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Suis-je morte ?
Je ne sais pas… En tout cas je ne pense pas avoir déjà été en vie…
Peut-être que la mort habite mon corps en attendant que je le reprenne ?
J’ai toujours l’impression de flotter au-dessus de lui…
Si seulement il ne m’obligeait pas à le suivre.
Je ne veux pas voir ce que les autres en font. J’aimerais pouvoir briser cette chaîne qui me retient à lui.
Mais je ne peux pas.
Je suis comme une prisonnière devant suivre le boulet à son pied…
Je suis ce poids mort, incapable de le fuir.
Je le déteste.
Personne ne l’aime.
À l’école, on le bouscule. On le frappe derrière les murs. On lui vide les flacons d’encre sur la tête.
Les professeurs soupirent, mais je crois en avoir vu sourire.
De toute façon, personne ne défend jamais mon corps.
Il ne faut pas faire de vague.
Mais mon corps ne fait que flotter… Ce sont les autres qui font des remous en lui jetant des cailloux !
À la maison, maman m’aime…
Elle le dit souvent, le nez dans son téléphone. Parfois je me demande si elle remarque que les habits sont déchirés ou que mon corps est couvert de terre et de bleus…
Papa m’aime.
Trop.
Quant il vient raconter une histoire, en pleine nuit, c’est là que j’ai le plus envie de pouvoir arracher cette chaîne qui me relie à mon corps…
Mais je ne peux pas.
Alors je regarde ailleurs, je me bouche les oreilles… moi aussi j’abandonne un peu plus mon corps.
Bientôt ça sera pire, je le sens. Son regard à changer depuis que ma mère a dit que je devenais grande…
Je lui ai parlé une fois des histoires de papa… elle a souri bizarrement, puis est partie dans sa chambre.
Papa a continué ses histoires.
Mais cette nuit, quelque chose de différent est dans l’air.
Je sais que Papa va bientôt se lever.
Qu’il viendra tapoter à ma porte. Que je lui réponde ou pas, il entrera. Il fera mine d’être surpris de trouver mon corps éveillé, et proposera son histoire pour que je m’endorme….
Je le sais, et pourtant, cette nuit, j’ai la sensation que ça va être différent.
Mon corps tremble, mais pas par peur de papa…
Quelque chose approche.
Ça ne vient pas vers moi.
Pas tout de suite.
Le silence de la nuit me fait frissonner.
La poignée bouge, la porte s’ouvre, et l’ombre immense se glisse dans ma chambre.
Ce n’est pas Papa.
L’ombre tourne en silence. Elle ne me regarde presque pas.
Elle dépose une fleur sur mon lit. Une rose, comme mon nom. Mais dans la pénombre, son rouge profond semble noir.
L’ombre pose un doigt sur ses lèvres, puis repart…
J’entends des cris.
Maman.
Papa.
Puis de nouveau, le silence…
Je suis toujours dans mon lit.
Le jour se lève. Mon corps n’a pas bougé de la nuit.
La rose est toujours sur mes draps, pour la première fois depuis longtemps, ils sont encore secs. Hormis sa couleur, la fleur ressemble à celle que j’avais posée sur le cercueil de grand-père…
Puisque mon corps ne bouge pas, je suis obligée de le regagner… Ce n’est plus qu’une coquille vide.
Cela fait tellement longtemps que je me laissais porter, que j’ai l’impression de peser une tonne.
Je me traîne dans le couloir…
La chambre de papa et maman.
Maman dort encore.
Il y a beaucoup de rouge partout.
Je sais qu’elle ne dort pas.
Je sors.
Papa est allongé dans le jardin, dans un cercle d’herbe sombre.
Il y a beaucoup de gens.
J’entends des sirènes au loin. Des personnes s’approchent et me parlent, d’autres les retiennent.
On me demande si je suis blessée.
Je l’ai été tellement souvent sans que personne ne s’en inquiète…
Mais cette fois, je vais bien.
Je vais… bien ?
Je sens le vent sur ma peau.
Je sens les fleurs du voisin.
J’avais oublié tout ça. Je ne sais même pas si je les avais déjà ressentis.
On ne saura jamais ce qui s’est passé cette nuit.
Mais pour la première fois, j’ai pu bien dormir la suivante.
On me demandera souvent ce qui s’est passé cette nuit-là.
Je répondrai toujours la même chose :
La mort est venue tuer celle qui m’habitait, pour que je puisse enfin vivre.
Ooooh … c’est triste. Très beau mais tellement triste … 🙁
C’est un plaisir particulier de revenir sur Wikipen et de tomber pile sur une mise en ligne d’Antho Clest !
Merci pour cette belle lecture et ces frissons donnes qui n’ont que 2 fautes majeures. *Celle au lieu de cette et *c’est au lieu de celle.
Une belle plume encrée de noir ! Un texte profond.