Un car de nuit pour l’enfer – Chapitre 7 – L’émeute

10 mins

Le car de nuit

Jour 1 – Octobre 1952 

Bloc 2 – Le problème dérange la vie de la protagoniste

Beat 5 – Action L’émeute

2602 mots 

 

But du Chapitre : 

  • La protagoniste tente de couvrir une gaffe antérieure en agissant en fonction de sa fausse croyance et s’enlise de plus bel.

 

Win, stop, escape, retrieve

Objectif (Win) : Gerflynt cherche à contacter le Sergent Riker

ObstacleMais Olson l’agresse

alors elle se défend et pousse Olson qui devient captif

ObstacleMais les prisonniers tentent de tuer Olson

alors elle les arrête en faisant un deal, ce qui déclenche une émeute avec des conséquences désastreuses. 

 

———-

     La sortie du deuxième sous-sol donnait sur une rotonde centrale d’où s’élançaient les bâtiments de détention. La coupole au-dessus, se projetait sur une hauteur de six étages. L’importance de la structure et le détail de son ornementation contrastaient avec la qualité médiocre des bâtiments longs qui n’offraient aux captifs que peu de protection contre les intempéries. Torrides en été, les cellules alignées en rangs serrés se transformaient en glacières dès les premières neiges. 

     Au dehors, les frappes d’un orage se faisaient toujours plus secs. Vendetti s’arrêta à la guérite de l’Aile-E. Le flash de la foudre imprima l’ombre des barreaux sur le crâne ovoïde du contrôleur. Le surplus de peau qui pendait près des lèvres lui donnait l’air de bulldog. 

— C’est toi le nouveau ? demanda-t-il en glissant le registre par une fente. Je te conseille de faire attention, c’est pas des anges que y’a là-dedans.

     Vendetti ne parut pas impressionné.

— Et avec c’te mauvais temps, les mecs sont confinés aux allées, sauf au rez-de-chaussée où la sortie a été retardée à cause de lui. 

    Le garde-chiourme pointa du menton un détenu qui portait un complet veston trois pièces endommagé dont l’aspect datait des années trente. Le soixantenaire aux lèvres pincées et au menton abîmé d’une barbichette en pointe semblait avoir été passé à tabac. La peur sur son visage était évidente. Les poignets menottés, il serrait un porte-documents contre son abdomen à la manière d’un écureuil qui a saisi une noisette. 

— Forcément, y’a de la tension. Riker est en patrouille, question d’éviter le pire.

    Le bulldog se pencha pour voir la détenue et fit mine de renifler.

 — Putain ! Si c’est pas la p’tite femelle. Après toutes ces semaines au trou, son odeur de chienne en chaleur va les rendre fou. C’est l’aile des cages à pervers, vous savez ça au moins ? demanda-t-il. 

     Vendetti ne répondit rien, occupé à inscrire les noms et heure de sortie dans le registre. Le garde-chiourme en profita pour aboyer ses obscénités en direction de la môme.

— Et c’est quoi s’te robe trempée ? Tu t’es pas pissé dessus pour les exciter au moins ? 

 — Passe devant, lança l’Italien pour Olson, je termine les formalités.

     La môme secoua la tête, à l’évidence, ce nouveau maton planté par Enzo Falsetti était un bleu. Traverser l’Aile-E aurait fait frémir n’importe qui, homme ou femme, mais l’urgence était ailleurs. La rencontre avec le directeur Porter la mettait en danger. Il lui fallait gagner le Sergent à sa cause, le convaincre d’oublier ces paroles malheureuses prononcées à l’infirmerie. Une telle occasion n’allait plus se représenter. 

    Bousculée dans le sas par Olson, la môme s’écrasa contre le type en complet et son garde. L’odeur d’after-shave bon marché mélangée à celle des haleines de tabac créait un cocktail révulsant dans cet endroit clos.

   La fermeture de la première cloison à barreaux eut l’effet d’une frappe. Le moment de gêne dans l’obscurité claire-obscure figea tout le monde, sauf Olson qui se mit à la tripoter comme à l’habitude. 

— On ne s’est pas déjà vu ? demanda la môme au prisonnier, le visage plissé de dégoût. 

— T’es trop jeune pour avoir travaillé pour Capone, répondit l’homme.

    La détenu serra les aisselles, à cause d’Olson.

— J’y suis ! J’ai vu votre mugshot dans notre cours sur l’évasion fiscale. À Chicago, dans le milieu, on vous appelait Méphisto-le-comptable, l’ombre en col blanc. Al Capone comptait sur vous…

     L’ouverture de la cloison opposée résonna comme un tir de revolver. Le garde et son prisonnier s’élancèrent au pas de course. Olson retint sa pensionnaire mais elle fit néanmoins quelques pas à l’intérieur du bâtiment et alors elle se figea d’horreur : deux cent mètres de cellules alignées sur trois niveaux. 

   La réaction générale fut immédiate. Au rez-de-chaussée, des volées de mains agrippèrent les barreaux. Les loubards des niveaux supérieurs se perchèrent sur les rambardes, le cou étiré comme des vautours. 

    Dans ce silence tendu, Riker et ses hommes pivotèrent pour faire jonction avec le comptable tiré par son gardien dans leur direction. Trente mètres tout au plus. La chance.

— Sergent ! Hey ! Sergent ! Permission de vous adresser la parole, cria la môme. La tonalité claire de sa voix se répandit comme un écho mat dans l’épaisseur de cet air pourri, tourmenté aux effluves d’urine et de sueur.

     Olson l’agrippa à nouveau, le visage malin.

— Reste sans bouger ! Faut les laisser prendre de la distance.

— Connard, lâche moi, répondit-elle en se dégageant d’un simple mouvement d’épaule.

     L’atmosphère explosa. Ce fut soudainement comme au Yankee Stadium lorsque Babe Ruth claquait un circuit. Pointé du doigt, le corniaud montra les dents. 

— Cette fois, c’est jour de paye, cracha-t-il en projetant la détenue au sol à coup de frappes vicieuses.

     Le p’tit tordu la ramassa par la chevelure mais il n’eut pas le temps de la traîner qu’elle se contorsionna à coups de hanches et de jambes pour finalement se libérer et jaillir sur pieds. Le face à face qui en suivit provoqua un nouveau tollé de dérision. L’ordre général de retourner en cellule se perdit dans le beuglement général. Des portes de cellules s’ouvrirent. Méphisto et son gardien disparurent dans la confusion. Les seuls à bouger furent Riker et ses hommes, mais ce fut pour battre en retraite sous la nuée des seaux remplis d’immondices. Les sirènes se déclenchèrent. 

    Cette seconde d’inattention coûta à la détenue une autre frappe. Ses efforts pour extraire ses poignets liés à la chaîne de ventre la firent se voûter, si bien que sa réplique en coup de boule fut aussi soudaine qu’inattendue. L’irlandais rebondit contre une cloison à barreaux où il se fit saisir de partout. La môme le railla.

— Attends que les Sisters apprennent ça ! Tu seras la bourrique de toutes les Irlandaises ! 

     Vendetti arriva au pas de course, mais il était trop tard. Une lame tenue par un bras tatoué menaçait d’entailler la gorge du p’tit maton. L’italien agenouilla la détenue.

— Reste-là, ordonna-t-il. Je vais chercher du secours. 

— Vous me laissez seule ? 

     Des bras tendus raides à travers les barreaux tentaient de saisir la jeune femme. Figée de peur, les poignets enflés à force de se démener, Gerflynt regretta le contrôle que Siobhán McGuinness exerçait sur les matons. La femme d’expérience n’aurait jamais accepté un parcours aussi risqué. Les Sisters étaient des salopes exécrables, mais elles offraient néanmoins une réelle protection.

    Olson grimaçait d’effort, sa mort était imminente. Gerflynt se leva et siffla dans la direction d’un grand mince au visage vérolé de syphilis. Le mec, un Polonais reconnu comme le chef des Devil’s Fists, avait la fâcheuse habitude de lacérer ses victimes à coups de lames.

— Hey ! Boss ! Mon cul pour cinq dollars ! hurla-t-elle. 

— D’abord tâter la marchandise, ma jolie.

— Voir seulement. Numéro spécial, dit-elle en s’échignant pour atteindre le trombone dissimulé dans sa manche, merci à l’officier Baptiste. Ses mains devinrent bleues sous l’effort, il fallait allonger la portée, saisir ce putain de morceau de métal du bout des doigts. 

     Le tissu céda finalement. La môme crocheta ses entraves et entendit le déclic libérateur. Ses bras levés en signe de victoire provoquèrent le délire général. Les types aux balcons s’activèrent dans toutes les directions, des ordres se donnaient. L’appel sauvage prit la forme d’un battement sur les rambardes. Coup d’œil à l’extrémité Nord, Riker regroupait ses hommes. De l’autre côté, Vendetti s’entourait de gardes crachés d’urgence par le sas. Olson gémit, on lui caressait les valseuses avec un tesson de bouteille. 

     Gerflynt pensa qu’une Saint-Sisters ne pouvait laisser un membre du clan McGuinness crever ainsi. Question d’honneur ou de rachat de son âme, impossible à dire.

 — Si j’offre mon show aux mecs d’en face, vous serez les seuls à n’avoir rien vu, lança-t-elle en pinçant les pans de sa robe.

     Le boss figea un regard dans sa direction, ses paupières grandes ouvertes. Il lui montra finalement les cinq doigts de la main.

Deal ! cracha-t-il.

     La môme répliqua par un signe du menton en direction d’Olson.

— Je ne travaille pas dans un bain de sang ! répondit-t-elle. 

     Le Pollock ordonna qu’on relâche le p’tit tordu qui ne fit qu’un pas en avant pour s’évanouir de peur au milieu de l’allée.

    La môme s’ébroua. Un deal à RavenHills était un deal. Le numéro, calqué sur celui du Pussy Cat Dancing Bar, fit tonner les rambardes. Quelques déhanchements et la finale se joua, la croupe relevée, la robe chiffonnée devant ses jambes écartées, un sourire à la Marilyn en prime aux mecs des balcons. Les yeux tout juste ouverts, Olson se débattit en grimaçant sous une fontaine dorée.

    La suite confirma ses craintes. Une échelle de drap se déroula à dix mètres. Le mal rasé qui en descendit loucha dans sa direction en agitant un trousseau de clés, mais il pivota vers la cellule du Pollock. D’autres types au regard fiévreux débarquèrent de partout.

    Gerflynt se mit à courir mais Olson la rattrapa et la jeta au sol. Le massacre à coup de bâton aurait été complet si des hommes du Pollock ne l’avaient pris à parti. À moitié assommée, la môme continua son errance parmi les mutins qui se jetaient dans toutes les directions, harcelés par l’aboiement des petits chefs. Certains empilèrent du mobilier pour faire des barricades, d’autres distribuaient des gourdins tirés d’on ne sait où. Au jugée, il ne restait que le dernier tiers à franchir mais c’était sans compter l’escorte de crasseux qui lui emboîtait le pas. Cet escadron de la mort lui mit le grappin à l’épaule et la projeta dans une cellule où elle culbuta sur Méphisto lui-même. Des livres de comptabilité tirés de sa mallette éventrée jonchaient le sol, leurs pages arrachées mises en lambeau. « Mais tu pue la merde espèce de grognasse ! gémit-t-il, pousse-toi ! » L’homme la repoussa comme il put. « Tu me salis ! Le Directeur ne va pas engager un professionnel qui empeste les égouts ! »

   Des pervers en manque de femme luttaient entre eux pour s’engouffrer dans la cellule. Gerflynt étouffa sous le poids d’un bagnard venu se jeter sur elle. Le toucher poisseux sous sa robe la força à lui enfoncer une écuelle dans la gueule. Un déhanchement, un bras tendu et elle se saisit d’un gourdin. Une frappe en oblique et l’os frontal craqua. Le vieux comptable en dessous se mit à gémir. « Voilà que tu mets du sang sur mon veston ! Ça fait des années que j’attends d’entrer à la Fondation ! Vas-t’en salope ! »

— Foutez-moi la paix avec vos problèmes.

    La môme se releva mais elle fut aussitôt plaquée contre le mur par un loubard. Un coup de genoux fit l’affaire.

— Quand vous aurez passé trente ans dans ce cloaque, ajouta le comptable à la barbichette, vous voudrez, vous aussi, accéder à ce poste.

— Pourquoi ça ? Y’a quoi à gagner ?

— Celui qui contrôle la Fondation redevient quelqu’un. Il accède à un véritable pouvoir. Il fait danser tout le monde dans sa main, y compris le Directeur.

     La gifle d’un vaurien projeta la môme au sol. Le type, assez lourd, la couvrit de son corps. Les choses étaient sur le point de mal tourner lorsque Vendetti fit irruption. L’Italien, fou de rage, vida le réduit à coups de frappes démentielles. Dans la bousculade, Méphisto eut le malheur de prendre la môme en bouclier. Un échange de coups venues de partout et la carrière du pousseur de crayon d’Al Capone se termina le visage écrasé contre le mur. Vendetti constata le décès, un voile sur le visage.

— Et merde ! Sale coup pour nous, maugréa-t-il.

    L’Italien empoigna la détenue et regroupa ses hommes. Son escadron se tailla un chemin à coup de bâtons à travers l’allée centrale pour parvenir derrière le cordon de protection levé par le Sergent Riker. Tous se retrouvèrent mal en point, mais vivants.  

    L’émeute prenait toujours plus d’ampleur. Vendetti traina la détenue jusqu’au fond du bâtiment où se trouvait la guérite de contrôle. Il martela la porte et prit tout le monde de vitesse en la jetant à l’intérieur pour la menotter à un tuyau de fonte.

— Informez le Directeur que De Angelo a été tué par les Devil’s Fists, ordonna-t-il.

— C’est pas réglo, répondit l’autre. Faut la sortir d’ici…Y’a le tableau pour l’ouverture des cloisons, les alarmes, l’éclairage. Une détenue n’a pas le droit de voir ce bazar, ça nous met tous en danger !

— Fais ce que je te dis, ordonna l’Italien en claquant la porte. 

     L’Officier dans la guérite saisit le combiné. La ligne directe avec Porter sonna mais il harponna néanmoins le Sergent pour protester à travers la grille. 

— Faut la renvoyer au trou, hurla-t-il. On ne peut pas admettre ça !

— Et on va faire comment pour la retourner ? demanda Riker, le visage éberlué.

     La môme hissa son regard au niveau de la grille : Les matelas lancés des étages s’écrasaient comme des bolides en flammes sur le champ de bataille où l’on s’entaillaient le crâne à coup de masse. Dans le mugissement des sirènes, l’air rempli d’une fumée noire masquait la lueur des foyers d’incendie. Le bâtiment long prenait l’aspect d’un four de l’enfer prêt à incinérer ses damnés.

     Gerflynt se laissa tomber au sol. Sa demande de clémence auprès de Riker était devenue futile. Ses chances de survivre à cette journée s’atténuaient d’une gaffe à l’autre.

     Le type de la guérite hocha la tête, le combiné vissé à l’oreille. Son dos voûté, l’homme dégageait un air servile, comme un esclave qui subit les foudres de son maître. Il raccrocha et pointa en direction de Vendetti.

— Vous avez la voie libre. Prenez par les cours de basket. Le Pacha insiste pour la voir, dit-il, et il n’est pas d’humeur. 

    

                              *                                       *                                       *

 

    Le silence dans le sas Nord fit du bien. Un claquement de fer et les loquets s’ouvrirent. Enfin un peu de fraîcheur. Mais la môme se renfrogna. Il faisait noir comme la nuit, le temps était abominable. Des trombes d’eau malmenaient les clôtures, les coiffes barbelées battues par le vent déchiraient l’air dans un sifflement sinistre. 

    Olson s’avança pour offrir son visage à la pluie.

— Putain ! Une tempête tropicale, maugréa-t-il en relevant le col de son manteau. Y’a les enceintes clôturées à ouvrir. Je reviens avec les clés.

     La p’tite canaille disparut dans la noirceur de la pluie. Il n’était pourtant que seize heures. 

    Vendetti tira la môme sous un parapet pour s’allumer une cigarette.

— Es-tu seulement consciente de la moitié de ce que tu as fait ?

— Mais cette mutinerie était planifiée de longue date, ça crève les yeux !

— Et nous avions prévu les prendre de vitesse, sauf qu’il a fallu que tu déclenches tout. C’est à se demander pourquoi Falsetti veut te ravoir.

— Vous voudriez que je vous remercie ? Hein ? 

     La môme se tut. L’Italien venait de lui jeter ses tripes à la figure, les yeux écarquillés de colère. Encore un qui la lâchait.

— Alors j’aurais dû laisser vot’partenaire se faire tailler les couilles ? Hein ? 

— T’avais qu’à chialer comme une génisse au lieu de faire la pute ! Ça nous aurait donné du temps !

     À la lueur des lampadaires, les nappes d’eau tombées des toitures se vaporisaient dans le vent. Les faisceaux des projecteurs violaient l’obscurité de cette fin d’après-midi d’orage, exposant les zébrures d’une pluie fouettée dans toutes les directions comme autant de harpies surprises en pleine nudité. 

— Tu vois le bâtiment de briques là-bas ? demanda l’Italien.

     Le bunker truffé de claustras aux larmes de rouilles noircies se trouvait en vue, juste derrière un chantier de construction. 

— C’est le château de Porter. Ce type déteste les problèmes. La Furiosa l’a appris à ses dépens.

     Le garde jeta sa cigarette. 

— Falsetti n’a pas de prise sur un pareil dégât, tu vas devoir te défendre seule. 

    La môme se figea, certaine de vivre ses derniers instants. Jamais ses chaînes ne lui avaient fait si mal.  

 

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