Les rêves d’une inconnue, partie 2.
TORI
« Il faisait froid, une fine pellicule de neige recouvrait les feuilles mortes de la fin d’automne. Un grand homme, habillé tout en noir, menaçait une jeune femme et sa petite fille. Pourtant, ses yeux violets perçant étaient braqués sur cette enfant, car elle était la cible, le but à atteindre.
— allez-vous-en, et je ne vous ferais aucun mal, déclara la jeune femme avec une voix forte et contrôlée.
La petite fille regardait sa mère avec tellement de respect, cette femme était forte, ça ne faisait aucun doute. Ses longs cheveux noirs étaient tressés derrière son dos et ses yeux noirs comme les plumes d’un corbeau fusillaient l’homme qui voulait s’en prendre à elles. Néanmoins, il y avait sa mère pour la protéger, alors l’enfant n’avait pas peur.
L’homme ricana amèrement sous son masque qui cachait ses lèvres et son nez, seuls ses yeux ressortaient. C’était la tenue des Carelles, les assassins du roi à Rowenam, l’enfant savait très bien que c’étaient des gens très dangereux et entraînés dans un seul but : tuer.
— Comment oses-tu me répondre, maudit Psychic.
L’homme sortit un poignard de sa manche, mais la jeune femme n’avait qu’à faire un geste pour lui ôter des mains grâce à sa télékinésie, elle en profita pour l’envoyer valser contre le tronc d’un sapin. Puissante qu’elle était. Elle prit sa fille dans ses bras pendant que le Carelle était désorienté et colla son front contre le sien. Elle lui envoya ses pensées, qui étaient en réalité des consignes. Après ça, l’homme se releva, furieux, puis serra les poings avant de les lever vers le ciel. Les sapins qui les entouraient se mouvèrent alors. La mère poussa sa fille qui s’écroula sur les fesses un peu plus loin. Sous la magie du Démon, les branches craquèrent et fondirent vers la jeune femme qui lévita et esquivait toute les branche avec difficulté. Le Démon était puissant, la petite fille le savait bien, c’était un guerrier. Finalement, la peur se mit à monter et les instructions de sa mère lui parussent insignifiantes.
Elle ne voulait pas fuir, elle voulait l’aider, la sauver, elle voulait partir loin de tous ça avec elle, comme était prévue le plan. L’enfant se releva alors, et l’homme la vit lever sa petite main vers lui. Personne ne voyait alors le large sourire qu’il arborait devant ce spectacle qui lui semblait pitoyable.
— Risse, va-t-en ! Hurla la jeune femme en se retournant.
Sa mère, déconcentrée, arrêta de faire attention aux branches et l’une d’entre elles lui transperça le ventre d’un coup, puis le silence.
— MAMAN !
La petite fille hurla en voyant le bout de bois ressortir dans le dos de sa mère. Les yeux de la jeune femme se révulsèrent et avant qu’elle ne puisse retomber sur le sol, une seconde branche traversa sa gorge. Un geyser de sang coula entre ses lèvres tandis que ces yeux sombres perdaient de leur vivacité. La petite fille était tétanisée. L’homme derrière, fit bouger ses doigts vers les sapins pour que le bois entoure le corps, dorénavant sans vie, de la jeune femme. Ainsi, elle tenait dans les airs, complètement raides, ses yeux jadis pétillants de vie, étaient maintenant vides de toute trace de vie. Sa maman n’était plus.
— Regarde là, petite, dit alors le Carelle qui s’avançait à pas de loup, silencieux et redoutable, sa main gauche tenait la jeune femme entre les branches qui se resserrer et l’écraser au rythme qu’il fermait son poing.
Le bruit des branches qui craquaient et des os qui se brisaient se confondaient.
— C’est ce qui arrive lorsque l’on ne respecte pas les règles de notre Sauveur.
La petite ne savait pas quoi faire, son monde s’était effondré devant ses yeux et cet homme allait la tuer. C’était la fin.”
Je lâchais mon crayon, car c’était tout ce dont je pouvais me rappeler. Mes rêves étaient de plus en plus réalistes et je les écrivais dès mon réveil dans un petit carnet pour ne pas les oublier. Ce n’était pas la première fois que je rêvais de Risse et sa mère dans cette forêt, en train de se faire torturer par ce monstre. Je passais d’horribles nuits, témoin d’une scène sans pouvoir rien y faire. Ce qui était le plus étrange, était que je pouvais voir tout ce qui se passait comme si j’étais invisible puis je me souvenais des détails : des vêtements de chacun, du nombre d’arbres, de la sensation de la neige froide qui tombait sur elles… Mais la petite fille était floue, je ne la voyais jamais, c’était comme si elle était une anomalie.
En réfléchissant, ce n’était pas une sensation nouvelle pour moi, ça ressemblait au souvenir de Clara. Et je ne trouvais pas d’autre solution possible : je me retrouvais encore dans sa tête et je n’arrivais pas à m’y détacher. C’est ainsi que j’avais pensé à écrire tous mes rêves pour ensuite la lui rapporter et lui expliquer.
Clara était la seule personne à qui je pouvais confier mes rêves, ils n’étaient pas si anodins, remplis d’une colère et d’une souffrance que je ne connaissais pas. Je me demandais même comment mon esprit avait pu imaginer de telles choses. Oswin aurait eu un grand sourire en m’annonçant que j’étais folle et qu’elle adorait ça, tandis qu’Élise m’aurait dit d’aller voir Madalena illico presto pour demander conseil, cependant je ne faisais pas vraiment confiance en cette femme. J’avais comme un mauvais pressentiment à son égard.
J’aurais pu l’expliquer à Basil, mais je savais d’ores et déjà que Clara lui répétait tout ce qui se disait dans cette chambre, elle l’appréciait trop et je savais aussi qu’il savait comment s’y prendre pour l’amadouer, c’était un très bon manipulateur.
Mine de rien, je m’étais améliorée en télépathie et il m’arrivait de céder à ma curiosité malsaine pour piocher dans les esprits des élèves. Dans ce cas, c’était surtout pour me tester. J’essayais de rentrer dans la tête des gens dans les pièces d’à côté, et plus ils étaient loin et plus je me sentais puissante et m’améliorais.
La semaine se déroula sans encombre, la routine qui s’était installée il y a un mois s’étendait sans que cela ne me dérangeât. J’y trouvais une source de réconfort, Ecclésia était ma maison et je m’y étais habituée plus vite qu’en douze ans chez mes parents adoptifs. Gabriel était adorable avec moi, toujours avec le sourire. Parfois, je le sentais s’approcher, son énergie de Gamma était différente de celle d’un Loup soumis ou d’un Alpha. Nous étions très proche mais il n’y avait rien d’officiel, et lorsque j’abordais le sujet, il restait souvent vague, comme s’il me cachait quelque chose d’important. L’idée d’entrer dans sa tête avait été tentante, néanmoins je m’y refusais, c’était une question de respect et de vie privée, puis cela me concernais. C’était dangereux, peut être parce que j’avais peur de savoir, au final.
Aujourd’hui, j’avais terminé un peu plus tôt. Je décidais alors d’aller chercher mon carnet de rêve pour le ramener à Clara. Je passais les étages des garçons puis je vis la porte en bois qui menait aux escaliers en colimaçon. Alors que j’allais y entrer, la présence de Basil se fit ressentir. C’était ainsi en ce moment entre nous, comme une alarme dans ma tête, je savais qu’il était proche.
— Une petite visite chez ta psy ? Lançais-je sachant très bien que Basil voyait en Clara une personne sur qui s’appuyer.
— Je te retourne la remarque, il sourit.
Je haussais les épaules et ne répondis rien, il avait raison. Nous nous mettons alors à grimper l’escalier ensemble. Clara ouvrit la porte d’emblée tandis qu’une épaisse fumée blanche sortis de sa chambre.
— Vous tombez bien tous les deux, venez m’aider, dit-elle alors, un tablier enroulé autour de ses hanches.
Je fronçais les sourcils, le regard noir de Basil croisa le mien et il semblait aussi étonné de moi. En rentrant, on pouvait voir de la vapeur qui sortait d’une casserole, et la pièce avait une forte odeur de menthe et d’autre plante que je ne savais identifier.
— Qu’est-ce que tu as essayé de faire, Clara ? Demanda Basil en soupirant, il ouvrit la fenêtre pour que la fumée s’échappe d’une autre manière que par le couloir.
L’Elfe s’essuya le front, de grosses gouttes perlaient sur son front. Je pris un livre pour faire du vent afin d’attirer la fumée à l’extérieur.
— J’ai essayé de te faire une potion qui fonctionne sur le long terme.
Quoi ?
Pour lui ? Je me retournais, interloquée. Basil parut mal à l’aise et fit les gros yeux vers son amie. Clara ne lui jeta même pas un regard, trop occupé à jeter sa potion raté dans l’évier. Comment ça, sur le long terme ? Basil esquiva mon regard, et se concentra de toutes ses forces pour fermer son esprit, et il y arrivait bien, le con. Je pinçais les lèvres, après tous, cela ne me regardait pas. Il fallait que j’arrête d’être si curieuse et de fouiner dans les affaires des autres. Mais il fallait avouer que celles de Basil m’intéressait un peu plus que celle de mon voisin de classe.
Après plusieurs minutes, la chambre de Clara était un peu plus vivable. L’Elfe tirait une tête de six pieds de long, probablement déçue de ne pas avoir réussi sa potion.
— Quelle est la raison de votre visite, les enfants ?
Par réflexes, je jetais un coup d’œil vers le Psychic et je vis qu’il me lorgnait aussi. Nous étions tout deux venus pour pouvoir discuter avec Clara de nos problèmes, c’est incroyable comment elle incarnait cette confiance pour nous. Elle était assez vieille pour pouvoir nous expliquer des choses que l’on ne pouvait savoir à notre jeune âge, contrairement à nos amis. Et elle nous était assez proche pour que nous puissions nous confier sans crainte que cela ne sois répété ou mal interprété, contrairement à Madalena.
« Tu me caches des choses ? » Lui envoyais-je par la pensée, à moitié rieuse de la situation.
Il fronça les sourcils puis se mit à sourire à son tour.
« Toi aussi. »
Je ricanais et acquiesçais, comme si l’accord silencieux avait été scellé à l’unisson.
— Ouah, j’ai raté quelque chose ? Vous n’avez même plus besoin d’user votre langue, c’est beau, s’exclama Clara et je ne m’étais même pas rendu compte que Basil et moi avions communiqué entièrement pas la pensée, ce qui est, ma foi, beaucoup plus rapide qu’à l’oral.
Basil perdit son sourire, et revêtit son visage de marbre qu’il avait sans arrêt. La remarque de l’Elfe ne lui avait pas plu apparemment.
— Je fais des rêves horribles, me lançais-je en voyant que personne ne parlait.
Clara avait la tête ailleurs, elle tressait ses cheveux, n’écoutant que d’une oreille.
— Ça arrive à tout le monde, mon ange. Tu sais moi, parfois…
— Non. Tu ne comprends pas, je rêve, mais j’ai la sensation d’y être. Comme lorsque j’étais dans ta tête.
Cette fois-ci, j’avais toute son attention. Clara se figea puis ses yeux blancs fondirent sur moi et c’était étrangement intimidant pour le coup. Je sortis mon petit carnet de ma poche et lui tendis. L’Elfe paraissait mal à l’aise, elle le prit comme si c’était une bombe prête à exploser. Son visage se décomposa au fil de sa lecture.
— Je pense que ce sont encore tes souvenirs mais je ne suis sûr de rien. Ça fait des jours que je fais le même, et à chaque fois, il devient plus détaillé, je les écris pour ne pas les oublier, ajoutais-je en me tortillant les mains.
Elle leva son regard de sa lecture pour le poser sur moi.
— Ce ne sont pas mes souvenirs.
— Oh, lâchais-je, déçue. D’où est-ce que cela vient alors ?
Basil voulait lire à son tour, et j’acquiesçais inconsciemment, il comprit sans problème en lui prenant des mains de l’Elfe.
— Je pense que ta condition te permet de capter plus de choses que de simples Psychics, si tu as réussi à entrer dans ma tête et à revivre un épisode de ma propre vie sans que je ne puisse l’empêcher, ça révèle beaucoup de chose. Soit c’est une histoire que ton subconscient a inventé, ce que je douterais, car je ne pense pas que tu sembles aussi bien informé sur les Carelles et les tenues traditionnelles de Rowenam, soit ce sont les souvenirs d’une personne que tu as pu croiser n’importe où dans ce château, ou même ailleurs. Je pense notamment aux Démons de la forêt.
— Qui est Risse ? Demanda Basil plongé à moitié dans sa lecture et dans notre conversation.
Je haussais les épaules, je n’en avais aucune idée, mais je savais que cette gamine était le centre de ce rêve. Le Carelle voulait la tuer, j’en étais sûr. Et je n’ai jamais réussi à voir son visage, je ne percevais que ses pensées. Et les pensées d’une petite fille qui voit sa mère mourir dans d’atroces souffrances n’étaient pas une partie de plaisir.
— Je ne sais pas, je ne sais même pas à quoi elle ressemble, soupirais-je.
— Ça peut être un surnom. Clara, tu connais tous les élèves d’Ecclésia, non ?
— Un peu près. Laisse moi réfléchir… Il y a Rizelene Dubois en troisième année, c’est une Sorcière, je crois. Il y a aussi Rose-Lise Thomas, elle est en huitième année, une Elfe brillante. Après, Risse est un prénom rare, je ne pense pas qu’il y a des élèves avec ce prénom.
Il fallait que je leur parle, c’était obligé. Je ne pouvais pas juste continuer à faire ce rêve horrible sans avoir des réponses, et peut-être qu’ils arrêterons de me torturer si je découvrais leurs origines.
— Rizelene et Rose-Lise ? On peut aller les voir, on a rien à perdre ? Supposa Basil alors que mon choix était déjà fait et prêt à l’emploi, le Psychic le su à la seconde qui suivit.
— Faites donc ça, je vais faire mes recherches de mon côté, annonça Clara et je quittais sa chambre, Basil à mes talons.
J’ai ma petite idée. Enfin je pense.
Alors moi, pas du tout, ce sont des cauchemars plus que des rêves.
Je comprends que les démons soient bannis.
ahah oui c’est un peu compliqué, ce sont les Démons les méchants alors :’)