Du rêve à la réalité ou son contraire

10 mins

        S’il-vous-plait, une petite pièce, essayait-elle de bien prononcer en anglais.

Please, please

Clémence agita sa casquette, dos contre terre, assise le dos bien adossé sur le mur chaud du célèbre magasin de vêtement Winners, en plein centre-ville.

De l’autre côté de la route, il y avait bien un Mc Donald ou ce serait surement plus facile de gagner de l’argent et de récupérer à manger, mais elle ne sentait pas aussi bas dans sa situation.

        Please, please….

Sa chevelure longue jusqu’aux fesses et d’un blond doré comme les rayons de soleil lui tenait énormément chaud.

Il doit faire au moins 40 degrés, en ce Mardi 15 du mois de Juillet. Une chaleur intense, qui mériterait bien un verre (ou 2) d’eau…

Elle a tellement honte de ce qu’elle fait. Mais comment en était-elle arrivée là ?

Son visage se serre d’un coup, lui donnant un air de noirceur dans son regard si bleu clair comme la mer.

Ses bras se resserrent devant son torse et elle commence à sentir sa tête tourner. Une sensation de vertige…de peur…

Un passant s’arrêta devant elle et lui jeta quelques pièces dans son chapeau.

Ses premières pièces !

Waoooouh

Un regain d’énergie lui traverse le corps. Elle osa lever les yeux vers lui et un « thank you » sortit naturellement de sa bouche.

Ce sont quand même ses premières pièces.

L’espoir était revenu. Un espoir rempli de détresse, mais un espoir quand même.

Elle est assoiffée, affamée.

Très franchement, elle se sent complètement désemparée, triste et en colère en même temps.

        Tu es sûr que la carte bancaire fonctionne? lui avait-elle répété à plusieurs reprises.

        Oui, on vient tout juste de la recevoir et le compte bancaire a de l’argent dessus.

        Ok… Merci !

Sa confiance aux autres ou plutôt sa naïveté lui ont joué beaucoup de tours mais celui-là, elle n’est pas près de l’oublier.

Ses mains devinrent toutes moites et gluantes à force de les passer dans ses cheveux.

Bien sûr, elle avait aussi oublié de prendre son élastique.

Pourtant la journée a bien commencé.

Elle a pris le train à 6h de la garde de Toronto, en direction de London. 2 petites heures de train-sieste pour finir sa nuit, lui avaient donné le sentiment d’avoir un plein d’énergies positives pour cette belle journée.

Elle qui n’avait pas l’habitude de se retrouver seule depuis la naissance de Roméo, elle avait l’impression d’être en vacances.

C’était censé être une journée de vacances, d’exploration et de découverte.

Nouveau projet de vie, nouveau départ.

Nicolas et elle avaient pris la décision de venir s’installer au Canada, après l’obtention du permis de travail « PVT ». C’est un permis de travail pour les personnes, d’origine française, résidants en France et qui ont moins de 35 ans. Ce permis leur permet de venir visiter et-ou travailler au Canada pour une période d’au maximum de 2 ans. D’où son appellation de Permis Vacances-Travail.

Le Québec n’était pas leur destination de premier choix, c’était Colombie-Britannique et en deuxième choix l’Ontario car un de leurs souhaits communs étaient d’apprendre à bien « speak english very well ». Ils auraient aimé lancer cette aventure du côté de Vancouver mais ils avaient estimé que cet état était trop loin de la France, en termes de distance mais aussi en décalage horaire. Douze heures de décalage horaire pour échanger avec la famille et les amis, semblait être un peu compliqué à gérer pour les appels et bien trop loin pour les visites, car oui, ils espéraient avoir de la visite, beaucoup de visites ! Cela faisait un mois qu’ils vivaient dans le quartier « Scarborough » de Toronto, un quartier assez éloigné du centre mais encore où le loyer semblait trop élevé pour eux.

Clémence a visité une maison ce matin, celle qui pourrait être leur prochaine maison. Si elle survit à cette journée….

La maison est située au 4000 Dundas Street, à 15 minutes à pied du centre de London et du célèbre parc Victoria Park.

C’est une maison divisée en deux : à l’étage, l’appartement des propriétaires et au rez-de-chaussée, le logement du locataire. C’est une maison de type anglaise, ressemblant comme deux gouttes d’eau aux autres maisons du quartier. Une façade de briques rouges, arborant une porte d’entrée colorée au-dessus de laquelle une fenêtre arrondie laisse passer la lumière. Ce type de porte date du dix-huitième siècle, où la fenêtre était remplacée par de véritables tympans en pierre, bien plus imposants. Le toit de la maison est recouvert de petites tuiles plates couleur brique. À côté de la porte d’entrée, s’ajoute une « bay-window », composée de trois parties d’arc de cercle, tournées vers l’extérieur.

L’intérieur était assez spacieux avec une cheminée au gaz, une cuisine avec une grande fenêtre donnant sur la cour arrière, 2 grandes chambres et une salle de bain avec une baignoire de maitre. Au sous-sol, il y avait une grande pièce non-finie, avec une machine à laver, sèche-linge et 2 grands étendoirs. La propriétaire lui avait aussi mentionné que l’accès à la cour arrière était permise. Elle a été choquée par le manque d’intimité des maisons. Chaque jardin se ressemble, presque identique et surtout sans clôture pour les séparer. La pelouse respire à profusion et les habitants semblent à l’aise avec ce mode de cohabitation. Pour elle, en tant que bonne française, cela lui faisait bizarre car en France, chaque maison a son jardin clôturé afin de délimiter les terrains, ressemblant à un semblant d’intimité et de bien-être.

La visite a duré près de trente minutes. La jolie dame, aux traits tirés et toute maquillée, s’était bien détendue et a conservée une humeur assez plaisante et souriante durant les bonnes quinze dernières minutes. La visite s’est conclue par un serrage de main, une réponse à donner d’ici la fin de la semaine.

Il n’y avait pas grand monde aujourd’hui dehors à Dundas Street, l’artère principale de la ville. Cela n’allait pas l’aider pour gagner des pièces….

Pas étonnant avec cette température, pensa-t-elle.

Un profond soupir retentit dans tout le corps humide, brûlant sous le soleil intense de la journée. Sa gorge lui fait de plus en plus mal quand elle doit déglutir le peu d’eau présent dans sa bouche.

Elle s’efforça de tresser ses cheveux afin d’en faire un nœud et de gagner du terrain découvert sur son dos et ses épaules.

Un second homme vint lui jeter quelques pièces de façon plutôt désinvolte et nonchalante.

C’est un homme d’apparence très propre sur lui, vêtu d’un costume beige. Sûrement un homme d’affaire à qui le temps lui manque. Mais est-ce la bonne attitude se dit-elle, en le regardant faire.

Elle en a presque des nausées qui remontent. Un tel comportement la rend tellement triste, elle qui prône le respect en tout temps. « Ne fais jamais ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse » murmura t’elle en le regardant s’éloigner.

Elle repense à cet homme qu’elle avait rencontré lorsque la vie lui souriait.

Du haut de ses 24 ans, ce matin-là, elle se sentait satisfaite.

Comme tous les matins, elle partait du 28, rue Aventurin à Montpellier, une petite ruelle typique des vieux villages français, aux allures de grand bâtiment en pierre. Au bout de cette ruelle, le café d’Antoine.

        Un thé menthe poivrée, comme d’habitude, lui lança Antoine, un monsieur bien rondouillet d’une soixantaine d’années, la porte de son immeuble à peine fermée.

        Oui, toujours, répondit Clémence en riant.

Elle sursautait tous les matins au son de cette voix rauque, lorsque le « clac » de la porte se fermant, résonnait.

Décidemment, je n’arriverais jamais à m’y faire, pensa-t-elle.

        Merci Antoine, reprit-elle quand elle s’avança devant lui, tenant sa tasse de thé bouillante.

        Fais attention, c’est chaud !

        Oui je sais, tu me le dis tous les matins, répliqua t’elle, en se tournant, continuant à marcher.

        Bonne journée, lui cria t’elle, accélérant le pas au vu de l’heure, déjà assez tardive.

Son bureau était situé au 20, rue Gambetta, situé dans un quartier très populaire de la ville, mais aussi très près de la place de la Comédie, la place centrale.

Elle en avait pour une vingtaine de minutes de marche et près d’une heure en voiture, dû à la circulation massive des voitures à cette heure de pointe.

Comme la plupart des matins, elle y allait à pied et prenait un réel plaisir à admirer les personnes rencontrées sur son passage.

Elle aimait les observer tout en s’imaginant leurs vies.

La vie de Monsieur Moustache, la vie de Madame Téléphone, la vie de celui qui aimait le café…

Elle avait donné des surnoms à toutes les personnes qu’elle croisait sur son chemin tous les matins de semaine, à la même heure ou presque, au même endroit ou pas loin.

Ça en devenait presque déstabilisant car au bout de plusieurs mois, à croiser toujours les mêmes personnes, au même moment de la journée et tous les jours, elle a eu l’envie de prononcer un « Bonjour », accompagné d’un grand sourire.

Elle s’était dit que ces courts échanges rendraient sa marche, bien plus agréable.

Et… douche froide… Monsieur Cigarette ne lui a pas rendu son « Bonjour » ni même un regard approbateur.

Madame Botox s’est sentie choquée.

Et Monsieur Croissant, lui, a même changé de trottoir.

Assez incroyable quand même pour des gens qui partagent, même sans le savoir, un moment commun dans leurs journées.

        Où va le monde, se répétait -elle à tut tête en faisait des mouvements de la bouche, l’air désespérée quand elle décida d’aller s’asseoir sur un banc de la place de la Comédie, afin de digérer ce manque de civilité extrême.

Il y avait un homme d’une trentaine d’année déjà assis, l’air complètement perdu dans un regard vide d’expression.

        Bon matin, lui dit-elle en s’efforçant de ne pas montrer un signe de contentement.

Puis-je m’asseoir à côté de vous ?, s’empressa t’elle de dire juste par politesse tandis que ses fesses touchaient le banc.

        Oui bien sûr, répondit-il d’un ton neutre.

Plusieurs minutes passèrent dans le silence absolu, laissant place aux bruits des klaxons et des camions qui convoitaient de plus en plus les abords des magasins présents à proximité du banc afin de décharger leurs marchandises.

Clémence sursauta quand il prit la parole :

        Moi, c’est Victor. Et vous ?

        Clémence…enchantée, lui dit-elle toute joyeuse.

        J’ai un conseil à vous donner, Clémence… poussa t-il avec une profonde expiration.

Vous me paraissez encore jeune alors c’est important que je vous le dise.

Les yeux de Clémence sortent de ses orbites tellement elle se sent troublée, inquiète et curieuse à la foi.

Il prit une profonde inspiration et lança :

        Faites les bons choix dans la vie !

Ses yeux se remplirent instantanément d’eau et il en profita pour se lever et dire rapidement :

        Bonne journée !

Il s’enfuya précipitamment, pour ne pas laisser le temps à sa protagoniste de renchérir sur ses dires.

« Faites les bons choix, faites les bons choix », Clémence a ressassé ces paroles toute la journée dans sa tête.

Mais pourquoi il m’a dit cela ?

Est-ce que je le connais ? Est-ce qu’il me connait ??

Y a-t-il un message que je devrais comprendre ?

Elle avait beau chercher mais ne trouva pas de corrélation avec sa vie actuelle.

Elle était en amour avec un bel homme, d’origine tunisienne depuis 4 ans, un emploi créé sur mesure pour elle car elle avait ouvert son bureau de placement de personnel il y a 2 ans maintenant et elle s’y plaît.

Son business marchait tellement bien qu’elle avait employé 4 personnes à temps plein. Un beau et bon défi pour débuter sa carrière professionnelle !

Non, elle ne trouvait pas d’embûche à son bonheur. Tout allait bien dans sa vie.

Plus les jours passaient et plus le trajet changeait de couleurs dans la tête de Clémence. Elle avait arrêté d’imaginer les vies des Messieurs, Mesdames. Seule la vie de Victor l’intéressait.

Mais pourquoi il m’a dit cela ?

Elle allait s’asseoir sur ce fameux banc tous les matins, à la même heure avec l’espoir de le retrouver et surtout, d’avoir réponse à ses questions.

Mais le temps passait et aucune trace de cet inconnu.

Au bout d’une semaine, alors qu’elle n’y croyait plus, un homme s’assit à côté d’elle.

        Bon matin, dit l’homme au regard fuyant

        Bon matin, répondit-elle en se tournant vers lui, impatiente de savoir si c’était la voix de Victor.

Un large sourire se dessina sur son visage lorsqu’elle aperçut sa silhouette et son visage. Oui, c’était lui !

Elle s’empressa alors de continuer à parler, de peur qu’il ne reparte aussi vite que la foi précédente.

        Pour quelles raisons m’avez-vous conseillé de faire les bons choix dans la vie ?

Enfin…je veux dire, reprit-elle en se raclant la gorge…Vous ne me connaissez pas et vous m’avez intrigué avec vos mots….. Pourquoi ?

Les yeux verts persant de Victor se plongèrent dans les siens.

Elle se mit à serrer ses jambes et à coller ses mains sous ses fesses. Un frisson traversa tout son corps. Il se racla la gorge et poursuivit :

        Vous savez…La vie est pleine de surprises…C’est compliqué….

Ses poumons se gonflèrent comme précédemment et ajouta :

        Il y a six mois à peine, j’étais comme vous. Heureux…un peu trop naïf parfois …une bonne situation professionnelle, une maison, une famille et même un chien.

Une famille avec ma femme et mon fils de 2 ans, Arthur.

Un vrai roi de ses peluches ! ajouta-t-il avec une pointe de sourire et de nostalgie.

De grosses larmes inondent ses yeux, qu’il essaya de dissimuler à travers ses doigts mais impossible car la blessure était bien trop grande.

Clémence fouilla dans son sac à main pour trouver des mouchoirs en papier et lui tendit son paquet. Il la regarda dans les yeux avec un léger sourire pour la remercier et poursuivit.

        Et puis…du jour au lendemain tout s’est effondré. Elle m’a quitté, a pris mon fils avec elle, a gardé la maison, le chien, mettant mes affaires dehors. Et une demande de divorce en poche, je me suis retrouvé sans maison, sans femme, sans enfant, sans emploi…

Sa voix se brouillait de plus en plus, noyée dans son chagrin.

Clémence n’osait rien dire, incapable de bouger. Elle l’écoutait.

        Aujourd’hui, je commence à aller mieux. J’ai repris un emploi, un appartement et j’ai entamé les démarches pour réclamer la garde partagée de mon fils.

Clémence était stupéfaite par le désarroi de cet homme mais aussi par sa persévérance et sa ténacité.

Peu importe du pourquoi ou comment il en est arrivé à cette situation, elle lui tendit la main afin de lui apporter un moment de réconfort.

        Je vous trouve bien courageux. Je suis triste pour vous et j’espère que vous allez pouvoir revoir votre fils et partager des moments à deux.

Un long moment de silence, de partage par la pensée et par les énergies des mains liées lui redonna des forces.

        Merci…merci pour tout, lui lança t’il le regard un peu moins tremblant.

Je, je dois y aller, imposa t’il en lui posa sa main sur sa jambe.

        Bonne journée, lui dit-elle, un léger sourire aux lèvres… Et prenez soin de vous, cria t-elle alors qu’il est déjà loin.

        Do you want some water ? Do you…insista la dame, accroupie juste devant Clémence.

Clémence sursauta.

        Euh what ?

        Voulez-vous à boire ? renchérit-elle avec son bel accent anglais

        No, thank you

Clémence se leva d’un coup, se frottant les yeux, consciente qu’elle était partie dans ses rêves. Pendant combien de temps avait elle eu cette absence ?

Effrayée par cette petite dame aux cheveux courts de couleurs poivre et sel mais surtout par son moment d’absence, elle ramassa précipitamment les quelques pièces qui dansaient dans son chapeau puis partit la tête basse et couverte de honte.

Des marteaux invisibles se faisaient une joie de taper sur son front. Sûrement dû au manque de nourriture et de boisson, tout cela sous le soleil torride d’une belle journée d’été.

Tout en marchant, elle repensa à cet homme, Victor, rencontré il y a presque 10 ans déjà.

Comment la vie peut-elle être aussi cruelle ?  pensa t’elle

Sa gorge semblait aussi déserte que le Sahara et son estomac grognait aussi fort que le tonnerre.

Il était 13 heures maintenant et son dernier repas remonte à 6h30.

Ses pas s’accéléraient. Elle avait une idée. Mais pourquoi n’y ais-je pas pensé plus tôt ?  s’énerva t-elle.

Sa démarche n’était pas au point, espérant ne pas s’écrouler au sol. Son regard se floutait sous le soleil insistant. À croire qu’il faisait exprès de la suivre elle, juste elle.

Les 1 kilomètre qui la séparait de son point de chute lui paraissait une éternité. Elle a dû se tenir au mur des rues à plusieurs reprises afin de garder sa trajectoire.

Enfin, elle poussa la porte de la gare des trains. L’air climatisé lui irrita sa gorge sèche et elle se mit à tousser sans répit.

Vite, la salle de bain ! Elle y trouvera, assurément, de l’eau.

Comme la célèbre publicité française disait pour vendre sa barre chocolatée « Mars », un mars et ça repart !

Bien dit, Clémence se sent comblée et reput. Elle a trouvé de l’eau à outrance, de l’air climatisé et même, a pu acheter un de ces célèbres « Mars » afin de ravir son estomac.

Elle sortit son billet de train retour et regarda avec désespoir l’heure indiquée… 17 heures 45…

Son regard se tourna alors vers l’horloge de la pièce. 13 heures 50.

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