La Dame aux cheveux ébènes

3 mins

Elle m’est apparue par un beau matin d’hiver, enveloppée dans un drapé de satin noir, dont la traîne flottait au vent.

Toute la nuit, je m’étais battu avec rage contre les dragons et des hippogriffes aux yeux injectés de sang, harcelé par les Furies et les Harpies vengeresses. J’avais esquivé leurs assauts mortifères. J’avais rendu coup pour coup. J’y avais mis tant d’ardeur que la destruction et le chaos s’étaient abattu tout autour de moi. Les étoiles et les lunes éclairaient de leurs feus maléfiques, une plaine tapissée de carcasses en putréfaction, hantée par leurs fantômes hurlants, scène d’un combat, qui était perdu d’avance. Finalement, épuisé, je m’étais réfugié sous les racines d’un grand chêne argenté. Pointant négligemment vers les cieux ma fidèle claymore, dont la lame s’était brisée, je m’étais endormi.

Ce matin-là, j’avais encore grande peine à m’échapper des bras de Morphée. Plus j’essayais de m’extirper de son étreinte, plus je sentais chacun de mes muscles tendus et endoloris sous mon armure de plates. Enfin, je brisais le charme de son emprise et mes paupières avaient fini par s’ouvrir sur un voile de lumière douce. Une légère brise parfumée de jasmin caressait mes joues. Les ténèbres destructrices et leurs lots de cadavres purulents jonchant le sol acide semblaient s’être dispersées. Je ne sais pas combien de temps j’avais pu rester dans ma tanière de racines. Elle était dorénavant envahie de lierres et de lichens, transformant l’espace en alcôve confortable et douillette. Pour seul danger, des stryges tournoyant si haut dans le ciel, qu’aucune autre créature que les aigles de tonnerre ne pouvaient chasser.

Qui était-elle ? Je ne saurais le dire, tant l’instant resté flou s’évapora étrangement sans en imprégner mes souvenirs. Il ne me restait qu’un vague souvenir, celui de sa longue chevelure ébène retombant par mèches légères sur son visage, lorsqu’elle décoiffa son capuchon. Elle se dressait devant moi, m’invitant d’un geste de la main à me relever. Aucun mot ne lui fut nécessaire. Je me sentais attiré vers elle, comme un nouveau-né vers le sein nourricier. Elle dégageait une aura indescriptible, puissante et enivrante, ni féerique, ni maléfique. Un désir insatiable, me transportait vers elle, qu’aucune résistance ne pouvait freiner. Moi, charismatique et magnétique. Moi, dont on disait que la simple présence dans les hautes-cours suffisait à arracher les reines et les princesses des bras de leur royaux époux ! Moi, à qui les maîtresses des chaumières ouvraient leurs portes pour me supplier, rampantes à demi nues, de partager leur couche ! Moi, dont la vue de mon étendard et de mon épée sanglante levée vers les dieux suffisait à réunir devant moi une armée prête à mourir sur les champs de combats.

C’est alors, qu’elle m’adressa ainsi la parole : « Dis-moi, contre quel ennemi te bats-tu ? »

Je lui répondis ainsi : « Je combats mes peines et mes douleurs. Celles qui me font douter de moi et de mes capacités à être un homme rempli de bonté généreuse et d’amour véritable. Celles qui font de moi le plus terrifiant et impavide des fils d’Odin. Si tu es une Valkyrie, je te supplie, apporte-moi un bouclier d’argent peint d’un sanglier de gueules et une épée longue forgée dans le feu sacré, ramène-moi aussi le cheval le plus farouche des royaumes connus et je te montrerai comment un seigneur de guerre piétine ses ennemis et détruit tout sur son passage ! »

L’excitation grandissante et mon impatience de repartir au combat étaient à leur zénith. Face à moi je l’apercevais, imperturbable, calme, mystérieuse. Elle adjura le silence du simple mouvement de son index qu’elle vint placer lentement devant ses lèvres fines.

« Les Dieux n’ont pas destiné l’Homme à être réduit au rang infâme d’animal de guerre. Il est facile de commencer une guerre, cependant il est impossible de la terminer. »

Elle cueillit comme une fleur mon âme guerrière. J’en avais les larmes aux yeux. Toutefois je craignais de traverser la Forêt obscure, de m’y perdre et m’ensauvager à nouveau. J’étais effrayé de devoir traverser des champs de ronces insolentes, dont les épines pugnaces écorcheraient ma peau à vif. Alors j’implorais la Dame aux cheveux ébènes de me prendre par la main et de rester le temps de cicatriser mes plaies. J’avais besoin encore de ses conseils si sages.

« Ai foi et confiance en moi, tu ne marcheras plus jamais seul. Ai confiance et foi en toi. Abreuve-toi des nouveaux rayons de soleil pour trouver la voie. Quand tu auras à nouveau besoin de moi, soit assuré de ma bonté, je ne serai jamais très loin. »

Ainsi après avoir parlé, elle se détourna, remontant son capuchon et s’en allait comme elle m’était apparu, enveloppée dans son manteau noir flottant au vent. Je n’avais plus de mots ni pour exprimer mes sentiments ni pour essayer de la retenir encore quelques instants. Alors, je l’observais disparaître, et fondre à l’horizon.

Maintenant je sais. Maintenant je comprends. Ses mots ont été a jamais gravés dans ma mémoire.

Je trouve un souffle nouveau chaque fois que je pense à ce jour venteux. Et si par un matin d’hiver, elle vient à vous, écoutez ses paroles si sages, acceptez le prix de sa vertu et dites-lui bonjour de ma part.

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1 Commentaire
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Cora Line
1 année il y a

J’aimerais tellement rencontrer cette Dame aux cheveux d’ébènes !!

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