L’envolée du Constellation Chapitre 38

4 mins

Chapitre 38 – La tenue de combat

Décembre 1951

Petit quai de la Sargasse

854 mots

     Gerflynt et Quickegg remontèrent à pied, par la route jusqu’au quai principal. Falsetti tenait la position avec ses hommes, le .45 dressé devant une escouade de syndiqués. Malgré ses travers, ce type avait été le seul homme au monde à l’avoir protégé. 

    La môme s’amusa à le prendre à revers. Une tape sur l’épaule et elle lui lança un « Hey ! Sentinelle ! Vous dormez ? » Falsetti n’en fut pas amusé. La journée avait été longue, son visage en témoignait. Son geste la prit par surprise lorsqu’il se retourna pour la traîner de force jusqu’au camion. « Vous êtes contrarié parce que je n’ai pas eu besoin de votre protection ? siffla-t-elle en luttant pour garder son équilibre.

— Sottises ! Montez derrière. Vous ne devez être vue nulle part. 

— Lâchez-moi ! Mais vous êtes devenu fou ? »

     À peine arrivée derrière le camion, la jeune femme se sentit à la fois tirée et poussée vers le haut. Un témoin y aurait vu un rapt. « Vous êtes malade ! Je ne vais tout de même pas voyager avec vos gars… » Aveugle, échouée dans la demi-obscurité du baché, la môme s’ébroua, prête à en découdre. « Je vous préviens… »

— C’est moi qui te préviens, espèce d’enfoirée ! T’as vraiment le flaire pour créer des emmerdes, » lança une voix familière.

— Amanda ? »

    L’Italienne était seule. Elle tira la môme à l’abri d’un rideau qui séparait en deux la partie couverte du camion. La femme semblait tout aussi irascible. « Enzo m’a raconté. C’est que t’es une plaie d’Égypte, une catastrophe ambulante. Tu vas d’voir réparer les pots cassés. Ça, j’te le promets. » 

    Les hommes de Falsetti montèrent à leur tour sous la bâche et le moteur démarra. Quelques coups de sonde au carburateur et l’épave se mit en route. Dans le tangage et les bruits de ferraille, les deux femmes devaient crier. Amanda alluma une lampe à l’huile. « Accroche-ça ! »

     Avec une commode et un petit miroir, l’endroit avait l’air d’un de ces boudoirs de campagne pour prostituées de l’armée française. La route se poursuivit. Gerflynt estimait pourtant avoir bien réagi. « Mais… Monsieur Falsetti était sur le point de se faire tuer ! 

— Les choses ne sont pas toujours ce que l’on croit. Rien ici ne te regarde. Un conseil, cesse de jouer dans la cours des grands, surtout quand t’es pas invitée. Tu sauras qu’on peut être allié un jour et adversaire le lendemain. Ça ne veut pas dire qu’on essaie de s’entretuer. Tant qu’on ne trahit pas sa parole…

— Mais l’autre partie était Russe.

— Et alors ? 

— Vous avez des alliés russes ?

— Gamine, les Guérini…

— Je sais, ils contrôlent tout.

— Et bien ce soir, ils veulent te voir. T’as des explications à fournir et nous aussi figure-toi. Alors maintenant, tais-toi ou j’te frappe ! »

     Amanda lui tourna le dos pour s’occuper du contenu d’un coffre en bois. Des fringues, des chaussures féminines, des bijoux triés, évalués, mis de côté. Gerflynt n’insista pas. Assise sur une banquette, elle contemplait son propre trésor personnel. Le nom de sa mère, Avon Arlington. 

     Et c’est alors qu’elle reçut un chiffon au visage. « Je l’ai volé ce matin » lança Amanda. L’objet était une création de chez Dior, enveloppé dans son odeur de tissus neuf. Gerlynt se leva et se tint droite malgré le tangage. La robe se déploya en une cascade chatoyante. « Oh ! Mais c’est magnifique ! » La robe-couleur saumon à motifs déjantés implorait d’être portée. Le bustier, orné de fines broderies non tropo, imposait un respect distant. Mais la partie basse vibrait de légèreté, sa trame et la finesse de ses plis donnant l’impression de pouvoir s’envoler. Et alors l’écho d’une réalité concrète se manifesta comme une gifle. « Mais… euh ! Cette chose, c’est pour les femmes du monde.

— Là où tu vas Pétasse, c’est la t’nue de combat. 

— Je ne vais nulle part ailleurs que chez Salomon l’Antiquaire, que cela vous plaise ou non…

— Parce que tu crois qu’avec un nom comme « Salomon », c’est qu’une brocante ? Une souque de la rue Smith à Brooklyn ? 

— J’entre et je prends les meubles avec nos déménageurs, répondit Gerflynt. J’ai le protocole là, dans la tête. Tout est “Ok”. Je prévois me bricoler une petite conversation avec Monsieur et c’est tout. »

                 *                                        *                                        *

     Amanda contempla la môme. Cet âme lacérée aux réactions parfois déroutantes vibrait d’un quelque chose de pur et vif. Même dans cette chevelure soufflée par le vent, enveloppée dans une vareuse marine effilochée, même avec des ongles crasseux et un visage en manque de sommeil, cette jeune femme avait le pouvoir de donner la fièvre à n’importe quel mec, à commencer par le sien. Elle se maudit d’être elle-même sensible à ce charme naturel. « Mon p’tit, j’vais t’expliquer. Fringuée comme t’es, s’ils te jettent pas à la rue d’un coup de pied au cul, ils vont t’offrir l’aumône, à condition de passer la serpillière sur le trottoir d’en face et de promettre de ne plus t’montrer avant le prochain siècle. »

Le véhicule s’arrêta. Amanda replia la robe dans un petit bagage couleur rose. Elle ajouta une pile de lingerie fine et quelques parfums. « Prends ça. Nous sommes attendues. » 

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