Le Corps – Partie 16b

4 mins

Le Corps – Partie 16b

Acte 2 – Bloc 6 – Recherche de la Solution

Beat 16 – Réaction

961 mots

     L’intérieur du château était étrangement calme. Devant nous s’étalait une nef aux milliers d’ornements dont les pointes projetaient leurs ombres sur un fond de lumière mordorée. D’étranges créatures vivaient dans le silence de ces échancrures comme si le palais était un assemblage de petits êtres en nombre incalculable, chacun rivalisant de malice, prêts à vous mordre au moindre contact. 

     Je pensai que si l’Esprit du Corps se cachait dans cette faune, son existence devait être misérable. Peut-être était-elle retenue, peut-être me craignait-elle. Cette idée me fit mal.  

     La Reine Innocente fut installée sur une chaise à porteurs au milieu des cris de courtisanes désaxées. Des musiciens battirent des tambours et jouèrent de la flûte de pans pour produire une musique hantée dont les rythmes hypnotiques fouettèrent les corps des danseuses aux yeux révulsés, alors que leurs bassins se déhanchaient sous des rivières de sueurs. La procession s’avança tel un serpent aux reptations inquiétantes en direction de la salle des trônes. 

    Un dignitaire dont la tête était enfermée dans une cage en pyramide inversée s’approcha de nous. L’ajustement d’une molette fit basculer une rafale de lentilles perdues dans une mécanique aux rouages complexes. « Mon nom est Wisk Glenfielden, conseiller du Très Grand et intendant du Palais. Je vais vous conduire à vos appartements, » dit-il en ordonnant à sa suite de laquais aux sabots d’or de fermer la marche. Je lui fis quelques commentaires sur son enceinte crânienne. « Vous craignez que votre esprit ne s’échappe ? 

— Rien ne peut retenir l’esprit, votre éminence du Sacré. Vous devriez le savoir. »

    Sa réponse se perdit dans une rafale de cliquetis. La créature semblait avoir un cerveau mécanique. Nous poursuivîmes en prenant l’aile droite. Je levai les yeux sur le hall immense dont l’architecture défiait la raison. Ses ogives imbriquées dans un enchevêtrement inextricable créaient une perspective impossible à comprendre. Mon estomac se serra à l’idée que l’esprit du Corps agonisait quelque part dans ce dédale de la folie. 

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     « Comment retenez-vous l’Esprit ? 

— Nous ne le retenons pas ! Quelle question ! Nous n’avons qu’une idée générale de sa position. Son agonie, anormalement longue, tire heureusement à sa fin.

— Vous voulez dire que l’Esprit n’est pas ici ?

— L’Esprit n’a pas d’intérêt pour les enfers, c’est pour cela que l’Innocente a été envoyée sur terre. Sa conversion en mulet, une copie assez fidèle de son corps vivant, était un leurre destiné à piéger l’Esprit qui cherche naturellement son enveloppe charnelle. L’Innocente aura à répondre de son retour prématuré. »

     Mon incompétence était au-delà de tout. Je venais de nous enfermer dans le seul endroit où l’Esprit ne pouvait séjourner. Mon manque de flair en matière de spiritualité était stupéfiant. « Où est l’Ange noir ? »

     L’intendant s’arrêta. Ses pupilles étincelèrent dans l’ombre de sa cage. « Le Maître visite ses lieutenants. Il faut stimuler les hordes de hackers, les inciter à diviser les familles, attiser les conflits. Ce moyen de damnation a multiplié la rentabilité de notre entreprise. C’était mon idée, ajouta-t-il en caressant la pointe de sa pyramide. 

— Vous ne répondez pas.

— Avec ou sans l’Esprit, la grande invasion aura lieu, et le plus tôt sera le mieux. Les présidents Trump et Poutine nous donnent entière satisfaction. Mais lorsque l’Esprit se dissolvera, alors notre possession de l’Innocente décuplera nos forces. Le Bas-Ciel nous appartiendra. C’est excitant, vous ne trouvez pas ? 

— À chacun sa jouissance.

— À cause de vous, l’Esprit ne sait plus où chercher. Il nous est alors difficile de confirmer sa fin. Mais qu’importe, il mourra bientôt. »

     Je m’inquiétais de la progression des recherches sur terre. J’avais ordonné au Bureau d’Investigation Angélique de chercher le corps du Corps, alors qu’ils auraient dû chercher l’Esprit. Sans doute n’avaient-ils pas le flair pour découvrir mon erreur. Que Grimmins, de son vivant, se fut présentée aux enfers en état de grâce était plausible, mais la recombinaison génétique dont elle avait été l’objet posait un problème. Ce nouveau corps allait-il être compatible avec l’Esprit ? L’Ange noir semblait croire qu’il était suffisant pour décupler ses forces, mais la fusion de l’Esprit avec ce corps modifié était une autre histoire. Wisk Glenfielden avait assisté à la fusion de l’esprit et du corps d’Ellaël. Il allait devoir révéler les secrets de la méthode tôt ou tard, je m’en fis la promesse. 

    Le temps disponible avant l’arrivée de l’Ange noir allait devoir être optimisé. Il fallait obtenir la dernière position connue de l’Esprit par les diables et planifier notre fuite. Une fois de plus, j’allais devoir compter sur Glenfielden, dussé-je lui enfoncer une baïonnette dans les rouages de sa mécanique.

    Les laquais ouvrirent nos quartiers. La décoration sinistre nous sauta à la gorge, mais il y avait tout de même un certain confort. Les fenêtres en claustra donnaient sur le fleuve de lave au bouillonnement parfois explosif.

    Les Séraphins à mes côtés avaient l’air abattu. Le choc de nos identités 

 nous avait laissé enduit de méfiance. Le ressentiment à mon égard était palpable. Dans ce lieu infernal, ma troupe était coupée de la source qui nourrit l’être d’une sérénité confiante. Je vis les anges motards jeter leurs havresacs en soufflant d’épuisement, comme à la veille de leur mort. Le reste de ma vie avait été passé dans le regret d’avoir survécu, mais ces remords étaient désormais futiles.

   J’ordonnais de procéder à l’inventaire de nos possessions pour ensuite sécuriser les issues. Le travail s’activa et le courage reprenait lorsque le Majordome de la Reine me convoqua à la salle des trônes. Je demandai qu’une escorte du palais conduise Vector aux écuries, avec ordre de me faire rapport sur l’état du bataillon. Personne d’autre ne devait sortir de ces quartiers.

    « Pressons ! La question est urgente ! La Reine n’attend pas ! » grogna le Majordome. 

     Ça devait être à propos du collier de fer.

———

Note : 16a ->16b->16c->17a

 

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1 Commentaire
Commentaires en ligne
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P. Maryse
2 années il y a

Quel étrange personnage que ce Glenfielden ! Et toujours pas de trace de l’Esprit…

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