Loin du palais, le vent sifflant dans les feuillages de la sombre forêt de Dam composait une étrange complainte. Les arbres offraient deux niveaux de densité. La première zone avait encore tout d’un bois traditionnel. Les troncs imposants, témoins de bien des événements du monde, laissaient encore quelques sentes autoriser les voyageurs à arpenter ce lieu gorgé d’histoires.
Ils étaient toutefois peu nombreux à prendre ce risque et cela se ressentait à l’entretien des chemins.
La zone suivante était, quant à elle, bien plus dense. Tant qu’il fallait parfois marcher un long moment pour ne serait-ce trouver un possible accès, qui ne permettait même pas de faire beaucoup de pas à l’intérieur.
Les arbres tortueux s’enchevêtraient, se pressaient les uns contre les autres, se disputant le moindre petit espace, quitte à fusionner leurs écorces. Il était même impossible d’y voir au loin tant les feuillages interdisaient au soleil de percer.
C’est aux bords de cette sombre orée, dans la zone encore clémente, qu’un imposant manoir se dressait. Il luttait contre l’envahissante végétation cherchant à digérer les pierres érigées là comme un outrage fait à la flore locale. Un haut muret protégeant autrefois la demeure, avait déposé les armes depuis bien longtemps face à cet adversaire serpentant sur ses façades noircies, gagnées par la mousse et s’effritant en de nombreux endroits. Le vétuste portail se retrouvait étranglé par du lierre s’enroulant autour de ses grilles rongées par la rouille, et le chemin qu’il annonçait n’était plus qu’herbes folles.
Le manoir en lui-même semblait vouloir résister encore un peu, malgré les volets sombres à la peinture écaillée grinçant sur leurs gonds grippés à chaque coup de vent se faufilant entre les arbres, faisant gémir le lieu tout entier.
Pourtant, au premier et seul étage, une lueur dansait à travers une baie vitrée brisée donnant accès à l’unique balcon, en partie effondré, de la vétuste demeure.
La pièce dans laquelle luisait une faible bougie s’avérait être une vaste bibliothèque dont la grande majorité des livres n’avait malheureusement pas résisté à l’humidité ambiante. Les toiles d’araignées recouvraient le plafond et les étagères, unissant les meubles au sol et les rares décorations, aux tables les supportant en les couvrant d’un voile poussiéreux dansant au gré des brises.
Même les tisseuses de ces soieries semblaient avoir déserté le lieu.
C’est cependant dans ce cadre, qu’un homme se trouvait assis dans un fauteuil. La seule faible lumière diffusée par la bougie ne permettait aucune identification. Il semblait pourtant n’avoir aucun mal à consulter un livre à la couverture blanche, tout en sirotant un liquide sombre.
La porte en bois de la pièce retentit sous quelques coups, et une autre silhouette, celle d’un jeune homme, entra, s’inclina et déclara respectueusement :
— Maître, nous aurons bientôt de la visite.
— …
— Il s’agit de la propriétaire légitime des lieux…
— …
— Pardonnez-moi, je voulais bien sûr dire sa fille.
— …
— Il semblerait en effet… Je vous prie de m’excuser…
— …
— Bien, Maître. Je prépare vos affaires sur le champ.
— …
— Je ne sais pas, Maître. Mais si c’est le cas, nous agirons en conséquence.
— Inutile.
La voix entendue pour la première fois était grave, mais avait quelque chose d’également très calme et apaisant.
Mais implacable.
Le serviteur se confondit en excuse, comme terrifié :
— Bien, Maître ! Pardonnez mon insolence ! Je m’affaire de ce pas à préparer votre départ !
Et il disparut aussitôt dans le couloir.
L’homme assis ferma son livre, but une nouvelle gorgée, et murmura :
— Ainsi, le temps reprend sa course… Tu auras mis le temps…
Il se leva, posa son verre sur une petite table, mais conserva son livre en main. Il se dirigea ensuite vers un tableau représentant une jeune femme, et passa l’index sur les contours de son visage :
— Ta fille sera-t-elle digne de ton héritage ?
Hmm … ça devient très intéressant tout ça ^^