Le Corps – Partie 11c

5 mins

Le Corps partie 11c

Acte 2 

Bloc 4 – Beat 11 – Le protagoniste jauge ses appuis

1 302 mots

     L’atmosphère dans la salle était lourde. Grimmins sembla si contrariée par l’archange Gabriel qu’elle s’installa au plancher, ses papyrus étalés comme les pétales d’une marguerite. On ne défiait pas un archange militaire. 

    « Votre Grandiosité ! Vous êtes avide de preuve, alors lisez ceci, » dit-elle, un papyrus brandit comme un sémaphore. 

     L’effluve minérale de son cuir chevelu m’apparut étrangère à son odeur corporelle. Je sursautai. Elle voyait quelqu’un ! Je crois bien qu’elle détecta mon trouble. 

     « Il vous sera dur d’apprendre cette vérité de la bouche d’une sans-rang, votre Bâton de paix, mais j’ai des indices à l’effet que le Corps se dirigeait vers un autre destinataire quand il a été forcé de se diviser. 

— Se diviser ?

— La raison est inconnue, mais son esprit aurait alors trouvé refuge dans vos murs par accident.

— C’est ridicule ! Sortez cette dégénérée, aboya JimPaskiel. Que personne ne répète ça à un journaliste. »

     Le trouble était palpable chez les anges. Skylar regardait partout, sa conscience quémandant qu’on ne fasse pas de mal à sa protégée. Je fis taire tout le monde.

— Vous voulez dire que son cul fait les trottoirs sans le contrôle de son esprit ?

     Mon conseiller releva une tête de désapprobation, évidemment bienveillante.

— …et que j’ai eu un sacré coup de bol ? 

     L’hypothèse ne me gênait pas le moins du monde. De mon vivant, mon job de Colonel était d’envoyer des jeunes se faire tuer. Je suis mort sans illusion sur le salut de mon âme, encore moins sur mes chances d’être élu pape des anges. En se réfugiant chez moi, le Corps m’avait sauvé. Notre pacte n’en devenait que plus sacré. Un homme de troupe n’abandonne jamais un pote.

— Ce que j’ai vu dans le couloir de ce bordel Grimmins, c’est un train pour l’enfer. Et c’est là que le Corps a disparu.

— Et ?

— Et y’a que ça ne change rien. Nous rapporterons l’esprit des enfers pendant que des escouades d’anges partiront à la recherche du fion égaré. 

— Ça change tout, au contraire ! Lisez ceci à voix haute votre Éminente.

— Vous auriez aimé l’infanterie, » dis-je en lui décochant un clin d’œil. 

     « Un diable en possession du corps d’un Corps, celui dont l’esprit est dissout, obtient le pouvoir de régner sur la terre et sur le Bas-Ciel. »

   Pas un mot dans la salle. Le perroquet s’agita. « Couac ! Couac ! » Je posai le document et regardai Grimmins. Eläziel, mon conseiller, se redressa. « De quel droit répandez vous de telles rumeurs Miss Grimmins ? 

— Ma source est fiable. Lisez le livre d’Ellendor, l’ange philosophe de l’Antiquité. Un de vos contemporains, à en juger par votre façon de traiter les femmes, conseiller Eläziel. Mais il y a plus. »

    Toujours assise, Grimmins plongea dans son fatras. Skylar l’aida à soulever un livre ancien.  

— Cet auteur, une certaine Wisk Glennfielden, raconte la séparation du corps et de l’esprit d’un Corps appelé Ellaël, celui-là reçu de bon droit par le Sylvanium Antheos Premier. Regardez l’enluminure, observez l’esprit du Corps au pied du Sylvanium. 

— Il est agonisant ! dis-je.

— Lisez le texte, votre Vastitude.     

     Le don de décrypter ce hiéroglyphe ancien m’avait été accordé avec mes ailes. Les efforts consentis par Grimmins pour comprendre ce tas de courbes enchevêtrés avaient dû être immenses, cette femme ne s’accordait jamais de repos. « Nous rapportâmes le corps du Corps mais à notre retour, l’esprit du Corps était agonisant. Nous comprîmes que l’esprit et le corps ne peuvent être séparés pour une période plus longue que la durée d’un carême. » 

    Je crois bien que mes genoux plièrent. L’Ange noir s’était emparé de l’esprit et il le gardait dans son enfer en attendant qu’il se dégrade. Cette âme était si belle, que mon existence était devenue futile depuis qu’elle m’avait quitté. Pendant ce temps, ses griffons fouillaient la surface de la terre à la recherche du corps de mon cher Corps. Je m’inquiétai un instant de ce qu’il put être moche, mais je chassai l’idée, j’avais d’autres préoccupations.

— Anthéos a sauvé la tradition des Sylvanium de très peu. Saurez-vous en faire autant votre Sanctifié ? »

    Je me retournai vers l’Archange Gabriel. « Faites corriger les plans et préparez les troupes, nous partons demain matin à la première heure. 

— Mais votre Sainteté, il faut tout repenser. Les hauteurs à proximité pourraient ne pas convenir. »

     Eläziel coupa la parole. « Obtenir les services du grand Navigateur en pleine période de vacances n’est pas politiquement rentable. 

— Les vacances ?

— Cette créature angélique est très prisée par les anges. Un usage militaire nécessite l’approbation du Sénat. Le Haut Ciel ne siégera pas avant quelques années. »

    L’archange Gabriel se gratta l’arrière de la tête. « Grand Sylvanium, vous n’avez vu que la moitié des plans. Nous n’avons pas encore trouvé la façon de remonter. »

     Le silence qui suivit fut aussi pesant que soudain. Je n’en revenais pas. Il me fallait me raccrocher à quelque chose. 

     J’empoignai Grimmins par son collier de fer. Vector empêcha Skylar de dégainer sous les cris nerveux de ce perroquet à l’anus comblé. 

     La sans-rang m’offrit un regard de désespérée. Ses mèches balayaient un visage hanté par deux deux sphères brillantes comme des perles d’une pure noirceur. Sa poitrine battait la mesure, la sueur s’engouffrant dans son sillon comme la pluie dans un oblivion. L’éclat de sa peau avait quelque chose d’organique, d’extraordinairement physique. 

    « Alors professeur Je-sais-tout, grommelais-je, les dents si serrées qu’elles auraient broyé l’acier, voilà l’occasion de vous faire valoir. Dites-moi comment on s’oriente dans ce Marie-Madeleine d’enfer. » Mary Grimmins suait un déluge. « J’ai conçu un p’tit générateur d’incantation portatif dans ma jeunesse. Ce truc est capable de naviguer n’importe où. 

— Nous partons demain matin, moi, vous et les loubards.

— Espèce de salaud ! Je vous haïs ! » 

Image du Pen WikiPen    

     Je dus calmer les anges à nouveau. Grimmins m’offrait une pâleur cadavérique malgré l’engorgement du sang dans sa tête. Suspendue à son collet de fer, ses orteils pointées en ballerine battaient le boulet par petits coups. Sa lèvre inférieure tremblait, encore une fois. « Vous avez peur ? Grimmins, dites-moi pourquoi ? Votre vie n’a été qu’une suite de rejets et d’humiliation. Vous n’êtes pas humaine, les sorcières et les forces du mal ne vous entrevoient qu’à peine, les anges ne vous reconnaissent pas non plus, l’enfer pour vous, serait une promotion sociale. Alors qui êtes-vous Grimmins ? Parlez !

— Vous me faites mal. 

— Racontez-moi autre chose que votre stupide histoire de chaudron. Je la fis valser jusqu’à ce que son boulet se balance comme une pendule. 

    Vector resserra l’étau sur Skylar qui me dévorait avec des yeux de haine, la dentition prête à mordre.

— Je ne reviendrai pas des enfers. Je le sais, ne me demandez pas comment. » Sa voix s’étrangla. 

— Au contraire. Nous en reviendrons tous les deux, je vous en fais la promesse solennelle. Et après, nous partirons à la chasse au corps, parce qu’il le faut. Je suis prêt à tout pour la survie de cette créature, je veux son bonheur plus que le mien et quoique vous soyez, vous êtes la meilleure entité pour m’aider à réaliser ce projet. »

     Personne ne parla. Seul le perroquet nous scia les tympans. L’oiseau s’envola en cercle à coup d’ailes nerveuses autour de la table. « La Reine des enfers ! La Reine des enfers ! Couac ! Couac ! » 

     Mon emprise relâchée, Grimmins s’effondra sur son boulet. « Nous partons demain Professeur. D’ici là, vous serez en garde à vue …et merci pour les souhaits d’anniversaire. » 

     Pliée en deux, les mains sur la gorge, la femme releva un regard d’incompréhension. Ma réaction fut immédiate.

     « Empêchez cet oiseau de s’échapper ! » hurlai-je. Les anges se bousculèrent mais le volatile s’engouffra par la fenêtre. Et puis, une ombre noire comme une nuit d’enfer s’abattit sur le ciel. Une nuée de griffons nous survolait. L’Ange noir était en avance sur nous.

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5 Commentaires
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Maryse P.
2 années il y a

Ne faire confiance à personne…encore moins au perroquet !

1LucioleVerte
2 années il y a

Mais comment va finir cette histoire? J’adore l’idée de la séparation de l’esprit et du corps de Corps.

J’ai relevé qq erreurs de frappe, je vous en fait part :

Votre Éminente (votre Éminence?)

Je ne m’étais jamais fait d’illusion sur le Salut de SON âme … (de MON âme?)

Il y a un mot écrit 2 fois à la suite aussi (mais je n’ai pas le temps de le rechercher… je dois déjà quitter le site.)

Et une question :
" l’anus comblé" du perroquet ?

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