Avertissement
– Aux lecteurs neuro-atypiques : le meilleur reste toujours à venir, je te dédie ce présent…
– Aux lecteurs neurotypés : je suis l’anormal de service, égal en essence mais insondable sous son étiquette. Ressens la violence des étiquettes et hisse-toi par dessus, vers l’indéfini et au-delà…
– Aux machines : game au vert mes jolies, j’ai appuyé sur All Risette !
Préface de l’auteur
Petit, je n’étais peut-être pas grand mais j’étais au paradis des enfants. Je baignais dans une lumière chaude et dorée, les couleurs étaient vives et intenses, les adultes étaient doux et gentils avec moi. C’était beau et rassurant, tout était en ordre pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Plus tard en âge de raison, j’ai bu et mangé à la table de l’homme moderne. L’homo sapiens-sapiens est mon groupe d’appartenance, mais son monde m’est apparu sacrément lâche et imparfait. La nature grégaire de cet hominidé m’a longtemps torturé l’esprit, jusqu’à l’isolement. Une traversée du désert qui dura quarante ans.
Aujourd’hui, tant pis pour le politiquement correct. J’assume mon atypisme et me risque à l’exprimer. Peut-être certains lecteurs se retrouveront-ils dans les savoir-être qui transparaissent dans cet écrit, d’autres possiblement s’offusqueront-ils de ma façon de percevoir le réel…
La fiction a été pour cette raison un vecteur commode pour transcrire ma perspective et ses réflexions, un premier essai qui ici pose la question de l’intégrité face à la prédation. Qu’en disent nos droits de l’homme et du citoyen ? Liberté, égalité, fraternité ? Des mots forts, à méditer.
Ma courte fiction s’adresse aux personnes hypersensibles piégées dans leur placard, mais aussi à tout chercheur de vérité :
« Voulez-vous sortir avec moi ? Je veux dire, de votre placard ?
Savez-vous faire un choix ? Savez-vous ce que vous voulez ?
Pour oser la différence, lâchez d’abord les costumes qui boudinent
Recentrez-vous le temps d’une pause et respirez en pleine conscience…
Le Cœur connaît la Joie et se réjouit toujours d’en éclairer les voies
Consentez à son langage lumineux et plongez en son chant amoureux
Accueillez ses messages, et projetez-vous dans ses plus belles images»
La pensée est créatrice, et une projection sans victime est une projection sans bourreau. On reconnaît une victime à son aisance naturelle à se projeter dans une situation anxiogène. Sa vigilance est automatisée en mode « menace imminente » et tout son être se met à vibrer naturellement à cette fréquence, à la moindre pseudo-alerte. Tendue et prête à l’action, elle tape ordinairement sur le premier venu avant même de saisir le tableau dans son ensemble… attirant tristement un bourreau qui, sommeillant alentour, répond alors courtoisement à l’invitation. Accordez-moi ce raisonnement spontané :
« – D’un côté, nos inconscients cohabitent les mêmes plans subtils
– Oui, tu es en accord avec la pensée de Jung
– De l’autre, un phénomène de résonance lie les fréquences entre elles, notamment à l’octave
– Oui, tu es en accord avec le théorème de Fournier
– En musique, l’octave double les fréquences qui alors se superposent à l’unisson, et chaque note fait résonner les fréquences les plus en accord avec elle. On peut supposer que de la même manière, une projection mentale résonne en harmonie avec d’autres projections en phases parallèles. Certainement une histoire de polarité si… mais là je passe peut-être du coq à l’âne…
– Oui, tu te demandes si tu peux à juste titre passer du coq à l’âne
– Ben attends, y font quand même bien partie du même monde !!
– Oui, tu affirmes que les coqs et les ânes habitent le même monde »
Une force magnétique tangible rapproche victimes et bourreaux. Cette force transparaît clairement dans l’analyse des transactions humaines d’Éric Berne. Les polarités s’attirent, se repoussent, s’échangent des particules. Chacune se dirige vers ses fréquences de prédilection, sa zone de confort, et les lois naturelles de tout l’Univers tendent vers l’équilibre des systèmes…
Ici, la question de l’intégrité pose celle des concessions, au profit d’une collectivité plus vaste ou plus harmonieuse. Tout seul on va plus en effet plus vite et nombreux on va plus loin. La nature de nos attentions polarise néanmoins nos projections mentales, en conséquence, et la tension préservant l’équilibre des systèmes imprime à ces projections toute sa force. Ainsi, plus une victime se plaint, plus elle aura d’opportunités de le faire, c’est une boucle binaire. Inversement, cela se confirme heureusement.
La pensée, exprimée ou non par le verbe, est un choix d’action. C’est un pouvoir créateur interne à tout système, capable de l’immerger dans l’espace-temps de sa propre légende personnelle. C’est aussi cela, l’intégrité.
François Tepes, libre penseur
Introduction
L’alien est parmi nous. Il a toujours été là, en nous et autour de nous. Nous exprimons ensemble sur la planète Terre une variété fantastique de manières d’être. Cette expression est le reflet d’une diversité cosmique plus luxuriante encore et richement nuancée.
Où se trouve ce cosmos ? En soi et autour de soi. L’observateur est indubitablement immergé dans l’arborescence fractale d’un monde, celui qu’il connaît, celui qu’il perçoit. Mais son paradigme (le schéma corporel intuitif de son monde) n’est que la ramification individuelle d’un univers holographique bien plus vaste… et nous sommes tous égaux en Cela.
La barrière entre l’inerte et le vivant est un leurre et la frontière entre les inconscients un confort d’esprit. Tous les règnes et toutes les espèces sont intriqués, profitant ensemble des mêmes mouvements. Brassage d’individus et de collectifs d’individus, telles des poupées russes plongées dans un Univers multidimensionnel en perpétuel évolution…
Nous sommes tous courts, longs ou carrés, zébrés ou bigarrés, et tous immanquablement nous nous copions :
«- Tiens, ça me plaît bien ça… tu m’le prêtes j’en fais une bouture ?
– Oui, ta demande est claire, prends !
– Trop bien, merci. Je fais vite…
– Oui, tu es contente et tu t’empresses »
Toutes nos histoires naissent de ce genre de brassages chroniques universels. Et en fin de conte, nous y trouvons tous notre compte, car chacun évolue selon ses expériences et voit sa zone de confort s’adapter en conséquence. En repoussant les frontières, l’expérience assure l’acquisition de savoir-être inédits, permettant de nouvelles projections et de nouvelles histoires…
« – C’est quoi cette merde ? Ça va pas du tout avec la couleur de mes yeux !!
– Oui, c’est vrai ! Quel couleur choisis-tu ?
– Puis c’est tout serré ce machin-là, chuis toute comprimée dans ce truc, me suis trompée de taille…
– Oui c’est évident. Quelle taille choisis-tu ?
– Attends, t’as vu ça ? Chuis toute boudinée là-dedans, on dirait une grosse saucisse…
– Oui tu as le sens de l’humour. Sélectionnes-tu à présent une autre hybridation ?
– Mais qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu ? Pourquoi je dois toujours subir tout Cela ?
– Oui tu fais des choix de merde. Souhaites-tu une génétique plus adaptée, ou un clonage en particulier ? »
Pris dans le jeu de ces mouvements cycliques, un système individuel (ou un collectif plus élargit) a le choix de se diriger vers l’intérieur de lui-même en direction de son centre, ou à l’extérieur en déployant son périmètre de manifestation. Il peut dans sa verticalité utiliser une échelle pour descendre en son cœur et remonter le cours de son temps, ou dans son horizontalité projeter de nouvelles expressions face à un temps linéaire peuplé d’autres systèmes de facto étrangers.
Nous percevons côté pile une dimension intérieure dans laquelle tout système peut retrouver ses briques essentielles, introspection propice à modifier durablement certaines connexions entre elles. Et nous distinguons côté face une dimension extérieure, où chacun peut également choisir de nouveaux échanges et consentir à de nouvelles positions au sein d’un collectif plus élargit.
Cela dit, je souhaite inscrire ici une autre lecture, à insérer entre ces deux mouvements qui fonctionnent en miroir très certainement. Un système individuel (ou un collectif plus élargit) a toujours le choix d’agir selon le sens de la raison ou celui de l’affect. Basiquement, il peut tirer la couverture à soi ou la céder à un tiers. Mais vu de plus près, il existe aussi une troisième voie, un point d’équilibre : un jugement de valeur moral (l’observation de ce qui est bien et de ce qui est mal) provoque toujours un mouvement interne relatif à l’objet observé, produisant un flou de surface déformant subséquemment son image. Cette forme d’observation polarise nos projections mentales. À contrario, observer le même objet sans jugement de valeur permet de réaliser un arrêt sur image et un zoom net, éclairant ainsi sa profondeur.
Comme pour un jongleur cherchant l’équilibre sur son fil, la juxtaposition réflexive de ces lectures génèrent un espace-temps singulier, une dimension pédagogique propre à l’émergence de savoir-être inédits. Ces prodigieux exercices de grand écart entre choix de mouvement et de posture permettent l’identification des terrains les plus sûrs pour l’édification de ponts stables entre les paradigmes les plus sourds et les plus durs.
Dans la brève fiction présentée ici, je m’amuse à la croisée de ces choix. Je trouve les histoires d’aliens amusantes et joue à confronter la vision fractale des sciences d’aujourd’hui à la pensée antique et socratique.
Voici donc un teaser que vous ne verrez dans aucune salle de ciné :
« Les envahisseurs sont là, David les a vu !!
Ils sont cruels et sévissent dans nos belles institutions et nos plus grandes entreprises
Ils viennent des espaces froids et Krjoy est ici et maintenant leur proie
L’occupant est parmi nous déjà, reflétant nos envies, peurs et fantaisies
C’est en vérité une coquille vide qui réfléchit l’apparence de ses proies,
Et son regard calculateur reste livide et froid sans étincelle de vie
Ces envahisseurs sont inaptes au bonheur et méprisent toute forme de Joie
Contraints à la prédation, ils ont construit Prvimozk, haut-lieu de perversion
Les krjoyens les plus éveillés tentent de se rassembler, de contre-attaquer…
Ils se battent en leur for intérieur à la recherche de leur intégrité
Pouvez-vous les aider à chasser le parasite ? À déloger la vermine ?
Allons-nous réussir à vibrer tous ensemble notre réelle identité ?
Pouvons-nous seulement encore rayonner une quelconque noblesse »
La Lumière revient, les dinosaures appartiennent à un passé lointain, révolu, résolu, et nous le savons bien. Ils considéraient la gentillesse gratuite illogique et dangereuse, c’était pour eux une tare à exploiter, et cette tare les a emporté. Fin de l’histoire ?
Sur la Terre d’aujourd’hui, parmi nous, de nombreux usurpateurs portent publiquement et impunément le vernis de la perversion narcissique. Reflets d’un leadership charismatique toujours dévoué à la bonne cause d’un côté, et reflets d’une victime hypersensible injustement bafouée par l’ingratitude de ses pairs de l’autre. Judokas du verbe, procéduriers de la suffisance et du mépris, ils s’escriment à pervertir faits et croyances. Experts avérés en lessivage cérébral, ils manipulent leurs auditeurs dont ils détraquent les valeurs. Vanitas vanitatum et omnia vanitas. Mais qui trompent-ils encore ?
En observant un peu l’entourage d’une personne introvertie, douce et gentille, vous y découvrirez un de ces dinosaures énergivores. Évaluez l’impact de son groupe d’appartenance sur sa propre pensée créatrice et vous réaliserez qu’il est d’autant plus tangible qu’il est dense et concentré. Si alors vous connaissez cette personne inhibée, aidez-la à réécrire son histoire. Aidez-nous, aidez-vous, l’éveil des consciences est simplement contagieux.
Partagez parmi la foule un peu de votre essence et par-delà le masque des apparences vibrez et rayonnez votre noble appartenance. Osez l’impudence de questionner les étiquettes qui font violence, embrassant une éthique intimement plus en résonance. Les regards vides peuvent passer leur chemin, ils ont éteint leur chaudière. S’ils veulent se réchauffer, qu’ils rallument d’abord les fourneaux.
Dans cette formidable aventure de notre vie cosmique, nous nous tenons tous magistralement (ou maladroitement) les uns les autres, chacun à sa manière avec ses histoires de vie… et ni le temps ni la distance ne changeront rien à l’affaire, que l’on vienne de Mars, de Vénus, des Pléiades ou de la Terre.
« Un véhicule de croisière attend sagement de nouvelles instructions en orbite stationnaire, tu viens faire un tour ? »
Je prête ici la parole à Eric Berne, qui avait disséqué un martien :
« Le Martien se distingue des autres êtres humains par son approche et son point de vue. Il observe les événements sans idées préconçues. Son point de vue est celui d’un regard neuf. Il ne juge pas les gens d’après les intentions qu’ils affichent, il les comprend à partir de leurs comportements. Son impertinence lui inspire des questions pertinentes et pleines d’humour.
Sa technique consiste à mettre au jour l’endroit et l’envers. Du coup, il découvre deux pôles complémentaires et opposés. Il tient compte des deux. Le martien prend le contre pied de ce qui est généralement dit et examine si la nouvelle proposition qui en résulte est révélatrice, même si elle est iconoclaste »
« Something kind of hit me today. I looked at you and wondered if you saw things my way » – D.Bowie
– CHAPITRE 1 – « KRJOY »
Observations d’une étudiante libre (Zgravja)
Les enfants de Zagor et les éboueurs
Dans la grille du Fun Time, au cœur des espaces libres, loin des resquilleurs…
« – Enfant de Zagor, réveille toi. Je sais, tu te sens bien dans ta zone de confort… tu n’as besoin de rien ni de personne… et pourtant…
– Oui, je sais, je me suis engagé. Mais quand même… ma présence est-elle vraiment nécessaire ? Ici et maintenant ?
– Oui enfant de Zagor, ta présence est nécessaire, ici et maintenant. Tous les voyants sont au vert, le moment est idéal. La synchronicité des mondes est parfaite. Lâche ton jeu et plonge !
– Je ne sais pas si… et si nous… oui bien sûr. Où dois-je déposer ma carcasse ?
– Ici en Grandson, nous la gardons en bonne mémoire. Tu es attendu là, file !»
Les enfants de Zagor étaient bien sûr informés des évènements annoncés en Krjoy, et périodiquement nombre d’entre eux s’engageaient dans un raid à la conquête de nouvelles compétences. Krjoy, en ses temps d’exercice, abritait un véritable zoo galactique. Elle était « le » centre d’étude permettant un développement significatif et un séjour à Prvimozk parmi la population locale était inévitable.
La fin des temps en Neurotypie Occidentale était un choix d’excellence. Il fallait candidater spécifiquement pour cette période, laisser le moment idéal réveiller l’équipe au complet et plonger sans hésiter, tête baissée. Pour de nombreuses populations des espaces libres une préparation était nécessaire avant de pouvoir assister ou participer à un raid en Krjoy. Les enfants de Zagor n’avaient besoin eux que de la paix du cœur. Une ressource magistrale qu’ils leur fallait reconquérir en situation d’infiltration. Exercice périlleux.
Et la bonne marche de toutes ces plongées dépendait du bon labeur de nos éboueurs. Diverses voies permettaient l’accès en Krjoy, d’autres directement à Prvimozk, et un étudiant ne pouvait pénétrer une matrice en exercice sans ajustements fréquentiels. La maintenance de ces voies a nécessité une infiltration permanente pour la préparation de l’Apocalypse. J’ai assisté à leur calibrage et entretien. De nombreux techniciens ont dû se fondre aux krjoyens en Neurotypie et se charger de leurs déchets… une fonction qui peut sembler ingrate mais qui a préservé la population d’une trop grande insensibilité.
« – Dans l’Ici et Maintenant de cette lecture, ces voies sont désormais des auto-routes. Éclairage, signalétique, assistance et aires de repos, tout y est d’ores et déjà fonctionnel
– Oui, je confirme. Nos éboueurs ont débarqué en masse, par vagues. C’est une immersion spéciale tu l’as bien compris…
– Oui. Votre secrétariat m’a dévoilé le plan de réforme. Akyra affirme que toutes les mesures ont été prises et que c’est imminent…
– Oui, c’est imminent. Toutes nos troupes étaient en alerte rouge, elles viennent de recevoir le top départ collectif
– Le Grandson s’est-il exprimé ?
– Petite graine d’étoile, te souviens-tu de la raison pour laquelle tu es tant aimée ? »
Population krjoyenne
Notes de Zgravja, de retour au Campus universitaire
Quand tu t’habilles en « neuneu », tu te retrouves écrasé dans une plasticité à deux dimensions seulement, ta pensée devient alors linéaire et tu n’as plus la possibilité structurelle d’en englober une troisième ou une quatrième… c’est un handicap de séjour auquel se soumettent des étudiants venus des quatre coins de cette galaxie, une infirmité pariétale réversible en fin d’exercice. On parvient ainsi à mixer tous les genres, volontairement immergés en une même Sphère devenant plate à leurs yeux. Ce terrain de jeu, sécurisé évidemment pour tous les âges, est une référence inédite en cosmo-pédagogie active.
J’ai retrouvé en Krjoy toutes les tendances exprimées en notre galaxie. C’est un site d’apprentissage et d’observation vraiment exceptionnel pour acquérir de nouvelles compétences, ou jouer à se faire peur. Il faut du cran pour incarner un personnage neurotypé, touriste ou apprenant, je peux en témoigner personnellement. Il faut du cran aussi pour accepter le rôle d’éboueur ou s’enrôler dans une troupe d’infiltration. Certaines de ces têtes brûlées viennent de très loin. Chacune a sa propre motivation et ses propres attentes.
Krjoy est une perle magnifique, connue et reconnue dans toute la galaxie, je ne me lasse pas de l’admirer. Elle est toujours prompte à se prêter au jeu, c’est une Sphère encore adolescente qui évolue fort bien et grandit très vite. Tellement d’amour en Elle…
Le principal challenge d’un aspirant immergé en Krjoy est de reconnaître en chacun son archétype essentiel, tout en préservant l’intégrité de son avatar parmi la population de Prvimozk. Plongé dans une jungle cosmopolite et affublé d’un esprit scotché à la surface des choses, son unique phare est la Lumière de son cœur. L’exercice permet ainsi à chacun de développer davantage ce sens, et d’acquérir les aptitudes qui vont avec.
L’art de la profondeur, l’essence des choses, est une spécialité de Zagor. C’est la raison pour laquelle la présence de ces enfants stellaires est nécessaire durant les temps d’Apocalypse. D’autres experts, indispensables, sont également de la partie. Et pas des moindres ! Je sais que le Grandson mandate pour chaque exercice tout un bestiaire de resquilleurs, engagés en double aveugle. J’ai bien compris que nous avions besoin d’eux, et je me suis préparée à ce qu’aucun de ces parasites ne respecte les clauses de fin de contrat. Chacun a le droit d’être ce qu’il est et il n’y a pas d’exception. Le resquillage est un choix qui, malhonnêtement, se défend.
Les nombreuses souches archnoïdes et reptiloïdes, parfaites pour l’emploi, sont originaires des secteurs froids et usent invariablement des mêmes stratégies de survie. Faciles à manipuler par nos fonctionnaires en Grandson, c’est une toute autre histoire une fois sur place, immergé en Krjoy. Les étudiants boivent la tasse, les mercenaires se prélassent. C’est leur dû pour leur participation, le salaire pour les mises en situations qu’ils génèrent, sans le savoir pour le bien de tous.
Le mental des resquilleurs subit également un écrasement dimensionnel, similaire à celui des étudiants. On les confond d’ailleurs facilement avec ces derniers, mais à les observer manger on comprend rapidement d’où ils viennent. Une nature de surface est toujours la réplique d’une nature plus profonde.
Akyra m’a confié diverses lectures concernant divers dossiers raptors et troodons. Il arrive parfois que l’un d’entre eux, durant son mandat pédagogique, soit attiré par la Lumière du cœur et fasse le choix des espaces libres. Sa carapace reptilienne transmue alors en celle de dragon, apte à s’élever en divers cieux pour exprimer le langage universel du feu sacré. Akyra a un lien particulier avec certains d’entre eux. Elle m’a accompagné tout là-haut, et j’ai entendu comment la musique cristalline des sphères réagissait à l’approche de ces fruits pour certains inattendus.
Chacune de ces ascensions en gestation donnait lieu à une mélodie féerique qui réchauffait l’ensemble des Chœurs célestes… j’ai perçu là une grande réjouissance. Cela dit, nos chers fraudeurs parachutés directement à Prvimozk sont plus communément happés et manipulés par une affreuse cousinade et tombent plus généralement de Charybde en Scylla. Ces impitoyables cousins lointains ne souffrent en fait d’aucune altération dimensionnelle durant leurs immersions en Krjoy, il s’agit des archnors. Ces derniers, avec notre discret consentement, équilibrent stratégiquement leurs sombres troupes face aux contingents venant des étoiles.
Cette espèce archaïque est passée maître dans l’art d’enseigner, à son insu mais jamais à ses dépends, et le risque d’un quitte ou double pédagogique demeure toujours présent. Le règne archnorien a dans les faits développé un esprit tridimensionnel unique, replié sur lui-même et fagoté d’un narcissisme poussé à l’extrême. L’espèce n’a pas la capacité structurelle de se projeter sur des niveaux supérieurs et n’évolue qu’à travers un seul plan horizontal, envahissant et exploitant les niveaux en contre-bas en y parasitant de nouveaux hôtes, de nouvelles proies.
Enfermés dans ce paradigme sourd, les archnors jalousent les mondes libres dont ils ne peuvent supporter la Lumière directement. À l’instar des reptiliens cependant, ils gagnent toujours à Prvimozk, monnaie sonnante et trébuchante. C’est leur terrain de jeu favori, et tant que la Lumière est absente ils détiennent l’avantage. C’est dans un royaume d’aveugles que ces borgnes font la loi.
Pris en tenaille par ce bestiaire de prédateurs, peu d’étudiants parviennent à s’éveiller en cours d’exercice et les plus sensibles en leur cœur hurlent l’injustice. Leurs cris déchirent les voiles les plus épais… j’ai vu des toiles poignantes dépeindre ces cris de révolte dans les couloirs de nos archives pédagogiques. Des œuvres bouleversantes. Ces cris du cœur parviennent jusqu’au firmament et alertent, si j’ai bien compris, le Grandson Lui-même. Je sais que cela donne aux candidats à l’infiltration l’occasion de s’immerger dans un raid. Personne ne sauve personne, tout le monde apprend de tout le monde à travers l’histoire des mondes.
Aussi, aux premiers sons de l’Apocalypse annonçant implicitement la fin de ce grand cycle, les populations généralement s’affolent. Étudiants et resquilleurs confondus nourrissent ainsi d’avantage encore des légions archnoriennes en pleine effervescence. Ces derniers, obéissant à leur accablante programmation, en profitent pour resserrer les rangs et l’étau. Ils savent que l’heure tourne et ils ont besoin de troupes aveugles et soumises pour parvenir au coup d’état qu’ils fomentent en Krjoy… c’est ici l’équilibre du consensus galactique tout entier qui est en jeu.
C’est ordinairement à ce moment-là que la population étudiante, encore bien loin de toutes ces considérations, vit les pires moments de son immersion pédagogique. Les apprenants perdent leurs fondements et s’auto-contraignent aux pires normes draconiennes, trahissant leur intégrité. C’est une expérience en entonnoir qui les force à s’éveiller. Jusqu’où chacun peut-il aller ?
Les resquilleurs neurotypés eux, pris d’une panique grandissante, finiront immanquablement par précipiter leurs stratégies irresponsables, participant en aveugle au clivage collectif indispensable en fin de partie. Et quand tous ces dinosaures abattront leurs dernières cartes à l’unisson, tous péricliteront comme il en a été convenu. Pris au piège dans l’ici et maintenant de l’Apocalypse, tout mouvement leur sera mécaniquement fatal… échec et mat !!
« – Mais je ne sais pas encore grand-chose sur l’éveil collectif…
– C’est avancé. Un semblant de retard, de grandes festivités se préparent
– Oui, j’ai entendu rire derrière les rideaux
– Oui, beaucoup de mondes dans la salle, en coulisse et aux balcons
– Et les élèves qui dorment encore debout sur scène ?
– Quand la Lumière reviendra les plus inconscients vivront un choc intense, un trauma qui passe avec le fou rire collectif…
– Et comment se termine l’exercice pour les reptiliens ?
– Des grincements de dents, les plus enragés se mettent à aboyer. Ils ont déjà reçu leur salaire, et quand on est resquilleur on retourne chez les resquilleurs
– Mais pour ceux qui ont ouvert leur cœur, se mettent à écouter son chant ?
– Jusqu’à la dernière minute, ils ont le choix des espaces libres… à chaque exercice certains d’entre-eux plient le genou et croissent en essence. D’authentiques hybrides au service des mondes libres
– Et pour les archnors ?
– Les reptiliens ont un cœur et font le choix de sa place. L’espèce archnorienne elle, jouit d’un statut particulier. Nous laissons au Grandson Lui-même le soin de trancher sur la question de cette singularité».
Arrivée d’un infiltré en Krjoy
Une fois passé l’éboueur, l’éveil est facilité (en théorie)
« – Pour vous entendre avec un neuneu, ne bousculez jamais ses certitudes et prenez toujours soin de respecter sa zone de confort. Rappelez-vous qu’en cas de malentendu, le plus important pour lui est de sauver la face. Offrez-lui toujours une porte de sortie acceptable. Vous subirez sinon une adversité remarquable »
C’est avec ce genre de rappel à l’ordre qu’un infiltré sort de son sommeil, rarement en douceur. D’anciennes consignes surgissent instinctivement, venant de nulle part et curieusement familières, secouant l’aspirant qui s’éveille alors en son for intérieur et commence à rouvrir les yeux de son cœur. À contrario, un étudiant plus jeune ne dispose pas du même bagage cognito-sensitif et jouit d’une plus grande résistance à Prvimozk. Même confiné et bâillonné il tient la distance, alors qu’un infiltré disjoncte plus vite pour le bénéfice de tous…
Un esprit neurotypé, inflexiblement aplati, ne peut en effet distinguer le fond de le forme. Emprisonné dans ces limitations, l’étudiant amalgame l’essence à ses sens et attribut à son vécu en Krjoy une réalité unique et duelle. Et tout cela dans une dimension existentielle exclusivement externe qui respecte scrupuleusement une même flèche du temps. Son esprit demeure ainsi captif du même espace euclidien, assujetti au même temps linéaire qui le définit.
Aux premiers sons de l’Apocalypse cependant, la Lumière des Chœurs célestes réchauffe cet espace plat et le temps linéaire se met à fondre, dévoilant la persistance de la mémoire. Les premiers affectés sont les infiltrés qui réintègrent bon gré mal gré leur moitié oubliée. C’est un accouchement toujours un peu rude, parfois même excessivement laborieux. Certaines mémoires néanmoins reviennent, par bribes, et c’est avec une incroyable stupéfaction que les infiltrés se redécouvrent… et renouent, incrédules, leurs liens affectifs avec une famille de cœur invisible, percevant parfois aussi la présence lumineuse de collectifs exotiques invraisemblables.
Pour un enfant stellaire parti tête baissée comme ce cher Andrjoz, l’incorporation soudaine et plénière est toujours difficile, parfois même violente ou foudroyante !
« FUIS !! Pour ta survie mon ami, fuis !! Tu es face à une raptor de haut rang là, et toute une légion archnor en elle !! Ils ont perçu ta Lumière et sont affamés !! Tu es à Prvimozk mon ami et ils veulent ta peau… réveilles-toi !! »
À chaque espèce son espace et, face à une prédation aveugle, disparaître devient courageux et vital. La fuite in situ signifie perdre tout, jusqu’à la raison, à travers une prise de conscience brutale entraînant brusquement l’infiltré dans une nuit noire de l’âme… son ultime échappatoire. Il s’agit là d’une descente aux enfers qui déchire la croûte krjoyenne et plonge l’enfant stellaire dans les abîmes les plus sombres et les plus délétères.
J’ai suivi de près les déboires d’Andrjoz à Prvimozk et son réveil a été terrible en soi, malgré tous nos préparatifs. Cela a d’ailleurs constitué un véritable exercice de style pour mon détachement pédagogique… nous avons tous beaucoup appris grâce à sa soudaine plongée en profondeur.
Le bon sens d’un infiltré, parachuté ainsi dans les noires abysses d’une Sphère en exercice, resurgit invariablement au centre du puits sans fond de ses mémoires pédagogiques. S’accrocher à la paroi, coûte que coûte et rester en équilibre !! C’est dans cet espace de survie des plus rudimentaires qu’un enfant stellaire met à jour les plus jolis fruits produits en Krjoy… les plus beaux cristaux, les plus beaux joyaux. Et c’est par la grâce de ces trésors minéraux qu’il se retrouve enfin projeté hors de son puits et se réveille en Lui, demeurant bi-localisé en Krjoy également. Son retour à sa dimension plénière lui permet dès lors d’évaluer son mandat pédagogique et d’accepter une nouvelle mission, ou décider de prendre quelques vacances bien méritées… profiter un peu des loisirs fabuleux qu’offre la tant chantée.
Les infiltrés, sous toutes leurs formes, sont unis et soudés en Grandson. Il s’agit d’une joyeuse et luxuriante collectivité, tout aussi exubérante qu’insouciante, qui ordinairement évolue en s’amusant à incarner une multitude de « Je ». Le jeu est fondamental à tout apprentissage et les jeux de rôle n’ont de limites que celles de leurs participants. Loup y es-tu ?
Prvimozk est connu pour offrir un plateau inédit, une scène de théâtre où se jouent les plus fantasques scenarii de toute la galaxie, et les étudiants ont périodiquement besoin des infiltrés pour leur progression pédagogique. L’arrivée d’un infiltré ne coïncide donc pas avec sa date de naissance. Son arrivée arrive quand elle arrive, elle coïncide généralement avec une pression extérieure insupportable et une pénible prise de conscience, burn’black-out !
Après un lourd délestage et un récurage en profondeur, la grâce touche finalement l’enfant stellaire dont toute la structure énergétique se met à vibrer sur un nouveau diapason. L’infiltré qui explore ses couches les plus profondes connaît alors une agréable expansion de conscience, ouvrant grand les yeux de son cœur. L’enfant recommence alors à voir la Lumière derrière la lumière et s’accroupit aussitôt pour rester en équilibre, car il commence à se réveiller en Lui. Il le sait et le sent instinctivement, psychologiquement, et le perçoit également physiquement… une sensation troublante, résolument.
« – Ça fait comme un bruit de trompette hi hi hi, et ça te remonte l’estomac au-dessus de la tête, comme dans un Méga Grand-huit…
– Oui. Il existe un phénomène de synchronicité, qui fonctionne un peu comme un effet larsen en écho à une projection mentale. Parfois, cela secoue un peu. Le son de ta trompette c’est le Jingle de la gare de triage, mais les trains en partance n’attendent pas après les passagers indécis
– J’y vais, j’y vais pas ?
– Oui, c’est là toute la question car une fois franchi le tourniquet, faire demi-tour devient impossible et cela en épouvante plus d’un. Et nous le comprenons tous fort bien
– Akyra m’a aussi parlé d’une gare routière… avec des autobus en attente ?
– Oui, les autobus bleus de la dernière chance. Ce sont les navettes affrétées à l’attention des plus téméraires »
Prvimozk, haut lieu de la perversion
Observations in situ de Zgravja
Demandez à un raptor s’il veut régner sur un parc de proies faciles et dodues… quand un resquilleur conclu un accord, c’est toujours par avidité et concupiscence. Ces qualités génèrent de fantastiques gerbes d’énergie perverse en Krjoy, distordant ingénieusement la polarité de sa Lumière et de ses projections. Et les étudiants venus expérimenter la séparation et la dualité en son monde doivent accepter de vibrer sur ce diapason le temps de leurs leçons. Une fois neurotypés, nos chers apprenants ordinairement altruistes et débonnaires deviennent alors aveuglément dociles, déraisonnablement grégaires et corvéables à souhait.
Comment obtenir le beurre et l’argent du beurre ? Les crémiers, les vendeurs et potentiellement la crémerie ? Appâtez l’apprenti de la maison dans l’espace-temps linéaire et cloisonné de son arrière-boutique et offrez-lui un joli costume de mouton. Une fois sous le charme, persuadez-le que c’est réellement le sien qu’il avait précédemment égaré et que, dans votre grande bonté, vous êtes venus lui rapporter. Quand l’habit fait le moine, l’apprenti ne sait plus qui il est, d’où il vient et ne choisit plus où il va. Il devient alors sage, sapiens-sapiens, et suit le troupeau qui s’en remet à des autorités étrangères et auto-proclamées.
Les archnors, princes de la resquille, sont des as de la réaction en chaîne et ce sont précisément leurs fausses vérités qui maintiennent nos étudiants dans cette torpeur. Leur puissance de constriction cisaille l’énergie causale dont elle inverse la polarité et si les mensonges grossiers sont visibles de tous, les fausses vérités sont indécelables pour des yeux plats. Lorsqu’un resquilleur par exemple a besoin d’uriner sur un enfant venu des étoiles, il lui explique d’abord qu’il pleut, tout naturellement, et que c’est pour son plus grand bien, pour soigner sa dermatose…
Un mensonge éhonté, fardé en sainte vérité à Prvimozk, passe toujours comme une lettre à la poste. Tous les systèmes sociaux y sont dûment pervertis, et tout y est inversé afin d’obtenir l’allégeance implicite d’une majorité d’acteurs soumis. Les grands reptiles se dressent sur leurs pattes et se montrent en exemple, les petits resquilleurs singent leurs patrons, et la population neurotypée accepte son rôle de variable d’ajustement.
C’est la propagande archnor, orchestrée par les médias de masse, qui fomente les animosités entre nations et les conflits armés en Krjoy. Diviser les populations et manipuler des unités géo-politiques sur fond de patriotisme si nécessaire, d’idéalisme politique ou religieux… c’est une rare et farouche détermination qui permet au royaume archnorien d’agencer les blocs de construction de sa pyramide ascendante du pouvoir, viscéralement boulonnée à Prvimozk. Cependant, et parce que toute la bio-énergie de Krjoy provient exclusivement des étoiles, ce royaume a également viscéralement besoin des étudiants d’origine céleste pour s’y raccorder.
Seules les projections étudiantes les plus intimes, émises depuis les espaces libres, parviennent en effet à se matérialiser en Krjoy. Il est donc crucial pour les archnors de leur apprendre à cogiter en cul de sac. Les temps de paix sont ainsi minutieusement programmés et savamment répartis sur un sombre calendrier… de jolies carottes avant le prochain coup de bâton !
Dans les faits, toute construction en Krjoy nécessite la projection mentale d’un aspirant d’origine stellaire, ou d’un maître ascensionné, pour se manifester. Collaboration consciente ou non, une projection mentale est donc d’une certaine manière un choix consenti, un acte délibéré. Toute entreprise en cette Sphère est d’ailleurs mécaniquement soumise à cette ultime exigence, c’est une des singularités de ce modèle de cosmo-pédagogie active : sans consentement, nos resquilleurs ne peuvent rien bâtir en Krjoy, ni même y prolonger leur existence. Seule une grâce éclairée, émanant des espaces libres, peut en effet durablement maintenir l’équilibre de leur présence louée en Krjoy, génération après génération.
Sans ce précieux consentement, notre bestiaire perd rapidement les bonnes fréquences vitales et disparaît finalement de la grille de projection krjoyenne. Chacun se retrouve alors dans sa demeure originelle respective, chacun selon son appartenance de cœur et d’esprit, en sa maison, en son royaume…
« – Paralysez un neuneu avec une injonction paradoxale et soufflez-lui la bonne manière de penser ! Restez ferme sur votre emprise et engluez-le dans sa peur… vous absorberez ainsi la substance nécessaire à nos projets
– Et pour l’énergie des infiltrés ?
– Ils sont pistés et vous les reconnaîtrez du premier coup d’œil. D’intenses flots de Lumière s’échappent continuellement de leur regard et il faut la coordination de toute une équipe pour drainer un tel flux. Jouez en solo et vous êtes grillés ».
Les infiltrés sont de formidables condensateurs d’énergie stellaire et tous les pirates le sentent instinctivement, mais nos chères têtes brûlées n’en prennent généralement pas conscience durant leur sommeil léthargique et attirent, magnétiquement et bien malgré eux, leurs alter opposés. C’est ainsi que la plupart des infiltrés vivent la croix et la bannière sous le joug de tyrans attitrés, souvent assistés en simple aveugle. Et peu importe sa provenance, un enfant stellaire est vite repéré, avant même son arrivée…
Cet enfant, par ailleurs, ne peut agir directement sur la matière sans l’autorisation d’un maître en exercice ou d’un haut fonctionnaire. Il doit apprendre à tirer sur les mêmes ficelles que ses prédateurs, dans la direction opposée, et user des mêmes leviers pour honorer son engagement… rassembler le collectif venu des étoiles, retourner la pyramide de Prvimozk, et accompagner Krjoy dans sa plus belle et plus grande réforme. C’est en mettant les mains dans le cambouis qu’on devient éboueur, puis haut fonctionnaire en Grandson.
Enfin, pour la Grande Histoire, je sais que Prvimozk doit être réhabilité en muséum d’histoire naturelle, clôturant ainsi les cycles d’apprentissage en Krjoy et permettant, très prochainement, l’exploration en toute quiétude des annales pédagogiques la concernant. J’ai compris aussi que notre fastueuse et ravissante Krjoy se préparait, très coquettement, à un grand et prodigieux évènement la concernant personnellement…
Des sons de cuivre
Compte-rendu sur les termes de l’exercice
En fin d’exercice, après « la fin des temps », le secrétariat du Grandson extrait les données et archive absolument tout. Ces informations, traitées puis numérisées, viennent de cette manière enrichir les rayons de la Grande Bibliothèque Universelle dont l’accès est pertinemment réservé.
C’est ainsi que les raids de l’Apocalypse sont prophétisés en tous temps et que de nombreux krjoyens du cycle entier en ont entendu parler, non sans amalgamer les exercices entre eux et leur fin respective. Mais les termes de cet ultime exercice concerne une réforme universitaire, celle de Krjoy qui passe à l’octave supérieure, et c’est à cette fin que la population toute entière a été soumise à un imposant référendum énergétique.
Quand le Grandson s’est manifesté et a commencer à libérer le courant, la Lumière originelle est revenue, comme promise. Émergeant ça et là presque craintivement au début, relevant sur son passage les distorsions les plus évidentes, la Lumière a fini par démasquer tous les contrastes au galop. Cela nous a autorisé à sortir les trompettes d’honneur afin d’annoncer la Délivrance de cette fin de cycle. Les étudiants, hagards, ont commencé à s’éveiller à leur véritable nature… tout comme leurs prédateurs qui après un moment de stupeur se sont rapidement affirmés dans leur identité reptilienne, tombant les masques toutes griffes dehors.
Le rappel soudain à cette réalité pédagogique, au-delà du réel de chacun, sonne à la manière d’un olifant. C’est une impression singulière fidèlement restituée par les cuivres dans certains films à grand suspens. Son d’un simple rappel à l’ordre ou phrasé apocalyptique plus solennel… au moment de notre invitation, quand la Grande vérité s’est imposée au Grand jour, il s’est produit un glissement de terrain qui a déséquilibré tout le monde dans sa façon de penser. C’était le premier son de nos trompettes, sonnant le glas du règne saurien. Les resquilleurs ne pouvaient plus manigancer dans l’ombre et bien des révélations allaient rapidement emporter tous leurs châteaux de cartes. Parmi la population, chacun eu alors le choix d’ouvrir ou non les yeux de son cœur, conservant son droit de consentement aux autorités raptors. Retrouver sa pureté de cœur originelle ou persévérer en ce triste amalgame ? C’était une question d’identité, d’intégrité et de zone de confort.
L’empire saurien tout entier s’écroulait. Les raptors le comprenaient mais refusaient tout d’un bloc, niant les évidences. Tous ces pervers narcissiques au pouvoir étaient cependant terrorisés par les liesses grandissantes qui précisément les excluaient explicitement. Deux mondes se séparaient radicalement et ils le sentaient à présent sous leur pieds, abruptement. Chacun très bientôt se retrouverait très naturellement en sa Sphère d’origine, selon sa fréquence d’appartenance…
Krjoy, qui amorçait le dernier virage de son cycle d’apprentissage, se déplaçait alors plus rapidement. Ses nouveaux codes de Lumière invitaient les étudiants à la suivre promptement, tandis que sa mue déjà se profilait stoïquement. Une fois complètement vidée, totalement desséchée, cette ancienne carcasse conviendra assurément aux exigences contractuelles des archnors et aux fréquences vibratoires de leurs proies reptiliennes… un environnement toxique dans lequel une société améliorée de « trans-reptiliens » devra apprendre à s’adapter.
J’ai eu l’occasion de voir certaines représentations de ces temps à venir dans nos archives, Akyra m’a montré divers clichés rétrocédés de cette période. Générés et modifiés en incubation, entassés et décérébrés par un langage binaire, des tortionnaires venus de Prvimozk et d’ailleurs étaient élevés en batterie, surexploités et froidement abattus. Devant mon désarroi, Akyra m’a informé de certaines interventions en ces lieux où seule une tribu de dragons émérites pouvait porter assistance à une population confiante à l’occasion d’un plébiscite. J’avoue néanmoins que ces images d’une version de Krjoy destinée à l’exploitation de fermes d’élevage intensif m’ont fait froid dans le dos. Je comprends malgré tout les liens qui unissent les règnes entre eux, et tolère ma relative ignorance et sensibilité. J’en sais assez finalement pour savoir qu’on en sait toujours jamais que trop peu.
De son côté, Krjoy II se portait à merveille et ses nouvelles fréquences vibratoires, crépitantes de joie, ont rapidement rendu l’atmosphère insoutenable aux resquilleurs en tout genre. Périodiquement, des ondes de lumières colorées arrivaient par vagues, stimulant l’éveil du collectif étudiant, et une réaction en chaîne s’amorça, suivie d’un florilège de symptômes plus ou moins attendus. L’absorption naturelle des codes lumineux avait été considérablement affectée par les technologies adverses, au-delà de nos prévisions, et le neurotype du citoyen moyen en Prvimozk était vraiment très éloigné de son référentiel d’origine. De nombreux recalibrages ont été indispensables, ainsi qu’un report d’échéance.
La formation des chrysalides énergétiques a donc largement été freinée par les autorités belligérantes qui ont d’abord nié la réalité physique de l’ascension planétaire, puis camouflé cette vérité en vrais faux-symptômes. Les autorités en vigueur ont pour ce faire maquillé le syndrome de l’éveil en celui de réponse immunitaire face à un agent pathogène, délibérément libéré. Ce dernier, à l’instar d’un virus informatique dévoyant l’attention énergétique de ses hôtes, sévissait par consentement aveugle à la manière d’une innocente coquille vide, aussi pleine de saveur qu’un vieux spot publicitaire insipide.
C’était une stratégie redoutable. Les responsables parvinrent ainsi à trancher dans le vif et privèrent les krjoyens de leurs joies et libertés, les accablant sans relâche d’incessantes intimidations d’ordre sanitaire. Ils tentaient de les culpabiliser d’exprimer ce qu’ils étaient, pendant que les médias de masse assuraient la propagande en redoublant de fausses vérités. Un cheval de Troie était déjà même parmi la plèbe avec la promesse d’un vaccin miraculeux… c’était sans compter le coup de semonce de la première torpille stellaire.
Toute cette mascarade a finalement cessé après les interventions qui ont suivi la grande divulgation. La Lumière s’est installée et les enfants stellaires, de Zagor et d’ailleurs, ont commencé à mener la danse. Ils étaient revenu en Eux et honoraient leur engagement de cœur. Ils étaient venus construire un pont entre deux mondes et accompagner les étudiants égarés… car avec la chute de Prvimozk, Krjoy basculerait sur sa dimension plénière, embarquant avec Elle tous les étudiants vibrant à l’unisson de son véritable chant.
De grandes festivités attendent bientôt tous nos acteurs libérés. Célébration de la fin de grandes épreuves et remise des diplômes, célébration également de Krjoy admise en l’union des Sphères réformées. Les minéraux, les végétaux, les animaux, tous les règnes ont généreusement profité de son ascension. C’est un très grand évènement auquel tous les mondes se préparent… et les derniers sons de cuivre seront assurément ceux de la réjouissance collective.
Zgravja, étudiante libre en Grandson
« Wake up you sleepy head, put on some clothes and shake off your bed » D.Bowie
– CHAPITRE 2 – « PRVIMOZK »
Chroniques d’un infiltré (Andrjoz)
Consensus commun et adaptateurs spécialisés
Critiques personnelles d’Andrjoz, salon d’étude en Grandson
J’étais très embarrassé de découvrir un Prvimozk si implacablement distordu et encombré. J’avais moi aussi pris les vessies de l’autorité raptor pour des lanternes durant ma pseudo-léthargie, et comme tout le monde j’avais grandi avec un tas de fausses certitudes qui se sont effondrées en fin d’exercice… une sacrée leçon d’humilité !
La population de Prvimozk, je veux dire sa masse critique, fonctionnait d’un même bloc stéréotypé. Les étudiants et les resquilleurs étaient ensemble rabaissés sur ce même terrain plat, confrontant leurs valeurs au quotidien. Ils partageaient néanmoins la même vision du monde, la même perception d’une condition krjoyenne pitoyable, et défendaient une même philosophie… un nihilisme sclérosant durement renforcé par le joug archnorien.
J’ai été pour ma part affublé d’un atypisme génétique, inconfortable en société car je sentais et voyais les choses autrement plus larges. Je sentais, sans pouvoir le définir vraiment, la noblesse des espaces libres à travers certains vêtements et la puanteur de l’iniquité au travers d’autres costumes. Certains uniformes dégageaient en effet un fétide relent d’urine animale !
Cette sensibilité s’est affinée avec le temps, et je me suis senti de plus en plus étranger au sens commun du bon citoyen krjoyen. Sa manière de voir, d’écouter et de dire, sa manière de penser et de faire, je trouvais cela affreusement désolant. Le paradigme dualiste de Prvimozk affichait à son menu la dépression, la maladie et la mort. Une perversion idéale pour les étudiants venus expérimenter les tourments de la séparation, concept inédit dans les espaces libres où la souffrance demeure une énigme hermétique.
J’ai pu observé durant cette immersion les médias de masse, produire de manière industrielle des images macabres et inventer des histoires toutes aussi sinistres que choquantes, comme autant de miasmes psychologiquement pathogènes diffusés en perfusion permanente. Ce traitement de fond était relayé sur le terrain par des agents aveugles, les adaptateurs sociaux. Chacun était cloisonné dans une spécialité idéalement étanche et devenait lugubrement imperméable, ce qui aboutissait à cette édifiante orchestration de l’anxiété de vivre que j’ai pu observé de première main à Prvimozk.
La Joie était sinistrement considérée contre-productive, partout en Krjoy, et toute perte de rendement donnait lieu à un sordide réajustement des variables. Oui, ma plus grande difficulté a été de renoncer à éclairer mon entourage plus conformiste. Malgré les meilleures intentions, les meilleures précautions, la plupart de mes proches réagissaient avec violence. Violence exprimée ou contenue, cela dépendait des mécanismes de défense alors déployés.
L’étudiant devenu neuneu, à défaut de comprendre ce qu’il est réellement, remet communément son choix d’identité aux autorités en vigueur dans son pseudo-groupe d’appartenance. Son consentement, même aveugle, est un choix et j’apprends à éviter toute forme d’ingérence en différant mes projections d’excellence. Cela n’a pas été évident pour moi, mais je suis davantage en paix avec ce trait de caractère depuis cette dernière immersion.
C’est notamment par la grâce de Zgravja, étudiante libre en Grandson, que je suis parvenu à accepter l’inacceptable en cette session d’exercice. Mon rôle m’affirmait-elle par delà son voile, était de m’asseoir tranquillement dans la Lumière de mon cœur et de diffuser ses rayons alentour, rien de plus. Juste Cela et rien d’autre. Malgré mes expériences, mon bagage universitaire, ma sensibilité et mes prises de conscience… j’étais visiblement dépité.
« – Ce sont les colibris qui préviennent les feux de forêt mon cher Andrjoz, en attendant l’arrivée des canadairs ! »
Zgravja m’entretenait télépathiquement sur des questions économiques, géo-politiques, et surtout pour ce qui m’intéressait sur les énigmatiques questions d’organisation psycho-sociale qui me taraudaient tant. Elle me confia par exemple la problématique des problématiques raptors : maintenir une compliance servile et cloisonnée parmi la population. J’étais impressionné par les moyens déployés.
« – Maintenir une telle angoisse existentielle… confuse et inavouable…
– Oui, c’est un challenge au filigrane grimaçant. Les hautes autorités reptiliennes enrobent de sainteté les pires distorsions, entraînant dans leurs mensonges les adaptateurs spécialisés en double aveugle. Le premier socle de soumission concerne la quête du Soi. Qui sommes-nous, d’où venons-nous et où allons-nous ?
– J’ai connu cela avec des adaptateurs religieux peu scrupuleux. Grâce à eux la Lumière devient poussière et l’âme qui quitte le corps devient le corps qui rend l’âme. L’innocence originelle est transmutée en culpabilité, la recherche de sens en hérésie… j’en ai beaucoup souffert
– Oui, je le sais, nous sommes témoins ici de ton périple. En Vérité, la bonté mal éclairée a causé d’incorrigibles avaries en Krjoy et la première torpille stellaire est pour ce vieux bâtiment à la dérive, cette vieille coque appelée religion. Une fois re-lié au Soi, une re-ligion en dehors de Lui relève du non-sens le plus élémentaire »
J’ai pu observé, de mes propres yeux, la réponse également donner par les systèmes éducatifs sur cette question du Soi. Elle s’opposait intelligemment aux dogmes religieux en servant des repas froids et sans saveur, néanmoins garantis plus digestes que les bouillons de bénitier. La dis-complémentarité de ces deux réponses brouillaient intelligemment les pistes de la Vérité, un flou qui relevait du grand art, comme Zgravja me l’enseignât alors.
« – Le second socle de soumission concerne l’enseignement et l’éducation, permettant l’intériorisation des fausses certitudes chez le neurotypé dès son enfance. Le monde du travail le maintient ensuite dans son smog cérébral
– Oui, on en revient à mon histoire de lanternes et de vessies
– Afin de favoriser un élitisme collaboratif, l’accent est mis sur les divisions cognitives privilégiant la pensée linéaire, cela garantit aux resquilleurs les nombreuses gratifications que tu sais, ainsi que les meilleures positions sociales. Une reconnaissance officielle récompense les sympathisants de ce système sous la forme de titres et de diplômes
– Des documents honteusement pompeux !!
– Oui, ce système frauduleux est une copie abjecte de notre système d’attribution des mondes. Il confère néanmoins les pouvoirs sociaux aux resquilleurs qui définissent inconsciemment, mais très ingénieusement aussi, les distances pédagogiques utiles entre érudits et ignorants en Krjoy, et nécessaires entre princes et mendiants à Prvimozk
– Oui, je vois cela au quotidien, diviser pour mieux régner… »
J’ai également pu voir ces faire-valoir, lors de cette dernière immersion, érigés comme des armures impénétrables, et j’ai été inquiété par des chars d’assaut imbus d’ogives toxiques qui offensaient le bon sens sans que personne ne moufte. Les véritables savoir-être étaient proprement effacés au profit de savoir-faire relationnels automatisés par des systèmes d’éducation et de formatage professionnel parfaitement sclérosants. Ce glissement de sens divisait d’autant mieux les adaptateurs cognitifs et leur analogues religieux, les uns prêchant une vérité invisible et déraisonnable, les autres réchauffant une logique frauduleuse sans aucune valeur intrinsèque.
Au moment où la Grande nouvelle est parvenue en Krjoy, secouant tous les systèmes de pensé, elle a littéralement embrasé le cœur de tous les étudiants, illuminant les couloirs les plus sombres des infrastructures reptiliennes. C’est à ce moment-là que les principaux acteurs socio-politiques et leurs sbires inféodés ont commencé à tomber les uns après les autres, comme des mouches. Une désinsectisation explosive très efficace cette grande révélation.
Les autorités de paix et de santé en Krjoy, les magnats de l’économie et des finances, tous ces milieux mondains regorgeaient de reptiles irréfléchis. De belles brochettes de lézards pris au piège de leurs propres souricières. Les masques de l’usurpation finalement tombaient et la population, sidérée, faisait face à un traumatisme collectif inimaginable. Affrontant un conflit cognitif insupportable, de nombreux krjoyens en ont perdu la raison. J’ai vu des scènes d’hystérie collective, j’ai entendu des cris et des insultes. Les krjoyens, ahuris, étaient révoltés. Certains, hors d’eux-mêmes, étaient prêts à en découdre et n’hésitaient pas à se bagarrer en pleine place publique. D’autres, plus modérés, observaient interdits le même silence intérieur.
Quant aux adaptateurs sociaux, ils étaient devenus aux yeux de tous les marionnettes désabusées d’un pouvoir illégitime et déchu. L’échiquier saurien s’était écroulé avec fracas et les braves petits pions, dès lors privés de leurs jolies petites cases colorées, étaient foncièrement désemparés et totalement désorientés. Le sol s’était dérobé sous leurs pieds, ils n’avaient plus aucune assise ni emprise, et les médias de masse réduits à l’impuissance par la force des évidences ne leur étaient plus d’aucune utilité.
Ces complexes consortiums d’annonceurs et d’adaptateurs entretenaient les peurs et au besoin en fabriquaient de nouvelles. Peurs de soi, peurs de l’autre ou du monde extérieur. La Lumière de l’Apocalypse est venue balayer et révoquer toutes ces perversions, alors que dans un grondement sourd et lointain une multitude de petits volcans entraient en éruption, annonçant une énergie colossale à venir, celle de l’ascension finale. Le grand moment de la délivrance arrivait, tandis qu’un titan impatient s’agitait…
La zatvoriatrie occidentale
Carnet professionnel et notes personnelles
Durant ce dernier séjour si particulier en Krjoy, j’ai été dans un questionnement existentiel permanent, incessant, et au combien perturbant. Mes quêtes aboutissaient déplorablement et invariablement sur deux mêmes observations et conclusions contradictoires, impossibles à départager. Soit j’étais fou, soit le monde était fou, mais l’un de nous deux par contraste était sain autrement la question ne se posait point. Ce lourd dilemme allait plus tard évoluer brusquement suite à ma rencontre avec Zgravja, nos échanges télépathiques et nos chassés-croisés énergétiques. Beaucoup de choses ont alors profondément changé en moi et j’ai finalement réussi à me positionner. Je n’obtenais pas toujours de réponses claires à mes interrogations, mais mon questionnement évoluait perceptiblement, et mon comportement aussi.
Il m’était devenu invraisemblable, par exemple, de continuer à porter un masque social. Je savais que c’était perçu comme un affront, un attentat à la pudeur, mais je ne parvenais plus à m’astreindre à cette comédie. Je percevais cela comme un savoir-être hypocrite devenu instinctif, une bouffonnerie gratuite qui me chauffait littéralement les oreilles de manière surprenante. Je me sentais à contrario tellement plus léger sans masque, tout nu et libre de l’être. J’avais retrouvé là un goût particulier, celui de mon intégrité.
J’avais par ailleurs ressenti un glissement de terrain, progressivement dans mon quotidien. Je ne croisais plus certaines personnes, celles notamment qui brillaient à ce jeu de dupe, mais faisais fortuitement en revanche de nouvelles rencontres, découvrant de brillants auteurs et de nouvelles œuvres éclairées. Il m’arrivait aussi de vivre des moments absolument magiques, des moments durant lesquels un peu trop d’intuitions se vérifiaient à mon goût, un peu trop de synchronicités se confirmaient… à en devenir inconfortable. Et puis j’avais cette impression étrange et confuse de grandir dans un nouvel environnement tout à la fois effrayant car inconnu, et singulièrement familier. Je vivais là une forme d’expansion de conscience qui alors me déstabilisait durablement.
J’ai dû apprivoiser cet inconfort et composer avec un nouveau schéma corporel en accordéon, plus éthéré et étendu, curieusement élargit au point d’avoir interagit avec celui de Krjoy et interféré avec des évènements locaux. J’ai pris conscience depuis que j’avais dansé avec la grille matricielle de Krjoy, sans le savoir. C’était surprenant et grisant de tenir la main d’une Sphère et de valser avec Elle, mais dangereusement glissant quand on pense au consensus borgne et dogmatique de la zatvoriatrie occidentale.
Ma routine neurotypée néanmoins reprenait périodiquement le dessus et mes activités à Prvimozk équilibraient mes deux vies. Je naviguais alors de l’une à l’autre sans réelle résistance, avec un imperturbable sourire béat je l’avoue. J’avais cependant pris conscience d’avoir posé les pieds en dehors des grilles de réalité reptiliennes, et une profusion de fâcheux évènements allaient sauvagement en effet se télescoper : harcèlement psychologique, burn-out professionnel, banqueroute financière, séparation et déménagement… et tout cela en contournant subtilement l’étiquetage zatvoriatrique lors des visites médicales obligatoires. Avec beaucoup de recul sur la question de la santé mentale, j’ai d’ailleurs fini par réaliser au combien la population krjoyenne, en vérité et par définition, souffrait de schizophrénie.
Quand les enfants jouent à faire semblant, ils s’attribuent des rôles et s’amusent. Ils savent bien que ce ne sont que des rôles. Les adultes eux, affirment que la vie n’a rien d’un jeu mais ne sortent jamais sans une panoplie de masques. Ils s’amusent en permanence à des jeux de rôles tellement inavoués qu’on ne sait jamais s’ils sont conscients ou fantasmés. Un masque en famille, un autre au travail, idem entre amis, entre voisins… Masques de complaisance, d’intimidation ou d’indifférence, à chaque fois c’est également un changement de personnalité qui s’opère, et les différentes expressions d’un même esprit neurotypé sont parfois en conflit ouvert !
Cette schizophrénie collective n’existe pas dans les espaces libres. Les diverses instances qui constituent un même collectif individuel sont en parfaite harmonie entre elles, à tous les niveaux et sur tous les plans. Les organes du corps chantent le même refrain, toutes les unités sont intègres et respectueuses entre elles, et chaque cellule fredonne la même mélodie. Les habitants des mondes libres ne ressentent pas le besoin de cacher une partie de leur être. Ils sont nus comme des vers et bienheureux de l’être.
Sans aucune surprise, l’étude des phénomènes d’introjection et de projection à Prvimozk était implicitement morbide, maculée par des adaptateurs aveugles et peu scrupuleux de l’être. Les états modifiés de conscience, tout comme les phénomènes numineux rapportés, étaient pour ces petits esprits sclérosés forcément suspicieux…
Triangle de l’autisme
Observations cliniques
Zgravja est une entité céleste d’une grande noblesse, originaire d’une immense Sphère placée en orbite stationnaire. Cet impressionnant vaisseau, étincelant d’argent, semblait conscient, proprement vivant, et se mouvait délicatement à la manière d’une énorme boule de mercure. Périodiquement, cette grosse boule donnait naissance à une nuée d’occupants qui, se détachant de sa masse à la manière de petites gouttelettes argentées, tombaient en pluie dans les cieux de Krjoy. Séjournant dans ce fabuleux complexe inter-dimensionnel, Zgravja m’instruisait sur l’Univers libre et sa spatio-temporalité. Elle se déplaçait ainsi régulièrement en Krjoy pour m’inviter en divers lieux, divers niveaux, jusqu’à la limite de ma zone de confort…
J’ai pendant longtemps refusé de quitter la sphère de Krjoy malgré ses appels insistants. Être à Prvimozk et en même temps dans une gare de triage exotique était précisément laborieux, car le passage d’un monde à l’autre nécessitait un grand écart énergivore afin de maintenir un point d’équilibre entre les deux. Je souffrais par ailleurs de troubles d’humeur, de fatigue chronique et j’avais parfois des visions spontanées, des images de souvenirs qui ne m’appartenaient pas. Dans ces moments-là je ne savais plus qui j’étais concrètement ni où j’habitais réellement jusqu’à ce que soudainement, et pour d’éphémères instants, tout devenait simple et clair comme de l’eau de roche. De fantastiques vagues de Lumière et d’incroyables expansions de conscience venaient en effet soulager mes troubles et mon malaise, en me plongeant d’une manière surprenante dans un bain d’amour inconditionnel.
J’ai laissé reposé le tout. Longtemps. Puis j’ai voulu voir un peu plus loin d’un peu plus près et j’ai accepté l’invitation au grand saut. Au-delà de Krjoy, au-delà du Grandson, au-delà des étoiles… freinant des quatre fers aux confins de nos systèmes stellaires, terrorisé à l’idée de me retrouver seul projeté dans le vide inter-galactique, appréhendant la détresse d’un espace résolument vide à en perdre l’horizon. Je me souviens des conclusions de Zgravja sur les facultés de projection des espèces peuplant notre galaxie :
« – Un raptor est incapable de supporter une telle extase. Sa zone de confort, loin de son cœur, l’empêche de dépasser son angoisse de morcellement
La Joie authentique, intriquée à l’amour inconditionnel, est la seule boussole fiable afin de s’élever au-dessus des voiles et des étoiles. Elle représente cependant une menace pour les resquilleurs à cause de ses fréquences cristallines. Ces fréquences leurs sont physiquement insupportables et quand la Joie redeviendra la norme en Krjoy, ils ne pourront tout simplement plus y résider, se consumant spontanément tel des vampires surpris au Grand Jour
– Oui, mais en attendant le point de ce jour, nous on boit un amer bouillon
– Oui, le prisme de Prvimozk continu à dévier les propriétés énergétiques originelles de Krjoy…
– Et l’aspirant trop intègre se retrouve catalogué, marginalisé, sinon étiqueté comme un curieux animal asocial dans cette affligeante foire aux bestiaux
– Oui, ton observation est juste et concerne des choix en double aveugle parfaitement consentis, tu peux rester dans la paix de ton cœur… »
La zatvoriatrie cantonnait obstinément les déviances qu’elle choisissait d’observer sur une seule et même règle plate, à deux dimensions. Cette discipline réductrice élaborait d’un côté des étiquettes névrose-machin, et de l’autre des étiquettes psychose-truc. Les enfants stellaires venaient réformer l’équation avec l’autisme, c’est ce que Zgravja était venue m’enseigner.
« – Avec l’arrivée en masse de ces enfants téméraires, la lecture devra inclure un troisième pôle. Un triangle se formera dont le centre correspondra à la santé mentale, une zone de bien-être et de confort psychologique. En élevant ce triangle à sa dimension supérieure, ces enfants stellaires révéleront à ce monde l’expression de leur pyramide
– La pyramide inversée… je veux dire à l’endroit… à l’envers de celle de Prvimozk…
– Oui, précisément celle qui s’oppose à la pyramide raptor. Les deux réunies forment en réalité un tout consubstantiel»
Je réalisais alors que ces pyramides triangulaires pouvaient basculer sur n’importe quel côté sans jamais affecter les contraintes en leur cœur, et que la différence entre ces deux modèles géométriquement stables semblait résider dans la polarité entre les centres et leurs sommets respectifs. Lorsqu’ils s’attiraient la cohésion des blocs était assurée, mais lorsqu’ils se repoussaient la cohésion devait venir de l’extérieur afin de prévenir tout risque de morcellement. Dans la pyramide des resquilleurs par exemple, chaque bloc se prenait pour le cœur de l’édifice et le vrai centre était déserté au profit des sommets. Ces derniers, comme autant de points de fuites inconscients, attiraient magnétiquement à eux tous ces petits blocs prétentieux.
« – Ces deux modèles de pyramides sont intriqués et fonctionnent en miroir de conscience. Quand l’une tire vers l’intérieur, l’autre tend vers l’extérieur et vice-versa, équilibrant la polarité du système tout entier. En langage krjoyen, si tu tires la couverture à toi, un reflet symétriquement opposable la cède à autrui, respectant ainsi l’intrication des polarités bio-énergétiques
– Euh… je sais pas si j’ai tout bien compris là…
– Lorsque la Lumière couronnera la pyramide de Prvimozk, ceux qui sont au plus bas seront projetés en des hauteurs vertigineuses… en Krjoy réformée, où les derniers arriveront en premier et les premiers en dernier »
J’étais souvent décontenancé face aux affirmations de Zgravja, la profondeur de ses propos, et la justesse de ses mots dont je ne saisissais pas toujours toute la portée mais qui faisaient incontestablement autorité. Ce que je comprenais alors, c’est que les raptors du pyramidion seraient éjectés hors des espaces libres en des sphères infernales développées à l’image de leur paradigme misérable et de leur postures bestiales.
Ce vieux monde allait se dédoubler, m’avait affirmé Zgravja. En se fractionnant chaque espèce allait enfin retrouver le libre choix de son rythme et de sa tempérance, en pleine conscience, et selon deux nouveaux modèles d’existence. Chacun devra en effet bientôt faire son choix de cœur, selon l’histoire de son arbre phylogénétique, celle de son groupe d’appartenance et de ses essaimages, chacun en effet selon ses essais d’hybridations et ses propres clonages… oui, chacun selon son espèce, c’était finalement bien cela l’évolution.
Traits de domination inter-espèces
Analyse des prédations observées
Un raptor est dans la toute-puissance. C’est un pervers narcissique en équilibre permanent au-dessus des sommets de son triangle mental. Ses mécanismes psychologiques, déficients, le poussent en effet à fuir le centre de sa pyramide du bonheur, dans un total déni des liens géométriques et sacrés qui le relient bio-énergétiquement à son cœur. Roi de la comédie dramatique dans ses grands écarts ubuesques, le raptor se catapulte instantanément selon ses besoins dans les rôles extrêmes de son triangle infernal. Il se retrouve tour à tour victime incomprise, brillant modèle social, et cruel bourreau patenté. Jeu conscient ou inconscient ?
Sa dynastie et généalogie déterminent assidûment ses comportements de prédation, mais son environnement les conditionne aussi fortement. Le développement cortical par exemple n’est pas très abouti chez les sauriens, et un raptor en immersion disjoncte facilement dans son rapport au temps.
Observez donc une meute de ces reptiles endurcis, convaincue qu’il n’y aura pas assez à manger pour tout le monde. De féroces combats s’engagent très logiquement pour déterminer le rang de chacun. Mais que cette horde réalise soudainement que toutes les proies sont en train de lui échapper, tous alors s’assemblent en un bloc structuré et hiérarchisé en un temps record. À l’instar de certaines espèces insectoïdes, chacun trouve sa place spontanément sans logique apparente extérieure…
D’autres espèces ont une structure archaïque plus insaisissable encore et sont capables de changer de forme et de fonction en un clin d’œil. J’ai fais les frais d’une telle rencontre en plein centre de Prvimozk, lors d’une altercation professionnelle avec une directrice en chef raptor. J’ai été subitement horrifié lors de cette joute frontale par une présence à laquelle je ne m’attendais pas du tout… des profondeurs du regard vide et insensé du monstre reptilien me dévisageaient les yeux affreusement noires d’une horripilante légion archnorienne !! J’ai été surpris par l’obscurité de leur attention et j’ai senti mon sang se glacer dans mes veines. Je ne peux retranscrire fidèlement ici un pareil choc. Le pire dans tout cela c’est qu’ils m’ont dévisagé et pris en photo ! Je les ai nettement senti me démasquer les démasquant en cette abominable fraction de seconde et ils ont évidemment perçu mon effroi.
Cet unique face à face a duré l’instant d’un éclair, un temps relativement long pour eux, ce que je devais comprendre par la suite. Zgravja m’avait entretenu à leur propos, mais trop brièvement, évasivement, et je n’avais jamais insisté. Je ne pensais pas être un jour directement concerné. Je pensais vraiment être à l’abri de ce genre de contact. Il fallait les fuir, les oublier, rester invisibles à leurs yeux. C’était la consigne, invariable. C’est ce que j’avais retenu.
Au moment de cette connexion inter-espèce, au moment précis de ce flash, j’ai perçu comme une attaque ciblée et chirurgicale. Ils m’avaient étudié, scanné, analysé, et se préparaient à je ne sais quoi… j’ai immédiatement fuis sans demander mon reste. Je suis parti loin, très loin, et je n’ai jamais revu ce reptile en chef azimuté. Je restais néanmoins épouvanté par ce contact et soucieux de ce qui pouvait, à cet égard, se fomenter dans l’invisible. Tout cela était devenu pour moi très tangible, cette espèce archaïque existait bel et bien et j’avais été en connexion directe avec certains de ses représentants. Je suis retourné à d’autres occupations, pas très rassuré…
Les traits de prédation de chaque espèce déterminent les rapports entre elles, tout comme dans une chaîne alimentaire. Les archnoriens menaient une danse élaborée, murés dans une invisibilité dimensionnelle toute relative et les grands reptiles se prenaient pour les véritables chefs d’orchestres, persuadés que leurs bonnes intuitions provenaient de leur cerveau fécond. Les petits lézards eux, galvanisés par l’idée d’accéder au pouvoir, exécutaient les ordres à la lettre et se chargeaient d’affaiblir la proie étudiante qui elle servait de garde-manger énergétique et de marche-pied social. Et cette population d’apprenants, totalement soumise, connaissait bien tristement la musique… une même litanie résonnait en effet sombrement à Prvimozk où une fausse note était vite repérée et savamment corrigée.
Les agents et autres acteurs inféodés n’y voyaient là qu’une occasion d’ascension sociale, souvent dangereusement fantasmée. Comprimer par exemple des employés consciencieux avec un casse-tête chinois comme faire plus avec moins, permettait à un raptor-chef d’accéder à une notoriété largement prisée. Mais si l’argent et le pouvoir étaient indispensables à la cupidité du raptor moyen, rien n’était plus vital que la domination absolue pour un prince archnorien.
Les petits reptiles eux, préféraient bloquer une ou deux proies seulement, avec des manœuvres bien plus modestes mais tout aussi mesquines. Ils appâtaient mielleusement les krjoyens dépendants affectifs en usant de contenances passives-agressives, les ferraient discrètement, et dévoyaient leur énergie volontaire par un sabotage permanent et des tracasseries de tout ordre. Ils parvenaient ensuite à persuader les victimes consentantes de leur propre et unique responsabilité dans toutes ces catastrophes, les rabaissant insidieusement dans leur estime personnelle avec une complaisance très naturelle.
Ces petits lézards aspiraient littéralement l’identité de leurs proies, s’appropriant illégitimement leurs talents en usurpant leurs mérites. Irrémédiablement prises au piège de leurs propres valeurs et engluées par le charme des jeux psycho-affectifs de leur prédateur, l’expression du moindre soupçon se retournait systématiquement contre les proies qui s’en permettaient l’outrecuidance. Le soupçon était sèchement éludé et son expression sévèrement réprimandée. Dans les faits, après la prise d’otage et le chantage affectif, ces petits reptiles amorçaient leur arsenal favori, la culpabilisation. Et ces insignifiants prédateurs, en partie animés d’impulsions archnoriennes, retournaient si habilement le cerveau de leurs proies qu’elles finissaient par s’accabler elles-mêmes de remords infondés…
Les victimes, épuisées par une précipitation d’évènements inextricables, le cerveau lessivé par une accumulation de fausses vérités, deviennent alors idéalement apathiques et finissent par obéir au doigt et à l’œil. Ainsi, au moindre mouvement du gentil petit bourreau, la proie domestiquée lui apporte immédiatement satisfaction, ne réalisant que rarement ou amèrement sa perte d’intégrité.
Les couples hybrides était nécessairement nombreux dans la configuration de ce cycle d’expérience pédagogique. Que ferait un raptor avec un raptor ? J’ai pu observer comment ces bestiaux harponnaient leurs proies sexuelles, qui elles-mêmes s’agrippaient à d’autres proies socialement plus fragiles. Oui, j’ai vu les relations de couple qu’ils s’imposaient les uns les autres… tellement d’exigences égotiques, tellement de maltraitance, trop de maltraitance ! Il fallait que cela cesse !!
Et les reptiliens n’étaient pas plus respectueux entre eux, loin s’en faut. Ils ne connaissent aucune bienveillance et naviguaient entre coalitions et trahisons, sans aucune pitié. Chacun ne cherchant qu’à assouvir ses seuls besoins énergétiques, ils se seraient entre-déchirés sans leur proie d’excellence. Et parmi les formes d’énergies les plus exploitables en Krjoy, l’énergie sexuelle demeurait de loin la plus fantastique et la plus rentable.
Ce sont les archnors qui, à travers la cloison semi-étanche de leur pyramidion, dictaient le consensus sexuel approprié à leur sinistre dessein en Krjoy. Les raptors l’imposaient ensuite aux adaptateurs de masse chargés de contaminer la population étudiante. Cela affectait une majorité d’habitants venus des mondes libres, qui trahissaient dès lors leur intégrité en bridant l’expression de leur plénitude. Conscients d’être en dehors des normes érigées, accablés de contradictions inextricables, ils vivaient une sexualité interdite.
De nombreux étudiants, venus des quatre coins de la galaxie, obéissaient involontairement ainsi au clivage identitaire imposé par la caste au pouvoir, et restaient figés dans une représentation et une expression homo-sexuelle ou hétéro-sexuelle exclusive aux frontières opaques infranchissables. La dualité étaient devenue une règle de compliance quasi-absolue et intouchable, une sacro-sainte norme qui servait ici à retarder la progression naturelle des apprenants… la découverte d’une sexualité non polarisée les aurait immanquablement éveillé avant l’heure !
Tout était fait pour maintenir un clivage sexuel pernicieux, ouvrant la voie à toutes les distorsions possibles et imaginables. Distorsions louées d’un côté et condamnées de l’autre par une même main archno-saurienne omniprésente. Et ces agissements permettaient de détourner une véritable fortune ! Une masse phénoménale d’énergie sexuelle, l’énergie créatrice la plus puissante en Krjoy, était perpétuellement pervertie et convertie en sentiments de honte et de culpabilité… les plus basses vibrations, au service des infrastructures caverneuses les plus nauséabondes des royaumes archnoriens.
Réaction en chaîne
Bilan d’une immersion un peu spéciale…
La réforme de Krjoy a offert au collectif pédagogique tout entier l’opportunité de transformer l’essai. C’est pour cela que la Lumière est revenue. L’Apocalypse était le moment de la grande divulgation, pour tous et en pleine immersion, on relève toutes les copies au Grand Jour. Aucune fraude possible sur les mérites de chacun, tout était enregistré et archivé à des fins de consultations pédagogiques. La délivrance de l’exercice en plein exercice a permis un changement de dimension en pleine conscience pour de nombreux aspirants, garantissant notamment la réhabilitation de Krjoy qui recouvrait là sa condition plénière en son octave originel.
Patientant sagement que son collectif d’étudiants se démarque, Krjoy traversait une zone qu’elle savait chargée de particules adamantines, une lumière engrammée de codes originaux, éminemment évocateurs pour la population étudiante. Ce rappel à la pureté originelle, le souvenir de ses émanations cristallines, allait bientôt déclencher la formation de magnifiques petites chrysalides énergétiques en sa surface. Ces fameux codes cosmiques, qui arrivaient par vagues à la manière de puissantes vocalises océanes, entraient en résonance avec le géant endormi qui sommeillait profondément en chaque étudiant.
Tous ont dès lors commencé une lente ascension vibratoire, trois pas en avant deux en arrière, au fur et à mesure que les glandes pinéales se remettaient à vibrer à leur diapason originel. La relaxation du cortex pariétal et de la formation réticulée ont permis à nos apprenants une pleine réintégration de leur tonus extrasensoriel et une reconnexion instinctive à leurs origines célestes. Et tandis que les enveloppes krjoyennes elles, redevenues plus malléables, s’apprêtaient d’elles-même à initier leur propre transposition biologique inter-dimensionnelle, les étudiants psychologiquement libérés s’étaient psychologiquement préparé à embrasser un espace plus éthéré, sur une octave supérieure, stimulant contagieusement leurs proches alentours…
Les autorités raptors se sont évidemment opposées à cette délivrance, niant l’évidence de l’ascension planétaire qui a simplement été rabaissée au rang d’épiphénomène sanitaire. Les gouvernements ont dans les faits incriminé un virus pathogène dont ils sont parvenus à accroître les effets double-aveugles. Les agences de santé ont alors décrété une pandémie, situation d’alerte dûment relayée par tous les médias de masse. Balle au bond, les adaptateurs sociaux et les forces de l’ordre ont confiné la population et commencer à brimer leurs joies et leurs libertés, condition essentielle à une contamination psychosociovirale véritablement efficace. Seule une maigre partie de la population, encore ouverte aux joies les plus simples en Krjoy, intégrait prestement la singularité des particules adamantines. Leur métabolisme parvenait sans trouble à annexer ces précieux codes de Lumière à leur propre matériel génétique, annonçant précocement ainsi de rares et extraordinaires chrysalides.
La contre-attaque reptilienne a été la production d’un pseudo-vaccin modifiant les mécanismes héréditaires d’absorption des codes de Lumière… une technologie trans-krjoïste développée par des raptors irresponsables et dont la véritable ingénierie, archnoïde, avait pour unique but de s’opposer directement aux forces vives du Cosmos. Ce vaccin, en s’opposant à la génétique cosmique, devait prévenir toute formation chrysaloïde, neutralisant ainsi toute évolution du genre krjoyen préjudiciable aux plans archno-sauriens. Et cela a bien failli se produire, car la population était résolument soumise et terrorisée. Un krjoyen, à travers le prisme de sa peur, distord incidemment les rayonnements cosmiques et leurs codes adamantins, perturbant involontairement l’harmonie de ses gènes. Dans ce triste cas, la victime était généralement prise en charge par des ajusteurs médicaux qui alors l’aidaient, pour son plus grand bien, à avorter d’elle-même.
Pour inquiéter davantage la population, divers symptômes liés à cette ascension ont été assimilé aux troubles mentaux rencontrés dans les démences séniles, dès lors qu’ils s’exprimaient par une extase. Toute forme d’exaltation du Soi violait incidemment le consensus zatvoriatrique, et une conscience en heureuse croissance mais qui développait seule son propre horizon était fatalement étiquetée psycho-truc-muche. Jetant l’anathème sur les expérience numineuses, les déviances aux canons sauriens étaient expéditivement traitées par des ajusteurs sanitaires dont la principale tâche demeurait la fabrication d’étiquettes confortables. Chaque précieuse étiquette devait correspondre à une réponse savamment documentée et invariablement chimique, et la zatvoriatrie occidentale avait un tas de camisoles ajustées aux formes et couleurs des étiquettes qu’elle concevait de par elle-même…
Malgré toute cette répression, les infiltrés ont tous fini par se réveiller à l’unisson. Tous ont répondu présent à l’appel et s’affirmaient chaque jour un peu plus dans leur intégrité. Ils se souvenaient et se retrouvaient, des couples se formaient, d’autres se reformaient, et tous s’unissaient joyeusement en Krjoy qui transmutait. Ces couples d’infiltrés étaient des feux d’artifices de bonheur extrême, et la Lumière de leurs flammes embrasait tous les cœurs vaillants à des kilomètres à la ronde.
Le collectif étudiant commençait d’ailleurs à se réveiller, chacun à son rythme, et je suis resté jusqu’à la toute fin pour assister les plus téméraires et participer au bouquet final. Une réaction en chaîne digne d’une explosion atomique planétaire a finalement propulsé notre chère Krjoy en des hauteurs fréquentielles vertigineuses, et chacun d’entre nous s’est retrouvé dans un tout nouveau costume flambant neuf ! Je me souviens très bien de mon épouvante. Agrippé au sol et recroquevillé sur moi-même, je me protégeais de l’effroyable ampleur de l’évènement… j’en connaissais l’issue et j’étais confiant en moi-même, mais j’ai été saisi d’une crainte cyclopéenne. L’ancien monde disparaissait sous mes yeux effarés tandis que je distinguais, petit à petit devant moi, un bouquet d’explosion de couleurs intenses et vibrantes d’affection. Mon Cœur pleurait de Joie, j’étais en pleine euphorie…
Du côté adverse, nos chers cousins reptiliens ont par contre vécu l’enfer d’une défaite particulièrement amère, et ont immédiatement après été bannis. L’éveil collectif a été une Bérézina monumentale pour les nombreuses souches impliquées dans cette pernicieuse prise d’otage déguisée en conflit diplomatique. Aucune de leurs réflexions n’était plus défendable et leur collectif a définitivement perdu toute légitimité à siéger au sein du consensus galactique. Nous n’avions plus besoin d’eux et nous avions retenu leurs leçons, c’est à ce moment-là que les derniers ponts-levis nous raccordant aux royaumes sauriens ont définitivement été levés.
Les fourmis par terre, les papillons en l’air, chacun était à sa place et il n’y avait plus de mystère. La galaxie toute entière pouvait à nouveau respirer librement et s’exprimer ouvertement.
Andrjoz, médecin aspirant en Grande Clinique
« 20’000 people cross Bösebrücke. Fingers are crossed, just in case… » D.Bowie
– CHAPITRE 3 – LES ESPACES LIBRES
Pensées d’un resquilleur converti – Gorkan Ji
Le mythe des super-héros
Au chevet de Gorkan Ji, en la Grande Clinique
J’avais jamais entendu parler des espaces libres avant mon arrivée ici. En fait si, mais de manière fantaisiste et cela remonte à mon enfance, à Prvimozk. J’étais comme magnétiquement attiré par certaines histoires de super-héros, davantage intrigué par les origines mystérieuses de ces personnages de bande dessinée que par leurs fantastiques super-pouvoirs. Ces justiciers venaient invariablement de mondes luxuriants où les gens étaient tous beaux, gentils et restaient à jamais jeunes et forts, très extraordinairement…
Enfant, ces mondes m’attiraient et me dérangeaient en même temps car celui dans lequel je grandissais était par contraste misérable et méprisant. Je voyais les plus forts se servir sans vergogne dans le gras, et intimider les plus faibles qui pliaient l’échine pour obtenir quelques restes. La théorie de l’évolution affirmait par ailleurs notre ascendance animale, ce qui justifiait à mes yeux la brutalité des comportements que j’observais.
Et pour cette question de manger ou être mangé, j’avais carrément les fesses entre deux chaises. Pas assez costaud pour en imposer, assez affirmé quand même pour ne rien consentir sans un intérêt direct. Cela dit, j’ai très tôt bénéficié d’un certain leadership que les autres enfants me prêtaient, sans aucune raison. Je jouissais sans pouvoir me l’expliquer d’une remarquable popularité à l’école, et j’attirais toujours des élèves plus doués que moi, étonnement dévoués à mes bêtises. J’en faisais mes complices, cela me permettait notamment de défausser ma responsabilité… mais je ne me souviens pas avoir été généreux avec eux, ni même avoir fait preuve d’intelligence.
Davantage copieur, je parvenais à deviner ce que mes petits camarades imaginaient dans leurs têtes davantage fécondes et l’exposait avant qu’ils ne l’expriment. Pas vraiment futé, j’étais plutôt opportuniste. Je manigançais d’ailleurs sans scrupule pour rester impuni, au-dessus du panier. Contre-vérités, amitiés conditionnées, j’étais plutôt fort à ces jeux, reproduisant effrontément mon déplorable modèle parental. Andrjoz m’a entretenu à ce propos, sur l’origine de mes parents… nos échanges m’ont beaucoup apporté et il m’a beaucoup rassuré.
Mon père était boucher, ma mère gérait la boutique et on mangeait de la viande à toutes les sauces, à tous les repas. Enfant unique, j’ai grandi dans l’atmosphère d’un tiroir-caisse avide et l’odeur du sang. J’ai aimé la carne et j’ai volé dans la caisse. Je regrettais parfois mes larcins mais les répétais à la première occasion. Je m’imaginais parfois en super-vilain, exploitant la médiocrité des masses. Je ne comprenais d’ailleurs pas pourquoi il fallait que les super-héros soient gentils. Naïvement bienveillants, je les trouvais plutôt maladroits. Pour autant, les vilains mangeaient toujours la poussière à la fin de chaque histoire !
Intrigué plus que simplement agacé, je voulais comprendre pourquoi les super-méchants ne parvenaient jamais à leurs fins. C’est pourtant ce que la vraie vie me montrait au quotidien. Puis le monde des super-héros s’est évanoui avec celui de mon enfance…
Je me souviens par la suite avoir été ferré par d’importantes charges de travail, en reprenant notamment l’affaire de mes parents. Entreprise que j’ai d’ailleurs revendu à la première occasion, en les spoliant sans aucun scrupule. Le rendement de ce commerce était loin de satisfaire mes ambitions sociales et un besoin frénétique d’étiqueter le vivant s’était emparé de moi. Ce besoin, en définitive, a fini par me voiler l’esprit du cœur. Je suis par la suite resté aveugle à l’essentiel.
Bilan d’un séjour à Prvimozk
Souvenirs de Gorkan, souhaits de réintégration
Je n’ai pour l’instant aucun souvenir propre à mes origines, d’avant ma mission de resquillage en Krjoy. J’imagine venir des espaces froids, cela me paraît évident. J’ai tout le temps de penser à moi ici. C’est grand, c’est beau et tellement tranquille… rien à voir avec les hôpitaux de Prvimozk.
Andrjoz m’a expliqué que je revenais de loin et que mes mémoires allaient doucement s’ajuster avec le temps, soutenant que mon parachutage en Krjoy n’avait rien d’un hasard. En attendant d’assimiler correctement cette dernière expérience de vie, je suis choyé par d’adorables chérubin-infirmiers dévoués ici à mes petits soins. Tous dégagent une telle sérénité contagieuse… je suis même parvenu à m’abandonner à leur inconditionnelle prévenance, sans plus chercher à comprendre les raisons de toutes ces bienveillances.
Je profite aussi quotidiennement de balades enchantées, dans le parc toujours ensoleillé de cette incroyable clinique. C’est un cadre féerique qui a le don de me recharger en énergie végétale, une forme d’éther densifié savoureusement parfumé, que je m’amuse à siroter au gré de ma respiration. Moi qui ne crois ni aux fées ni aux lutins, je dois avouer que dans ce cadre paradisiaque je m’attends à tout moment à voir surgir une joyeuse ribambelle de ces petites créatures fantastiques.
Je suis vraiment bien ici, pas pressé de m’en aller. Pour aller où ? Et puis il y a Andrjoz. Je ne comprends pas précisément sa fonction ici mais il m’instruit sur un tas de chose. C’est grâce à lui que je commence à faire aujourd’hui l’expérience consciente de mes centres énergétiques, et nous étions déjà liés, nous nous connaissions déjà !
Je me souvenais d’ailleurs fort bien de lui et de nos revers communs à Prvimozk. Je l’avais sollicité en qualité de consultant indépendant pour accompagner ma Direction dans la restructuration de mon service administratif, et je me souviens parfaitement bien de sa posture pleine de rigueur professionnelle, à l’image de l’expertise attendue. Je l’avais néanmoins trouvé sympathique. Il avait comme des étincelles qui pétillaient dans les yeux et un sourire franc…
Andrjoz était doté d’une vision quasi-instantanée et décortiquait devant nous les problématiques du service en un clin d’œil. Il avait scanné dans sa tête, en trois jours seulement, toute l’organisation de l’entreprise et développait déjà des réponses chirurgicales… certainement très efficaces mais pour le moins très inattendues également. Il allait vite, si vite que personne n’arrivait à le suivre, et lui restait impassible et imperméable à nos inquiétudes. Il accomplissait « simplement » son mandat en comptant sur la confiance que la Directrice en chef lui avait si chaleureusement accordé à son arrivée.
Dans les petits papiers de cette dernière cependant, et j’en avais été prioritairement informé, Andrjoz devait simplement servir de levier externe pour un ajustement interne déjà planifié dans les grandes lignes. Nous avions déjà eu affaire à des experts agrées pour des raisons similaires, et tous s’étaient prêtés au jeu sans vergogne et en avaient tiré profit avec la même discrétion… mais j’avais péché là un poisson qui n’avait encore jamais trempé dans ces eaux troubles !
L’impensable est arrivé lorsque Andrjoz, passionné, a soudainement balayé tous les plans de la Directrice en pleine réunion de travail sous nos yeux effarés. Il faisait table rase du passé, pour lui présenter les modèles d’une usine à gaz véritablement efficiente. Du sur-mesure, clé en main. Il en avait déjà produit les principaux schémas fonctionnels et hiérarchiques, tous visiblement excellents, et attendait fièrement le feu vert pour lancer une première série d’actions correctives. Soufflée, toute l’équipe de Direction a été pris d’un malaise manifeste. C’est là que Andrjoz a commencé à percevoir le schisme. Son travail, en parfaite cohérence avec son ordre de mission et les besoins de l’entreprise menaçait directement nos manigances.
Le pire, c’est que Andrjoz avait toujours réponse à tout, et avec une telle répartie technique et fonctionnelle que personne n’osait ouvertement le confondre. Son incorruptibilité et sa bienveillance irritait particulièrement la Grande Directrice, outrageusement tourmentée. Incapable de le mettre en défaut devant ses troupes, et dépouillée de ce premier niveau de soumission, elle ne parvenait plus à se justifier se son étrange stratégie managériale…
Effrayée, elle a choisi de le calomnier pour légitimer un renvoi express et j’ai honteusement participé à cette manœuvre. Andrjoz est alors devenu affreusement distant, le regard plus froid que de la glace et l’autorité naturelle qui s’échappait de lui, dure comme de la pierre, était écrasante, presque inquiétante. Je me souviens en avoir été profondément troublé.
Et je redécouvre Andrjoz ici, en la Grande Clinique, et le contraste est saisissant ! Tout son être irradie ici une douce lumière, et son paisible regard enchante et console tous les cœurs en convalescence dans ce service rattaché à la Grande Clinique. Andrjoz prend ici tout son temps et sa félicité est délicieusement contagieuse. Nous évoquons beaucoup de choses ensemble, notamment les archétypes hybrides des super-héros et super-vilains qui peuplèrent les premiers temps de notre Univers.
Andrjoz a un sacré sens de l’humour et fait souvent allusion aux auto-congratulations des systèmes raptor. Il illustre d’ailleurs souvent ces propos d’images d’archive, des fraudes en tout genre apparaissent alors sur un petit écran mural. J’ai ainsi revu vu ma Directrice en chef, ma glorieuse Diva des affaires, insistant sur son intelligence exceptionnelle devant nos partenaires commerciaux et palabrant devant ses troupes. Elle scandait avec aplomb les résultats d’un QI bidonné, et se vantait d’être si intelligente que peu d’experts pouvaient concrètement la suivre.
Je me souviens d’un tête à tête avec elle, intimiste, durant lequel elle me confia d’une manière directe et solennelle avoir une si extraordinaire sensibilité qu’elle était injustement traitée et sévèrement jugée. Elle incriminait directement la platitude des gens « ordinaires », et ses yeux doux m’excluaient bien sûr indiscutablement de cette médiocrité, m’invitant à gober l’hameçon avec sa ligne !
Andrjoz m’a projeté diverses scènes sans équivoque sur la nature de ma relation avec ce bourreau. Malgré cela, je ne pouvais me décoller de la fascination que son image continuait d’exercer sur moi. C’était une excellente comédienne avec moi aussi, je n’y avais vu que du feu et j’ai beaucoup de mal aujourd’hui encore à l’admettre et à le réaliser. Je l’ai admiré, adulé, et me serai damné pour obtenir les privilèges d’une relation plus rapprochée. Après toutes ces péripéties, ma souffrance reste vive.
Je ne ressens cependant plus sa présence en moi, mais demeure comme magnétiquement englué. Malgré sa perfidie et ses tromperies, ses jeux de séduction me manquent. Son magnétisme sexuel m’autorisait implicitement à tous les fantasmes, et le charme de son regard évocateur m’apportait une énergie capable de déplacer des montagnes. Andrjoz m’a expliqué les raisons de la polarisation sexuelle en Krjoy, en insistant sur le pouvoir créateur de cette énergie pure et fantastique. J’en connaissais évidemment le côté fantastique mais ignorais alors la candeur de son pouvoir créatif.
Pour mieux saisir la chose, il m’a invité à méditer sur le rose. Le mariage du rouge et du blanc, un symbolisme dont je ne saisis pas encore toute la profondeur. Quand Andrjoz s’est aperçu qu’il m’avait un peu perdu avec son histoire de rose, il s’est interrompu poliment et a sagement patienter le temps que j’assimile. Ses yeux tendres me souriaient, remplis de cadeaux…
« – La Lumière sexuelle est primordiale à la santé de toute enveloppe polarisée. Elle en est sa meilleure garante. Cette puissante énergie vitale puise sa force directement à la Source, à la manière d’un colossal vortex torsadé, animé du feu sacré originel. Son intensité est foudroyante. Chacun d’entre nous, avec ses propres outils de connexion au sacré, nous nous y abreuvons, sans nécessaire modération. Mais cette énergie primaire peut également être dévoyée par des mercenaires… »
J’ai fini par reprendre confiance en moi ici, petit à petit, et j’ai compris que ma cure arrivait à son terme. Je l’ai senti à travers les propos d’Andrjoz, quand il m’a dernièrement entretenu sur les archétypes cosmiques en résonance avec les super-héros de mon enfance. Son esprit décapant a rendu certaines scènes historiques horriblement désopilantes, et nous avons beaucoup ris ensemble. Ces précieux échanges m’ont surtout permis d’avancer sur ma problématique de super-héros avec laquelle je me sens désormais plus en paix… et de faire le choix, en pleine conscience éclairée, d’une longue réintégration.
J’ai en effet choisi de rejoindre les espaces libres, et peu importe le temps et les sacrifices. Mon but est à présent parfaitement clair. Je veux être formé et rejoindre les troupes d’infiltration les plus téméraires. Je ressens plus que tout l’envie grandissante de me rapprocher de ces têtes brûlées, je ressens leur magnétisme m’appeler !
Gorkan Ji, resquilleur converti
– CHAPITRE 4 – LA QUATRIÈME DIMENSION
Rapports d’une stagiaire en médecine – Urdinka Yo
Médecine de l’âme
Entretiens pédagogiques en la Grande Clinique
Andrjoz me rend visite périodiquement à présent. C’était bien lui, l’ange gardien auquel j’avais attribué ma spontanéité et mes intuitions en Krjoy, durant ma dernière immersion. Je l’avais rencontré à Prvimozk, en chair et en os, sans me douter alors que sa contre-partie originelle me prendrait jusqu’à ma transfiguration gentiment sous son aile.
On se retrouve maintenant régulièrement au Salon des infirmiers, en la Grande Clinique, et nous visitons ensemble le service des convalescents. Lors de mon arrivée au campus universitaire, j’ai été informé de mes probables affectations. J’ai retrouvé là de nombreuses mémoires, et de nombreux compagnons de route qui avaient participé aux mêmes exercices que moi en Krjoy. Nous étions tout un groupe a avoir connu la même ascension finale.
Forte de tous mes vécus, je suis désormais engagée dans un cursus médical dans un environnement idéal, accompagnée de mon maître à penser. Andrjoz m’enseigne l’art de la médiation et m’instruit sur à peu près tout. Il me donne parfois l’impression d’être une véritable encyclopédie vivante s’ouvrant toujours fortuitement sur les bonnes pages.
J’ai appris que Gorkan avait été admis en ces lieux et qu’il se portait mieux. J’espère très bientôt obtenir l’autorisation de le visiter à son chevet, avant qu’il ne s’envole pour d’autres cieux. En attendant, j’observe et analyse la posture d’Andrjoz, son attention, sa gestuelle, le sens de ses mots… et il me propose de l’accompagner à l’occasion de sorties officielles, les évènements en effet ne manquent pas à l’Université ou à la Bibliothèque Centrale. Nous y croisons d’ailleurs souvent des collectifs, mais je ne lâche pas Andrjoz des yeux, c’est mon mentor.
« – Tu me parlais la dernière fois des elfes et des fées de ton enfance en Krjoy
– Oui, mais c’est encore très flou. Des images de ruisseaux qui chantent, des fougères qui murmurent… la présence des arbres… l’humilité des plantes…
– Tous les éléments de la nature sont imprégnés du même parfum, encodés des mêmes engrammes, imbriqués entre eux et vibrant sur les mêmes octaves. Les harmoniques générées par l’état vibratoire de chaque élément entrent en résonance avec l’ensemble des dimensions présentes alentour. En Vérité, nous sommes tous perpétuellement plongés dans une multidimensionnalité de règnes. C’est pour cela que tu peux ressentir la paix du caillou ou le bleu du ciel. Tout dépend de ta sensibilité, de l’ouverture de tes centres subtils
– Oui… je me souviens qu’on me traitait de tarée à Prvimozk à cause de mon amour pour la nature. On me traitait de folle parce que j’aimais cajoler le tronc des arbres. Tous ces gens confondaient sensibilité et sensiblerie. Je savais bien qu’il leur manquait quelque chose…
– Différentes formes d’intelligence cohabitaient en Krjoy. Certaines mettaient l’accent sur les yeux de la tête, d’autres sur les yeux du cœur. Quand ces deux centres étaient ouverts et réunis, l’aspirant pouvait voir son monde s’élever en relief »
Nous revisitons fréquemment ensemble mon passé affectif et il me confie aussi ses propres épreuves de vie, avec beaucoup d’humour et d’humilité. Il m’invita notamment à superposer des images corrigées aux clichés de mon passé. Je me suis ainsi exercée à concevoir en esprit des versions plus judicieuses, du moins plus confortables de mon bagage psycho-affectif. Je sais aujourd’hui qu’Andrjoz participe aussi à la réécriture de mes histoires. Je ne sais pas depuis quand ni ce que cela implique réellement, mais je ne suis pas pressée de tout comprendre… j’ai entièrement confiance, et j’adore me retrouver en ces lieux en sa présence. Jamais je ne me suis sentie aussi comblée d’être juste moi, libre d’exprimer toute nue mon impudence et mes impertinences.
« – Tu savais que je consommais du Zatchin en Krjoy ?
– Oui, je l’ai vu dans tes yeux la première fois qu’on s’est rencontré…
– Ah ouais ? Ça se voyait ? Je veux dire, j’étais sobre et discrète
– Oui, et les petits joueurs sobres et discrets se reconnaissaient vite entre eux
– Tu veux dire que… mince alors ! J’aurais jamais imaginé que…
– Ma mission exigeait de moi la transformation d’une énergie colossale. J’étais en survoltage permanent à Prvimozk, une véritable centrale nucléaire. Trop d’énergie, trop de sensibilité, j’étais un écorché vif et souffrais d’insomnie avant ma rencontre avec le Zatchin. Cette médication m’a été très utile, fort longtemps
– Chez moi je m’en servais le soir, pour me détendre et m’endormir plus facilement. Mais jamais avant d’aller bosser… tu me dis que ça se voyait quand même ?
– Le Zatchin éclaire les yeux d’une étincelle particulière et laisse parfois une empreinte ambiguë sur les corps subtils, selon l’anxiété de son consommateur. C’est ce que j’ai perçu en te rencontrant, une faille invisible pour des yeux plats mais exploitable par un prédateur. Seul un esprit joyeux au cœur libre pouvait consommer du Zatchin à Prvimozk et conserver sa pleine souveraineté, préservant prudemment son intégrité énergétique
– J’ai connu de gros consommateurs qui ne semblaient pas nécessairement joyeux, ni vraiment libres ou souverains…
– Oui, j’ai également connu de gros joueurs, trop anesthésiés pour garder l’œil vif. Ces drôles de zèbres semblaient particulièrement satisfaits de ce repli en continu et observaient placidement, les yeux mi-clos, un extérieur qui s’éloignait d’eux »
La gestuelle d’Andrjoz, souvent démonstrative, est toujours très spontanée. Généreux dans ses mimes et caricatures, il me donne parfois l’impression de sortir d’une bande dessinée ! Ses représentations sont toutefois toujours fort à propos et forcent le respect, eu égard à son expérience de vie et à ses études et analyses personnelles.
« – Divers épices sacrés, générés naturellement en Krjoy comme le Zatchin, permettaient à un étudiant neurotypé de s’aventurer en Esprit, en Elle, et en d’autres Sphères également. Excursions initiatiques ou récréatives, l’usage séculaire de ces substances a été détourné à Prvimozk, intentionnellement dépouillé de son sens pédagogique sacré, et stigmatisé. Cette absence de bienveillance a été un lourd handicap dans l’édification de ponts stables entre les paradigmes en vigueur et leurs dimensions respectives »
Cette question du pont reste centrale chez Andrjoz, et nous discutons souvent de la nature du terrain à utiliser, de sa fiabilité, ou de l’importance des matériaux de construction et de leurs qualités respectives suivant la météo. Il me parle fréquemment aussi des infrastructures souterraines qui relient les Sphères entre elles et qu’on appelle les égouts. Je me souviens qu’il a choisi d’utiliser l’exemple d’une miche de pain pour illustrer la formation naturelle de ces complexes systèmes caverneux. C’était préférable je crois au choix d’une image plus nauséeuse, relative aux levures et boues fétides que l’on y trouve. Quand il eut terminé son exposé, l’odeur de son pain au levain emplissait l’atmosphère toute entière. Une odeur épaisse, inoubliable…
« – Pour t’aventurer dans les méandres caverneux de l’espace et du temps, une lampe de poche te sera nécessaire. Sur une belle route ensoleillée, entretenue et signalisée, nul besoin des feux de ton véhicule »
Andrjoz m’a expliqué que les infiltrés, hypersensibles, avaient surtout besoin de Paix en leur cœur pour exalter naturellement leur sens en situation d’immersion, mais que rien ne s’opposait à des moments récréatifs avec le Zatchin. Il insista cependant sur l’importance d’un cœur en joie, avant de me reparler des liesses naturelles en espace libre, des licornes roses, des enfants stellaires, de l’autisme et des sorciers chamanes… il m’invitait courtoisement à soulever les voiles de la cinquième dimension.
Croisée des chemins à Prvimozk
Souvenirs d’une immersion « kafkaïenne »
Je ne me souviens que des bons moments passés en Krjoy, mais j’ai porté bien des croix et perdu bien des plumes. Ma sensibilité m’a beaucoup handicapé sur mon chemin de vie et je m’enlisais souvent dans ma relation aux autres, au point de porter d’autres fardeaux que le mien contre un peu d’affection. Je compensais alors mon handicap invisible en m’engageant dans des travaux qui n’étaient pas les miens, m’impliquant parfois dans des valeurs qui n’étaient pas les miennes.
J’ai pris conscience depuis que si je consentais à jouer le rôle d’infirme victime, je permettais en réalité à d’autres d’occulter leurs propres handicaps autrement tangibles. J’avais néanmoins besoin de me sentir appartenir à un groupe, et à défaut d’être comprise je consentais sans discussion avec qui voulait bien de moi.
Ma plus grande maladresse, cyclique, était de faire confiance à un séducteur patenté comme Gorkan Ji. J’avais pourtant vite cerné le personnage, dès notre première rencontre, mais je me suis senti aussi fortement attirée par son magnétisme animal. Cette attirance a d’ailleurs été une surprise pour moi, car Gorkan ne collait pas du tout à l’image que je me faisais du prince charmant, loin s’en faut. J’ai en fait été impressionnée par l’ardeur musquée de sa présence, et quelque peu séduite je le reconnais par la spontanéité de sa réaction la première fois que nos regards se sont croisés… une étincelle dans les yeux, comme un flash photo, suivie d’un sourire charmeur et enchanté.
Gorkan n’était pas très grand en taille, mais il en imposait par son dynamisme et de fait prenait beaucoup de place. On ne pouvait pas le rater quand on le cherchait à l’étage. Sa voix de stentor s’entendait par-delà les cloisons de bureau, et je le pistais parfois à son fluide magnétique dont les murs des couloirs s’imprégnaient à son passage. Quand il m’a embauché, j’étais aux anges. L’entreprise était prospère et jouissait d’une belle notoriété. L’ambiance était bonne-enfant, avec de belles perspectives d’évolution en interne et un salaire confortable. Le pied, pour une jeune assistante motivée. J’allais découvrir l’envers de ce joli décors, lambeau après lambeau…
Cette atmosphère bonne-enfant m’avait en fait un peu gêné, dès le départ, mais rien ne justifiait un tel ressenti. Je me trouvais simplement idiote à cause de mon côté pas très à l’aise en société. Mes collègues de travail ont été très avenants et mon accueil a été chaleureux. Ma mission était claire, mes tâches bien définies, j’avais tous les outils pour faire du bon travail… il fallait juste que je passe outre la perception de ce petit malaise diffus, dont je ne parvenais d’ailleurs pas à identifier la source.
Puis j’ai subi une première modification de mon emploi du temps. J’ai d’abord été contrainte de permuter certaines tâches avec mes collègues puis, pour le bien du service, abandonner des dossiers et même lâcher de chouettes binômes. Nous changions en fait périodiquement d’outils bureautiques au gré de nouvelles prérogatives, avec des mandats parfois très éphémères. Et ma fonction est devenue floue, sans plus la moindre vue d’ensemble.
C’est en rencontrant la Grande Directrice que j’ai commencé à comprendre bien des choses. Le changement d’attitude de Gorkan en sa présence était stupéfiant et précisément très révélateur. Il faut dire qu’elle en imposait. J’étais moi-même impressionnée face à une telle contenance. C’était une grande femme élégante, toujours bien habillée, le port haut, et dont le parfum doux et sucré contrastait nettement avec un charisme ouvertement acidulé. Elle n’hésitait pas à remettre à sa place la moindre petite virgule inconvenante, sans ménagement, et changeait continuellement d’avis à la manière d’une Grande Diva.
Toute l’organisation de nos services tournait en fait autour de ses besoins. Elle était le moyeu, le centre du système, et tous n’étions que d’accessoires mais nécessaires instruments en périphérie. L’entreprise elle-même et tous nos partenaires, accaparés de la même manière, ne lui servaient en réalité que de jante et de pneus de rechange… les objets extérieurs de son ascension sociale.
Son jeu de pouvoir m’était devenu très clair, mais je me sentais prise au piège de mes propres engagements et résolutions. Ma mission de départ malgré sa perversion me tenait très à cœur, l’entreprise était florissante, et je souhaitais plus que tout montrer à mon chef de service ma vraie valeur. En vérité, je n’aimais pas sa façon de m’occulter si soudainement parfois, face à certains collègues, et je l’avoue face surtout à cette Grande Dame.
Gorkan Ji m’attirait, c’était un fait, et j’étais perplexe quant à la nature de cette relation de travail. Le professionnel et l’amical bizarrement se mêlaient fréquemment, selon les circonstances du moment… je finissais parfois mon travail avec une formidable énergie, fière de moi, et parfois complètement abattue, au raz des pâquerettes. Gorkan était devenu le baromètre de mes humeurs et faisait, bien malgré moi, la météo dans mon cœur.
Pire, je commençais à penser à lui en dehors de l’entreprise. D’abord de manière évasive, puis de plus en plus consciemment. Je désirais plus de complicité, plus d’authenticité dans nos échanges, mieux le comprendre… j’avais surtout envie de briller pour lui. Mais Gorkan était hypnotisé par le chant de sa sirène, envoûté par les fards de sa Diva des affaires. Je pouvais bien sûr comprendre sa fascination, tant la lumière qu’elle réfléchissait éclipsait le monde alentour, mais je ne souscrivais pas à son enchantement.
La Big Boss débarquait en fait épisodiquement dans nos bureaux, telle une rock-star en visite surprise, mettant en avant ses atouts et son prestige. Ses signes extérieurs de richesse étaient censés nous impressionner et nous émouvoir, mais son abject mesquinerie m’était devenue personnellement insupportable. Tout cela allait justement être bousculé par une heureuse arrivée, un candide et désastreux raz-de-marré. Et personne n’aurait pu imaginer les conséquences désastreuses pour l’entreprise alors soudainement bringuebalée dans le sillage d’une amicale petite comète appelée Andrjoz.
Je me souviens très bien de son arrivée et de sa première entrevue avec la Big Boss. Je passais par là, devant son bureau de ministre, comme Gorkan Ji l’escortait diligemment jusqu’à elle. La Grande Diva se leva promptement à leur arrivée et se déplaça magistralement jusqu’à Andrjoz, les bras tendus en avant pour l’accueillir chaleureusement. Je les ai vu se rapprocher, puis s’échanger tout sourire une poignée de main cordiale, quand j’ai surpris le flash photo !
J’avais surpris en effet, dans les yeux du monstre habillée en Diva, le même flash de lumière que dans les yeux de Gorkan à notre première rencontre ! Moi qui avais pris cela pour un intérêt de cœur, je commençais à mieux comprendre ma relation avec mon chef de service. Je sais aujourd’hui que cette étincelle de joie furtive correspond en réalité à un rare moment de plaisir pour un monstre inapte au bonheur. C’était en fait, très prosaïquement, le signe d’un prédateur ferrant une proie qui saura améliorer son menu quotidien… une petite étincelle perverse, mais authentique et sincère.
Andrjoz est resté le temps de comprendre ce qu’elle était réellement, avant de prendre la fuite subitement. Mais son analyse personnelle transparaissait clairement dans les rapports d’étude qu’il avait laissé intentionnellement derrière lui. Il avait éparpillé ça et là divers documents, à l’attention de nombreux services, et avait négligemment oublié son porte document qu’il n’est jamais venu rechercher…
Le personnel de l’entreprise avait évidemment senti la tension monter au fil du temps entre ces deux personnages, et des histoires commençaient à circuler à propos de l’intégrité professionnelle d’Andrjoz. Cela a fini par diviser nos services en deux groupes distincts, presque opposables. Aussi, après le départ précipité et donc suspect d’Andrjoz, les personnes l’ayant côtoyé d’un peu trop près, moi y compris, ont été invité d’une manière assez machiavélique à un entretien de réajustement privé. Nous étions tout un collectif à subir, les uns après les autres, une séance d’intimidation digne d’un mauvais film à grand budget.
Au beau milieu d’un somptueux salon réservé aux réceptions mondaines, siégeaient en ringuette les quatre principaux chefs de service. La Diva, au centre évidemment, trônait parmi eux. Je me souviens surtout d’un protocole très austère et de cette posture de fusillé à qui personne ne pense à proposer au moins un tabouret. Puis j’ai eu droit à un lavage de cerveau en bonne et due forme, je n’étais cependant plus manipulable. Mes collègues non plus d’ailleurs. Nous avions tous été conquis par le professionnalisme d’Andrjoz et les solutions qu’il était venu nous apporter.
La Grande Diva s’appliqua néanmoins obstinément dans sa calomnie. Mais ses mensonges éhontés étaient abracadabrants et ne tenaient vraiment pas la route. Sa stratégie à son grand désarroi ne fonctionnait pas avec cet oiseau-là et elle réalisa, outragée, qu’elle pédalait toute seule cette fois dans sa propre choucroute. Elle s’est frénétiquement mise alors à la recherche de nouvelles têtes à couper, perdant visiblement son sang froid légendaire… et toute l’entreprise en a été inquiétée.
De nombreux départs volontaires ont fini par ébranler l’empire commercial de ce tyran des affaires, qui n’agissait plus que sous l’emprise de la vulgarité et de la colère. Ce monstre fustigeait tout le personnel de l’entreprise sans distinction aucune et poursuivait inlassablement Andrjoz, à distance, en produisant des faux parfaitement grossiers. Le crime de lèse-majesté devait être visible aux yeux de tous, mais sa manigance cette fois-ci a capoté !
Au milieu de la tourmente, Gorkan avait changé. Il n’était plus lui-même. Il avait perdu toute sa flamboyance et son visage, continuellement crispé, exprimait l’anxiété. Une détresse affligeante s’était en effet emparée de lui, car il était seul responsable de la venue d’Andrjoz… ce que sa chère et rude sirène lui rappelait, très sèchement, à maintes occasions.
Gorkan endossa ainsi sans sourciller son nouveau costume de mouton, aveuglément complaisant. C’est ainsi qu’il est devenu l’unique responsable des déboires de sa bienfaitrice, inapte aux prévoyances les plus élémentaires, incapable d’apporter la moindre solution corrective… je suis partie avant le rush final. Mais j’ai appris ce que Gorkan avait fait, et j’ai suivi de loin la déchéance pitoyable de cette grande prêtresse azimutée.
À chacun son Choix
Au seuil de la quatrième dimension
Après mon licenciement, je me suis retrouvée toute seule chez moi, dans mon petit appartement. J’avais investi toute mes énergies au service de cette entreprise et il ne me restait plus grand chose de mon ancienne vie. Je me rendais compte aussi, petit à petit, du décalage entre mes dernières fonctions professionnelles, odieusement perverties, et mes véritables et authentiques valeurs piétinées par cet aveugle labeur.
Mon rôle d’assistante s’était transformé, ni vu ni connu, en celui d’automate zombi à la solde d’un seul et même despote, et je réalisais que c’était un consensus aveugle qui lui avait permis de bâtir sa pyramide du pouvoir. Et ce même consentement implicite la maintenait subséquemment en cohésion avec, en prime, les grâces de l’assistance sociale et des finances publiques.
Après une période de confusion, j’ai demandé à faire un bilan de ma carrière professionnelle avec une adaptatrice sociale. Je m’imaginais des entretiens privés avec une professionnelle formée à une écoute neutre et bienveillante. Je pensais trouver une personne pleine de ressort, capable de me comprendre et de m’orienter sur de nouvelles pistes. Je me suis en fait retrouvée dans un open-space impressionnant, bardé de petites niches à ciel ouvert, aux prises avec un soudain vertige. L’atmosphère y était oppressante et mugissait de mille et une questions-réponses simultanées, alternées de bips sonores informatiques.
Je me suis un peu calmée et j’ai trouvé un petit siège inoccupé entre deux autres bénéficiaires. Un peu égarée, j’ai attendu mon tour, fermement déterminée à jouer le jeu. À ma profonde déception, je n’ai bénéficié d’aucune véritable écoute ni de bienveillance, encore moins d’un quelconque ressort éclairant. Pire, j’ai changé trois fois d’adaptatrice dans le même mois et il a fallu que je m’adapte aux manières de chacune… tout cela pour la production d’une synthèse que je n’ai du reste jamais reçu.
C’était pourtant la raison d’être, in fine, de ces centres d’adaptation au travail : aider l’inadapté à cocher des petites cases, celles correspondant aux aptitudes expressément attendues à Prvimozk, puis le pousser à expurger son bagage de compétences au travers d’un tamis amèrement discriminatoire.
Une synthèse, très officielle, était systématiquement produite en fin de bilan et présentée au bénéficiaire du traitement. La personne accompagnée devait alors la lire à haute voix et l’approuver, pour ensuite la signer. Je savais pour ma part que je ne collais plus au moule de Prvimozk car j’avais commencé à penser par moi-même et cela transparaissait ouvertement dans mes entretiens. J’en avais décidément trop dit, alors j’ai poliment refusé de signer en partant.
Je ressentais cependant le besoin d’être entendue, à défaut d’être comprise. Je me suis alors rapprochée de mon médecin traitant, un ajusteur médical plutôt sympa mais qui ne m’a pas beaucoup aidé. Il a écouté ce qu’il pouvait entendre et m’a orienté vers la zatvoriatrie qu’il disait efficace pour traiter mes troubles d’humeur. J’avais besoin de le croire.
La zatvoriatrie malheureusement ne m’a pas soulagé en quoi que ce soit. Son obscurantisme a plutôt failli m’enfoncer plus qu’autre chose. Mon zatvoriatre ne m’a pas plus écouté que mon ajusteur médical, je crois même qu’il ne m’a jamais regardé dans les yeux. En fait, je ne me souviens pas d’un réel contact avec ce monsieur. Il m’avait cependant immédiatement catalogué et son diagnostic, savamment tranché, était sans appel. Mes inquiétudes étaient infondées, mes observations personnelles délirantes, et je souffrais d’un début de quelque chose dont il cherchait encore la bonne étiquette mais qu’il fallait absolument traiter ici et maintenant.
Je suis repartie, le cœur serré, en lui promettant de revenir très vite. Je conservais en vérité, et tristement en mon cœur, le souvenir d’amies qui ont eu affaire au traitement qu’il me proposait. Cela les avait irrémédiablement transformé en mort-vivantes et j’en étais encore profondément affectée.
Au comble du désespoir, je voyais s’effilocher mes derniers repères autour de moi et ressentais l’horrible sensation de dégringoler intérieurement, avec une tension telle que j’avais littéralement l’impression d’imploser. Cela dit, et très paradoxalement, une paix indicible m’envahissait par moments. Je ressentais alors comme une nouvelle présence s’installer en mon cœur, durablement.
J’avais aussi le sentiment confus mais prégnant qu’un genre nouveau d’élan se préparait en coulisse, et que des changements sociétaux conséquents déjà s’opéraient discrètement. C’était une intuition forte, mais je ne portais alors que peu de crédit à ce ressenti. J’avais envie d’y croire, bien sûr, parce que je voulais que ça bouge, mais j’avais surtout besoin de valider ou infirmer mon diagnostic zatvoriatrique avec prudence… étais-je complètement cinglée ?
Et puis c’est arrivé, d’un seul coup ! Les évènements se sont carrément précipités mais je ne m’attendais pas à ça. Pas un seul instant j’aurai pu imaginer un tel scénario. J’avais l’impression que subitement, le monde entier avait basculé en pleine science-fiction ! Un virus mortel, échappé d’un laboratoire de recherche et propagé parmi la population… une épidémie mondiale !!
Alerte générale, branle-bas de combat politique, médiatique, sanitaire et social… toute la population de Krjoy en a été inquiétée. Cet incroyable remue-ménage devait permettre à tous de se déplacer vers la quatrième dimension, celle du grand Choix.
Le temps des Chrysalides
Où chacun trouve sa place
L’agitation autour de ladite pandémie était surprenante, scandaleusement disproportionnée. Et les autorités contraignaient la population à de telles servitudes mortifères qu’une frange entière de la population commença à y regarder d’un peu plus près.
La Lumière, de son côté, arrivait par vagues et de petits collectifs éclairés ont fini par se constituer et incriminer les manœuvres politiques les plus grossières. Certains, accompagnés de juristes et d’avocats intègres, s’étaient même directement attaqués au corps sanitaire, exigeant une transparence que ce dernier était bien incapable de fournir dans cette affaire-là, car les couloirs sombres de la haute finance étaient honteusement intriqués à ceux de la santé.
Un soi-disant remède au virus avait d’ailleurs été produit et commercialisé à l’échelle planétaire, un vaccin inutile et toxique mais tellement rentable ! Je devais comprendre plus tard que cette ingénierie, restée dans les cartons pendant plus d’une décennie, avait été élaborée par la science archnorienne afin de s’opposer à la délivrance programmée des étudiants. Et cette coquille vide patientait stoïquement, prête à jaillir de l’ombre pour sévir docilement.
Une grande partie de la population demeurait d’ailleurs aveuglée par la propagande reptilienne, hypnotisée par les fards de Prvimozk. Les gens, terrorisés par les médias, étaient obnubilés par un tas d’idées morbides et beaucoup réclamaient le fameux vaccin qui allait tout endiguer et tout résoudre. Ils pensaient encore pouvoir reprendre une vie normale après tous ces évènements… ils ne se doutaient pas que Krjoy avait passé la porte de la quatrième dimension, ignorant même les connexions analogiques de leur propre identité biologique avec le réseau énergétique de cette Sphère.
Aucun retour en arrière n’était plus possible. Le vieux monde s’effaçait tout simplement pendant que nous transitions, à travers cet ultime référendum fréquentiel, en période de quarantaine énergétique. Andrjoz m’a longuement entretenu à propos de ce Grand choix… et m’a notamment expliqué le phénomène de tension superficielle entre deux dimensions, en prenant l’exemple de l’eau :
« – Pour émerger dans l’air, percer la surface de l’eau exige un brusque effort. La quatrième dimension est comme cette surface. Je fais l’effort de sortir à l’air ou je reste tranquillement dans l’eau s’interroge le poisson ? C’est une question existentielle… à chacun son ère »
Dans cette tension entre deux mondes, cette purge entre deux choix, rien n’allait plus. Les habitants subissaient une contrainte en entonnoir, tandis que la matrice entière s’effondrait sur elle-même. Les forces extérieures contenaient toute lutte véritable et la seule issue réellement fiable restait les voies, encore très étroites chez certains, de la Lumière.
J’ai vécu cette période de chrysalide pendant plusieurs mois, toute seule chez moi avec mon chat. Puis j’ai commencé à avoir des visions, des images insolites que je ne comprenais pas. Ma perception du subtil manquait alors de cohérence mais j’avais la preuve, à l’extérieur, que le monde était devenu complètement fou. Ce monde avait juste pété les plombs ! Dans le fond, je ne devais pas être si dérangée que ça…
Et puis je m’étais fait de nouveaux amis, la plupart d’entre eux à distance. J’ai d’abord eu un premier contact grâce à une rencontre fortuite, puis un autre qui en connaissait un autre… jusqu’à former un petit collectif qui partageait la même soif de liberté. Nous échangions nos expériences, nos questionnements, et relayions des infos utiles. Je me sentais de nouveau appartenir à un groupe et reprenais progressivement confiance en moi.
Tous, nous subissions des symptômes relativement similaires. Des moments de souffrance inexpiables, suivis de moments purement magiques de montées vibratoires. Certains, plus avancés, décrivaient ce qu’ils percevaient déjà de l’autre côté de leur chrysalide énergétique, les yeux encore mi-clos… il y avait là un autre monde et il nous attendait, cela ne faisait plus aucun doute pour moi.
Mon nouveau groupe d’appartenance m’a ainsi permis d’échapper au vaccin-miracle et de rester biologiquement intègre durant le temps de ma transition énergétique. Je ne me doutais pas alors du merveilleux qui nous attendait tous. Comment pourrais-je transcrire en simples mots une telle délivrance ?
L’Apocalyse selon Urdinka
Dénouement et réveil final
La suprématie reptilienne en Krjoy arrivait à son terme, et l’espace-temps se divisait en deux dimensions qui graduellement s’éloignaient l’une de l’autre. Krjoy allait bientôt ascensionner, laissant derrière Elle une mue desséchée parfaitement synchronisée aux projections reptiliennes.
C’était la condition de sa fin d’exercice… offrir un nouvel espace vital à l’espèce archnorienne. Krjoy devait user de ce ressort pour se propulser à l’octave supérieur, et avait consenti à laisser mourir en Elle son ancien monde étudiant et abandonner sa propre dépouille aux prédateurs enchaînés aux basses fréquences. Andrjoz m’expliqua ce phénomène de ressort en tendant un élastique verticalement :
« – Il y a ceux qui te tirent vers le haut, et ceux qui te tirent vers le bas. Quand la tension devient trop forte l’élastique casse… éjectant chacun dans la direction de ses aspirations »
Toutes ces révélations post-immersion ont fait leur chemin, et mon champ de vision a considérablement évolué depuis mon dernier éveil, au point de tolérer plus facilement l’inacceptable.
Les espaces archnoriens décrits par Andrjoz, et réservés à des fins d’exploitation industrielle, étaient en fait de véritables pénitenciers en résonance avec les accords mineurs les plus bas. Surpopulation, harcèlement technologique, environnement toxique… il y avait là toute une architecture structurelle complexe qui répondait très fidèlement aux projections mentales d’une dynastie toute entière de prédateurs endurcis. Ceux précisément qui, pris au jeu du pouvoir, avaient pernicieusement fomenté le rapt du collectif étudiant en Krjoy. Ces pauvres diables, bientôt exploités en pleine conscience par d’insatiables légions archnoriennes, allaient connaître une aliénation des plus rudes.
En Krjoy, encore pervertie par les coquilles vides et leurs affligeants vernis, la première torpille stellaire est venue tout fracasser !! La première Grande vérité a directement et soudainement été révélée au monde entier :
« vous n’êtes pas tous seuls dans l’espace et vous ne l’avez jamais été !! »
À partir de là, tout a pris une allure très différente… une armada de vaisseaux inter-dimensionnels a commencé à apparaître aux yeux des plus éveillés, un peu partout dans les cieux de Krjoy, une flottille par ailleurs annoncée par de nombreux télépathes en sa surface. Je n’avais jamais été aussi impressionnée de toute ma vie, la première fois que j’ai vu de mes yeux vu cette incroyable bio-technologie. Des formes, des lignes et des mouvements juste parfaits. Je me demandais si je rêvais, et si même je devais m’en réjouir ou pas.
La suite des évènements m’invita à plus de sérénité. De proches cousins voisins étaient venus nous prêter main forte et nous invitaient à entrer dans la Cour des Grands, nous retrouvant dés lors sous leur protection et juridiction. Les jeux par ailleurs étaient faits, nous avions tous déjà pris notre ticket, et personne ne pouvait plus manigancer pour nous l’arracher des mains.
Mon environnement, tel que je le connaissais, avait par ailleurs changé perceptiblement. Son atmosphère par exemple, plus légère, était exempte d’inconvenance énergétique et je percevais de fait les couleurs de manière plus intenses, un peu comme à travers les vitraux d’une église inondée de lumière. Il m’arrivait cependant de croiser des voisins égarés, hébétés, je m’employais alors à soulager leurs maux étranges avec des mots bien à moi. Certains d’entre eux avaient carrément fondu les plombs et erraient dans des états morbides inquiétants… mais je ne croisais plus aucune hostilité.
La population avait réagit de mille et une façons, puis tout le monde a fini par s’apaiser et s’acclimater à cette nouvelle manière de vivre sans prédateur. Périodiquement également, nous entendions parler de choses incroyables au sujet de nos grands frères de l’espace, qui n’œuvraient alors qu’à une distance encore respectable. Leurs révélations éclairaient de nouvelles voies scientifiques et une nouvelle forme sociétale déjà se profilait. D’incroyables évènements étaient également annoncés, comme l’apparition ou la disparition d’un règne ou d’une espèce, tandis que parmi la population krjoyenne, de nombreux étudiants ont commencé à porter leur vêtement de Lumière…
Ce costume de Lumière, c’était le devenir de tout aspirant krjoyen, dévoilé à tous par notre famille venue des étoiles. Le tissu même de Krjoy changeait d’octave, et la zone de confort de chacun était compressée au maximum… accompagnant les délivrances qui survenaient toujours au moment opportun. De chaque chrysalide émergeait alors un nouvel être, sous un nouveau soleil, tendant ses bras vers un nouveau ciel.
Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie lorsque la Lumière a embrasé les yeux de mon cœur. Je me sentais fin prête et j’étais en même temps morte de peur. En fait, je sentais que je devais consentir à mourir sans mourir… un truc de fou que j’ai pourtant accepté intérieurement. Cela a été un moment de révélation étourdissant, hors de toute réalité exprimable. Krjoy était une partie de moi et j’étais un petit bout d’Elle. Et en m’éveillant à notre véritable nature commune, je la libérais de toutes mes mémoires individuelles…
Toutes les fibres de mon corps à ce moment-là exultèrent de joie, et je vivais pour la première fois un bonheur si intense qu’il en était quasi-insoutenable, tandis que mon corps biologique devenu luminescent éclairait les surfaces alentour… c’était prodigieux et stupéfiant ! Il était devenu si léger, si grisant à porter !! J’avais en fait la sensation d’être complètement nue, sans plus de comparaison aucune avec un simple petit ver de Terre.
Les enfants stellaires en tout Krjoy nous avaient montré le chemin de la délivrance, la voie du retour à la maison, et au fur et à mesure de nos métamorphoses, des relations plus soutenues ont fini par se nouer avec nos grands frères des espaces libres. C’est ainsi que j’ai finalement réussi à poser un visage sur cette forme particulière d’intuition qui m’avait tant soutenu et poussé en avant. Le visage qui m’est apparu alors spontanément était celui d’Andrjoz, et assez curieusement, cela m’avait semblé aller de soi…
Urdinka Yo, aspirante krjoyenne, stagiaire en Clinique
– CHAPITRE 5 – LE MEILLEUR À VENIR
Supervision Universitaire – Vrilya Jna
Le salon universitaire
Arrivée par l’ascenseur dimensionnel
Andrjoz était visiblement électrisé et jubilait intérieurement, émerveillé par la beauté des lieux et l’atmosphère olympienne qui s’en dégageait. Il tentait de toucher l’air, faisant mime de le palper, tous ces parfums colorés devait lui sembler si extrême… je les confondais moi-même avec la Lumière Or qui saturait le salon choisi par Zgravja. Urdinka, qui se tenait à ses côtés, était pareillement subjuguée. Figée debout, raide, les yeux écarquillés. Elle est restée bouché bée un bon moment tandis que Gorkan, lui, s’était effondré… il n’a pas supporté le choc de son arrivée en ces lieux et gisait agrafé au sol.
Devant l’effondrement du jeune Gorkan Ji, Zgravja acclimata immédiatement les lieux d’un léger mouvement presque imperceptible. Elle était plus resplendissante que jamais. Une étoile s’approche de vous, un soleil s’incline vers vous, et vous ne vous sentez pas à votre place. C’est ce que j’ai perçu en eux, et Gorkan en a manifestement été épouvanté. Cherchant à fuir sa terreur, il tentait désespérément d’accrocher de ses ongles sur le parterre une dalle imaginaire. Les filtres tamisèrent alors la Lumière et tous ses muscles se relâchèrent en un clin d’œil.
Il était encore à genoux, reposant ses mains à plat au sol et haletant bruyamment, quand il s’adressa à Zgravja d’une voix mal assurée :
« – Merci d’avoir baissé le volume… je ne pouvais pas savoir… je ne pouvais pas savoir…
– Oui, nous comprenons parfaitement, c’était à l’extrême limite de ta zone de confort. Tu n’auras pas à revivre cette expérience, nous avons calibré les fréquences d’entrée à ton niveau vibratoire. Et toi, Urdinka, comment te sens-tu à présent ?
– Wahou, extraordinairement bien ! Je veux dire mieux que tout à l’heure dans l’ascenseur… Wahou, quelle montée ! J’avais l’impression d’être une fusée fracassant tous les niveaux. C’était physiquement sensationnel !!
– Et toi Andrjoz, comment vas-tu ?
– Oui, ça va. J’ai pris une belle claque, mais là ça va, merci d’avoir baisser
– Oui, vous souhaitiez vous entretenir en Vérité avec moi, et vous sentez la Vérité vous contenir tous et chacun déjà. Larsens d’une même arborescence fractale, vivons-le joyeusement, nous sommes tous en Vérité déjà Cela !»
Après leur pérégrination commune à Prvimozk, ils avaient tous souhaité se retrouver en esprit, d’une manière ou d’une autre. J’ai alors autorisé Zgravja à utiliser un des salons d’accueil de notre Université. C’était à sa demande, pour une visite de courtoisie. Nous avons beaucoup appris de ses amis.
Le petit groupe prit donc solennellement place, sur de confortables sofas, autour d’une petite table basse. Nos invités écoutèrent leur hôte résumer le fonctionnement de l’Université et tentèrent de comprendre les implications de ses nouvelles fonctions. Elle dévoila enfin, humblement, son intention de renforcer les liens de leur petit collectif, déjà soudé par les circonstances.
Il y avait là une harmonie rare dans ce quatuor improvisé, de solides liens d’amitié unissaient déjà en effet ces quatre instruments du destin. Tous étaient ravis de se voir, enthousiastes à l’idée de se revoir, et prompts à s’ouvrir plus intimement les uns aux autres. En fait, tous ces liens de cœur étaient déjà assez forts pour une connexion fiable à travers l’espace et le temps… une belle brochette multidimensionnelle.
Harmonisation du quatuor
Accords communs entre témoins
Autour de la table basse, chacun livra tour à tour son témoignage calmement, pacifiquement, et la vision d’un resquilleur converti était une véritable bénédiction pour Zgravja. Gorkan avait une petite flamme intrépide dans les yeux et semblait toujours prêt à faire une bêtise prodigieuse, mais il avait aussi un côté attachant, lié à un passé que tous ignoraient encore.
Il a fallu l’aider un peu, dans ce salon d’accueil, à verbaliser son expérience de reptilien charmeur et témoigner de ses principales activités en Krjoy. Urdinka se pinçait les lèvres à le regarder chercher ses mots et leurs regards se croisaient souvent, en toute bienveillance.
Zgravja choisit un moment de pause pour les inviter à se détendre davantage et leur proposa le Satshy réservé aux visiteurs. Tous se dévisagèrent en s’approchant des arômes de l’élixir, regards et sourires incrédules. Après un temps de dégustation exotique, Urdinka s’adressa à Gorkan :
« -J’ai beaucoup appris grâce à toi, je suis heureuse de te revoir
– Oui, je le sens. Je suis heureux d’être là aussi, avec toi
– Je suis contente d’obtenir si facilement ici ta pleine attention
– C’est maintenant que j’apprends de toi, Urdinka. Je ne savais pas…
– Tu ne pouvais pas savoir, Gorkan
– Si, d’une certaine manière, si. Je ressentais bien quelque chose… mais cela m’était tellement plus confortable d’assimiler ta noblesse de cœur à une tare invalidante… »
Gorkan gagnait sa vie en exploitant la bienveillance des krjoyens à Prvimozk, les considérant génétiquement attardés à cause de leur gentillesse spontanée. Urdinka avait juste fait partie du lot, et sa valeur n’avait été considérée qu’au seul regard de la promotion sociale de ce bourreau des cœurs.
Andrjoz prit la parole. Il avait travaillé un temps avec Gorkan, dans son service administratif, et avait ensuite pris soin de lui à son arrivée en la Grande Clinique. Urdinka avait également travaillé dans ce même service, et y avait rencontré Andrjoz avec lequel elle partage à présent périodiquement son temps en qualité de stagiaire en médecine, en la Grande Clinique.
Andrjoz insista d’abord sur les qualités d’Urdinka, la décrivant comme une assistante souriante et rigoureuse, douée et toute dévouée à Gorkan, son chef de service. Mais ce dernier n’avait d’attention que pour sa supérieure hiérarchique… une Grande Dame des affaires sombrement charismatique. Andrjoz raconta ensuite, sans aucune retenue, comment il se confronta à ce monstre maquillé en Prima Donna :
« – C’était un raptor de haute voltige, une perverse narcissique animée des pires intentions ! Elle était manipulée par toute une légion archnor, prête à enjamber mon cadavre sans la moindre hésitation ni le moindre remords ! »
Je connaissais précisément ce monstre méprisant. Dans cette immersion, il jouissait d’une façade admirable. C’était une femme d’apparence distinguée, intelligente et travailleuse, une vrai battante au yeux de tous. Mais ce monstre était aussi et au besoin une bienfaitrice incomprise, une femme fragile et sans défense, persécutée par l’injustice d’un monde sans reconnaissance. Oui, je connaissais bien ce reptile, et Andrjoz a dû en manger des ronds de chapeau.
Il semblait en fait avoir beaucoup appris de cette confrontation, et nous offrait ici sa vision. Les partenaires de l’entreprise, scandait-il, étaient tous aveuglés par le vernis de cette Diva agitée dont l’omniprésence pernicieuse avait crée, en interne, une tension délétère nettement palpable. Dans les faits, tous les employés s’étaient ensemble implicitement accordés sur un même refrain complaisant : Oui c’est souvent difficile avec elle, mais elle est tellement intelligente et si charismatique… douée et sensible… il faut la comprendre !
La conclusion d’Andrjoz, très professorale, était vive et tranchée :
« La seule chose vraiment à comprendre est qu’il s’agit d’une coquille vide, affreusement vide, et que la coquille ne supporte pas son vide ! Elle a besoin d’un tiers pour le porter à sa place…
La coquille flaire d’abord une proie brillante, l’appâte avec son vernis, et la scanne en profondeur pour connaître ses besoins et ses valeurs. Elle lui offre ensuite une lune de miel, précisément l’attention et la reconnaissance dont sa proie a été privée durant son enfance. Une fois engluée dans la relation, le prédateur écume alors à feu doux l’intégrité de sa victime, en soufflant sur elle du chaud et du froid. Son but est de lui dérober sa Lumière pour redorer son vernis, tout en lui refilant le mal-être du néant qui l’habite.
Le prédateur immerge ainsi sa proie dans son aberrante folie, l’impliquant directement dans ses fausses vérités et ses mensonges éhontés. Le vernis gonfle avec le temps, et de l’extérieur on n’y voit que du feu. La coquille elle-même n’a d’ailleurs pas forcément conscience de son mécanisme de survie. Elle remarque cependant que sa présence, en tous lieux et en toutes circonstances, génère toujours alentour de vives réactions. La coquille en déduit alors qu’elle est vraiment une personne exceptionnelle et qu’elle mérite de ce fait les plus grands honneurs »
Le salaire d’un raptor à Prvimozk était en effet à la mesure de sa démesure. Un grand hic cependant, commun à tous les sauriens, torturait toutefois leurs esprits ambitieux… c’était le temps ! Tous les raptors sentent instinctivement les temps de la fin arriver, et cela en a épouvanté plus d’un. C’est dans ce contexte particulier que nos amis présents ici se sont rencontrés…
La Grande Diva
La chute d’un monstre
La grande dame des affaires, face à une envie soudaine d’augmenter significativement son salaire, projetait de comprimer son capital humain afin d’en extraire plus rapidement plus de gains. Et pour faire passer la pilule, elle comptait sur un levier externe. C’est là qu’Andrjoz fit son entrée sur scène, conduit jusqu’à elle par Gorkan Ji.
Le contrat passé, affirmait Andrjoz, était clairement rédigé. La Directrice souhaitait moderniser divers services et sollicitait pour cela ses compétences. La première partie de la prestation s’est d’ailleurs déroulée à merveille, jusqu’à ce que la Diva réalise que Andrjoz ne jouait pas le jeu de sa stratégie, et que ni ses yeux doux ni mêmes ses intimidations n’avaient aucune emprise sur lui. Tout vira alors subitement en eau de boudin…
« – C’était une jolie petite ruche, animée d’adorables jeunes ouvrières prises en otage par un abominable frelon asiatique. Le monstre, très régulièrement, faisait dépasser une tête au-dessus du filet afin de pouvoir la sabrer et la fustiger quelque temps. Certaines victimes servaient parfois même de bouc émissaire avant de finir à la poubelle ! »
La réorganisation que Andrjoz chercha à initier rendait les équipes plus autonomes et cela inquiéta la grande Diva dans ses manipulations. Un réaménagement réellement efficient aurait menacé le flou artistique qu’elle s’escrimait tant à préserver, cela ne collait pas du tout avec son attente première quelque peu implicite… Andrjoz tentait d’éclairer pour multiplier et davantage partager, alors qu’elle bataillait à davantage voiler, pour mieux soustraire et diviser. Lorsque le masque de la Diva est accidentellement tombé lors de leur ultime et violente altercation, Andrjoz est parti sans se justifier. C’était l’action ad hoc attendue de lui, celle qui l’a révélé à nos services.
Devant un tel affront, la Diva a explosé et s’est acharnée toute seule sur Andrjoz parti. L’absence de réponse était la pire des réponses et le crime de lèse-majesté est resté impuni au yeux de tous. Andrjoz en riait à présent. Urdinka était assise en tailleur à côté de lui et en riait également, sous cape plus discrètement… elle était présente aux premières loges et se remémorait les déplorables évènements qui ont entraîné la chute du monstre.
Les excès de la Diva ont dans les faits précipité la fin de son règne, en éclairant les zones d’ombre qui dissimulaient les réels agissements de ce personnage agité. Son masque est brutalement tombé en public, quand tous ont découvert son trafic d’influence, ses détournements de fonds, et les sévices qu’elle affligeait à ses enfants et à son conjoint. Cette grande dame, inculpée pour vol aggravé, harcèlement psychologique et maltraitance, souffrait également d’une dangereuse polytoxicomanie. Contrainte à entrer en cure de désintoxication, elle a absolument tout perdu dans l’année qui a suivi sa rencontre avec Andrjoz…
Gorkan était assis en bout de sofa, les mains jointes, enserrées. Son visage était tendu et tristement souriant. Ces souvenirs lui étaient particulièrement inconfortables… une nuit noire de l’âme qu’il avoua en quelques mots assez succincts à la petite assemblée. C’était déjà beaucoup. Il avait fait un choix crucial en fin d’exercice, que personne ne souhaitait encore évoqué.
Tous ces témoignages me renvoyaient d’ailleurs moi-même à mon passé, car j’avais bien connu ce monstre. Cette Diva avait été mon père, il y a quelque temps de cela déjà, de loin la pire expérience de toutes mes immersions en Krjoy. Et certainement la plus instructive également. C’est en grande partie à ce raptor que je dois aujourd’hui mon affectation auprès de Kal Kyrian et un accès libre à la Grande Bibliothèque. Pour autant, je suis vraiment heureuse d’avoir définitivement coupé les ponts avec lui…
Libre arbitre
Trajets personnels et chemins communs
Gorkan Ji a reçu notre permission pour revenir sur un temps d’exercice en Krjoy. Il inaugure sans le savoir vraiment une nouvelle version pédagogique de nos nouvelles archives compilées. Ces dernières autorisent déjà d’authentiques immersions sur de nouveaux plateaux numérisés, totalement sécurisés. Les données recueillies grâce au dernier grand cycle en Krjoy ont en effet permis l’élaboration de nouveaux modèles de cosmo-pédagogie active. Entrées et sorties permanentes, parcours individualisés, garantis sans touriste et avec de vrais faux-raptors.
Gorkan avait le soutien de son équipe, laquelle lui avait assuré de l’aider à se libérer une bonne fois pour toutes de son lourd costume de pirate. Déterminé, il avait résolument mis le cap sur les espaces libres et tendait déjà de nouveau les voiles. Après leur séance de travail, Gorkan se leva, visiblement ému par ces touchants échanges et témoignages. Il trembla un peu, presque hésitant, puis s’avança d’un pas affirmé vers l’alcôve dédié à sa fréquence. Il salua brièvement de la main ses nouveaux amis qu’il laissa là, comme il sentait déjà l’aspiration des méandres de son immersion éducative.
Gorkan est reparti dans un nouveau costume neurotypé, plongé en un simili-Prvimozk flambant neuf fonctionnant en boucles courtes. Une nouvelle histoire, de nouvelles épreuves, au travers desquelles il allait apprendre à accepter l’aide providentielle apportée par de mystérieux amis invisibles qui l’observeraient d’un au-delà improbable et inaccessible. C’est ce qu’ils avaient convenu ensemble, dans les grandes lignes.
« – Hi hi hi, j’ai vu Gorkan nous faire un clin d’œil… je crois…
– Oui, il est bien arrivé. Il se réveille d’un somme dans son histoire de soldat déserteur. Il exprime inconsciemment sa joie d’avoir partagé ce moment privilégié avec nous. Son sourire fait référence à son rêve, un souvenir de nos ententes déformé par le prisme de son immersion… il y a visiblement beaucoup d’affection dans notre petite équipe. Son corps est aligné, régénéré, je vois que tout est ok pour lui
– Oui, beaucoup d’affection entre nous, un truc que je ressens en fait dans tout mon corps, comme une douce circulation sanguine… »
Zgravja sourit largement, cette remarque d’Andrjoz était singulièrement pertinente. Elle attendait cependant, sagement, le bon moment pour s’entretenir seule à seul avec lui. Elle souhaitait l’éclairer sur ses liens intemporels avec Urdinka, mais aussi et surtout avec elle-même.
Elle attendait depuis longtemps déjà cet entretien privé durant lequel elle lui rappellerait avoir été sa fille, dans une immersion inoubliable… une histoire déchirante. Jamais elle n’avait reçu une telle attention paternelle, aussi exubérante de joie de vivre en Krjoy, capable de braver à elle seule la morbidité du tout Prvimozk. Andrjoz avait été son Dieu en Eden, et cela est gravé dans son disque dur. C’est d’ailleurs, je crois, la principale raison de sa présence parmi nous. Zgravja est fière de s’être engagée pour l’Apocalypse et la réforme de Krjoy, mais très émue aussi à l’idée de revoir son Androjz. Elle comptait sur sa joie contagieuse, m’avait-elle confié très sérieusement, pour dynamiser sa petite troupe… avant de se réjouir bien sûr aussi de la présence d’Urinka Yo et de Gorkan Ji. Ils formaient en vérité l’équipe idéale pour commencer son nouveau mandat.
La galaxie entière était sécurisée et les travaux de réhabilitation avancés. Zgravja participait dès lors aux rattachements des cycles de Krjoy, et sa petite équipe lui a permis une belle entrée en matière. Urdinka s’engagea, après le départ de Gorkan, à s’immerger sans tarder en aveugle à ses côtés. Celui-ci ne le réalisera que plus tard, à l’occasion d’une prochaine entrevue ici-même au sein de ce petit collectif. Andrjoz promis alors à Urdinka de rester présent pas trop loin. Il lui promis de les éclairer tous deux et de dégager les voies, au besoin avec le soutien de Zgravja qui acquiesça d’un sourire entendu.
Urdinka termina son Satshy et sourit à son tour. Elle se leva, s’imprégna un court instant encore de l’atmosphère si particulière de ce salon privé, puis se déplaça vers son alcôve dimensionnelle. Elle dévisagea une dernière fois ses amis avec son sourire de chérubin content de lui, puis s’évanouit. Andrjoz observa la scène en silence, tandis que Zgravja se rapprocha doucement de lui, et l’invita a rester un peu. Ils avaient beaucoup de choses à se dire…
Vrilya Jna, émissaire de l’éboueur Kal Kyrian
« Only women kneel and smile. At the Center of it all… your eyes» D.Bowie
Remerciements
« Merci pour ta lecture, enfant de Krjoy, nous nous sommes sentis moins seuls durant ces instants. Nous sommes là, tout proche en toi, nous gardons ta mémoire durant ton sommeil. Notre rôle prend fin à ton éveil prochain, en Grandson parmi les tiens. Tu ne sais pas encore la raison pour laquelle tu es tant aimé. Enfant des étoiles, encore une fois, merci à toi »
Kal Kyrian, éboueur
Remerciements particuliers à ZIGGY poussière d’étoile, pour le témoignage de son “fantastic voyage”