La colocation

5 mins

J’avais lu dans le « Journal du Soir » une petite annonce autant marrante qu’intrigante. Je ne me souviens plus très bien des termes exacts, mais ça devait être un truc du genre :

« Nous, trois filles studieuses partagent penthouse plein centre, avec garçon bien élevé, pas trop timide. Demande Léa, Stella ou Clara au 06… »

Je venais de débarquer ici, avec mes cheveux gras, mon acné, mes petites lunettes de premier de la classe et mon bac en poche. J’avais raté mes concours pour entrer en science-po, donc c’est la voie générale qui s’ouvrait devant moi. J’avais bossé un peu tout l’été dans une charcuterie industrielle à fabriquer saucisses, jambons ou tourtes vigneronnes. Pour certains un boulot de rêve, pour la plupart, toutefois, un emploi sans perspectives, dans une usine qui tôt ou tard partira chercher des salaires plus bas aux bords de la mer Noire ou en Silésie.

J’avais investi quelques économies dans cet l’hôtel misérable. Les murs du hall et les couloirs étaient recouverts de photos antiques : « La ferme-auberge en 1920 », « L’hôtel avant la construction de l’autoroute », « Une vedette de variété avec la patronne ». Un temps propriété d’une chaine hôtelière, qui avait remodelé les chambres à son image, le Logis du Bon Repos avait perdu sa superbe et était devenu kitsch. Ses derniers atouts, le prix de la nuitée. Et son excellent café !

La chambre était petite. Pour seuls mobiliers, une petite armoire déglinguée, un lit double, majestueux assemblage de tubes en acier soudés, une petite table et une chaise en plastique. La salle de bain était encore plus minuscule, puisqu’il n’y en avait pas – à moins que ce ne fût le contraire, le lit semblait planté au milieu d’une salle d’eau géante. En fait, la douche et le WC étaient coincés dans l’angle de l’entrée, derrière un vieux rideau moisi. A cet endroit le sol proprement carrelé contrastait avec une moquette délavée. Un lavabo flanqué d’un miroir en inox faisait office de table de chevet. Les murs avaient gardé les traces de combats singuliers avec les mouches et les moustiques. Derrière les épais rideaux orange s`offrait une vue imprenable sur la zone industrielle et le flux continue des camions.

Je venais de passer trois nuits brouillonnes avant de découvrir enfin cette annonce.

Avec la joie d’aller visiter cet appartement, s’éveillait en moi autant un état extatique, qu’un sentiment d’anxiété. Je m’étais fait tout un film, en m’imaginant me retrouver comme Pacha en son harem, entouré de trois magnifiques blondes, bien faites, aux lèvres pulpeuses. Genre suédoise ou déesse slave. Débarrassées de tous leurs prétendants, après des combats épiques, elles se seraient mises à mes pieds, soumises… Cela pourtant n’était que le rêve d’un adolescent immature.

Il fallait faire bonne impression, mais pas se surjouer. Je savais pertinemment que je n’étais ni le premier, ni certainement le dernier à faire la visite. Pour être poli et bien élevé, oui, je l’étais, studieux et un peu timide également. Quant à faire de moi un Apollon, ou un womanizer, il ne fallait pas y penser, sauf en rêves. Or que penser de trois filles qui cherchent à partager une piaule avec un mec ?

Qui sont Léa, Stella et Clara ? Je repensais encore à la journée de la veille. J’avais répété maintes fois mon petit laïus pour finalement m’embourber et parler d’une voix tremblante à Stella, en me présentant pour l’annonce. Elle avait dit « bonjour » d’une voix limpide et bienveillante. Elle m’avait finalement dit, « ben, viens visiter l’appartement, on va faire connaissance et on verra ensuite… ». La réponse fut lapidaire et froide : « okay à demain ». Sur le coup je m’étais trouvé stupide et j’avais craint qu’elle m’eût trouvé immature ou peu sérieux. Il fallait faire bonne impression. Bien que je fusse un peu solitaire sur les bords, une collocation était pour moi une bonne occasion de rencontrer du monde et de se faire des amis.

Lavé et peigné, j’avais changé mon training pour un jeans délavé, un teeshirt gris imprimé d’une tête de mort sur un lit de roses, au-dessus duquel, j’avais enfilé une surchemise canadienne. J’avais vidé les dernières gouttes du parfum que ma mère m’avait offert au dernier Noël. Il se dégageait alors une odeur boisée et virile, qui virait sur des notes musquées. Ma vieille parka kaki et mes sneakers un peu zones, venaient parfaitement finir d’emballer votre homme, en mode étudiant décontracté. La veille, il faisait encore un temps d’automne magnifique, qui tranchait à cent-quatre-vingts degrés de la météo du jour. La pluie, giclait en rafales au gré du vent et se transformait en une nuée d’aiguilles. Ecouteurs sur les oreilles et les mains enfoncées dans les poches, je subissais les assauts météorologiques avant de pouvoir attraper enfin le bus de la ligne sept.

Au fond du bus, quelques jeunes agités troublaient le calme du voyage et devenait une raison d’ajuster le son du casque audio et de bercer mes pensées dans quelques vieux morceaux de hard rock, jusqu’à ce que le « ligne sept » me déposait au pied de la gare. Le vent, à cet endroit, redoublait d’efforts et soulevait les feuilles mortes et autres papiers abandonnés. Quelques voyageurs gesticulaient pour se mettre à l’abris, alors que deux ou trois taxis attendaient endormis une course. Devant moi s’étendait une large place anonyme, qui au premier coup d’œil ressemblait plus à un parking de supermarché : un grand rectangle de bitume, quadrillé de réverbères, dont la moitié étaient déglingués, avec en son milieu, un ilot de mobiliers urbains en béton qui servaient, par beau temps de skate-park improvisé. Quelques platanes hideux plantés tous les cinq mètres donnaient á cette espace le chic suranné d’une place urbaine des seventies.

Il fallut d’abord traverser la place de la Gare jusqu’au drugstore, puis remonter l’avenue centrale. Bien que le jour fût levé depuis quelques heures, les couleurs, en principe vives, des maisons baroques et des enseignes des magasins modernes, semblaient pourtant bien pâles et mal accueillantes sous cette pluie. Et les prévisions n’annonçaient rien de bien pour les jours à venir. Cette journée sera commercialement aussi morne que la météo. Tout en accélérant le pas, je repérais déjà quelques boutiques.

Je découvrais la ville tout en cherchant mon chemin. Le parvis de l’Eglise était orné d’un chêne centenaire en son centre et ceinturé de quelques bistrots et restaurants. L’hôtel de ville, construit en face de la maison de Dieu, exhibait en fresque carnavalesque des lutins représentant des paysans dansant autour d’un diable en rut qui pointait du doigt un moine au cul nu.

Une cinquantaine de mètres plus loin, derrière l’ancienne halle aux grains, transformée en cinéma, je me retrouvais sur l’ancienne place d’arme. Bande longiligne, elle était adjacente au sud à des immeubles au style art-déco et flirtait au nord avec le vieux quartier des villas. A l’ouest, une énorme fontaine carrée, surélevée d’un angelot assis sur un tonneau déversait timidement son eau. A l’est, mais je ne le découvrirais que plus tard, se trouvait le centre névralgique des nuits blanches.

Puis j’arrivais enfin devant un portail entrouvert.

Elle se dressait devant moi : une bâtisse d’un âge incertain, flanquée à sa gauche d’une tourelle. On distinguait sur la droite un balcon couvert en bois, qui semblait suspendu dangereusement.

La maison s´élevait sur deux niveaux et formait un ensemble assez carré, planté au milieu d’un petit jardin d’un âge tout aussi incertain. Quatre hautes fenêtres encadrées de volets rouges s’ouvraient sur chacune des façades, de couleur crème, dont le crépis s’effritait. Le long des coins en briques rampaient quelques lierres. En haut de la façade, une corniche moulée de feuilles de chêne et de glands supportait une toiture en tuiles vernissées vertes, ocres et cendres. Un avant-toit en fer forgé, recouvert de verre protégeait le perron, surélevé de trois marches.

On accédait à la villa par un petit chemin pavé où poussaient quelques mauvaises herbes. La végétation autours n’avait pas été entretenue depuis des lustres. Le vieux hêtre se présentait tel un gardien bossu et estropié. De nombreux buissons poussaient en bataille. Ci et là, les taupes avaient formé de petits monticules de terre. Derrière la maison, on devinait un cabanon de bois pourris et un petit enclos, qui aurait fait le bonheur d’un jardinier, si les orties n’avaient pas envahi le lieu.

Un bon stère de bois était rangé sous le balcon. Certaines bûches étaient rongées par du lierre et des mousses jaunes, d’autres carrément pourris. On y avait stocké également des vélos et des pots en terre cuite.

Il ne fallut que quelques secondes entre le moment ou la sonnette indiquait ma présence et celui ou la porte s’entrebâillait.

Stella se tenait devant moi. Taille moyenne, de stature plutôt svelte. La cambrure de son échine mettait en valeur de belles hanches et une poitrine volumineuse, qu’elle cachait sous un grand pull rouge qui descendait jusqu’au-dessus de ses genoux. Ses cheveux châtains portés en chignon dégageaient un cou fin, où pendait un petit médaillon. Derrière ses grandes lunettes rondes, des yeux vert brillant me regardaient d’un air studieux.

No account yet? Register

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
Lire

Plonge dans un océan de mots, explore des mondes imaginaires et découvre des histoires captivantes qui éveilleront ton esprit. Laisse la magie des pages t’emporter vers des horizons infinis de connaissances et d’émotions.

Écrire

Libère ta créativité, exprime tes pensées les plus profondes et donne vie à tes idées. Avec WikiPen, ta plume devient une baguette magique, te permettant de créer des univers uniques et de partager ta voix avec le monde.

Intéragir

Connecte-toi avec une communauté de passionnés, échange des idées, reçois des commentaires constructifs et partage tes impressions.

0
Exprimez-vous dans les commentairesx