Mbom

4 mins

 Mbom

I (suite)

Abiane ne répondit rien, il se cala dans son siège en silence. Et l’enfant, fatiguée d’attendre une réponse qui n’arrivait pas, traversa la route et s’en alla jouer devant la cuisine de sa grand-mère, la première épouse du chef. Otsira était supposée être sa femme, et à aucun moment, il ne s’était conduit comme un mari avec elle. Il en était au point d’ignorer, jusqu’à sa présence, dans sa case. Elle n’avait pas de champ, pas de cuisine, elle ne bénéficiait d’aucune aide venant de lui et il pouvait rendre grâce à Eyo’o pour la bonne éducation de la jeune femme, car une autre dans sa situation, n’aurait pas aussi bien pris soin d’Oloun. Qui soit dit en passant, était sa fille à lui, et se trouvait presqu’à cent pour cent, à la charge de la jeune femme.

Ce jour-là, après que l’enfant ce soit éloigné, il aperçut Otsira qui revenait de la rivière avec sa bassine de linges sur la tête. En la voyant arriver Oloun couru vers elle pour l’aider mais Otsira refusa, Abiane l’entendit lui dire qu’elle était trop jeune pour s’occuper de la lessive. Puis, il vit la jeune femme aller frapper à la porte de la cuisine de sa mère, après avoir déposé la bassine de linge parterre :

A nyiè ?

Hum Otsira, 

Peux-tu m’autoriser à étendre mon linge sur tes cordes ?

Aka tu peux a mbom, aujourd’hui je n’ai pas fait de lessive, ve dé ô bo nke*, nous avons tué un serpent près des cordes ce matin,

Abiane entendit cette conversation et son cœur se serra, voilà donc de quoi parlait Oloun. Il se dit que cela devait être comme ça pour tout. Où faisait-elle la cuisine ? Et dans quoi ? Otsira ne possédait rien à elle et seules les esclaves et les serviteurs vivaient comme cela. Il se leva et rentra dans sa case, et une fois-là, il alla directement dans sa chambre. Il se mit à tourner en rond, sans trop savoir comment se justifier à lui-même, son comportement. Qu’il la dédaigne encore soit, mais qu’en plus de cela, il ne lui fournisse pas le minimum et laisse totalement à sa charge son propre enfant…

Comment en était-il arrivé là ? Et que lui avait fait la jeune femme ? Pour qu’il soit allé l’épouser et qu’une fois chez lui, il la traite de cette façon ? Son père lui avait pourtant bien demandé, pourquoi il allait l’épouser elle, alors qu’il y avait tant d’autres jeunes femmes en âge de se marier. Il ne se souvenait même plus, de la réponse qu’il lui avait donnée. Surement encore des paroles en l’air, vite prononcées, et qui n’avaient de sens que pour lui-même.

Il se prit la tête entre les mains, après s’être installé sur son lit. La mère de sa fille aurait honte de lui. C’était donc ainsi, qu’il agissait envers la femme qui prenait soin de leur enfant ? Et que dire des autres membres de la famille, la pauvre devait-être la risée des épouses de ses frères, qui elles étaient entretenues par leurs époux. Il se dit qu’il devait mettre de l’ordre dans sa demeure, mais par où commencer ? Otsira s’était déjà certainement fait une raison, et n’attendait surement plus rien de lui. Que lui dirait-il, pour la convaincre de lui accorder une chance de bien faire ? Il tournait en rond dans sa chambre depuis un moment déjà, lorsque, l’une des domestiques à son service, vint frapper à la porte, et l’informer que son père le réclamait à ses côtés dans l’Aba’a. 

Il sortit rejoindre le chef, et le trouva assis seul. Et sur la table basse, le repas était servi pour deux. Il prit place en face de son père :

 

A mbol’essiè !

Mbolo Abiane

Ô luè ma* ?

Hum hum, je ne voulais pas manger tout seul, et puis, je voulais m’entretenir d’une chose ou deux avec toi

Je suis là, répondit l’homme

Le chef se rinça les mains, et fit signe à son fils, d’en faire autant. Ils mangèrent donc en silence, et attendirent que la table ait été desservie pour discuter :

J’ai reçu la visite d’Oloun ce matin, fit le chef en fixant son fils

Ngone dzam ?

Aka, ou alors quelqu’un d’autre porte ce nom dans ma famille ?

Abiane sourit en entendant cette remarque, mais en levant les yeux vers son père, il constata que le vieil homme ne riait pas :

A zu me sili n’na me ve gne efus si*, j’ai accepté et puis je lui ai demandé ce qu’elle voulait en faire, 

Et qu’a-t-elle répondu ? S’enquit Abiane

Elle m’a dit n’na a ye long kisin, à l’olalu qui s’occupe d’elle

L’olalu ? S’exclama Abiane

Hum hum, l’olalu, c’est le mot qu’elle a utilisé, elle dit que c’est comme ça que les femmes de tes frères nomment Otsira, elle n’a pas dit son nom, elle s’est contentée de l’appeler Nyiè

Abiane baissa la tête, Otsira subissait donc de la part de presque tous ici, lui y comprit, toutes ces injustices et ne s’en plaignait pas. Mais il comprenait maintenant. Les lunes qui avaient suivi son arrivée, il entendait souvent de drôles de bruits venir de sa chambre. Combien de temps avait-elle pleuré avant de se résigner ? Combien de temps avait-elle espéré avant de comprendre qu’il ne serait pas là pour elle ? Il comprenait mieux son attachement à Oloun, elle était la seule personne à lui accorder du respect et un peu d’affection au sein de cette famille :

Est-ce que tu comptes continuer à mal traiter ainsi Otsira, dont le seul tort a été, de t’aimer un peu trop, ou vas-tu être assez honnête pour reconnaitre que tu ne la veux pas à tes côtés ? et si tel est le cas, je leur ferais bâtir à elle et Oloun leur propre case, parce que vu l’attachement que ta fille a pour elle, on ne peut plus la renvoyer dans sa famille, souligna le chef

J’ai entendu essiè, dit Abiane tête baissée

Kaa dzom* Abiane, pas cette fois, cette fois je ne vais pas me contenter d’un « j’ai entendu », ô ne é moan keza*, le garant des coutumes et de la morale de ce village, tu n’as pas le droit de bafouer ainsi l’honneur d’éza ngone*, et cela, sous mes propres yeux, que crois-tu que cela envoie comme message ? Quand je juge des affaires de ce genre tous les jours ici même ? Questionna le chef

Je vais prendre mes responsabilités essiè, envers Otsira et envers Oloun, répondit Abiane dans un souffle

Et le plus tôt serait l’idéal, reprit le chef, m’a ve wo ngône é laa*, pour mettre de l’ordre dans ce que tu appelles ening wuê* avant que je ne m’en mêle, abim té*

Le chef se leva et laissa son fils seul dans l’Aba’a. Abiane resta assis là, un moment, qui lui parut une éternité. Sa case se trouvait en face du domaine de son père de l’autre côté de la route, et une cinquantaine de mètres le séparaient de la case de son jeune frère Mefak. Il avait donc suffisamment d’espace pour faire les aménagements nécessaires afin de mettre Otsira à son aise. Il valait mieux tard que jamais se dit-il à lui-même.

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3 Commentaires
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O. DeJavel
2 années il y a

C’est la suite de l’histoire précédente, si je me rappelle bien.
Dans quel pays et quelle ethnie sommes-nous ?

J’aime ce récit car il nous apporte une vue sur la façon de vivre dans ce lieu d’Afrique, une façon différente de la nôtre, sans plus.

ccccccccccccc bbbbbbb
2 années il y a

Il semblerait enfin que les choses vont s’améliorer, comme dans ta conclusion "mieux vaut tard que jamais".
Mais à voir évidemment, c’est le choix de l’auteure.

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