La peur d’un professeur fou, partie 1.
TORI
J’adorais ma vie. Et c’était probablement la première fois de mon existence que je le criais haut et fort, ou peut être la deuxième fois, en prenant en compte ma journée à Disney Land lorsque j’avais douze ans avec mes parents. Je me rendais aux cours avec un enthousiasme non feint. Je m’intéressais à chaque sujet, voulant toujours en savoir plus, passais des heures dans la bibliothèque, à lire n’importe quel livre qui me passait sous la main. J’appréciais particulièrement les cours d’Histoire sur les Psychics qui étaient complexes, mais plus qu’intéressants.
J’avais ainsi appris que les Psychics étaient une espèce très différente des autres et qui se démarquait notamment par leur besoin de mobilité et d’indépendance. Ils sont rares et se font toujours fait discrets. Sybille m’avait conseillé un livre d’un Ancien Psychic vieux d’un peu plus de neuf-cents ans (un Ancien étant un Surnaturel qui dépassait les cinq-cents ans, j’avais encore du mal à assimiler que je serai probablement une Ancienne à mon tour, un jour) qui avait écrit sur le développement des Psychics. Au Moyen-âge, les Psychics étaient très actifs au Moyen-Orient en créant une Secte d’Assassin afin de faire trembler les Croisés arrivant d’Occident. Ce que l’Histoire Humaine ne nous disait pas, c’est que les Psychics, contrairement aux Humains, avaient réussi à les renvoyer des pays du Moyen-Orient, protégeant ainsi leurs terres. Au cours des siècles et de la découverte de l’Amérique en 1492 par Christophe Colomb, qui était en réalité, un Sorcier, les espèces se sont mélangés. Les Psychics qui résidaient notamment en Afrique et Moyen-Orient ont voyagé aux États-Unis et se sont mélangés avec les Loups-Garous qui étaient essentiellement en Amérique Latine et Centrale, puis les Démons sont entrés dans l’équation, venant d’Europe et des pays nordiques. Ils devinrent un immense peuple, contrôlant l’Amérique du Nord, le Royaume des Démons était gigantesque et était rempli de ressources qui semblaient inépuisables. Cependant, les espèces se sont confondues et vint alors la naissance des Sang-Mêlés et les conflits liés à la haine de la diversité, s’ajoute à cela : le roi Démon, qui était un tyran avec sa population. En découla La Nuit Neuve. Je n’avais pas vraiment eu le temps de l’étudier, mais je savais qu’il s’agissait d’une guerre d’un siècle, la plus meurtrière des Surnaturels.
J’avais été surprise de voir que les Humains n’interféraient jamais dans l’Histoire des Surnaturels pour la simple et bonne raison que les Humains ne pouvaient expliquer l’inexplicable, et bien qu’il y avait eu des pertes considérables, les souvenirs se sont perdus dans les siècles sans qu’il y eût une véritable explication. La mémoire de l’oral n’atteignait jamais la troisième génération, en moyenne. Certains avaient probablement posé sur papier ce qu’ils avaient vu, mais l’époque faisait que personne n’avait l’esprit à croire de telles choses, ils avaient plutôt tendance à le rattacher à la religion ou à de la sorcellerie.
Ensuite, les cours spécialisés avaient été très compliqués pour moi, et notamment la première fois que je m’y étais rendu. Dès le mardi, Sybille m’avait travaillé trois heures pour que je sache faire léviter une plume, ce qui était la chose la plus simple pour les Psychics, mais j’avais beaucoup de mal à le faire sans qu’il y ait quelque chose qui me motivait. Surtout sur un objet sans réelle importance. Par contre, je m’étais découvert une affinité avec la glace. Ça ne venait pas de nulle part, j’avais toujours eu une résistance au froid, cette attirance pour la neige et j’en passe, néanmoins, je n’avais jamais pensé que je serai capable de transformer une immense salle en patinoire géante, et je savais que ce n’avait rien avoir avec des capacités Psychic.
Après une semaine à Ecclésia, je commençais alors à penser que je connaissais pas mal de chose sur les Psychics, mais j’ignorais tous des Démons. Et ma frustration était à son comble. J’avais dès lors fait ma petite enquête pour trouver un livre avec comme sujet : les Démons. Et je découvris qu’il n’y en avait pas. Aucun livre de la bibliothèque d’Ecclésia mettait en avant ce peuple. J’ai alors eu l’idée de demander directement à la directrice de l’école.
Madalena Turner m’invita à entrer et me salua sans vraiment s’intéresser à moi, son attention était rivée sur un livre qui paraissait ancien, plaqué sur ses cuisses, elle lisait.
— Tori, que me vaut cette visite ?
Ses lunettes en demi-lunes reposaient sur son nez. Je ne fus pas surprise qu’elle sache qui venait d’entrer dans son bureau sans me lancer un regard.
— Je me demandais si vous aviez des documents sur les Démons à Ecclésia ? La bibliothèque est grande, mais j’ai vite fait le tour. J’ai une mémoire visuelle, crus-je bon d’ajouter pour ne pas trop me montrer condescendante.
J’avais alors toute son attention. Soudainement, elle enleva ses lunettes qui, entourées d’une chaîne autour de son cou, retombèrent sur sa poitrine et elle posa son livre en veillant à placer un marque-page. Puis se redressa dans son siège. Elle m’invita à m’asseoir, ce que je fis.
— Je suis heureuse que tu me poses la question, Tori. En effet, il n’y a pas de livre qui parle, à proprement dit, de ton peuple. Mais je dois t’informer que j’ai trouvé un professeur pour t’instruire le Démonisme.
Mes yeux s’ouvrirent en grand, j’allais enfin rencontrer un Démon.
— Super ! Quand vais-je le voir ?
Madalena parut mal à l’aise et elle s’arma de son sourire vide d’émotion.
— Le plus rapidement possible ! Il s’appelle Jack. Mais je dois t’annoncer quelque chose.
La Sorcière leva sa main droite dans les airs et une petite tasse rangée dans un meuble se mit à voler doucement pour se poser en face de moi, elle claqua des doigts et un liquide rosé coula de nulle part, arrivant dans ma tasse.
— Du sucre ?
Je hochais la tête. Madalena répéta son geste et le sucre vint se répandre dans le fond de ma tasse, la cuillère tomba à son tour, en m’éclaboussant un peu.
Elle joignit ses deux mains sur le bureau.
— Tu es intelligente et je suis sûr que tu sais pourquoi les Démons nous sont si hostiles et pourquoi nous les évitons.
Ma langue fourcha.
— L’intolérance ?
Je serrais les dents pour m’empêcher de parler. Madalena ne perdit pas son sourire et elle rit sans humour.
— Je dirais plutôt le traumatisme qu’à laissé La Nuit Neuve dans les esprits. Dans tous les cas, les Démons se sont isolés et cachés à Rowenam, empêchant toute communication avec eux, malheureusement.
J’évitais de rappeler que c’était probablement pour se protéger que les Démons s’étaient reclus. La Sorcière reprit :
— Il est donc évident qu’il est très difficile pour nous de te trouver un professeur Démon digne de tes compétences. C’est pourquoi Jack est un Psychic et non un Démon.
J’expulsais tout l’air de mes poumons. Je ne cachais pas ma déception.
— Mais comment voulez-vous que j’apprenne ? Et puis c’est un Psychic, qu’est-ce qu’il y connaît en Démonisme ? Ma voix se chargea de colère sans que je ne m’en aperçoive.
Le visage de Madalena m’apprit que je ne devais pas dépasser certaines limites, alors j’eus l’intelligence de me taire. Me faire remarquer dès le début de l’année n’était pas dans mes priorités même si lui faire fermer son clapet me tentait beaucoup.
— Jack est un vieux Psychic et tu lui dois le respect, Tori. Il sait beaucoup de choses. Et de toute évidence, tu n’as pas le choix.
Lorsque je m’éloignai de son bureau, je soufflais enfin. J’avais une soudaine envie de hurler pour extérioriser toute ma colère. Une colère qui, de jour en jour, augmentait.
Je me rendais dans ma chambre, un air absent. Il n’y avait pas Élise et ni Oswin, elles étaient en cours.
Alors que j’étais seule, je me mis à me rappeler de ce que j’avais vu, chaque détail.
J’avais été témoin d’un massacre. D’un génocide. Et je n’avais rien fais. De toute manière, je savais que je n’aurais rien pu faire, pourtant le souvenir de Clara, probablement vieux de plus d’un siècles, restait vivace dans mon esprit. Je ne dormais presque plus. Ces créatures de l’Enfer qui tuaient tous ces innocents, me retournaient l’estomac sans arrêt et hantaient mes nuits. Je n’avais posé aucune question à Clara, ce qui avait été inhabituel chez moi. Mais étrangement, je n’avais rien voulu savoir sur le moment. Cependant, plus les jours passaient et plus je relativisais et me questionnais. C’est ainsi que je me suis retrouvée à chercher n’importe quelles informations sur ces monstres que je ne connaissais que dans le feu de l’action et dans la terreur de leur agissements. Mes recherches s’étaient avérées vaines, j’avais alors eu l’idée que ces créatures avaient à avoir avec les Démons, puisque aucun document présent à Ecclésia – en tous cas, ceux que je pouvais utiliser – n’en parlait. Même si j’espérais au plus profond de mon être que mon peuple n’était pas ce que reflétait les autres espèces Surnaturels.
J’avais l’infernale impression de ne rien contrôler, comme si une force extérieure tirait les fils du pantin, se jouant de moi. Et ça me rendait folle. C’était dans ces moments que je voulais retrouver mes parents biologiques, pour leur demander si notre peuple était véritablement si cruel et s’il se comportait en réel meurtrier. Lorsque j’y réfléchissais, je me traitais d’idiote. J’étais une idiote pour ne pas avoir cru Greg qui me sermonnait qu’il était un tueur, ou Basil qui me certifiait la noirceur des Surnaturels. Je me disais que ce n’était que des paroles, Greg était en réalité l’homme le plus sympathique que je connaissais et Basil, même si agaçant, était supportable. S’il fallait être honnête, les Humains eux-même sont de êtres cupides violents, il en est de soi pour les êtres Surnaturel, quelle était la différence ?
Puis j’ai vu la réalité, telle quelle était. Les souvenirs de Clara ont été un déclencheur pour moi, et même si j’étais terrorisée, je ne pouvais faire machine arrière. De plus, Madalena ne m’aidait pas beaucoup, me laissant seule dans mes recherches. Ne voulant rien me révéler sur mes propres parents. J’avais essayé, en vain. C’était une vraie tombe. Soit elle était très douée, soit on lui mettait réellement le couteau sous la gorge et cette supposition n’était pas la meilleure.
Je me laissais tomber contre le mur puis glissais au sol. Mon front contre mes genoux, je serrais les poings. Alors que j’insultais Madalena de tous les noms, un son étrange claqua, c’était fugace et grave. En tournant la tête, je vis que la tapisserie avait gelé. Jusqu’au plafond qui était sacrément haut. Je déglutis, il fallait vraiment que je trouve un moyen de canaliser ma colère sinon je craignais de ne plus rien contrôler.
Alors que la nuit tombait, les filles n’étaient toujours pas rentrée. Je savais Élise dans la chambre de Greg avec les garçons, mais je n’avais pas eu de nouvelle d’Oswin. Après tout, nous nous étions échangées que quelques mots.
J’avais placé un seau sur le sol, seul le bruit des gouttes d’eau qui tombait contre le seau comblait un silence apaisant après le malencontreux épisode chez Madalena. Alors que j’écrivais calmement une composition pour l’Histoire, une porte claqua et je sursautais. Oswin apparut dans la chambre, blanche comme un linge et en se tenant le nez qui pissait le sang. Elle me lança un drôle de regard avant de se précipiter vers la salle de bain et le cliquetis du verrou retentit.
Je restais figée, ne sachant pas quoi faire. Après tout, elle n’avait pas eu l’air de vouloir sympathiser la dernière fois. Je plissais les paupières avant de décider de me lever, je ne pouvais pas la laisser comme ça. Je m’approchais timidement de la porte et toquai.
— Oswin, tu vas bien ?
— Laisse-moi.
Qu’est-ce que je disais. Insupportable.
— Je veux juste t’aider.
La porte s’ouvrit à la volée et elle me regarda de haut en bas. Un mouchoir rendu rouge à cause du sang, était rentré dans sa narine droite. Je pouffais sans me retenir. Son visage s’assombrit encore plus.
— Désolée, tu veux…
— Je veux que tu me laisses tranquille, ce n’est pas compliqué.
Je fronçais les sourcils. Je pouvais voir de plus près son visage ainsi, et son œil semblait guérir d’un ancien œil auburn noir. J’en oubliais sa colère contre moi.
— Qui est-ce qui t’as fais ça ?
— Je ne pense pas que ça te regarde, cingla-t-elle.
Je soufflais en levant les bras, elle était très agaçante à m’envoyer bouler sans arrêt.
— C’est quoi ton problème ? J’essaie d’être amicale et …
— Je n’ai pas besoin d’une amie.
Elle renifla et changea de mouchoir. Si elle savait qu’Élise deviendrait folle en sachant qu’Oswin s’est faite frapper par je ne sais qui dans l’enceinte de ce château.
— Je peux très bien aller voir celle ou celui qui t’as fais ça.
Oswin ricana méchamment.
— Je lui ai pété la gueule, ne t’en fais pas. Il est plus amoché que moi, me rétorqua-t-elle, véhémente.
Puis elle s’enferma à double tour dans la salle de bain, de nouveau. Oswin restait un véritable mystère. Elle savait se faire discrète et solitaire, j’avais pu le remarquer au fil des jours. Je ne la voyais que tard le soir, elle n’était qu’une ombre. Pourtant, je la voyais en danger, et un côté altruiste me soufflait de l’aider, car j’en avais les moyens.
Quelle densité dans ce chapitre! Un coup de maître, chapeau Serena!
Oswin attire les problèmes…