Un car de nuit pour l’enfer – Chapitre 6 – Vendetti

5 mins

Car3 – Chap 6 Bloc 2 Beat 5 – Story A Point d’intrigue – Vendetti

Le car de nuit

Jour 1 – Novembre 1952

Bloc 2 – Le problème dérange la vie de la protagoniste (2/3)

Beat 5 – Réflexion sur les conséquences à long termes

But du Chapitre :

  • La protagoniste réfléchit aux conséquences à long termes de l’incident

———

     L’éclat du verrou lui fit exploser le sang. Les nerfs à cran, son ouïe habituée au silence, Gerflynt souffrit d’entendre le grincement des gonds. Le mouvement du battant de fonte provoqua un reflux d’eau brune qui submergea sa couchette. 

— Saloperie ! Olson ! Tu le fais exprès ! Attends que je te mette le pied au cul.

     Mais le p’tit tordu n’était pas seul. 

— Combien sont-ils cette fois ? Espèce d’abruti ! Si tu crois que je vais m’agenouiller dans ce bouillon.

     Le petit maton ricana, irrésistible, comme le purin.

— Ton fan club te réclame, répondit-il. 

     Dans l’obscurité, un homme se balançait pour tenter de l’apercevoir. La môme recula, les bras croisés sur sa poitrine. 

— Combien sont-ils ? Dis-leur que j’ai la teigne, une gonorhée, n’importe quoi, murmura-t-elle. Olson, pas maintenant !

     L’Irlandais éclata de rire.

— Y’a pas plus balourde qu’une pute. Ça ne pense qu’à ça ! 

— Partez ! Je vous emmerde tous ! hurla la forcenée qui poussa la porte pour la refermer.

    Rien à faire, le type en uniforme la repoussa avec facilité. L’odeur d’épices et sa chevelure lissée à la brillantine lui rappela de mauvais souvenirs. La môme se retrouva dos au mur, les yeux écarquillés.

— Montre-moi ton visage, ajouta l’inconnu qui lui leva le menton.

     Le type à la peau basanée avait un tronc solide. Un bel homme, propre. Pas le genre de la maison.

— C’est elle, dit-il.

— Monsieur l’agent, si c’est pour les accusations, je veux dire que…

— Appelle-moi “Officier Vendetti”. Je suis le nouveau maton. Enfile-ça, ordonna-t-il en lui tendant l’uniforme de détenue. Le chiffon enduit de boue puait l’humidité.

     Il n’y avait d’espace que pour deux personnes en file indienne dans ce réduit. Olson avait dû rebondir dans le couloir. La môme obliqua la tête pour lui parler.

— Hey Pochetreau ! C’est à propos de la Furiosa ?

     Aucune réponse. L’Italien pointa du menton l’uniforme qu’il venait d’accrocher au mur. Il fallait obéir. 

— Le juge ne va pas accepter que je comparaisse dans cette pourriture. 

     Gerflynt enfila la robe en coton brut dont la voilure rendait impossible toute fuite à la course. Le haut, ajusté moulant devait rendre le chapardage difficile à dissimuler. Encore une innovation du siècle dernier signée Porter.

— Retourne toi. Mains contre le mur.

    Fait singulier, le garde referma lui-même la vingtaine d’agrafes de la boutonnière dorsale. En voilà un qui savait prendre son temps.

— Il me faut une bandelette pour mes cheveux, une effilochure suffira, murmura la jeune femme.

— Je suis le représentant de Falsetti. 

     Gerflynt répondit par un rire froid.

— Alors c’est votre grand jour ? Acheter et vendre une personne, c’est illégal, si vous ne le savez pas.

     L’ancienne escorte n’en était pas à une contradiction près. L’homme continua de remonter la boutonnière avec patience. Le tissu devait avoir rétréci.

— Falsetti souhaiterait te voir rentrer à la maison, mais…

— Dites au Bellisimo d’aller se faire foutre. 

— Retourne-toi, mains derrière la tête. 

     Dans cette position, le coton tendu était scandaleusement impudique. 

— …tes frasques n’aident pas la cause, finit-il par ajouter. Ce sera difficile.

     La chaîne autour des reins n’annonçait rien de bon. Vendetti la verrouilla sur le devant. Les menottes laissées pendantes sur l’abdomen avaient l’air de deux crabes prêts à broyer les poignets. 

     Le garde en uniforme moulant et en bottes de pluie recula d’une foulée, les yeux rivés sur la môme toujours figée les coudes en l’air.

— Y’a pas de justice dans ce monde, finit-il par dire.

     Gerflynt détestait être menottée en croisé sur le ventre. Cette position lui voûtait le dos dans une posture de soumission exécrable. À peine avait-elle levé les yeux lors de sa comparution pour le vol d’un luminaire sur le transatlantique. Mère Saint-Mary, la deuxième de la communauté était dans la salle d’audience. Son rôle ne s’était limité qu’à confirmer l’identité de l’accusée. Elle n’avait pas demandé à la voir.

— J’appartiens désormais aux McGuinness. Je suis une Saint-Sisters, dit-elle en agitant sa chaîne.

— C’est à voir.

    Le garde la tira par le bras. Sortir de ce cloaque était un luxe qui ne se refusait pas. Les trois pataugèrent dans la saumure pendant toute la remontée du couloir de confinement. Les Italiennes de la Furiosa enfermées elles aussi, battirent des poings contre les portes de fer. Leurs menaces de mort hurlées à travers les passes-plats s’éteignirent rapidement. 

— Tu marches de travers, ironisa Olson.

— Je vous emmerde tous, toi et ta bande d’ordures.

     L’Irlandais y alla d’une frappe derrière la tête.

— Manque de respect, conséquence automatique. Je te réserve les intérêts. 

— Olson ! Je suis ta supérieure chez les McGuinness. Ton job est de confirmer que je n’ai jamais croisé la Furiosa. Tu m’as gardée assise devant la grange à cause d’un malaise féminin. Mets-toi ça dans le crâne. 

— …et je suis Santa Claus.

— Mais bon sang ! Votre plan tordu n’a aucune chance de réussir.  Jamais Porter n’acceptera un tel risque. Par ce qu’en plus, j’ai une pléthore d’accusations qui n’attend qu’à me tomber dessus. Vous ferai quoi pour mes abeas corpus ?

— Que tu dis ? À bas ton corps-pute ? demanda Olson le visage plissé. 

    L’irlandais avait l’habitude de la frapper chaque fois qu’il ne comprenait pas.

— Mes comparutions en cours, Crétin ! Je suis accusée d’une dizaine de méfaits. Et pour la Furiosa, il se passe quoi ? Hein ? 

— Avance !

     La poussée projeta la môme dans la flotte. Vendetti la tira de l’eau pour la remettre sur pieds. La môme menottée, peina à retrouver son équilibre, même soutenue par l’aisselle. Son regard vengeur croisa celui de l’Irlandais. 

— Une fois chez les McGuinness, je te revaudrai ça, espèce de salaud.

    Le coulissement de la porte à barreau mit fin à l’échange. La gardienne du couloir était une Antillaise dont le visage poupin portait la signature du Sergent Riker. La môme fixa l’arcade sourcilière de l’Officier.

— Comment va votre œil ? 

— Tais-toi ! répondit la matrone qui ne remarqua pas que la môme venait de se placer devant le bureau. Franchir ce portail sans faire de shopping aurait été inhabituel.

— Il me faudrait une couverture sèche, cet idiot… enchaîna la môme.

— La Croix-Rouge, c’est la semaine prochaine. 

La matrone n’avait qu’à peine levé le regard, occupée à inscrire l’heure de la sortie dans le registre.

— Ma couchette est mouillée à cause de cet enculé de petit geignard.

     La gifle fouetta la détenue, qui s’affala sur le buvard et saisit un trombone au passage.

— Y’a pas le service aux chambres, t’es plus au bordel, ma pute.

— Plus au bordel, sauf qu’on a toutes le cul défoncé !

     En poste depuis deux ans, l’officier Baptiste était régulièrement battue et forcée de se joindre aux détenues dans les séances de “confort” que s’accordaient les gardes. Personne ne voulait des matrones à RavenHills, surtout pas celles qui rechignaient à rendre les clés. Le grondement de l’interphone interrompit la deuxième correction. L’Antillaise aboya son ordre avant de saisir l’appareil. 

— Tiens-toi droite et baisse les yeux, je ne veux plus t’entendre.

— Inutile de la dresser, commenta Olson. Le Directeur a pris sa décision.

     L’officier Baptiste grogna dans l’acoustique et raccrocha aussitôt.

— Riker ordonne de prendre par l’Aile E, sortie Nord. Il pleut. 

     La matronne arracha le registre des mains de l’Irlandais. Il était connu que le petit escogriffe ne savait pas écrire.

— Mais enfin, où est-ce que vous m’emmenez ? Que se passe-t-il ? demanda Gerflynt.

— La vérité, c’est qu’une connasse qui se croit plus forte que le Pacha n’est utile à personne, clâma-t-il.

     La môme fut prise d’un vertige. Ce Vendetti pouvait n’avoir été délégué que pour constater son exécution. Il lui fallait de toute urgence gommer son erreur, ou peut-être offrir quelque chose au directeur Porter en échange. La question était de savoir quoi ?

——

Ce chapitre décrit les conditions de détention de la prison de Sing-Sing combinées à celles de la prison de Riker Island.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx