L’héritage du Zénith – XV

6 mins
Aux portes d’Horgia, le crépuscule inondait les plaines extérieures de ses lueurs rougeoyantes. On pouvait encore y voir les charognards savourer les restes de la dernière bataille. Les vautours de la ville n’étaient pas bien loin non plus, fouillant les depouilles à la recherche du moindre objet de valeur.
Henry à cheval sur un étalon noir tacheté de blanc, et attelé à une charrette peu remplie, attendait Lisithia. Quand il aperçut la jeune femme, il poussa un soupir de soulagement :
 
— Princesse, dois-je comprendre par votre seule présence que le cerbère ne nous accompagnera pas ?
— Désolée, mais si. Il ne fait simplement pas le voyage avec nous. Je l’invoquerai directement sur place.
— Quelle… chance…, soupira-t-il dans un sourire forcé.
— Il n’y a pas grand-chose là-dedans…, lui fit-elle remarquer en jetant un œil à la cargaison. C’est tout ce que tu emportes ?
— Je n’ai que peu d’affaires, et vous êtes encore moins chargée que moi… Pour une princesse, c’est étonnant… Je m’attendais à voir plusieurs penderies vous suivre…
— Très drôle ! Allez, en route ! Le chemin est long pour arriver là-bas.
— Certes. Mais avant ça, j’ai là une personne qui prétend vous connaître à vous présenter…
 
Face à l’étonnement de la jeune femme, il fit un signe en direction d’un rocher un peu plus loin, à l’extérieur de la cité.
 
— Montre-toi…
 
Une jeune femme, d’une vingtaine d’année à la longue chevelure noire, sortit de sa cachette et approcha lentement du duo. Les mains croisées sur une simple robe blanche mais légèrement jaunie par le temps. Ses bras et ses jambes nues, montrant une peau ambrée par le soleil mordant, couverte d’écorchures ou cicatrices plus ou moins sérieuses ou anciennes, témoignant en partie d’un long voyage mais aussi d’événements plus graves.
 
Lisithia la reconnut rapidement : il s’agissait de la jeune femme tirée des griffes des marchands d’esclaves quelques temps plus tôt. Elle l’observa, étonnée :
 
— Qu’est-ce que tu fais là, toi ?
 
La jeune femme resta silencieuse, n’osant pas regarder sa sauveuse. Face à ce mutisme, Henry enchaîna :
 
— Bien. Je constate qu’elle n’a pas menti en disant vous connaître… Même si elle ne sait pas « exactement » qui vous êtes…
 
Il se tourna vers elle, prenant un air faussement autoritaire :
 
— Je te conseille de répondre,  humaine ! La princesse Lisithia, fille de Sa Très Haute Majesté Lucifer, t’a posé une question !
 
Sur ces mots, la jeune femme leva son regard, dévoilant de clairs yeux marron, presque dorés, vers Henry, puis vers Lisithia, avant de tomber à genoux au sol :
 
— Je… Je suis désolée ! Votre Altesse ! Je… Je ne savais pas que vous étiez… Pardonnez-moi, je vous en supplie !
 
Elle s’était répandue tellement bruyamment qu’elle attira l’attention de plusieurs passants, gardes et marchands peu habitués à de telles démonstrations de respect envers la fille de Lucifer. Elle sermonna Henry :
 
— Tu es content ? On nous regarde maintenant !
— J’y suis peut-être allé un peu fort, c’est vrai…
 
Lisithia soupira :
 
— Relève-toi, toi… C’est bon… Réponds-moi c’est tout…
 
La jeune femme obtempéra et se redressa lentement, réfléchissant à ce qu’elle était en train de faire…
 
Depuis que Lisithia l’avait sauvée, elle n’était plus la même… Bien sûr, ce qu’elle avait subi aurait changé n’importe qui, mais, dans son cas, le changement avait été plus profond. Elle remarqua l’air de Lisithia et le décrypta comme une impatience. Elle prit donc quelques secondes pour mettre ses idées en ordre et s’expliqua d’une voix fine, empreinte de respect et de crainte :
 
— Je… Je n’ai pas eu le temps de vous remercier pour votre aide la dernière fois.
— Et c’est pour ça que tu as fait tout ce chemin ? encouragea Henry, qui savait parfaitement la raison de sa présence pour lui avoir soutirée quelques temps plus tôt.
— N-non… Je… Je souhaiterais entrer à votre service…
 
Lisithia la scruta un instant, et s’amusa :
 
— Tu regrettes ta carrière avortée d’esclave ?
— Non ! Bien sûr que non ! Mais… Vous m’avez impressionnée… Quand je suis retournée chez moi, je n’ai pas cessé de penser à vous…
— Oh…
 
Réalisant soudainement le sens que pouvaient prendre ses propos, son visage s’empourpra et elle rectifia d’emblée :
 
— Non ! Enfin, si ! Mais pas dans ce sens là… En fait, j’ai envié votre force, votre liberté, vous n’avez pas eu peur de toutes ces brutes… Même si je n’ai pas compris ce qu’il s’est passé… Je vous ai enviée…
 
Henry ne put s’empêcher de détendre l’atmosphère trop solennelle à son goût, en nuançant les derniers propos de la jeune femme :
 
— Oui, enfin… En tant que fille de Lucifer, cela aurait été fort regrettable qu’elle tremble face à une bande de trafiquant d’esclaves.
 
La jeune femme jeta un regard noir au serviteur, n’appréciant visiblement pas qu’il minimise l’héroïsme de sa sauveuse :
 
— C’est justement encore plus honorable au contraire ! La fille du seigneur des ténèbres portant assistance à une simple humaine comme moi ! Beaucoup de nos seigneurs ne m’auraient même pas regardée, ou pire m’auraient achetée…
 
Henry fut surpris de cette réaction, mais elle le rassura également, il ne pouvait pas attendre moins d’une personne prétendant vouloir servir sa maîtresse. Il inclina simplement la tête et la laissa poursuivre :
 
— Je vis… Je vivais, se reprit-elle, avec mon père à la ferme. C’était un endroit paisible jusqu’à ce que ces brigands débarquent… Mais finalement, leur intervention n’a rien changé là-bas… Mon destin y était tout tracé avant, et il l’était toujours à mon retour… Je n’étais plus aux mains de mes ravisseurs, mais on continuait à décider pour moi… J’aurais fini par épouser un voisin afin d’unir nos terres, j’aurais dû lui donner des enfants, et évidemment au moins un fils… Alors que je n’éprouve pas le moindre désir pour lui… Et chaque fois que cette destinée s’imposait à moi, c’est vous que je voyais… Alors, quitte à avoir un destin tout tracé, je préfère le choisir moi-même et vous servir ! Si… Si vous voulez bien de moi…
 
Lisithia la regarda s’incliner une nouvelle fois… Hormis Henry qui était à son service depuis toujours, personne n’avait jamais souhaité la servir, essentiellement par crainte de son œil, mais également parce que son aspect humain la faisait, malgré tout, paraître plus faible que le reste de la fratrie… C’est Henry qui répondit, comprenant la gêne de sa maîtresse :
 
— Pourquoi ne pas simplement tracer la voie que tu veux ? Pourquoi ne pas explorer le monde, t’établir là où bon te semble, sans avoir de compte à rendre à quiconque ?
— C’est ce que je voulais faire…, admit-elle. Mais j’ai très vite compris que je n’avais pas les armes pour affronter ce monde… Si j’étais restée seule, je serais vite morte… Et si je dois trouver une protection, je préfère que cela soit auprès de vous…
 
Une lueur traversa le regard d’Henry, qui posa la question :
 
— Et le fait de rentrer au service de la fille de Lucifer ne te pose aucun problème de conscience ?
— Aucun, répondit-elle fermement. Je me moque de son ascendance… C’est elle… C’est la princesse qui m’a sauvée, pas les humains, ni le Ciel, pas même Lucifer. C’est elle, et non son père, que je souhaite servir…
 
Henry sourit, Lisithia ne put s’empêcher d’être honnête :
 
— Ce n’est peut-être pas le meilleur moment pour ça… Vu que la nouvelle va vite se répandre, et que ce n’est pas un secret, autant te mettre dans la confidence aussi : mon père a décidé de nous mettre nous, sa descendance, en rivalité pour sa relève… Je ne sais pas en quoi va consister cette compétition mais si tu viens avec nous, il est fort probable que tu te retrouves face à Hachbanmeraug et Evysciel, ainsi que leurs serviteurs…
 
Il était très rare que Lisithia n’utilise pas les diminutifs qu’elle leur donnait d’habitude. Ce n’était pas sans raison cette fois. Ces noms là étaient connus de tous, et la jeune femme ne faisait pas exception. Pour cette dernière, se retrouver ainsi plongée dans une guerre fratricide pour remplacer Lucifer lui-même, n’était pas dans ses plans initiaux. Pourtant, une excitation naquit en elle… Elle voulait briser la routine à laquelle elle était vouée, et cela prenait une tournure au-delà de tout ce qu’elle aurait pu imaginer…
 
— Je jure de vous servir quoi que vous décidiez de faire, et quoi que cela engendre pour moi…
 
Henry jeta un œil à Lisithia qui soupira puis hocha la tête. Il conclut :
 
— Très bien, dernière question : quel est ton nom ?
 
La jeune femme sursauta, réalisant soudain qu’elle ne s’était toujours pas présentée officiellement :
 
— Désolée ! Je m’appelle Maria…
— Très bien, Maria, poursuivit le majordome. Bienvenue au service de son Altesse Lisithia, fille de Lucifer. Grimpe, nous partons pour la forêt de Dam.
— Dam ? La forêt maudite ? Est-ce bien raisonnable, Votre Majesté ?
 
La fille de Lucifer se contenta de fermer les yeux, faisant mine de chercher à s’endormir pour le voyage.
 
— Si tu t’inquiètes déjà, tu n’es pas au bout de tes surprises…, s’amusa Henry en riant. Allez, monte. Je te raconterai tout en route, tu n’auras qu’à sauter si tu changes d’avis…
 
Une fois installée, le convoi prit enfin le départ. Maria changeant d’expression à chaque nouvelle annoncée par Henry, tandis que Lisithia resta silencieuse, anxieuse de bientôt découvrir la résidence de son enfance, et tout ce que cela impliquerait…

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1 Commentaire
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Annick Smits
1 année il y a

Sait-elle vraiment ce qui l’attend Maria ? Elle risque d’être surprise ^^

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