Carmen
– « Il faut qu’on parle… »
J’ai beau lire et relire le message de Danny, je ne parviens pas à me rassurer quant au sens de sa phrase. « Il faut qu’on parle », ça ne présage jamais rien de bon. Non ?
– « On peut reporter cette discussion à demain, je ne me sens pas très bien… »
Je fixe un instant mon téléphone puis finis par le relâcher et le ranger dans mon sac en comprenant que Danny ne me répondra pas. Je ne suis vraiment pas d’humeur à avoir une longue et houleuse conversation avec lui. J’aimerais simplement rentrer, me glisser sous ma couette pour y hiberner des jours durant.
J’ai l’impression que cela fait une éternité que je suis assise aux côtés de Kalel, sur le siège passager de son vieux tas de ferraille mais cela ne fait que dix minutes que nous roulons… J’observe le paysage défiler lentement sous mes yeux et soupire d’ennuie, mais surtout de frustration. J’aurais simplement voulu rentrer seule chez moi, quitte à rentrer à pieds, mais pas avec lui, pas après ce qu’il s’est passé dans cette chambre forte. J’ai beau essayer de chasser les images de l’incendie, celles-ci ne quittent toujours pas mon esprit.
– « Je suis désolé, je ne pensais pas que ça te mettrait dans cet état ».
Je tourne brusquement la tête vers lui et le fusille du regard, il le fait exprès ma parole ! Il pensait réellement que j’allais savoir affronter les flammes, les cris et les plaintes des habitants… Je détourne mon visage en secouant la tête. Je fixe de nouveau le paysage ; je perçois un corbeau au loin, qui plane tranquillement et librement dans le ciel. Je souris. Il se dirige vers la forêt. J’essaie de suivre son vol mais, bientôt, il disparait au loin, vers les rayons du soleil couchant. Veinard…
***
Il n’a plus rien dit depuis cet affront, pas même un son ni une pensée, rien.
J’arrive enfin chez moi, épuisée et dévastée. A peine ai-je ouvert la porte que maman me saute dessus pour me serrer dans ses bras en me submergeant de question. « Ou étais-tu, que faisais-tu, pourquoi ne m’as-tu pas prévenue ? », peut-être par ce que c’était le rôle d’Allyx… Cette lâche était censée me couvrir mais j’ai comme l’impression qu’elle l’a oublié…
Ma tête se mets déjà à tourner sous le coups des questions et à cause de la fatigue. Maman me sert un peu trop contre elle et je commence à étouffer. J’essaie de me dégager doucement de son étreinte, en essayant de ne pas la vexer.
– Demain les questions maman… Je vais me coucher, bonne nuit.
Fort heureusement pour moi, elle ne m’en empêche pas et me souhaite une bonne nuit avant de me serrer une nouvelle fois dans ses bras et de m’embrasser sur le front. Elle me laisse finalement monter tranquillement dans ma chambre.
Je ne prends même pas la peine de me changer et m’écroule sur mon lit, tête la première sur l’oreiller. Je m’enroule dans ma couette et souris, heureuse d’avoir retrouvé mon chez moi. Je retire et jette négligemment mes chaussures et m’installe confortablement dans mon lit avant de fermer les yeux et de lentement sombrer dans les bras de morphée.
Je me réveille en pleine nuit avec c’est étrange sensation d’être surveillée et observée. Je grogne et me roule sur le ventre cherchant à me rendormir mais cette sensation ne s’apaise pas. Au contraire, j’ai toujours cette horrible sensation que quelqu’un m’observe. Puis je sens une présence dans mon dos. Une énergie faiblement camouflée que je parviens tout de même à distinguer, mais je suis encore trop endormie pour reconnaitre cette énergie. Je me redresse vivement, trop vivement même puisque qu’un violent vertige me prend. Je plaque ma main contre mon front en fronçant les sourcils et, à tâtons, je cherche l’interrupteur de ma lampe de chevet pour l’allumer. Rapidement, la pièce est plongée dans une lumière tamisée qui ne m’aveugle pas et je regarde autour de moi. Rien. Ma chambre est vide, je ne distingue pas même une ombre dissimulée derrière un meuble. Mais cette énergie est toujours présente. Je la sens, de plus en plus distinctement, je commence même à la reconnaitre, puis… plus rien. Elle s’est envolée. Frustrée, je grommelle avant d’entendre un bruit suspect sur mon balcon.
Je fonce jusque sur mon balcon et me penche au-dessus de la rambarde. Il n’y a pas un bruit dehors, pas même un mouvement me témoignant la présence d’un intrus.
En retournant dans ma chambre, je perçois un mouvement furtif du côté de mon lit. Ma magie commence déjà à gronder dans mes veines, mon rythme cardiaque s’accélère et j’ai les jambes flageolantes. J’avance à pas feutrés en direction du lit. Mon cœur ne cesse d’accélérer. J’avance encore un peu et il bondit sur moi.
Le chat…
***
– Vas-tu me dire ce qu’il t’arrive ? Tu n’es pas dans ton assiette, tu agis bizarrement et tu ne m’adresse presque plus la parole depuis plusieurs jours déjà…
La tempête Danny fait des ravages avec ses questions, et ça n’est pas près de se calmer. J’essaie de le rassurer depuis bientôt une heure mais rien n’y fait. Il continue de faire les cent pas dans ma chambre et je dois avouer qu’il commence à me donner le tournis à force de tourner en rond comme il le fait. Depuis l’arrivée de Kalel à l’université, Danny est sur la défensive, il semblerait presque jaloux. Même s’il est vrai que mon comportement ait changé depuis son arrivée, je ne peux tout bonnement pas lui dire qu’il est une sorte de détraqué lui aussi et qu’il m’aide à maitriser mon pouvoir. Mais que cet idiot a voulu me faire revivre l’incendie pour maitriser le feu et surmonter ma peur, et que depuis le simple fait de repenser à ses flammes caressant mon corps me terrifie et m’angoisse au plus haut point. Non, je ne peux pas lui dire ça, d’autant plus qu’il n’est pas au courant de l’épisode de l’incendie.
Il grogne et se prend la tête entre les mains en faisant un énième tour dans ma chambre. Puis il s’arrête brusquement en me pointant du doigt.
– Pourquoi tu ne veux pas me parler, depuis qu’il est là j’ai l’impression que tu t’éloignes de moi et que tu me caches des choses.
Je me mets à rire, ce qui l’énerve d’autant plus mais je ne peux pas m’en empêcher, la situation ainsi que ses accusations sont vraiment risible.
– C’est d’un ridicule voyons, tu sais parfaitement bien qu’il y a certaines choses que je ne peux pas te dire, j’aurais trop peur de t’attirer des ennuis et de te mettre en danger.
Je me lève de mon lit et m’approche de lui. Je l’attrape par les épaules et l’attire à moi mais il me repousse. Fronçant les sourcils, avance furieusement vers moi et appuie son doigt contre ma poitrine, me forçant à reculer. Mes mollets se cognent contre mon lit et je suis forcée de m’y assoir, me donnant l’impression d’être beaucoup plus petite et plus faible que Danny. Il me fait peur quand il est comme ça, lui qui ne ferait pas de mal à une mouche, il peut s’avérer violent sous le coup de la colère.
– Arrête de me prendre pour un con, tu me sors toujours les mêmes excuses, mais ça ne fonctionne pas cette fois-ci. Je suis sûr qu’il se passe un truc avec le nouveau.
– Mais arrête un peu, pourquoi j’irais voir ailleurs, tu sais parfaitement ce que je ressens pour toi. Je ne suis pas comme toutes ces filles qui te tournent autour juste pour tes belles fesses et tes beaux yeux. Tu sais parfaitement que je t’aime.
– En ce moment, j’en doute. Je suis sûr que tu me cache quelque chose, et je compte bien le découvrir.
– Ça suffit sors de chez moi, ça ne nous mène à rien de nous disputer. Laisse passer la colère et quand tu seras plus à même de discuter alors nous pourrons discuter. Mais pour l’instant sors.
J’ai horreur de me disputer avec Danny, ça n’arrive pas souvent mais lorsque c’est le cas ça ne se passe pas très bien et je culpabilise toujours de ne pas avoir trouvé de solution. Mais pour l’instant, pas de culpabilité, je suis bien trop énervée pour ça.
Il finit par quitter ma chambre et la maison en claquant la porte au passage. Je m’écroule alors sur mon lit, plaquant le dos contre celui-ci, et me prend la tête entre les mains prise d’une violente migraine.
Je suis hors de moi. J’inspire calmement et profondément, et tente de me calmer et de ralentir de mon cœur qui s’est emballé à cause de notre dispute. Mais rien y fait, je n’arrive pas à me sortir son regard furieux et ses insinuations de ma tête. Mon cœur bat toujours beaucoup trop vite, ma respiration est chaotique et je remarque que je tremble comme une feuille. Il va falloir que je trouve un moyen d’évacuer ce trop-plein de colère…
Alors à mon tour, je sors de ma chambre et me dirige vers l’entrée. Je croise maman qui me fixe de ses yeux ébahis. Je la regarde un instant et soupire. Elle hausse les épaules comme pour dire, tu n’y peux rien s’il ne comprend rien à rien… Enfin je ne suis pas si sûre qu’elle pense réellement cela, il faudrait que je demande à Allyx.
Je finis par quitter la maison, sans claquer la pauvre porte cette fois-ci.
***
L’avantage quand on n’habite pas dans le centre-ville à Lyon c’est que, premièrement il n’y a personne pour roder autour de votre maison, même quand vous êtes classés détraqués, et deuxièmement, vous bénéficiez des grands espaces boisés qui entourent votre maison. Enfin pas toutes les maisons non plus, mais c’est le cas pour la mienne. Une fois la maison contournée, je me retrouve dans un autre monde, bien plus calme et bien moins dévastateur que celui dans lequel j’évolue habituellement, ou dame nature est maitre incontesté des lieux.
J’inspire à plein poumon, sourire aux lèvres. La fraicheur de la soirée et l’air pur de la forêt me font un bien fou. Ma migraine est bientôt un lointain souvenir lorsque je m’enfonce un peu plus dans la forêt – enfin, je la considère comme une forêt, à partir du moment où il y a plus de vingt arbres les uns à côtés des autres il s’agit d’une forêt – et avance tranquillement et sereinement jusque l’étang situé non loin de la maison. Encore un autre avantage à ne pas habiter dans le centre-ville ! Agenouillée au bord de l’étang, je me penche délicatement vers l’eau pour en caresser sa surface de ma main. L’eau froide est aussi revigorante que l’air frais, même plus encore.
Je me perds un instant dans la contemplation de ce lieu, magnifique à mes yeux. Le coucher du soleil qui se reflète sur l’étang donne des ton rouges et oranges au ciel qui ne comporte pas un seul nuage. Ces couleurs de fin d’après-midi donnent un éclat magique à ce lieu qui a bercé mon enfance. Alors je ferme les yeux et me laisse rêver en me concentrant sur mes autres sens. J’entends une légère brise agiter les feuilles et les branchages des arbres, les quelques animaux gambader autour de moi, sans aucune peur. J’entends également l’eau s’agiter, animée par le vent qui se lève progressivement et par ma main qui continue de la caresser.
Tout est toujours si calme ici, le lieu idéal pour se reposer, évacuer son stress. Mais également pour travailler la maitrise de ma magie.
La main toujours plongée dans l’eau, je me concentre sur la sensation du contact de l’eau sur ma main, sur la sensation de fraicheur et de douceur enveloppant ma main. Déjà, je sens ma magie battre dans mes veines et se précipiter jusqu’au bout de mes doigts. Je n’attends pas plus longtemps et la laisse sortir. Rapidement, la sensation de fourmillement se répand dans tout mon corps tout en étant plus intense dans mon bras et plus encore dans le bout de mes doigts. J’ouvre les yeux et observe amusée l’eau s’animer à mon contact. Du bout du doigt, je la fais bouger pour tracer des formes en tout genre sur la surface de l’eau. D’abord une forme circulaire, puis carrée ou encore triangulaire. Je sors la main de l’eau et continue à user de ma magie. L’eau suit le mouvement de ma main, comme un aimant elle semble attirée par ma main, et rapidement un serpent d’eau jaillit de l’étang pour aller se reposer dans la paume de ma main. Je l’observe alors, s’installer confortablement dans ma main dans un tourbillon ruisselant. Je le vois doucement se réanimer et recouler vers l’étang. Puis le serpent se mue en sphère que je promène dans les airs, que je divise en une multitude d’autres petites sphères. Finalement je relâche l’eau dans l’étang et me relève lentement, sentant la fatigue me gagner rapidement. Je manque de tomber en sentant un léger vertige m’envahir. J’ai du trop forcer sur la magie. Mais Kalel avait raison, même si l’entrainement ne s’est pas passé comme je l’aurais voulu, il était efficace et bénéfique.
Génial… Je vais devoir m’excuser auprès de lui si je veux pouvoir poursuivre mes entrainements. J’espère seulement qu’il n’est pas rancunier et qu’il acceptera de me reprendre sous son aile. Car je dois l’admettre, j’ai besoin de lui et de ses entrainements pour devenir plus forte encore.
– « Alors comme ça, tu as besoin de cet idiot qui a voulu te confronter à tes peurs ? »
Honteuse de l’avoir insulté de la sorte, je me sens rougir et me mets à me dandiner d’un pied à l’autre. Comme s’il pouvait me voir.
– « Nous reprendrons les bases lundi soir après les cours, et cette fois-ci tu n’as pas intérêt de critiquer ma méthode d’enseignement, c’est l’unique chance que je te laisserai, donc à toi de voir si cela te convient. Je te laisse le week-end pour te préparer mentalement et re reposer. Tu vas en avoir besoin ».
Je souris et secoue la tête de gauche à droite, donc oui, il n’est pas rancunier.
– « Ça c’est encore à voir… ».
Je ris, rassurée et soulagée de pouvoir continuer les entrainements. Par contre, il est pire qu’Allyx. Je peux dire adieux à mon jardin secret. Impossible de garder ses pensées pour soi avec deux télépathes… Mais ça me convient.
– « De toute façon tu n’as pas d’autre choix que de t’y faire ».