Chapitre 5 – La permission de la dernière chance
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Encore cette incapacité à se contrôler. Quelque chose clochait et depuis pas mal de temps en fait. Jusqu’au mois de juin, la vie de la jeune Gerflynt allait pourtant bon train, remise sur les rails grâce aux religieuses. De brillantes études couronnées par un diplôme au rang de summatum Laudae obtenu du collège de Wellington, avaient couronnée quatre années de labeur pour ces saintes femmes, quatre années consacrées à ré-assembler une surdouée démontée par la vie, retrouvée nue, salement amochée un jour de pluie sous des cartons à déchet derrière un bordel incendié.
Et voilà que quelques mois auparavant, la môme se plaint à la Sœur Ste-Mary à propos d’un rôdeur aperçu au sortir du collège de Wellington. Et puis un second, plus mystérieux, pointé du doigt par une de ses copines d’athlétisme. Le type se tenait apparemment près des pistes où elle s’entraînait. Dès la première alerte, la Mère Supérieure Amy Atkinson avait ordonné un déménagement d’urgence au monastère de Vails Gate, près de la Hudson River. « Mais elle n’a jamais appelé la police… » Des rumeurs de traite des blanches avaient circulé chez les nonnes.
Le temps avait passé et puis la quiétude du couvent avait été perturbée à nouveau par une visite inattendue. Une femme dans la trentaine, la fille de feu le magnat Thorn Sorensen avait sollicité une entrevue auprès de la mère Supérieure. L’échange s’était terminé dans une atmosphère d’acrimonie.
Gerflynt considéra l’attitude de la Mère. De nature distante, cette femme n’avait toujours eu que des réponses inspirées. Mais après… elle était devenue plus gauche, presque chaleureuse. La Mère était même allée jusqu’à la rejoindre derrière la statue de Marie-Madeleine-implorant-le-Seigneur, pour… partager une cigarette. Devant cette soudaine bienveillance, Gerflynt avait osé demander une année sabbatique, expliquant qu’elle souhaitait accepter l’offre de la famille Sorensen pour travailler en import-export. « Je ferais un bon travail et je me ferai accepter ma Mère, grâce aux bonnes manières que vous m’avez enseignées. Ce sera sans danger. Je n’aurai pas à enquêter auprès de la petite pègre ou des réseaux de prostitution pour trouver ma mère. Mademoiselle Eleanor s’est montrée ouverte à lancer une recherche auprès de la famille. » Devant la réaction de la Supérieure, la môme avait ajouté « Je pourrais même rencontrer Jean-Paul Sartre… » La réponse n’avait pas tardé. La couventine s’était jetée à genoux, mais rien n’y fit. La môme avait évoqué que rien n’allait l’empêcher de saisir sa seule chance de retrouver sa mère naturelle, parce qu’elle sentait au plus profond d’elle-même que cette femme regrettait son geste, qu’elle cherchait peut-être sa fille et qu’elle devait être aimante et douce. Elle avait agrippé la soutane en ajoutant qu’elle sentait que cette inconnue était en détresse.
Le haut parleur claironnèrent les appels à l’embarquement. Un vent de libération balaya l’endroit. La jeune femme se leva. Rien n’était plus important que de prendre ce vol. Un échec de sa mission allait entraîner la perte de confiance des Sorensen. « C’est ma Révérende Mère ! Elle a organisé toute cette mascarade pour me retenir… Non ! Ce n’est pas possible, pas pour la bombe… Ce ne peut-être que ce Falsetti. Ce type est un pourri. Croyant bien faire, ma Mère lui a laissé carte blanche. »
Gerflynt cherchait un exutoire, sa colère montait. Ses poings autour des barreaux viraient au blanc. On en était maintenant à libérer les poivrotes. Recherche du trousseau de clés. Petit délai. « Brando est parti avec …voulait pas manquer son rencard avec la grenouille de bénitier, » clâma la secrétaire dans le fou-rire général.