J’ai pris place dans un des fauteuils en skaï vert du couloir. Je suis en avance, un peu inquiet. Il n’y a personne, je vérifie la date et l’heure indiquées sur la convocation. Une infirmière s’approche.
– A quelle heure avez-vous rendez-vous ?
– A 15h30, je suis en avance.
– Le rendez-vous de 15h00 ne s’est pas présenté, venez avec moi.
J’entre dans le bureau, m’assieds sur la chaise en plastique, également de couleur verte.
– J’ai une apprentie avec moi aujourd’hui, cela ne vous dérange pas qu’elle assiste à l’entretien?
Je lui réponds que non.
– Vous venez bien pour un test HIV ?
Je réponds par l’affirmative
– Souhaitez-vous que nous contrôlions d’autres infections sexuellement transmissibles comme la gonorrhée, la syphilis, la chlamydia, l’hépatite A, B et C ?
– Je prends le package complet, oui.
– Avant de procéder au prélèvement, si vous êtes d’accord je dois vous poser quelques questions :
Pourquoi souhaitez-vous faire ces analyses ?
– Je débute une nouvelle relation et nous sommes convenus de nous faire tester.
– Depuis quand entretenez-vous cette relation ?
– Depuis plusieurs mois… Je mens car je sais qu’il est recommandé d’attendre trois mois après une exposition sexuelle.
– Entretenez-vous une relation homosexuelle ?
– Non.
– Avez-vous entretenu une relation homosexuelle ?
-Non.
– Pratiquez-vous le Chemsex ?
– Je ne sais pas ce que c’est ?
– C’est s’engager dans des relations sexuelles sous l’emprise de drogues
– Si l’on considère le champagne et le gin & tonic comme des drogues, c’est oui !
L’infirmière sourit.
– Utilisez-vous le préservatif ?
– Oui la plupart du temps.
Sur le bureau il y a un présentoir avec toutes sortes de condoms. J’hésite à en prendre quelques exemplaires et me ravise.
D’autres questions suivent, d’ordre plus général et l’infirmière procède enfin au prélèvement sanguin.
C’est l’apprentie qui me pique. Elle s’y prend à plusieurs reprises. L’infirmière lui dit de presser fort le bout de mon doigt qui consent enfin à donner sa goutte de sang.
– Nous aurons le résultat dans environ 30mn. Pendant ce temps vous pouvez aller remplir le gobelet, les WC sont à côté.
Ma miction accomplie, je retourne m’asseoir dans le fauteuil vert du couloir.
Il y a cette fois un peu plus de monde. Surtout des femmes. Nous nous jetons des regards en coin, l’atmosphère est un peu lourde. Les minutes passent lentement.
Je feuillette une vieille édition de l’Illustré avec un reportage spécial sur le mariage de Meghan Markle et du prince Harry.
Je me demande s’il est passé par un site pour rencontrer son actrice américaine ?
Je n’en peux plus de ces plans d’un soir, de ces rencontres arrangées qui finissent inexorablement dans un lit. Je connais le scénario par cœur, répète les mêmes histoires. Le naturel est devenu une procédure standardisée que j’applique comme un automate. Je suis devenu le représentant de moi même, l’argumentaire toujours identique, la conclusion toujours la même. Je soliloque, mes propos sont vides de sens, me déshumanisent. Plus je suis détaché, plus j’intéresse, plus j’intrigue. Je sais quand elle sera prête à accepter mon premier baiser, quand elle aura décidé de me suivre, quand elle s’offrira. Parfois je fais durer, je m’auto sabote, pour avoir le plaisir de reprendre la main. Je ne donne rien, je prends, consomme, suis consommé, puis à nouveau c’est le vide. L’envie reprend normalement après quelques jours et je retourne consulter mon profil et les messages qui m’attendent.
Je ne suis plus qu’une carapace, mon cœur ne pompe plus que du sang, l’émotion m’a quitté, les sentiments ont disparu. Ma bouche est remplie de gravier, mon sexe est de silex, ma peau une écorce desséchée, mes mains s’engourdissent, mon âme s’étiole, je ne sens plus rien.
Les 30 minutes se sont écoulées, l’infirmière ne réapparait pas. Mes cuisses sont moites, des gouttes de sueur froide perlent dans mon dos, ma chemise colle. J’ai envie de m’enfuir, une peur indicible s’empare de moi malgré mes efforts pour penser à autre chose.
Une photo de Meghan portant une jupe au dessus du genou, fait jaser les commentateurs royaux. La duchesse de Sussex, comtesse de Dumbarton, baronne de Kilkeel, doit à présent se conformer à son prédicat d’altesse royale.
Je me demande s’ils ont passé un test HIV avant de se marier ? Avaient-ils comme moi ce moment de doute, où tout peut basculer.
L’infirmière me fait signe, cela fait 45 minutes que j’attends. Son visage est de marbre. Si au moins elle pouvait sourire, me dire que tout va bien.
Elle m’invite à prendre place sur la chaise en plastique. J’ai l’impression que l’apprentie a éloigné sa chaise de la mienne. Elles sont côte à côte, me font front. Je suis seul en face du présentoir à capotes, j’aurais dû en utiliser plus souvent.
– Votre convocation porte le numéro 756897. Le test comporte le même numéro. Voulez-vous vérifier.
Les numéros correspondent, la date de naissance, pour double contrôle, est bien la mienne.
– Votre test est négatif, dit-elle en me remettant un formulaire muni d’une vignette verte indiquant Négatif en caractère gras.
Je respire enfin, sans trop montrer mon soulagement.
– Conservez votre convocation, vous devrez revenir dans 15 jours pour les autres résultats.
Je suis de retour chez moi, un verre de gin & tonic bien tassé dans la main. J’allume une Davidoff, m’installe sur le rebord de la fenêtre. Une mésange à longue queue s’est posée sur la barrière en fer forgé de l’autre côté de la cour. Je l’observe sans bouger jusqu’à ce qu’elle prenne son envol. Je prends mon téléphone portable, me connecte sur le site de rencontre et relis mon profil, attentivement, longuement. Des messages sont en attente.
Je clique sur « annulation du compte ».