Le jour du changement

16 mins

Accroupi devant son placard de cuisine, il cherche n’importe quoi pourvu que ça se mange. Pourtant ça faisait bien une dizaine de fois qu’il l’ouvrait et il était toujours vide. Comme si un petit lutin de l’espace lui avait fait cadeau d’un paquet de riz dans la nuit. Mais non, keud, zobi, wallou !

Scrutant l’espace sombre et poussiéreux rempli de son rien insolant, le quadragénaire s’interroge : comment avait-il pu garder ce sale défaut de procrastinateur de compét’ malgré le bordel dans lequel s’était enfoncé le monde ? Quand même, ça aurait dû le faire réagir. Ça faisait plusieurs jours qu’il voyait les réserves diminuer et pourtant pas d’action.

Déjà quand tout allait mal, mais normalement mal, il attendait de ne plus avoir de bheu pour appeler Beuz l’éclair. C’est le surnom qu’il avait donné à son dealer car celui-ci le livrait à la maison en moins de trente minutes.

Tout en secouant la tête, il se redresse. C’est un type ni grand, ni petit. Trop mince pour sa taille, mais ça lui va bien. Le blanc de sa barbe et de ce qu’il lui reste de cheveux grignotent à grandes enjambées la rousseur de sa jeunesse. Mais cet entre-deux âges le contente, plus trop jeune pour foncer dans le tas comme un impulsif débilitant mais pas trop vieux pour se faire dessus. Il porte un t-shirt RUN DMC qui a vécu et un bermuda gris plein de bouloches. C’est ça quand on reste en troglodyte d’appartement trop longtemps.

Pour une fois, sa procrastination n’est pas synonyme de culpabilisation, ce n’est pas sa paresse qui l’a paralysé mais la peur. Et ça c’est une putain de bonne excuse.

Depuis le début de l’apocalypse toute pourrie, tout est parti rapidement en couille. Au début, ce sont les keufs qui ont tenté d’endiguer la folie qui s’emparait des gens, puis quand ils se sont bien faits défoncer, c’est l’armée qui a pris le relais. Ça a défouraillé sec pendant quelques jours. Au moins l’état réussissait à faire parvenir des colis de bouffe chez les gens. Il n’avait pas eu besoin de sortir. Il s’était senti un peu préservé. Et y’a deux jours, ça s’était arrêté d’un coup.

Les média pointant aux abonnés absents, impossible de savoir le pourquoi du comment. Il s’imagine le bordel que ça doit être à Paris et la fuite des riches. Alors pas question pour eux de faire trois bornes pour présenter un JT ou imprimer un article. Dans le fond, il ne sait pas trop ce qui s’est passé : Virus ? Invasion ? Guerre civile bactériologique ? … c’est pas clair.

Il y a encore l’électricité mais ça ne va pas durer. Le seul truc qui le détend un peu dans toute cette merde, c’est qu’il a appris – avant que les mobiles et le net ne tombent en rade – que son ex femme et ses enfants sont dans un endroit sécur’ (c’est ça quand on a un peu de thunes de côté). Il en va de même pour sa meuf qui, dans sa campagne à vingt bornes de lui qui lui semblait être l’autre bout du monde, s’est réfugiée dans la maison de son chasseur de père. C’est pas une assurance vie mais, c’est rassurant. Pour les autres, il n’a pas de news, mais ça lui laisse l’opportunité d’avoir de l’espoir.

                                                                            ***

Sortant de sa cuisine, il s’engouffre dans le salon, ouvre la porte fenêtre et prend le temps de remonter le store automatique au bzzz apaisant qui laisse rentrer la lumière. 

Depuis que les premiers incidents avaient commencé à éclater, les médias relayaient les politiques pour dirent aux gens de se calfeutrer. Sachant tout le monde plus ou moins à l’abri, il avait écouté sa trouille et son déni espérant traverser l’apocalypse comme des vacances aux Maldives.

C’est la première fois qu’il regarde dehors depuis sept jours. Trois étages plus bas ça grouille pas. En fait c’est cheulou comme ambiance. La ville semble morte, pas âme qui vive – c’est le cas de le dire, personne en bas, personne aux fenêtres. Seuls des papiers et des saloperies légères virevoltent sur les trottoirs ou les crottes de chiens ont été putchées par de grandes traînées rouges devenant marrons. Le grand remplacement de la merde par la merde. Une rumeur de grondement semble s’enfuir des rues, vers le Vieux Port. De la fumée monte en panache d’un immeuble, du côté de la Friche. Il ne veut pas en savoir la cause. Il préfère imaginer que certains quartiers fument un joint géant.

« C’est bien beau de divaguer sur l’état du monde » se dit-il, mais la conclusion a la même invariable flippance : va falloir sortir. Cette idée lui fait remonter un frisson le long de la colonne pour exploser dans sa nuque. Il soupire.

Soudainement, comme pour le prévenir de ce qui l’attendait, un grand bruit explose dans le fond de la rue. Par réflexe, il se penche sur sa balustrade. A une bonne trentaine de mètres, une personne semble se diriger vers son immeuble. Très vite, il comprend que ce n’est plus trop humain. Habillé en kaki, il (ça ?) semble être ce qui fût un militaire. Sa jambe gauche a une forme improbable et se traîne derrière lui plutôt que de l’aider à marcher. Il porte à la main ce qui a l’air d’une mitrailleuse. Il n’est pas sür car sa culture dans le domaine se limite aux films de Schwarzy quand il était petit et aux Matrix quand il était plus grand.

Quand il réalise ce qui est en bas, il se statufie. Son cerveau lui crie de rentrer pour ne pas en savoir plus et risquer d’avoir encore moins envie d’aller trouver de la bouffe. Mais son corps en crise de voyeurisme se tétanise. Sa culture de geek lui envoie un message très clair : « c’est un putain de zombie ! », mais sa conscience ne veut pas l’entendre.

« Non ! Non ! Non ! … ça peut pas être ça … »

Plus le truc se rapproche, plus les détails deviennent épouvantablement précis. Le machin ne semble pas trop amoché, sauf sa beuj. Son visage fripé a une couleur improbable telle une momie après un match de boxe. Ses yeux n’ont plus de blanc. Que du noir. Ses mâchoires font des aller-retour gauche-droite et claquent de temps en temps. Malgré sa démarche traînante, son corps est de temps à autres pris de spasmes. Romero avait vraiment eu le nez fin, un vrai visionnaire le bonhomme.

Ce qui pourrait faire sourire notre quadra en d’autres circonstances et diffère de l’imagerie classique de ce genre d’horreur, c’est que de façon régulière mais erratique, l’ex-soldat tente maladroitement de faire le garde à vous. Vu l’équilibre du truc, il manque de se viander à chaque fois. Mais par un improbable hasard ou un entraînement intensif vissé dans les tréfonds de son cerveau faisandé, il garde le cap.

Soudain, l’ancien être se stoppe net. Il renifle l’air ambiant, comme un félin découvrant la présence d’un oiseau planqué sur une branche

« Au putain ! Il m’a repéré ! »

Même s’il n’est pas en danger, devenir une proie lui fait reprendre sa mobilité, mais contre son grès, sans s’en rendre contre. Il se mets à reculer, lentement, discrètement, fantôme blanc de peur. 

Ses pieds se prennent dans le rebord séparant le balcon du salon. Il s’étale de tout son long en embarquant une chaise dans sa chute. Celle-ci explose sous son poids.

 « Ho putain ! Putain ! Putain de sa mère ! »

Sans se redresser, il prend ses jambes à son cou, presque à quatre pattes entre équilibre et chute, direction la cuisine pour s’y vautrer lamentablement. Il veut crier de terreur mais c’est le meilleur moyen que l’autre machin le repère vraiment. Alors il sanglote, espérant vider cette terreur qui le glace jusqu’au coeur des os.

« Mais c’est pas possible ! C’est pas possible ! Je vais jamais y arriver… J’vais me faire bouffer comme un con ». Il se voyait déjà finir comme l’autre, errant la faim au ventre, la mâchoire claquant jusqu’à la fin des temps. Sa respiration est courte, son ventre tordu.

                                                                            ***

Après des minutes qui lui paraissent des siècles, les noeuds d’angoisse se font de faim. Sa respiration finit par se rallonger et irriguer un cerveau à bout de souffle. Les idées redeviennent plus claires, plus rationnelles avec un objectif limpide : remplir son estomac.

Il essuie d’un revers de main encore moite des larmes presque asséchées. Puis, comme une fléchette atteignant le centre dans un « tong » violent, une idée lumineuse traverse son cerveau et explose dans sa conscience.

« Putain, mais y’a les voisins du dessous ? »

Au milieu de cette confusion d’informations et de sentiments, il en a oublié la logique. Certes, il est au troisième mais il y a des appartements en dessous. Peut-être que ses homologues de bâtiment n’ont pas fui et avaient encore à manger. Ou mieux, ils se sont cassés et ont laissé des frigos remplis de sangliers et Toblerones géants.

Il préfère d’ailleurs cette deuxième solution, car autant la petite voisine du dessous est sympa autant son mari est un sacré connard. Après sept ans de vie juxtaposée, il a réussi à le cerner.

Lui, un grand type dont l’aridité physique se tire la bourre à celle de son mental. Il suppute que la dernière fois qu’il a souri, c’était en 1978 lors de l’obtention de son premier pince téton offert par sa femme. Le mec ne dit jamais bonjour et pire il méprise le quidam dès qu’il sort de l’immeuble à grandes enjambées cheulous comme un pingouin. Mais ce qui l’exaspère le plus , c’est son hobbie du temps d’avant : venir sonner et brailler à sa porte pour un oui, pour un non. Les gosses galopent dix minutes dans le salon: hurlement de palier. Le chat joue avec un jouet à la con : re. Il lâche une caisse un peu sonore : belote et rebelote. Bref, un bon con de voisin qui donne des envies de désanussage à la fourchette à escargots.

 Cela dit, les dits voisins ne semblent pas pauvres. Du coup, ils se la sont peut-être joué malins et se sont cassés dès le début du chaos.

                                                                            ***

Poings serrés sur les hanches, il fait face à un double placard ouvert rempli d’objets aussi improbables que dangereux : une tronçonneuse, un pied de biche, un marteau à la Thor, des coins, … Il s’amuse à se remémorer pourquoi il a tout ce bazar alors qu’il demeure en plein centre-ville de Marseille.

C’était un héritage de sa vie d’avant. Quand il vivait encore en famille dans un Paris dont on lui reprochait, il n’y a pas encore si longtemps, de venir. De façon étonnante, ils s’étaient trouvé une petite maison avec un jardinet. Alors par extension potager, bricolage, électricité, chasse au rat, terraformation et autres activités à la Charles Ingalls. Il avait dû s’équiper pour remplir son rôle de mâle alpha cromagnonesque qui apporte le bien-être et le confort à sa famille dans la sueur et la testostérone. Il regrette cette époque. Et pas seulement car ça se bouffait pas entre collègue pour un oui pour un non, ni non plus car sa famille était en un seul morceau. Certes, il y avait de ça. Mais dans ce moment d’observation et de vagabondage inconscient, il se rappelle le plaisir simple du travail manuel. La satisfaction jouissive de fendre une bûche grosse comme une patte d’éléphant grâce à un coup sec et précis.

Cependant, là, il ne les destine pas à leur usage régulier, mais plutôt dans un but attaque/défense qui fait flipper l’adversaire potentiel.

Car, c’est bien beau de tenter de visiter l’appart’ d’en dessous, mais déjà faut se fader l’ouverture de la porte blindée à quatre points. Il le sait, il a la même. Et le coup de la radio ou de la carte de crédit c’est bien chouette dans les films mais c’est aussi utile que des gants de boxes pour du dessin. Pas le choix ce sera le pied de biche.

Ensuite, il y a le risque de croiser quelqu’un. Qui ? Ben n’importe … Un voleur dans l’escalier, le gars d’en dessous zombifié (il n’en revient pas de prononcer silencieusement cette phrase dans sa tête en pleine conscience), … Cutter à moquette ? nan … Faut du qui sèche, ce sera un bon vieux marteau d’électricien.

Il glisse ce dernier le long de sa ceinture, referme le placard et se dirige vers sa porte d’entrée. Face à cette dernière, il prend une grande inspiration et laisse retomber ses épaules mollement.

« Qu’est-ce que je vais trouver derrière ?… Comment je fais si y’a du monde ?… Putain je flippe ! … »

Coupant net ses réflexions pour pouvoir agir, il décide de se comporter comme un plongeur des falaises d’Acapulco. On saute et on verra trente mètres plus bas. Vigilant à ne pas claquer la porte, il descend le long des escaliers à pas de velours. A l’affût, un guépard en chasse.

« Pas de bruit … J’ai l’impression que la porte du bas a tenu … ça semble sécur’ dans l’immeuble … »

Semblant léviter, il parvient à l’étage du dessous. La porte est fermée. Il se penche le long de la main courante pour scruter dans le colimaçon 3D … RAS … Soupire intérieur. Un poids d’angoisse vient de se décrocher, comme une bulle d’air cherchant la surface d’un océan.

Il colle son oreille contre la double porte et attend tout en concentration. Il ne pense à rien sauf à ce qu’il entend, oriente une bonne partie de sa concentration sur son ouïe tel un vaisseau spatial faisant passer l’énergie de son bouclier vers l’arrière pour le rendre plus solide en cas d’attaque. Il en sourit de satisfaction et incline de temps à autre la tête comme pour changer le rayon d’écoute. Il fronce les sourcils. Puis se redresse. Il agit un peu comme un robot. Il ne comprend pas bien pourquoi, mais ça l’arrange bien. Il se sent moins responsable de son sort. Dans ce genre de situation, la limitation des vents inter-crâniens est le mieux.

Il prend son pied de biche, fiche l’extrémité de la partie courbée entre les deux portes, au niveau de la serrure. Et pousse d’un coup fort et sec. Veut-il surprendre la porte ? Qu’importe, son pied de biche s’éjecte dans un « glang » froid. Emporté par son élan, il part vers l’avant et tombe à quatre pattes. Son ustensile rebondissant d’éclair sonores dans les marches.

Ses pupilles se dilatent, ses poils se hérissent, immédiatement, il remonte en panique quelques marches. Réflexe de survit.

Puis, il se stoppe, comme un androïde dont la batterie s’éteint. Doucement. Mollement. Une fois de plus, il fallait que son cerveau reprenne la main sur ses émotions. Par automatisme, il avait eu peur de se faire gauler.

« Quel con ! … »

Il reprend son outil et le glisse à la place qu’il lui avait attribué la fois d’avant. Ne voulant retomber dans le même travers, il balance de grands coups de marteaux pour bien ficher son instrument dans l’interstice.

Il a foutu un bordel atomique avec ses terribles « bang » sourds et sonores, oubliant toute notion de discrétion. Quand il pense son levier bien logé, il se met à pousser comme un âne. Rapidement, il devient écarlate et perle de sueur. Le pied de biche ne bouge pas – ouf, mais la porte non plus – merde. Lorsque les premières gouttes glissent le long de son nez et explosent au sol, il se dit qu’il ne va pas y arriver. Un peu vexé, il remonte chez lui bien heureux que personne ne soit témoin de cette humiliation.

Refermant la porte derrière lui, il se rend compte qu’il a agis comme si tout était normal (enfin dans le cas ou braquer la porte de votre voisin est normal). Il est avide de retour en arrière. La vie pré-zombie le rassure. Il voudrait croire que tout ceci n’arrive pas.

« C’est bien beau de se rassurer, mais ça nourrit pas son bonhomme ! … »

Posé dans son canapé, prenant sa tête entre ses mains, il commence à faire usiner son cortex. Il n’est pas du tout chaud pour sortir, voir complètement congelé. Ce plan voisin est le meilleur. Il doit creuser …

                                                                            ***

Vingt minutes plus tard, il n’a pas bougé d’un centimètre, une statue de réflexion. En plissant les yeux, on peut détecter la déformation visuelle liée à la chaleur émanant de son corps, comme une autoroute du sud en plein juillet.

Lui qui, d’habitude, a des pensées virevoltantes au point qu’il lui est difficile de rester sur une même idée plusieurs minutes, il reste bien concentré sur son objectif, sans penser à la couleur de ses lacets, ni à la tache sur son t-shirt qu’il n’arrive pas à nettoyer depuis des semaines. Focus le gars …

Il s’étonne toujours que la peur et l’urgence ne le fassent pas partir en couille mais lui permettent de faire au mieux. Il est affublé de ce trait de caractère depuis les pattes d’éph’ et l’affirmation publique que l’orange allait très bien avec le marron – c’est dire si c’est pas récent. Comme s’il n’était pas fait pour le quotidien. D’ailleurs il n’est pas fait pour le quotidien. Il traîne les vaisselles et les lessives comme un Dalton un boulet à la cheville en train de casser des pierres pour on ne sait trop quelle construction pharaonique. Le tout-venant l’englue, l’empêche d’être actif et d’aller de l’avant. C’est la vraie cause de sa procrastination. Il se sent fait pour l’exceptionnel. Sans jamais oser le dire à personne, il savait qu’il y avait une rock star sous sa peau, un génie ignoré.

Alors c’est peut-être le temps de la mue ? …

Mais oui, c’est ça ! … Depuis toutes ces années il s’était cru vedette à l’aura nanisée par une société injuste mais non ! c’était un héros de bandes dessinées qu’il devait être … Pourtant il aurait dû repérer son faux air de Rick Grimm, ce sang froid tout Chuck Norrissien dans l’urgence, …

Est-ce que JCDV a un kiffe pour le choix de la bonne lessive car elle embaume correctement ? Est-ce que Jason Statham se rappelle avec précision quand il doit faire sa déclaration à l’Urssaf ? … Ben non ! Eux leur truc, c’est se révéler dans la flamboyance de l’explosion d’une Audi A4, à peine décoiffés par le souffle chaud de la roquette qu’ils viennent de balancer dans la tronche du vendeur d’armes nazi violeur de lapins nains … Ils ne sont rien dans le tous les jours. Ils n’existent que pendant une heure et demie de vie sur vitaminée pour sauver la planète.

Tout se met en place et s’explique : la collection de comics et les années de films d’actions regardés. C’était sa formation. Comme une boule d’argile qu’on transforme en portrait hypra réaliste les yeux fermés, sans le faire exprès et sans conscience. Mais quand on peut enfin voir le résultat on comprend.

Et là, il comprend tout ! Tout s’éclaire ! Toutes ces années avec un goût de tofu dans la bouche s’expliquent. Il a toujours eu l’impression d’un vide dans sa vie, telle une pièce perdue sur un puzzle. Ce manque était pourtant sa faute. Malgré sa grande bouche, il n’avait pas confiance en lui. Du coup, il n’avait pas osé être celui qu’il méritait d’être. Mais là, c’est fini.

Il ne lui reste plus qu’à trouver le héros qu’il va devenir … Qu’est-ce qui lui va bien au teint ? Dans quel costume moral va-t-il se glisser ?

Après toutes ces années de « un, deux, trois soleil » avec son lui profond de l’intérieur de son dedans de son âme de dans son corps, il lui faut se trouver.

Toujours enfoncé dans son canapé, les poings plantés dans son menton, il cherche dans les profondeurs abyssales de sa mémoire et de sa culture ce qui peut être le plus lui possible. Qui sont ses parents de fiction ?

Puis, coup de tonnerre dans la pièce, tout y est balayé et brûlé sauf lui. Solidifié par cette révélation, il devient résistant comme il espérait l’être. Il sera donc le fils de Batman et de Mad Max !

Il se relève d’un coup, file dans la salle de bain ouvre le placard à outils en extrait quelques-uns, puis se retourne vers ses rangements à fringues. Il jette celles qui ne lui conviennent pas et entasse les autres. C’est éclectique : deux jeans, une paire de Doc, un sweat très épais, …

Quand il semble satisfait, il referme la porte. Des bruits de scie, de marteaux et de déchirements émanent de la salle d’eau.

Au bout d’une dizaine de minutes, le vacarme s’interrompt, la porte s’ouvre. Il file en direction de l’ex-chambre de sa fille. Quelques secondes après, il repasse avec deux oreillers sous le bras et claque la porte derrière lui.

Les bruits zarb’ recommencent.

                                                                            ***

Quand le silence semble pérenne, la porte s’ouvre doucement. Il ressort de la pièce avec un gros sac militaire kaki qui semble bien rempli sur son dos. Il le pose lourdement dans le hall agrémenté d’un « haourf » de soulagement et des bruits de métal et de plastique s’entrechoquant.

Il a complètement changé de look et ça ne ressemble pas à pas grand-chose. Il a enfilé un jean usé jusqu’à la corde, une paire de Doc en fin de vie, un sweat épais, un perfecto tout griffé et des mitaines en cuir.

Le sourire qu’il arbore a une double origine.

Déjà, son égo a eu le temps de se développer pendant son mystérieux bricolage. Il est rentré dans la pièce d’eau persuadé d’être un héros, il en ressort en l’étant. Son accouchement moral s’est fait sans douleur. Il lui semble être enfin complet. Après toutes ces années d’errance intellectuelle. Il sait enfin. Il se sent fort, bien ancré sur ses pieds, solide.

Il a l’impression d’avoir pris vingt kilos de muscles et trente centimètres en hauteur. Déjà, il se tient droit. Ça joue sur la taille. Mais surtout, il comprend mieux Steeve Rogers. Il est rentré racho et victime dans une salle de bain, et en ressort flamboyant et puissant. Bon après, il est pas devenu Captain America, il n’est pas complètement débile. Au Mieux Captain Marseille ?

Et puis, ça le fait marrer de retrouver toutes ces vieilles fringues d’ado keupon. Pour la première fois de sa vie, il est sûr de lui et de son être. Il se perçoit mature mais est habillé comme un teen-ager. Il a fallu que le monde et l’humanité s’écroulent pour que lui se trouve et se révèle. C’est génial pour lui, mais inutile et surtout personne ne le saura ni ne le verra. C’est tout lui.

Mais ça n’entame pas sa bonne humeur et sa confiance. Il est sûr que son plan va marcher. A-t-on déjà vu Batman ne pas arriver à ses fins ? Certes, il en prend plein la gueule mais il s’en sort toujours. Et comment pourrait-il en être autrement pour son fils spirituel ? Sûr, ce soir il mange …

Il prend une grande inspiration, se baisse, remet le sac sur son épaule, ouvre la porte de son appartement et la ferme derrière lui.

                                                                            ***

« Blong ! »

Il est face à la porte du hall donnant sur la rue. Il n’arrive pas à penser de façon cohérente. Malgré cette révélation encore jeune, il sait que c’est maintenant que tout va se jouer. Car c’est bien beau, d’être certain de ce qu’on est, mais faut bien le faire. Il y croit, pourtant il n’est pas sorti depuis longtemps. Alors certes, il a la théorie : pétage de crâne, pas se faire mordre, amputer en cas de morsure, … Mais dans la vraie vie, il n’en a jamais éclaté des tronches. D’ailleurs morts-vivants ou pas morts-vivants, il n’a jamais rien explosé du tout. Et bizarrement, il s’inquiète des petits détails. Ça pue un zombie ? C’est gluant ? C’est sec ? ça perd ses cheveux ? ça démoule quand ça a mangé ? …

« Qu’est-ce que je suis reulou avec cette manie de bloquer sur les trucs à la con ! … Bon … Focus, focus mon gars ! »

Il ouvre son sac. Il en sort du bourrage d’oreillers et le glisse sous les manches de son sweat et les jambes de son pantalon. Puis, il sort deux carrés de bois reliés par deux cordes à chacune de leurs extrémités. Il passe la tête entre les deux ficelles pour qu’un des morceaux de bois soit collé à son dos et l’autre sur son torse. Il prend alors une écharpe. L’enroule autour de son cou et attache le bout avec une épingle à nourrice. Il la remonte jusqu’en haut de son nez. Il reprend du bourrage et l’insère sous le cache-nez. Il finit par des lunettes de ski de type hypra couvrantes avec des reflets nacrés et un casque de vélo qui a clairement appartenu à sa fille il y a plusieurs années. Ce dernier est violet, agrémenté de jolies fleurs roses. Il est vraiment trop petit pour lui. C’est ridicule.

Puis c’est le moment des armes. On retrouve ses petits préférés : marteau et pied de biche. Mais comme il veut être sûr de ne manquer de rien, il a pris du rab’ : un petit couteau à désosser à lame épaisse. Il introduit ce dernier dans la poche de son perf’. Et enfin, un coupe boulon. Là, c’est double utilité : ça coupe des trucs et sa pètes des gueules. Il le glisse dans sa ceinture.

« Bon on y est ! … » dit-il dans un murmure.

Il est dans un drôle d’état. Il n’est pas du tout perturbé par son look ridicule. Non … Étrangement, il n’a pas vraiment peur. Il essaie de tout anticiper. Si y’a quelqu’un dehors, comment l’éclater en deux deux ? Où va-t-il aller chercher de la bouffe ? Picard ? Il n’est pas trop loin. Et si y’a plus rien ? Il commence à lister tous les supermarchés entre chez lui et Cinq Avenues.

« Si je trouve pas mon bonheur, c’est vraiment que j’ai la loose … Bon après, j’ai souvent la loose … Non ! Non ! Non ! On ne commence pas avec ses super bad vib’s de merde ! … ça va bien se passer … »

Mais les questions continuent de grouiller dans son cerveau, comme une ferme de souris. Ça trotte et ça se reproduit à vitesse grand V. Deux interrogations en créent une autre. A tel point qu’il ne parvient plus à formuler ses interrogations, juste des mots clés. Il se sent le Google du questionnement. Au lieu de donner des réponses, ça en amène d’autres. Et ça s’emballe. Son cerveau crépite.

« Stop ! »

Tout s’évanouit – fumé dans un souffle – quand il pose la main sur la poignée de la lourde porte en fonte et tire dessus.

                                                                            ***

Le froid lui pique les joues. Il tourne la tête à gauche : rien. Il tourne la tête à droite : le militaire zombifié de tout à l’heure qu’il avait oublié.

Dans un bruit qu’on pourrait prendre pour un cri mais qui n’est qu’un craquement d’oesophage, il tend les bras pour l’attraper. Lui, lève son marteau et l’abat sèchement sur le crâne du gourmand.

La tête de ce dernier semble s’enfoncer dans son cou et il recule en titubant. Mais il ne tombe pas. Pas de cerveau à l’air. Pas de machin qui re-meure.

« Merde ! ça semblait plus facile dans les film »

Le troufion mité relève les yeux. Ceux-ci semblent possédés d’une rage décuplée. Il se jette sur Nicolas. Son écharpe, le bourrage et son casque en tombent. Des dents dégueulasses se rapprochent de sa gorge.

« Et merde … »

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