Chapitre 6 – Prise de conscience

9 mins

Kalel

Après plus de six ans de recherche, de voyages à travers planètes et galaxies, je suis enfin parvenu jusque ma proie. Après avoir visité tant d’endroit, tous plus étranges et fous les uns des autres, souvent chaotiques et laissés à l’abandon par une population éteinte ou en voie de disparition depuis des centaines d’années, j’ai fini par mettre la main sur elle. 

Il aura finalement fallu que j’échoue sur cette planète insignifiante qu’est la Terre, planète qui d’ailleurs héberge, avec tous ces vauriens d’humains, une grande majorité des enfants déchus envoyés par les traîtres. Pour avoir visité bon nombre de planètes chaotiques, je peux affirmer que cette la vie, ici, est bien trop idyllique à mon goût ; eau et nourriture à foison, aucun monstre à l’horizon, même la gravité si faible facilite la vie de ces faibles humains qui, pourtant, se plaignent à longueur de journée. A croire que les traîtres aient choisi cette planète en connaissance de cause. 

Cela fait maintenant 22 ans que la nouvelle génération a été déclarée talentueuse. A cette époque, père avait encore en tête de créer une armée en accouplant nos plus faibles soldats aux prisonnières d’autres planètes colonisées. Une armée facile à gérer et à faibles coûts selon père. Lorsqu’il a découvert ces nouveaux talents, il s’est tout de suite mis en tête de les conquérir afin d’absorber leur puissance. Mais très rapidement, les traîtres – les quelques parents s’étant attachés à leur progéniture – se sont mis en tête de déjouer ses plans et de sauver leurs enfants. Ils ont donc tout fait pour les envoyer loin de notre planète, Elmetth, au péril de leur vie. 

A l’âge de 25 ans, père m’a alors envoyé en mission dans le but de retrouver ces déchus. Selon lui, l’un d’entre eux devaient posséder un talent particulier, je ne sais toujours pas de quoi il veut parler mais selon lui, se talent serait si grand qu’il lui permettrait de régner sur l’univers tout entier. Depuis la mort de ma mère, il n’a plus que cela à l’esprit, devenir le plus grand des tyrans. Régner sur le monde pour tout mettre à feu et à sang, telle est sa raison d’être. Et nul ne se mettra en travers de son chemin. Pas même moi, commandant en chef de l’armée d’Elmetth, et accessoirement prince héritier du trône. 

Et elle est là, juste sous mes yeux. Si forte mais si tellement faible et insignifiante. Je ne voulais pas y croire, cette fille parait si frêle qu’il est presque impossible d’imaginer qu’elle puisse renfermer un tel pouvoir. Mais tel est le cas, à peine ai-je posé les yeux sur elle que son pouvoir m’a explosé en pleine figure. Comme un vague de chaleur vous traversant le corps, si puissante qu’elle vous en couperait le souffle. Sur le coup j’ai pensé que cela venait de l’idiot qui lui sert de petit ami, mais il est encore plus faible qu’elle, un vulgaire moucheron que l’on écraserait sans le moindre effort. Une créature aussi méprisable ne devrait même pas avoir le droit d’exister, quel gâchis… 

***

Carmen

Mr Ennon m’a finalement libérée et laissée rentrer chez moi. Les muscles encore endoloris, je peine à avancer dans les rues de Lyon, il va falloir prendre son mal en patience…

C’est une Allyx complètement déboussolée et agitée que je retrouve à la maison. Je n’ai même pas pensé à lui envoyer un message pour l’informer de mon état, au moins, à cette distance elle n’aura pas pu lire dans mes pensées, je n’ai plus qu’à les garder pour moi… 

― Où étais-tu passée ?!? Sa voix aiguë reflète à merveille son état d’anxiété, je baisse le menton et fixe longuement mes chaussures, prise par un sentiment de culpabilité. Maman s’est fait un sang d’encre, il m’a fallu lui raconter un mensonge complètement tirés par les cheveux ! 

Elle m’a attrapée par les épaules et ma sauvagement secouée. Les yeux écarquillés je tente de la calmer et pose à mon tour mes mains sur ses épaules. Les images défilent à toute allure dans mon esprit, je les vois se refléter dans les prunelles bleutées d’Allyx qui ouvre la bouche de stupéfaction. Elle cligne trois fois des paupières lorsque j’ai terminé mon récit imagé et finit par reculer et me libérer de son emprise. 

― Tu étais avec monsieur incident ? Pourquoi ne m’as-tu pas prévenue ? 

― Excuse-moi All, je n’en ai pas eu le temps ; entre les explications de Mr Ennon et les souvenirs de l’incendie… 

Son regard s’assombri, s’emplissant de tristesse. Elle détourne le visage en entrant dans le salon. 

― Oui… J’ai cru que tu étais morte toi aussi. C’est dur à imaginer, deux morts, à cause de nous… je la coupe immédiatement. 

― Non ! Moi seule suis responsable, je n’ai pas été assez forte pour maîtriser l’incendie. Avec un peu plus d’entrainement je suis sûre que je serais parvenue à les évacuer… 

Je soupire tandis que mes épaules s’affaissent sous le poids de la culpabilité, j’aurais préféré ne pas en parler mais avec Allyx c’était perdu d’avance… 

Je l’informe de mon état de fatigue et lui dis que je souhaite me coucher. Je monte ensuite jusque ma chambre et découvre mes affaires étalées sur mon bureau. Je me souviens les avoir laisser tomber au moment de rentrer dans cet immeuble en feu, Allyx a surement dû les ramasser en repartant. 

N’ayant pas le courage de sortir mes cours, je file tout droit vers la salle de bain où je fais couler la douche brûlante. La morsure de l’eau chaude n’est rien comparée aux brûlures laissées par les flammes. En me lavant, je remarque que les traces de brûlures ont déjà commencées à s’estomper, même les cicatrices laissées par les plaies ne devraient être qu’un simple souvenir d’ici demain, un souvenir qui pourtant restera à jamais gravé dans ma mémoire… Je me frotte vigoureusement la peau dans l’espoir de me débarrasser de ses traces sur mon corps, des empreintes des deux victimes de l’incendie, mais en vain : plus je frotte et plus j’ai l’impression de voir les marques foncer et se faire plus visibles, alors je frotte encore… 

En sortant de la douche, je fonce m’échouer sur mon lit et me recroqueville dans mes couvertures, c’est alors que je laisse mes larmes couler le long de mon visage. Je finis par fermer les paupières et sombrer dans un sommeil mouillé de larmes… 

***

Les flammes me mordent le visage. Je ne sais plus où je suis, ni pourquoi je suis là. Tout ce que je vois autour de moi c’est ce paysage de flamme qui ne me laisse aucune chance de fuite. Soudain, j’entends des cris de douleur et des silhouettes se dessinent dans le champs de flammes. Ils sont des centaines à s’avancer vers moi, des centaines de corps enflammés qui avancent bras tendus vers moi en m’accusant de les avoir abandonnés, de les avoir laissés brûler sans rien faire… je tente de reculer mais la morsure des flammes est telle que je lâche une plainte de douleur.

Mon cœur s’affole, les silhouettes se rapprochent dangereusement de moi. J’arrive presque à sentir leur chaleur m’envahir et me brûler la peau. Ils continuent leurs accusations. 

―Tu nous as tous tués… Toi seule es responsable de notre mort. Tu dois payer. 

Il se rapprochent un peu plus de moi et je m’écroule à genou en m’attrapant la tête entre les mains et hurle. Je hurle pour qu’on me libère, pour qu’on me laisse tranquille. Faites qu’ils sortent de ma tête, faites que ça s’arrête ! Je continue de hurler même quand les flammes s’atténuent et que les voix s’éteignent pour laisser place à un silence de mort. 

Je relève mon visage beigné de larmes lorsque le calme s’impose. Il fait tout à coup complètement noir, je n’y vois plus rien. Je me relève et m’aventure dans cette pénombre. Un halo se dessine au fur et à mesure que j’avance, dans lequel se dessine une silhouette qui grossit de plus en plus. La silhouette n’est plus qu’à quelques mètres de moi mais je n’en distingue toujours pas les traits. Puis, le halo de lumière s’intensifie. Je plisse les paupières, éblouie par tant de clarté. Tandis que mes yeux s’habituent à la lumière, la silhouette se précise. Je la vois s’avancer vers moi et se préciser, j’en aperçois les formes et les couleurs. Puis c’est le choc. Mon souffle s’accélère en même temps que mon rythme cardiaque lorsque je le reconnais : Mr Ennon. 

Son regard est dénué d’émotion. Il m’observe comme s’il regardait un simple objet et me pointe du doigt. Sa voix me glace le sang. Ce qu’il me dit résonne alors dans la pénombre et dans mon esprit, je suis tétanisée tandis qu’il me répète encore et encore… 

―Tu les as tous tués… 

***

Je me réveille en sursaut, trempée de sueur et tremblante comme une feuille. Le cœur cognant dans ma poitrine, je porte ma main droite jusque mon front et tente de me calmer. Un fichu cauchemar… ce n’était qu’un fichu cauchemar… très réaliste mais seulement un cauchemar…

Tournant la tête vers la droite, je regarde rapidement mon réveil : il indique 3h27 du matin… Génial… Je quitte mon lit et me dirige vers la cuisine pour me servir un verre d’eau. 

Tout le monde dort à cette heure-ci. Tout le monde ? Non, pas moi. Et je ne risque pas de retrouver le sommeil avec ces horribles visions… 

***

Le retour à la réalité est plus dur que prévu… dans les couloirs de l’université, la rumeur d’un incendie causé par des détraqués est dans toutes les discussions : on maudit ces satanés détraqués d’avoir voulu intervenir et aider les victimes, certains disent même que ce sont les détraqués qui sont à l’origine de l’incendie, on parle d’une rébellion de la part de notre espèce, nous nous serions attaqués à ces pauvres habitants sans défense. J’ai l’impression de me prendre une gifle. Ça me met véritablement hors de moi ! Mais bien vite, la colère laisse place à la culpabilité lorsque l’on parle des deux décès dû à l’incendie. Ils ont raison, en un sens. Si je n’avais pas eu cette pensée idiote de vouloir maîtriser l’incendie alors que je ne suis même fichue de maîtriser la flammèche d’une simple bougie, il n’y aurait pas eu de morts.

― Peut-être, mais peut-être qu’elles seraient également mortes tout comme ces autres habitants que nous avons pu sauver de l’incendie… 

Allyx ne voit pas les choses comme je les vois… elle n’a ni assisté à la mort de ces personnes, ni vécu un échec cuisant avec son don. C’est vrai, c’est beaucoup plus facile pour elle de lire les pensées et de contrôler les émotions des autres, combien de fois ais-je voulu pouvoir échanger nos dons ! 

― Par ce que tu crois que c’est génial d’entendre tout et n’importe quoi à longueur de journée, même le chat je l’entends, même quand vous dormez, j’entends vos pensées ! Moi aussi, j’ai voulu échanger mon don avec n’importe quel autre don, tu crois peut-être que c’est agréable et encouragement d’entendre toutes ces remarques à mon sujet, ou même à ton sujet ; monstre, sorcière, démon… et j’en passe ! Je me suis entraînée longtemps pour parvenir à ne plus entendre ce qui ne m’intéresse pas… J’ai dû m’entraîner longtemps pour réussir à faire le tri. 

Ses paroles me font l’effet d’une bombe. Je n’avais jamais imaginé à quel point son pouvoir pouvait être pénible, en fait, j’aurai dû m’en douter… combien de fois l’ai-je vue abattue et complètement dévastée après avoir entendu certaines critiques, combien de fois ai-je dû supporter ses pleurs sans pouvoir rien faire, combien de fois ai-je essayé de lui remonter le moral, en vain… 

― Je suis désolée… 

C’est peut-être petit de ma part, mais c’est la seule chose que j’arrive à lui dire. 

***

Libérées par le gong…

Après quatre longues heures de cours avec madame Rupendez, nous sommes tous heureux de quitter cette prison qu’était l’amphithéâtre dans lequel nous avons presque toujours cours. Quatre heures à parler des droits civils et pénaux des hommes, à parler litiges, sentences, justice… c’est long quatre heures… 

Pourtant, je ne suis pas pressée de quitter ma prison, il est 18h et dans moins de cinq minutes je vais retrouver l’effroyable Mr Ennon pour ma première leçon de maîtrise de mon pouvoir. Je ne sais vraiment pas à quoi m’attendre, je me suis imaginée tout un tas de scénarios : arènes perdues au fin fond du monde, volcan en éruption, professeur diabolique qui se transforme en une sorte de monstre à trois têtes… j’en ai la chair de poule… 

Bien-sûr, Allyx, n’a pas loupé une miette du spectacle, ce qui lui a au moins permis de passer un bon moment et de ne plus se focaliser sur les autres. Alors qu’elle m’entraîne hors de l’amphi, je cherche à gagner du temps en traînant les pieds, elle lève les yeux au ciel en m’attrapant par le poignet pour me faire avancer plus vite. 

― Allez, avance ! Cerbère ne va pas te manger voyons ! 

C’est fous ce que ça me rassure tient ! L’image du monstre a trois têtes couvertes d’écailles et surplombé d’ailes de chauves-souris s’impose à mon esprit ce qui fait rire Allyx. Moi qui voulais faire la fière et rester sereine pour l’entrainement, c’est raté… 

***

A peine avons-nous franchi les doubles portes de l’amphi que je l’aperçois, adossé contre un mur avec, dans les mains, ce qui ressemble à des notes de cours. Le nez plongé dans sa lecture, il lève soudainement le regard en direction d’un brouhaha causé par la marée d’étudiants pressés de rentrer chez eux.

Je n’avançais déjà pas très vite, mais en rencontrant son regard, je me fige, incapable d’avancer un pied devant l’autre. Angoissée à l’idée de me retrouver seule avec lui, je sens mon estomac se contracter douloureusement et ma respiration s’emballer. J’entends la voix d’Allyx me rassurer alors qu’elle me tire doucement par le bras. Elle non plus n’est pas rassurée de me laisser avec lui, mais je n’ai pas le choix, l’échec cuisant lors de l’incendie doit être le dernier. 

Alors que son regard se plante dans le mien et que je tente de maîtriser mon angoisse, je le vois s’avancer vers moi en rangeant soigneusement ses notes. Un sourire amusé fiché sur le visage, il croise les bras et s’arrête, une fois arrivé à ma hauteur. Bien que j’aurais dû sentir la panique m’envahir, la peur que j’ai ressenti il y a quelques secondes s’évanoui soudainement, je sens mon cœur affolé s’apaiser et ma respiration retrouver un calme décent. Le regard perçant qu’il me retourne m’attire irrémédiablement à lui, je suis hypnotisée par cette lueur qui luit dans ses iris. Comme si son regard pouvait me réchauffer, je sens une douce chaleur envahir mon corps, mes muscles se détendent et la peur me quitte définitivement. 

Son sourire s’agrandit tandis qu’il me demande d’une voix chaude et posée. 

― Prête ? 

Sa voix me procure un délicieux frisson et je ne peux m’empêcher de m’approcher un peu plus de lui. Je hoche alors la tête et fais signe à Allyx qu’elle peut nous laisser. Celle-ci fronce les sourcils mais s’exécute. Je ne saurais expliquer ce soudain changement, mais c’est comme si je connaissais cet homme depuis toujours, comme si je pouvais lui faire confiance. Je me sens parfaitement apaisée en sa présence. 

Il me fait alors signe de le suivre et nous quittons le bâtiment. 

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