“Apprendre à aimer” résonne une chanson de Florent Pagny. Apprendre à aimer en sachant que tout est compté. Les jours, les heures, les sachets de Morphine sur la table de la cuisine. Je n’ai pas vu Jean-Marie depuis plus de dix jours. Je ne sentais pas capable. Jouer la comédie, la tragédie plutôt. Impossible. J’ai inventé une migraine, ils sont partis sans moi. Nathan a eu son diplome, on a fêté ça chacun de notre côté, le coeur balançant entre Lyon et chez nous. Le temps est long. Il y a cet air de nostalgie qui flotte, pourtant je n’ai rien perdu.
D’ailleurs, j’ai même récupéré un peu de sympathie de la part de mon voisin. Cela fait déjà une semaine que je me suis excusée pour “mon comportement déplacé” comme me l’a dicté maman. Lui aussi a trouvé cela stupide, il a presque souri en voyant combien je connaissais mon texte par coeur. Depuis, on s’observe. Je regarde ses gestes mécaniques, cycliques, son air aux aguets, il attend le danger comme une livraison. Je m’amuse de son semblant d’équilibre, lui qui marche toujours penché. Je l’ai surpris une ou deux fois pendant que je lisais, à s’être arrêté en face du portail, figé. À chaque fois, je lui lançais un “bonjour” rapide, lui préférais me fixer encore, comme une réponse. Il est de ces gens mystérieux pourtant fascinants, que l’on ne remarque à peine. Sa maison tombe en ruine, et je m’amuse de sa ressemblance, lui aussi s’écroule.
L’hiver avale tout espoir de soleil sur la région. Les nez rougissent sur les marchés, les mains disparaissent, on ne les sort presque plus. À la maison, le feu ne cesse de crépiter dans la cheminée. Chaque soir, on réunit les fauteuils pour se serrer contre le peu de chaleur. Le peu de bonheur. L’air est triste. Mourrant. Jean-Marie aussi. Bulletin météo terminé.
Très joli texte sur un sujet bien triste.