"Don Quichotte est en Guadeloupe, il joue au poker…"

9 mins

Parce que l’aventure continue

Comment ce Don Quichotte s’est retrouvé aux West Indies avec ce magot dans les poches ? je ne suis pas sûr qu’il puisse réellement l’expliquer. Toujours est-il qu’après des semaines éprouvantes pour sa santé mentale, il quittait son asile tropical dans lequel il se reposait en avalant des pilules allant du jaune au rouge devant un panorama de verdure exotique ; technique caribéenne ayant fait ses preuves selon le docteur Ras Nino. La cure avait d’abord tourné à une atonie douce et apaisante. Il avait fait la rencontre d’une patiente de 4 ans qui lui redonna le sourire par l’expression d’une sincérité affective. Le nuage noir était passé, il pouvait s’évader enfin pour une nouvelle péripétie. Direction le Friday Night Poker Games de Beausoleil, sur d’hasardeuses hauteurs Vieux-Fortaines.

S’il était sorti par l’entrée, il était bien dehors. Fou mais pas stupide. Un brin superstitieux et convaincu qu’au fond du trou, la chance s’annonce. Il fonce sur son canasson de fortune. Arriver avant 23h pour bénéficier d’une prime de ponctualité. Ce soir, ne négliger aucun avantage éprouvant l’ennemi. Sur le littoral de Rivière-Sens, il regarde plonger une baleine rose, en pensant à son cerveau de 4kg. Un carrosse blanc le double à fond de train. Le cocher n’est autre que le lapin d’Alice qui s’acharne contre le retard. Le cavalier de la Manche se ravise et prends le bolide en chasse. Il est 22h59 quand il passe le pont levis. Il attache, à toute berzingue, sa monture dans l’étable sans vaches de la Plantation rouge. Sur le retard, le règlement est intraitable. Comme à la clinique.

Nocturne à Beausoleil

Les tauliers de Beausoleil, sont joueurs mais redoublent de vigilance et ferment ces soirées au public ; sortant les filles aux mœurs légères et leurs minishorts fluo, les visiteurs coquets et amateurs de canne a sucre. Les 17 players rappliquent dans une danse macabre. Une faune nocturne au sang froid fait son apparition sur une terrasse où deux tables trônent sur un plancher de bois sanguin surplombant une vue imprenable sur des Saintes endormies. Une table d’un velours vert usé preuve de son expérience et la table sans charme dite du Flop Bleu.

Une fois la douloureuse acquittée par les membres de l’assemblée, la messe commence par le tirage au sort. La surprise est totale ; la majorité des précieuses se retrouvent autour de la table de toujours. Moment de détente, le bar est ouvert et rassemble les 17 salopards avant le pugilat.

La table des demoiselles

Sonne l’heure du crime. Les lutteurs cannibales rejoignent les deux tables selon l’ordre informatique. Sur la belle verte, se tient une première réunion. Le Tambour, ancienne tenancière d’un centre d’hôtesses sur la frontière espagnole, elle tient le tripot, son jeu est fait de dames en colère. Canine, rapide mais internationale carrière de trader, elle aurait tout investit dans des propriétés viticoles dont le breuvage est aux couleurs de ses nattes aryennes. Dans la soirée, ses dents poussent pour mieux déchiqueter le jeu de ses proies. Mona Lisa, cuisinière attitrée d’un milliardaire monégasque quand il prend ses vacances à Saint Martin ; nombreux ont oublié leur jeu face à son sourire hypnotique et envoûtant. Doc’gynéco, ancien obstétricien recyclé dans la chirurgie esthétique, il aurait développé une prothèse mammaire excessive et serait marié à l’unique patiente qui aurait accepté de se la faire poser. Sur une table, il fait parler les cartes comme des bistouris. Le Belge, vieil hippie et ancien fabricant pharmaceutique, il crée le premier laboratoire clandestin de LSD de Bruxelles ; son expérience sur le terrain de velours n’est plus à faire. La Mariée, dont l’octogénaire est souvent alité ; un jeu comme une promesse d’amour qui tourne au vinaigre quand on passe à la caisse. La Fronde, quand il tient une bonne main, que les mises s’envolent, il fait bouger successivement les muscles encombrants de ses bras tatoués de signes tribaux tout en plissant ses petits yeux noirs cinglants. Les Bons Tuyaux, plus gros trafiquant d’huile de tortue des Antilles, aime manipuler les cartes qui en perdent leur gravité dans ses doigts de pianiste. Le BG, ancien mannequin qui une fois sa carrière assurée, aurait forcé sur les cocktails et les grillades le long de passives piscines dans lesquelles gloussent des bimbos dénudées ; mais qui dans le jeu garde intact une mine froide de papier glacé.

Les invités du Flop bleu

Quand l’Espagnol tire sa chaise pour s’installer à la table du Flop Bleu, il se dit qu’elle pourrait s’appeler la table des Géants, l’heure du brave a sonné. L’assistance se compose de certains des plus dangereux joueurs du comté.

Blanco, judoka médaillé olympique ; son rire est diabolique quand il entraîne d’un Ippon son adversaire au tapis. Le Basque, également patron du bouge, ancien artificier reconverti dans le commerce d’armes numériques et du cracking ; un jeu comme un lâché de taureaux. La Lionne, dompteuse de lions d’un cirque kosovar, elle construit aujourd’hui des cages… pour des bars spéciaux ; elle aurait des nerfs d’acier comme des barreaux. Maillot jaune, fétichiste vaudou et sportif, associant les couleurs de Ochun, patronne des richesses du monde, à celle du leader du tour de France. Un endurant gracieux des cambuses de paris de toute l’île. Bonobo, apaisé et relax, il n’a jamais voulu s’expliquer, mais sans s’énerver. Se retirant quelques instants, revenant souriant. Toujours est-il que Bonobo a plusieurs victoires de tournois à son actif. Ticket Resto, VRP vicieux prêt à vendre sa mère pour sa sœur, il traita un temps avec la pègre antillaise et a participé au détournement d’un système de ticket de restauration d’entreprise. Présentant une paire de trois, il peut faire croire qu’un brelan est sur la table. Détenteur de l’ultime trophée. Goliath, sa carrure est plus proche d’un guerrier viking que d’un pygmée mais sa moralité est digne d’un roi de Judée. Ce n’est pas avec des haches qu’il coupent des têtes, seulement avec des suites en couleurs et relief.

Tirant une dernière bouffée dans le monde réel de cette soirée étoilée. Don Quichotte a un plan et même des stratégies pleins les pinceaux, il est prêt pour la charge.

Ouverture de la chasse

Comme pour toute bataille, le déclenchement des hostilités et l’assaut des armées se fait au son d’un clairon qui fixe la teinte des opérations. Le Basque branche la musique. Leurs yeux se croisent, « Les dingues et les paumés » de HF Thiéfaine. Un départ. De circonstances. De bonne augure ?

Première mise, premiers frissons. Bonobo attaque d’entrée par une stratégie, issue nous dit-il, de « Mes meilleures recettes de poker » de mamie Bruel : l’attaque du 80 puis 100. Puissant. Cette technique lui réussit à plusieurs coups et semble s’étendre à la table comme une maladie virale. Peu de jeu sur la nappe bariolée. Des petites mains, de l’esbroufe, des 9 et des 10 ; beaucoup de 10. Une tension douce se distille.

Les assassins se lancent patiemment dans cette course au crime. Les tours s’enchaînent et son jeu est fait de 2 et de 3. Un arc face à des tanks. Les mises fondent. Tout à coup, une paire de 4 inespérée, alors qu’il est grosse blinde. Il monte une barricade et s’en sors plutôt bien. Le plan quinquennal à la lettre.

Ticket Resto s’étouffe face à La Lionne, un full face à une couleur. Et repart par la case départ. Assez pale.

Quand vient le break au bout de 2 heures, tous les combattants sont encore en place. Les traits se détendent autour d’un pot Belge et de ses succulentes crêpes. Au sucre roux et sa pointe citronnée, au miel divin des abeilles mélipones, à la gelée de groseille pas peyi, à la pâte de spéculoos ou au nougat en bloc cimenté. Les mines s’adoucissent. Les papilles se réveillent. Les crêpes belges sont des amphétamines.  Derniers instants de politesses avant de retourner s’étriper dans l’arène. Toutes et tous peuvent encore briguer le magot.

Premières victimes

Au journal de la nuit, les nouvelles du front sont mauvaises. Un premier trio sort avant 2 heures.Ticket Resto fait faillite et s’effondre dans un duel face à Blanco, qui d’un coup de pinceau efface sa présence.

Les tables bougent, c’est un peu la panique. Mona Lisa s’installe au camping du Flop Bleu. Elle détient un sacré pactole, un jeu en couleur et en full lui a permis de siphonner les fonds de ses adversaires.

Les drôles de dames s’en sortent bien, elles ont de beaux atouts et un jeu séduisant. Sans pitié. Exit le BG. Canine y plante ses crocs comme dans un tendre tournedos. Tandis qu’elle se délecte, il rend l’âme dans un dernier râle. Elle est full. Enfin, Goliath demande grâce à une Mona Lisa digne et impassible, tirée au carré.

Un moment d’anthologie survient sur le Flop Bleu. Les violons de l’adagio de Tomasi Albinoni raisonnent, les lumières se tamisent, un smog de tabac s’installe sur le tapis, les cartes volent au ralenti, les mises s’enchaînent. Les violons s’agitent, les joueurs plient. Suis un beau duel. Qui finit toujours par « Dans la vie, y’a deux situations, celui qui a le colt, et celui qui a la pelle… et maintenant, tu creuses ! ». Le Basque tient le colt et Bonobo la pelle. Il se lève deux minutes.

Le poste pousse les guitares saturées des Smashing Pumpkins et le rythme s’accélère. C’est l’heure des citrouilles. Vers 3 heures, un second trio suit le premier wagon. Bonobo tombe de son arbre, beau joueur et souriant comme sa duelliste Mona Lisa. Elle sourit toujours, mais l’important c’est le paysage. Il disparaît sans traîner. Doc’Gyneco sort, sans gêne, sa grosse mise devant un Tambour rugissant qui semble pâtir d’une arrivée tardive de « la » bonne carte au cabinet de curiosité. Elle part retendre sa peau. Les Bons Tuyaux, s’éclipse de l’épisode et rejoint la retraite de Starsky après un affrontement loyal face à La Fronde bien tendue et précise.

Le Basque indomptable s’attaque à Don Quichotte, se souvenant qu’il prend souvent les deux pour des as, comme l’hidalgo haut en couleurs, des moulins pour des châteaux. Mais ce soir, la Manche est pleine ; une paire de roi contre une paire de reine. Don Quichotte a un royaume.

Si le Basque plie, il ne se rend pas et tente son va-tout contre un Blanco impeccable et sans tache. Puis rejoint finalement le bar. Il lance les cocktails qui tiendront la nuit des acteurs de la table.

Blanco, mais n’est pas Tipex qui veut, oublie un instant la colorisation persistance des aventures du fantasque farceur incompris. Qui lui redonne un instant des pigments chaleureux et lui offre, grand seigneur, son trône au comptoir. Au même moment, Canine redoutable et mordante, emporte le tapis de la Fronde dont le cuir s’arrache et le bois ploie.

La dernière table

La table finale s’ouvre. « All we need is love » rebondit dans l’espace sonore. Les cartes sont distribuées par l’impartial dealer Des Bons Tuyaux. Mieux armé, Don Quichotte est pourtant soucieux. Les chevaliers errants sont peu enclin à la gestion. Canine, La Mariée, Mona Lisa, et Maillot Jaune sont bien loties ; La Lionne, Le Doc’ et le Belge, en fond de tiroir.

Un bloc Girl Power s’organise, sous la harangue d’un Tambour phallophobe, qui par un tour de passe-passe, se retrouve à donner de la voix depuis la proue de sa yole imaginaire. Elle motive la résistance collective d’un front uni Poto Mitan. Elle aurait dit des choses méchantes sur les détenteurs de la virilité phallocrate.

Les 3 premiers tours sourient de manière ostentatoire au gentilhomme insouciant, deux paires de dame de suite puis une paire d’as. Il s’endort sur un nuage en rêvant à Las Vegas, un brin parano.

Soutenue par son Pink Block, La Lionne tente un tout pour le tout avec une dame et un valet de carreau. Le Belge fait face à la chasseuse. Elle tombe furieuse dans le piège wallon. Il se remet et aussi un ti coup derrière l’oreille.

Le vent de la colère des filles de Lilith se lève et terrasse l’assistance masculine. La Mariée sonne les cavalières de l’apocalypse et balance son tapis. Le roi cycliste répond à la charge et tient la mise. Deux paires d’as se font face. A la rivière, un quatrième cœur apparaît. Et La Mariée, qui l’avait à cœur, récupère sa dote. Maillot jaune perd du poids. L’effort rend sec mais tenace.

La mâchoire de Canine emporte le sceptre et le royaume du cosaque clownesque. Les bouffons s’ils ont le sens du ridicule font rarement de bons rois par manque d’autorité. Il panse les plaies et évite la terreur de ces furies indomptables.

Le Doc’ et Le Belge, n’ayant les mêmes amortisseurs, sont saignés sous ses yeux par un duo sanguinaire ; Mona Lisa et La Mariée. Le Belge, toujours réfléchit, alors petite blinde, tente un tapis contre La Mariée, grosse blinde et en noir. Un 6 et un 7 contre un 7 et une… Dame. Qui rafle son butin et améliore sa toilette. Mona Lisa, brelan de 3, se voit offrir des lys blancs par le Doc’ malgré un 10/10 sur sa composition.

Pour une histoire de méduse et de ballet aquatique qui surgit de ses abysses mémorielles, La Mariée cisaille le Girl Power en affaiblissant Mona Lisa. Qui fini de donner son sourire au hussard antillais sur une paire de dames.

Derniers tours

La soirée devient nuit noire, ils ne sont plus que quatre sous le projecteur. L’inconstant fagotin castillan fait face au Maillot Jaune, La Mariée et Canine. Le jeu s’annonce cruel.

Triste sire, un cuba libre finit de réveiller les ardeurs assoupies de l’hypothétique glorieux chevalier. Il reprend ses armes pourtant rouillées et remonte son fantasque destrier. La Mariée s’y oppose, les siennes brillent de ses victoires récentes. Le choc est brutal ; les cœurs hispaniques tiennent bon et l’emportent. « Recevez gente dame, ces belles orchidées pour soigner ce trépas solitaire. »

Canine n’est pas en peine mais sa rage vengeresse. Comme l’héroïne de Kill Bill, elle affûte ses dents de sabres. Zippe la fermeture éclaire de sa combinaison de cuir. Monte sur sa moto endiablée emportée par les guitares de « la Grange » de ZZ Top. Bondit littéralement sur l’humble serviteur de la bonté sur terre et sa monture brinquebalante. Se trompant assurément de cible. Mais le vieil ibère à plus d’un tour dans son sac. Et bons cœurs. Les dieux veillent sur les pitres, car ils les font marrer.

Canine nomme son champion. Maillot Jaune reçoit le baiser de la gloire. S’annonce le dernier duel. Les regards s’aiguisent, les maxillaires se retendent, les doigts se cramponnent aux cartes.

Des petites escarmouches suivent. Rythmées par les tours de mise. Ne pas perdre trop, savoir attendre. Les blends ne conseillent qu’une retenue ubuesque. L’ultime assaut a sonné. Une échappée jaune se lance dans un traquenard audacieux et entraîne le cavalier burlesque dans un tapis redoutable. Faites vos jeux, rien ne va plus, les ailes des moulins accélèrent leur cadence. Deux carreaux contre deux cœurs. Depuis deux tours, les cœurs sont espagnols.

4h44. Trois cœurs clignotent sur la pelouse synthétique du ring de Beausoleil. Qui pointe. Don Quichotte et Rossinante s’éloignent dans la pénombre en direction du phare, des lourdeurs sur les flancs car cela plut aux cieux. « Mais où se planque ce poltron d’écuyer. ? Sancho, Sancho… »

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