ! Je passe la vieillesse, les maladies et la prédation, communes à toutes les espèces ( je sais très bien que certains parmi vous aiment bien un petit gigot d’humain, faîtes pas genre ).
Mais il y a aussi les accidents, les suicides, et les “pourquoi ?”
Dans cette dernière, je range toutes les morts les plus improbables dont vous êtes capables, et dont on ne sait toujours pas pourquoi vous en avez eu l’idée.
Vous faites même des compilations sur les plus stupides de l’histoire…
Si en plus, je rajoute le règne végétal à la liste, vous imaginez un peu à quoi on doit faire face ?
Mais bon, des fois, on apprécie quand même. Comme le jour où j’ai eu la chance de faucher un humain en épectase… Me dire que je venais de prendre sa vie, alors que lui-même était possiblement en train d’en créer une, ça m’a fait marrer.
On rit avec ce qu’on a.
Enfin… Il est temps que je me remette au boulot. Faut que je sois à l’heure.
Mais, pas de panique.
On se reverra.
C’est certain.
J’adore ! Ça change de tes autres écrits mais c’est terrible 😀
Bien vu ! Félicitations !
Beaucoup d’originalité et j’aime !
Très dure la vie de la grande faucheuse ! Bravo.