Chapitre 22 – L’examen de l’antiquaire – troisième partie
Novembre 1951
Village de l’Estaque
507 mots
Gerflynt attribua aux Gitanes cette étrange nausée. Il y eut cette chaleur dans le cou qui la força à replacer sa chevelure et puis, un écho, celui d’une montée de terreur secondaire, sorte de relent d’une enfance bloquée à chaque fois qu’elle sentait le respect d’un Maître envers elle.
Falsetti se leva pour chercher une bouteille de Porto. La môme déglutit et profita du moment : « Monsieur Gauvin, je devais avoir treize ans quand un type s’est pointé chez les Manhattan Devils. » Gauvin plissa les yeux, l’air admiratif. « Je faisais des p’tit travaux pour eux, livraisons de sachets, sentinelle…
— Alors t’as connu Grenier et Santinelli
— Deux ordures. Santinelli est mort.
— Tué par le clan McGuinness, oui.
— Ce salaud de Grenier éliminait les concurrents en appelant la police, ajouta Gerflynt.
Gauvin se redressa à peine, les pupilles brillantes comme un phare.
— Pourquoi le protégez-vous ?
— Qui dit que je le protège ?
— Si vous le croisez, transmettez mes salutations et dites-lui que la prochaine fois je finirai le travail.
La môme tira sur sa cigarette avec un plaisir renouvelé. « Si ce type a encore une dent contre moi, il devra désormais fouiller dans sa poche pour la trouver… » Gauvin esquissa un sourire content, c’était-là sa façon de s’esclaffer.
Amanda s’amena avec le dessert. Falsetti posa la bouteille sur la table. La conversation avait pris une tournure plus légère et les deux époux se regardèrent avec l’air de saisir qu’ils avaient manqué quelque chose.
Gauvin y allait maintenant de ses conseils paternels. « Tu piges rapidement la môme mais dans ta situation n’oublie pas que promettre, c’est comme tenir un couteau par la lame. Le moins t’en dis, le mieux tu dors. » La discussion se poursuivit mais au moment de trinquer, la môme se figea. « Monsieur Gauvin, la teneur de mes discussions avec mademoiselle Sorensen a toujours été claire. Nous parlons de meubles. Je refuserai net de payer la protection. J’obtiendrai tous les papiers et surtout, je ne ferai aucune opposition à la fouille. C’est ce qui a été convenu.
— Je connais notre accord autant que toi. C’est ton chargement, ton affaire. Tu fais comme tu veux. Tu travailles avec tes douaniers, à ta façon. »
Le mouvement de l’horloge marquait chaque seconde comme autant de battements de cœur, aussi bien dire, comme autant de secousses. « Les meubles doivent être marqués et identifiés à partir d’une liste…
— Tout est prêt. »
La môme ne pouvait plus nier l’évidence. Sa main balaya un visage de lassitude. Voilà que ça recommençait. Le milieu et ses subtilités de langage. Elle se rappela un détail de cette conversation avec Eleanor Sorensen. Il était alors question de sa mère naturelle : « Nous savons que même à l’époque de notre père, cette femme ne travaillait pas dans notre intérêt. Nous la trouverons… » Ce n’étais pas de la bienveillance. La môme comprit qu’elle n’était que le vers enculée par l’hameçon afin d’attirer cette femme.
Les assiettes se passèrent dans un cérémonial confu et poli. Gerflynt grimaça. « Veuillez m’excuser un moment… » La môme se traîna jusqu’à la cuisine, raide comme un clou. Elle appela. « Monsieur Falsetti, mes aspirines sont dans l’armoire… je n’arrive pas à lever le bras. »