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Tu ne choisis pas ta famille, mais tu choisis tes amis, enfin parfois la réciproque est vraie. Le seul problème pour l’un comme pour l’autre, c’est que tu n’as pas la possibilité de les échanger quand ils sont défectueux.
C’est le son répétitif d’une cloche qui interrompt notre causerie. Mérïa et moi, nous nous regardons interrogatives, sans comprendre ce qui peut bien se passer. C’est la première fois, en plusieurs semaines de présence en ces lieux que j’entends ce son de tocsin.
D’un seul bon et comme un seul homme ou plutôt comme une seule femme, nous nous dirigeons vers la porte de ma chambre que nous ouvrons pour résoudre ce mystère.
À peine avons-nous franchi le seuil que nous sommes happées par une foule amassée dans le couloir qui se déverse comme un torrent impatient vers les escaliers. En observant le troupeau, je m’aperçois qu’il est composé de jeunes filles de tous les horizons et dont les âges oscillent entre dix et vingt ans.
Comme mon discernement et moi, nous ne sommes pas des plus efficaces, je me retourne vers ma nouvelle amie pour qu’elle puisse éclairer ma lanterne.
-Dis-moi, elles sortent d’où ces donzelles ? Je suis persuadée que j’étais encore toute seule avant que tu arrives.
Aussi éclairée que moi, la mari-morgan hausse les épaules pour me signaler son ignorance. Me voilà bien. Des élèves viennent de prendre leur quartier et moi, je n’ai même pas été fichu de les entendre débarquer. Je crois que mes instincts de guerrière au sens aiguisé doivent toujours être dans le coma ou encore embrochés au bout de cette foutue épée, exhibée comme un trophée dans l’arène de Feu. Fais chier, j’ai honteusement l’impression d’être redevenue une novice. Toutes mes années d’entraînement sont parties en fumée en un rien de temps. Si je n’avais pas déjà gobé ce connard d’orc, je serais parti fissa l’occire comme il se doit.
En même temps, j’ai une excuse ! Il est vrai que cette dérobade est pourrie, mais je fais avec ce que j’ai, soyez compatissant avec moi. De toute façon, même si nous cohabitons dans le même esprit, je suis celle qui est à l’origine de votre existence, donc votre merveilleuse créatrice, ce qui veut dire pour résumer que c’est moi le patron ici et qu’aucune objection ne sera accordée. Ce qui fait que ma justification, tout à fait recevable pour moi, est : qu’avec la parleuse qui me tenait le crachoir et retenait toute mon attention avec ces histoires rocambolesques, je n’ai absolument rien vu venir, rien entendu et rien ressenti. Cette fille a su accaparer mon attention comme le ferait un de ces conteurs qui le soir auprès du feu, après une journée de dur labeur, nous embarquent tous, petits et grands, dans de fabuleuses aventures passionnantes qui nous font perdre pied avec la réalité et nous font oublier la fatigue qui nous terrassait quelques instants plutôt.
Mon petit chaton est très fort. Moi qui déteste plus que tout subir une longue conversation et écouter les monologues imposés des autres, je me surprends à être frustrée par cette interruption malvenue. Ma curiosité est à l’agonie face à toutes ces questions qui sont restées en suspens du genre qu’elle est donc cette vengeance si délicieuse.
Enfin bon, ce n’est pas aujourd’hui que j’aurai ma réponse, je le sens. Pour le moment, nous suivons le groupe en direction des escaliers et finissons regroupés dans le grand vestibule. Une cacophonie digne des gradins d’une arène, remplit les lieux. Entre les embrassades de retrouvailles, les appels de ralliements, les rires de contentement, les quolibets moqueurs, les gloussements séducteurs et autres bavardages joyeux, un brouhaha s’installe de plus en plus fort.
En toute discrétion, je repère plusieurs silhouettes se faufilant entre les portes et se dirigent silencieusement vers les escaliers. Personne ne les remarque, tous occupés à leurs discussions. Il ne m’a pas fallu longtemps pour reconnaître l’une d’entre elles. D’ailleurs, je n’arrive pas à comprendre, comment personne n’a pu le remarquer jusqu’ici. Du rouge, du jaune, de l’orange et du doré, notre cher directeur que je pensais disparu à jamais, daigne nous faire don de sa présence flamboyante. Je sais que chacun est libre de son style et de ses goûts, mais s’il pouvait, ne serait-ce qu’un peu…
Quoi encore ? Je peux savoir pourquoi je ressens comme des ondes négatives et des condamnations de votre part ? Je conçois, il est vrai, que je n’ai, moi-même, aucun sens de la mode et que je n’ai aucun droit de le juger, mais pour ma défense, je dirais… C’est bon ! Je m’incline face à vos reproches. Si je comprends bien, aucune critique de ma part ne sera tolérée à l’encontre de cet homme. Dois-je vous rappeler, encore une fois, qui commande ici ? C’est quand même un comble que les multiples personnalités que j’ai créées lors de mes moments de solitude infantile et qui à l’origine devaient être mes “amis” imaginaires, se rebellent contre moi et défient mon autorité. Je vous rappelle, quand même, qu’à l’origine, nous devions tenir cet énigmatique personnage à l’œil, bande de traîtres !
Comme je n’ai pas le droit de m’attarder sur l’excentricité vestimentaire de Cruzor, je porte mon intention sur les inconnus qui l’entourent. Trois femmes et trois hommes. Ils se tiennent légèrement en retrait derrière le vieux dragon. Je m’apprête à observer plus en détail chacun d’entre eux, quand je m’aperçois que, comme par magie… Non, ce n’est pas une expression pertinente pour une école de magie. Comme par enchantement ! Non, c’est encore plus pourri que la première proposition. Comme par hasard ! bof, trop fade et sans intérêt. Soudainement ! Allez, je valide, je n’ai rien de mieux et comme de toute façon, je ne vous adresse plus la parole et que de ce fait, je ne vous demande plus votre avis, je fais ce qui me plaît.
Soudainement, le troupeau composé de gentes damoiselles et damoiseaux qui nous ont rejoints par le second escalier, semble avoir repéré notre feu de joie ambulant et ses acolytes et un silence total remplace le tintamarre. C’est brutal comme contraste sonore, mais ça fait du bien. Du haut de la dizaine de marches gravies, Cruzor prend la parole.
-Jeunes gens, je vous souhaite la bienvenue à l’école de magie. Je me nomme Alphonse, Archibald, William, Édouard Cruzor et j’ai le privilège d’être le directeur de cette institution. Par ce statut, il me revient de vous accueillir avec un grand honneur au sein de notre communauté de mages gardiens de la paix.
Un tonnerre d’applaudissements répond à ces paroles de bienvenue. Ce n’est pas moi qui irai porter un triomphe à ce félon, ce déserteur, ce fuyard, ce lâcheur, ce faux dévot, ce traître qui fait le mort pendant cinq jours avec toute une bibliothèque à étudier et qui se présente la bouche en cœur tel un héros revenant de guerre. Il peut bien crever au combat, je n’irai pas pleurer sur sa tombe. Qui, moi rancunière ? Je ne vois pas ce que vous insinuez. Et au lieu de défendre ce fourbe et faire la liste de tous mes défauts ce qui pourrait prendre un certain temps, écoutons plutôt le discours de ce dragon sournois.
-Tout au long de cette semaine, de nouveaux élèves viendront compléter vos rangs, il s’agira des seconde et troisième années. La journée d’aujourd’hui était entièrement consacrée à vous, mes chères premières années, pour que votre installation se passe de la plus harmonieuse des façons. Maintenant, que vous voilà bien installé dans vos quartiers, laissez-moi vous présenter vos responsables d’étage. Madame Fartouel et Monsieur Henkist pour le premier étage, Madame Koskovaz et Monsieur kervirik pour le deuxième et Madame Delagrange et Monsieur delaunais pour le troisième.
-Tu savais qu’il y avait des responsables d’étage ? Nom d’une méduse aveugle, ils étaient où quand je me suis retrouvée en détresse abandonnée au milieu de mes effets personnels ? Sérieusement, je doute très fortement de leur professionnalisme. Si tu n’avais pas été là pour me sauver, je pense que mon cadavre serait encore à pourrir parmi mes malles éventrées dans ce sombre couloir qui me ferait office de tombeau.
Je réponds à Méria par une négation de la tête. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir emprunté ces couloirs et escaliers en long, en large, de travers, à contresens, en marchant, en courant, en rampant et j’en passe, mais une chose est sûre pourtant, c’est que je n’y ai jamais croisé une seule âme. Enfin, j’espère ! Oh, putain ! Par pitié, faites qu’il n’y a jamais eu personne et préservez, le peu de dignité qui me reste. Ce serait une véritable turpitude pour moi si quelqu’un m’avait vu lors de mes déambulations nocturnes.
Figurez-vous, qu’il se peut, qu’une ou deux fois, dans des moments de détresse dû à ma solitude et à l’abrutissement intellectuel que je subissais à force d’étudier que, peut être, avec l’aide de quelques bouteilles de cervoise, hydromel et autres liqueurs dénichées dans les confins d’un cellier, que j’ai, à l’insu de mon plein gré, fait certaines choses moralement discutables.
Comment vous expliquer quel ne fut pas mon étonnement quand, au détour d’un chemin tortueux perdu dans les entrailles de cette effarouchante bâtisse, derrière une porte fermée à double tour, j’ai découvert une véritable caverne où s’y nichait un fabuleux trésor. Vous vous demandez sûrement comment j’ai fait pour ouvrir cette porte cadenassée comme la ceinture de chasteté d’une pucelle royale ? Eh bien, je vous informe que j’ai un oncle forgeron qui m’a appris deux ou trois trucs assez plaisants, comme crocheter des serrures proprement sans laisser la moindre trace. C’était, pour moi, une évidence de la destinée. Un cadeau bienfaiteur des dieux pour me consoler et me récompenser de toutes ces tortures que je subissais et des efforts héroïques que je fournissais. Il était évident que tout ce joli magot liquide était destiné à égayer mes papilles, réchauffer mon gosier et purifier mes entrailles. Et si Cruzor avait quelque chose à y redire, je pourrais toujours lui faire comprendre qu’il s’agissait d’un dédommagement divin pour le mal que j’ai subi quand il m’a lâchement abandonné comme une vieille guenille trouée et que de toute façon, il aurait dû savoir qu’il ne faut jamais me laisser seule dans un coin sans en subir les conséquences.
Je prie le dieu de la providence pour que personne n’ait été témoin de mes divagations nocturnes plus ou moins habillées, ou je beuglais à tue-tête les plus graveleuses des chansons grivoises et vociférant les plus malsonnantes des insultes envers tout le monde. En même temps, si je réfléchis bien, est-ce vraiment si mortifiant que ça ? Après tout, je chante assez bien et mon répertoire de poésie paillardes et de mots infâmes est digne du plus grand des ménestrels. Pour ce qui est de ma dignité, ça fait bien longtemps que celle-ci m’a quitté en claquant la porte et sans un regard pour la cause perdue que je suis. Et puis merde, ce n’est pas comme si l’opinion de quelques pudibonds allait me vergogner. L’avis du populo m’indiffère la plupart du temps, enfin, je dirais plutôt que le jugement d’autrui sur ma personne est devenu au fil du temps une nuisance mineure. C’est comme un bouton au cul qui gratte. Au début, c’est très dérangeant et douloureux et ça nous pourrit notre vie au quotidien surtout pour s’asseoir et je ne te parle même pas de toutes les maîtrises de discrétion que tu dois déployer pour te gratter en tapinois. C’est à partir du moment où tu décides d’arrêter de gratter ce vicieux petit pustule et de penser à des choses beaucoup plus importantes en vaquant à tes occupations qu’il cesse de t’emmerder pour disparaître de ton esprit.
Bref, revenons à nos moutons ou plus précisément à nos chers responsables d’étages, plus particulièrement à ma matonne, la fameuse Madame Fartouelle. La première chose que l’on peut dire sur elle, c’est qu’elle est haute comme trois pommes les bras levés et qu’elle dégage une putain d’aura phénoménale. Attention, il n’est pas question de ces auras bienveillantes faites de bonté, douceur, sagesse et prestance qui nous donnerait presque envie de leur confier nos plus précieux trésors.
Bien sûr que non, ce serait trop facile. Non, ici, nous avons affaire à ce genre d’individus qui par un seul regard vous pétrifient sur place comme une proie face à un redoutable et sanguinaire prédateur, à ces créatures camouflées dans l’obscurité d’une ruelle avec pour seul discernement deux yeux féroces qui vous transpercent et vous expliquent les mille et une façon dont les propriétaires de ces globes terrifiants vous occiront ou à ces êtres inquiétants et horrifiques personnages que vous avez croisés une fois et qui depuis, hantent vos pires cauchemars. Vous l’avez en tête, oui ? Eh bien, c’est elle toute crachée.
Par tous les dieux, ce petit machin pue le mauvais caractère à une centaine de pieds à la ronde. Brune, les cheveux fins relevés en un chignon lâche, mais distingué, les yeux marrons et le regard noir assassin, elle a une façon de se tenir et de nous observer, un je-ne-sais-quoi, qui nous prévient qu’au moindre pet de travers, elle nous croquera tout cru sans aucune sommation ou possibilité de fuite. Elle est plutôt jolie même si elle me fait penser à ces superbes plantes carnivores qui ont failli défigurer mon frère.Il en avait fait planter dans les jardins du château familial, car il les avait trouvé magnifiques, mais ce que ne savait pas ce jeune idiot, c’est que ces si charmantes petites fleurs aux couleurs chatoyantes et aux parfums envoûteurs attendaient avec impatiente qu’il vienne les renifler pour pouvoir lui bouffer son minois avec leurs perfides petites dents cachées sous leurs pétales. On les appelle les Baisers de la mort et mon nigaud de frère ne s’était même pas posé la question du pourquoi de l’origine de ce nom barbare.
Ce qui me rassure quand même de ma survie sous son contrôle, c’est le petit sourire malicieux et sarcastique qui ourle ses lèvres. Il me fait espérer que la bête pourrait être dotée du sens de l’humour et comme le dit si bien mon père, tant qu’il y a de l’humour, c’est qu’il y a une perspective de clémence.
bedonnant, cheveux rasés poivre et sel, des petits yeux noirs qui pétillent de malice et un grand sourire franc plein de douceur et de bienveillance. Il me fait penser à un doudou. Quand je le regarde, j’ai la même sensation que celle que j’avais petite, quand je retrouvais mes deux compagnons pelucheux avec bonheur et amour pour me consoler dans leurs bras quand tout allait mal autour de moi. Mais quelle bande de rabat-joie que vous faites, c’est bon, j’avoue, Théodore et Isidore m’attendent bien sagement sur mon oreiller et continuent toujours à me réconforter contre les forces maléfiques de la vie qui me tourmentent constamment. Et je pense que je vais avoir besoin de leurs soutiens ce soir, car avec la guigne que j’ai, Doudou est pour l’autre couloir et Cruella pour le mien. J’aime ma vie trépidante faite de rencontres si attrayantes pour mon bien-être. Dépité par cette constatation, je me reconcentre sur le discours du directeur.
-Contrairement à ce que vous devez penser, vous avez été réparti aléatoirement dans les étages. Dans cet établissement, nous ne différencions ni le sexe, ni la race, ni la classe sociale et ni les niveaux. Vous êtes et resterez de simples élèves pour le reste de votre apprentissage. Ce qui veut dire que toute forme de harcèlement, de discrimination et de jeux de pouvoir sera sévèrement punie. Pour information, même si la peine de mort est prohibée entre ces murs, sachez que je connais d’autres moyens beaucoup plus efficaces pour vous tortionner et vous faire regretter que l’ultime châtiment ne soit pas autorisé. J’espère avoir été bien claire sur ce point.
Toutefois, si vous rencontrez le moindre problème ou avez la moindre question, n’hésitez pas à vous adresser à vos responsables d’étage. Le bien-être des élèves et la cohabitation dans les dortoirs font partie de leur mission. Par contre, faire respecter les règles et se soucier du bon comportement des résidents sont aussi une de leurs tâches, donc si vous faites le moindre écart, ils se chargeront de vous comme il se doit.
Pour ce qui est des libidineux qui ne connaissent pas le consentement, s’ils souhaitent pouvoir continuer à assouvir la soif de chair avec un appareil en parfait état de marche, je vous saurais gré de vous informer au plus vite sur la signification du mot “Non”. Il serait dommage qu’à votre si jeune âge, vous vous retrouviez si vite avec un appendice, primordial pour votre descendance, ablaté sauvagement. Comme je vous l’ai précisé ultérieurement, je possède une connaissance très développée de l’art de la torture et mes chers camarades à mes côtés sont très friands de mettre en pratique mon savoir-faire.
Je n’interviendrai, en aucun cas dans les petites histoires de dortoirs, crises existentielles et conflits relationnels. Mes collaborateurs avec mon aval ont toutes les compétences nécessaires pour juger et infliger les peines. Et que moi-même, j’ai autre chose à faire de mon existence que de m’intéresser à vos misérables problèmes des jouvenceaux émoustillés. Pour les petits malins, les rebelles, les réfractaires des règlements et autres amoureux des interdits, mes chers amis qui m’entourent sont des porteurs et que grâce à cela, de jour comme de nuit, occupés ou pas, ils auront constamment un œil sur vous.
Je sens un coup dans mes côtes. La sirène m’apostrophe en chuchotant.
-Tu vas me trouver ignorante, mais qu’est-ce qu’un porteur ?
Finalement, le temps passé à me maltraiter l’esprit lors de mes séances de gavage intellectuel va me servir. Je peux maintenant me vanter d’être une véritable experte sur toutes les créatures qui peuplent et ont peuplé Endadel. Il est temps, pour moi, de montrer que je ne suis pas uniquement faite pour taper sur tout ce qui bouge.
-Les porteurs sont des femmes et des hommes qui se sont portés volontaires pour devenir l’ancre des Sept Suprêmes. Tu sais qui ils sont ?
-Oui, ils sont les fondateurs de cette école et ils ont eu un grand rôle dans la création d’Endadel et des différents royaumes qui la composent.
-Voilà, c’est cela. Au commencement de ce monde, tout était chaos et les multiples races qui y vivaient cohabitaient difficilement entre guerre de pouvoir, génocide et conquête territoriale. Ce sont les sept grands mages les plus puissants qui ont uni leurs forces pour mettre un terme à cette ère de destruction. C’est à leur mort survenant lors de la Purge que la grande déesse leur a proposé de continuer de veiller sur cette paix et sur l’institution qu’ils avaient fondée. La seule condition pour revenir parmi nous était d’être lié à un être vivant volontaire pour pouvoir puiser dans l’Esprit de son âme et ainsi se nourrir de son énergie de vie.
Ma nouvelle amie me regarde avec des grands yeux pleins d’effroi.
-Quand tu parles de se nourrir de leur énergie, ça me fait penser à des parasites du genre lamproie, mangeurs de langue ou poux du poisson.
-Rassure-toi, ce ne sont pas non plus des écornifleurs. Les élus que l’on nomme “Porteur”, sont choisis, car ils portent en eux une très grande énergie de vie qui leur permet de devenir l’ancre d’un Suprême sans en subir de conséquences sur leur vie. Et afin de les motiver au volontariat, ils ont la promesse d’être pris en charge par l’école de magie, eux, leur famille et leurs descendants même si aucun ne veut reprendre le flambeau en héritage.
Je sens des serres acérées s’agripper à mon avant-bras droit. Putain de bordel de merde, c’est qu’elle est en train de me transpercer de part en part mon précieux avant-bras. Je pense que la Mari-morgan doit tenir ses griffes de ses piafs de cousines. En même temps, quand je vois la longueur de ses ongles, je n’ai plus aucun doute sur leur véritable usage. Ce sont de vraies armes de guerre, de quoi arracher un œil sans effort. Je jette un regard à l’éborgneuse, non sans crainte pour mes précieuses orbites quand je remarque son teint livide et son air effrayé.
-J’ai subitement une interrogation de la plus haute importance qui vient de m’effleurer l’esprit. Quand tu dis que les Sept Suprêmes qui vivent parmi nous et enseignent aux étudiants, sont des esprits, tu veux dire que ce sont des esprits genre revenant ? Comme la réminiscence de ceux qui ont trépassé ? Des fantômes qui sont les fragments d’âme de ceux qui n’ont pas pu franchir les portes de l’autre monde ? Qu’ils ont bien été déclarés décédés et que leurs corps ont été incinérés par le feu sacré et leurs cendres dispersées. Ils sont réellement morts de chez mort, du genre plus mort qu’eux, tu meurs ?
-Je te confirme, ils sont bien morts, raides, crevés, clamsés…
Je n’ai pas le temps de finir ma tirade qu’elle me muselle de ses deux mains sur ma bouche.
-Chut ! S’il te plaît, tais-toi. Nom d’une baleine échoué, c’est quoi cet endroit ? Sérieusement, ces revenants ne sont même pas vivants et ils rôdent ici et là tranquillement comme si tout était parfaitement normal ! Par les os d’un Kraken invertébré, s’il y a bien un truc qui me donne les chocottes, ce sont toutes ces magies nécromanciennes et macabres. Je te jure que si je viens à mourir à cause d’un sort noir, je reviendrai moi aussi hanter ces murs pour prévenir les pauvres innocents du sordide destin qui les attendent en ces lieux.
Un raclement de gorge attire notre attention. Cruzor nous observe avec un froncement de sourcils et un air réprobateur. Je pense que le monsieur veut qu’on se la ferme et qu’on l’écoute.
-Pour les élèves dotés d’un titre de noblesse, d’une situation sociale, politique ou économique importante, d’une intelligence surdéveloppée, de pouvoirs démesurés et autres dans le même genre, sachez qu’entre ces murs tout cela est relégué aux oubliettes. Vous n’aurez ni privilège, ni traitement de faveur. Vous serez tous vêtus d’uniformes fournis par nos soins. Si pour des raisons morphologiques ou autres, nous n’en possédons pas à votre taille ou vos particularités, physiques, nous avons de très bons tailleurs qui pourront vous en confectionner. Si vous possédez votre propre tailleur, le tissu et les consignes de fabrication vous seront apportés. Je tiens à vous signaler que l’usage de votre propre couturier sera la seule entorse au règlement de neutralité et sa confection devra être validée par nos habilleurs.
Tout au long de vos études, vous serez nommé par votre niveau et votre prénom. Apprenti pour les premières années, Affilié pour les deuxièmes et Associés pour les dernières années. Il vous sera attribué un tuteur qui vous suivra pendant toute votre instruction. Il sera tiré au sort parmi les adultes travaillant en ces lieux.
Les temps du lever, des repas, du coucher et de début et la fin des cours seront signalés par le son de la cloche que vous venez d’entendre. Pour ce qui est du règlement et des autres directives, tout vous sera expliqué par vos tuteurs. Maintenant jeunes gens, je vous laisse rejoindre le réfectoire et vous souhaite un bon appétit et une bonne fin de soirée.
Le vieux dragon me jette un dernier regard avec un léger signe de tête et franchit les portes menant vers l’extérieur, avec les porteurs.
Le groupe s’ébranle vers une porte à la gauche du vestibule. Cela doit sûrement être le chemin qui mène à la cantine. Je ne savais même pas qu’il y en avait une. Jusqu’ici, je prenais mes repas dans ma chambre ou dans le bureau du directeur.
Une fois la porte franchie, nous débouchons dans un vaste couloir éclairé par des torches accrochées au mur. Entre celles-ci, sont exposées différentes armes et armures époustouflantes et mystérieuses pour certaines. Au plafond, un superbe caparaçon de dragon fait d’écailles en onyx est suspendu majestueusement. J’avoue que la petite collection qui s’offre à mes yeux me met dans une joie béate. Il y a ceux qui prennent leurs pieds au milieu des étoffes et des froufrous, d’autres, c’est au milieu des livres et des parchemins et bien moi, c’est au milieu d’un arsenal que ma félicité est à son comble.
Bon sang de bonsoir, je veux qu’à ma mort, on disperse mes cendres à cet endroit. J’admire avec émotion cette exposition et découvre avec extase certaines raretés comme ce superbe couteau de lancer forgé et utilisé par un petit nombre d’Aziza. Comment décrire cette petite merveille ? Imaginez un E avec en haut et en bas deux lames tranchantes et en son centre une tête de flèche digne d’un redoutable harpon et au dos de celui-ci la pointe d’une lance acérée. Même si les Azizas sont pacifiques et bienveillants à force d’être persécutés par l’avidité de certains de leurs voisins, ils ont fini par développer un joli arsenal de défense.
Mais dans tout cet ensemble, il y a certains objets qui me laissent relativement perplexe, comme cette baguette faite vraisemblablement en sureau et cassée en deux qui est exposée telle une relique sacrée dans un sarcophage de verre et nichée sur un coussin de velours écarlate. Je ne comprends pas à quoi elle pourrait bien servir, à part peut-être curer le nez d’un troll*.
Je ne dois pas avancer aussi vite que les autres voudront, car je suis arraché de ma contemplation par Mérïa qui me saisit mon bras et me fait accélérer mon pas tout en invectivant un groupe de jeunes filles de : je cite : “un banc de morues desséchées pressées de se faire fumer pour le repas de ce soir”. J’adore cette façon qu’elle a de proférer des insultes imagées et exclusivement dédiées au monde marin, c’est aussi rafraîchissant qu’une brise iodée venant du grand large lors d’un après-midi brûlant. Je crois que ça fait un petit moment que je n’ai pas dit à quel point mon petit chaton réchauffe mon cœur. J’aime trop cette fille.
Nous arrivons au fond du couloir où nous franchissons une large porte à deux battants acculés au mur et nous entrons dans une salle, longue de plus de trois cents pieds et large d’environ deux cents. Elle est composée d’un bon nombre de tables carrées entourées de bancs en bois rustiques. De grandes tapisseries ornent les murs de joyeuses scènes de banquet luxuriant et de cuisine effervescente. D’immenses lustres faits de verre et de flammes magiques éclairent le réfectoire. Mais c’est le centre de cette pièce qui attire mon attention et ma convoitise. Une longue table couverte de victuailles, toutes plus appétissantes les unes que les autres, m’attendent sagement. La marie-morgan qui comme moi, semble attirée par cette sublime odeur alléchante qui se dégage de ce festin et vient titiller nos sens olfactif, s’approche d’un pas égal aux miens vers cette promesse de plaisir orgasmique. Nous nous y servons copieusement et échangeons un regard complice, anticipant déjà la jouissance gustative qui fait frémir nos papilles d’avance.
Nous mangeons dans un silence absolu, complètement absorbées par l’explosion de saveurs et les délicieux parfums de notre godaille. Putain de bordel de merde, que c’est bon ! Cela n’a rien à voir avec la maigre pitance que l’on m’a servi jusque-là. À croire que les petits génies qui ont concocté ce festin viennent, eux aussi, de faire leur rentrée. Je décide, magnanimement, de laisser passer le fait que l’on m’ait imposé jusque-là, un régime rudimentaire et drastique de malade convalescent, pour apprécier ce divin moment. Il serait mal venu de gâcher ce pur instant de jouissance par des pensées de bavardage futile.
Soudain, dans un grand fracas, un plateau se pose brutalement à côté du mien. En voilà un sûrement suicidaire qui vient faire de ses envies de sommeil éternel une réalité.
-Si tu ne retournes pas d’où tu viens, je te promets que tu ne pourras jamais fêter une année d’existence en plus.
-Bien le bonsoir, ma folle furieuse adorée. À ce que je vois tu continues toujours avec tes promesses, mais nous savons toi et moi, mon amour qui brille de mille feux que jamais tu ne pourras me tuer.
Cette voix, ce surnom que je déteste et ces mots d’amour à la guimauve, ne m’avaient pas du tout manqué. Enfin, si un peu quand même. Surtout l’auteur de ces inepties. Que vient faire ce satané hurluberlu ici ?
-Phénix, qu’est-ce que tu fous là ?
-Comme toi, mon adorée, je mange.
Il s’installe, tranquillement, à ma gauche et me sourit de toutes ses dents.
Il est toujours aussi beau. Grand, altier, des traits fins et harmonieux, un concentré de souplesse et de sensualité. Sa peau couleur vanille ressemble à du velours sous la lumière des feux magiques. Ses yeux bridés aux iris rouges, flamboient gracieusement, tels des flammes qui dansent. Ses longs cheveux de feu tombent librement jusqu’à sa taille. Un véritable plaisir pour les yeux dans le genre tout feu, tout flamme.
J’aime énormément ce mec, même s’il est le pire des emmerdeurs. Attention, on se calme. Ce n’est pas la peine de chercher un prêtre ou une belle robe blanche. Je tiens à vous préciser, bande de marieuses en mal de noces que je n’éprouve pas ce genre d’affection pour lui. Loin de là, même. Je considère cet homme comme mon frère de cœur, mon frère d’arme, mon frère d’arène et mon frère de sang. Il n’est pas question, ici, du sang familial, mais du sang que nous avons versé et fait couler lors de nos combats. C’est sur le sable de l’arène sanglante que nos fluides de vie se sont mélangés. Quand nous combattions dos à dos, face à de redoutables adversaires lors de nos deux saisons dans ce lieu redoutable. C’est entouré de ce liquide vermillon que nous avons scellé notre amitié et juré au nom du Père Combattant, dieu vénéré des arènes, d’être toujours un soutien et un allié fidèle l’un pour l’autre jusqu’à la mort. Même si pour lui, la mort se révèle moins définitive que pour moi.
Ce gaillard increvable est un phénix et ces grosses bêtes ont la remarquable capacité de renaître de leurs cendres. Quand il meurt, enfin façon de parler, ils deviennent une torche humaine. Un véritable feu de joie et d’un coup, pfiout ! Dans une explosion, tout est fini et il ne reste plus qu’un tas de poussières grises incandescentes. Tu n’as même pas le temps de comprendre ce qu’il se passe que repfiout ! Une autre explosion de flammes survient et monsieur apparaît frais comme un gardon.
Attention, cela ne veut pas dire qu’il est immortel. Je ne suis pas non plus une blasphématrice. Enfin, si je le suis et pas qu’un peu d’ailleurs donc, je vais nuancer mes dires en disant que je ne suis pas folle ! ? Si, ça aussi, je le suis un peu. Bref, je vais arrêter de faire l’inventaire de mes vices et préciser que j’ai quand même quelques lumières encore d’allumer aux étages et que je sais très bien que seuls les dieux le sont. Immortels ! Je vois bien que vous avez du mal à suivre, car s’il y a bien une chose que les dieux possèdent au même titre que les mortels, c’est bien la connerie et pour ça, ils sont bien gratinés ces cons.
Pour ce qui est du phénomène assis à ma gauche, comme toute créature qui foule cette terre, il finira par mourir plus ou moins vieux selon s’il continue à me faire chier, même si ceux de son peuple sont un peu plus coriaces que nous pauvres faiblards fragiles. Il est comme les cafards, impossible de s’en débarrasser, sauf si tu connais le seul insecticide efficace pour l’exterminer à jamais.
Pour se débarrasser définitivement de ce nuisible, je parle de Phénix et non des cafards, il faut deviner son instant de vulnérabilité, lors de sa première inspiration après sa résurrection. C’est à ce moment-là, suspendu dans le temps que Paf ! Tu l’éclates et Bim ! Il trépasse à jamais. C’est aussi simple que ça. En théorie, car nous sommes bien d’accord qu’en pratique, c’est une autre histoire. Essayez d’observer un tas de flammes ardentes qui respirent. Tu as plus de chance de te cramer les cils et les rétines que de discerner où se trouve le bonhomme dans ce foutu brasier.
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* vous avez pu deviner la ref à l’une de mes sagas préférée. Je me suis toujours demandée ce qu’etait devenu cette baguette. J’ai trouvé. 