Ma petite Sibérie

7 mins

C’est à  Peau Neuve, hameau isolé de petite Sibérie, qu’ Héloïse s’amourache de Giacomo, son fidele ami, son dévoué trognon de pomme ! Une idylle charmante mais très vite brisée par les aventures sentimentales d’une mère volage, bien décidée à partir pour la capitale avec le premier amant de passage.
Sa vie bascule, pénètre dans des univers scabreux, souvent impitoyables. Enfance abusée, blessée. Adolescence en errance affective et sexuelle. Pour préserver son union avec Giacomo, sa meilleure amie scelle avec elle un pacte fraternel de vie.
Un récit aux multiples péripéties et intriques. Un roman de mœurs dans lequel triomphent, côte à côte,  amitié et amour.

Disponible sur le site de l’éditeur :

http://editionsstellamaris.blogspot.com/2018/12/ma-petite-siberie.html

ou éditions Payot Genève, Fnac, Amazon et votre libraire habituel.

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Extrait :

Oscar

Quand Giacomo s’amourache pour la première fois d’Héloïse, elle vient tout juste de souffler sa sixième bougie. C’est une ravissante poupée potelée avec un kiki – bien éveillé – dans sa tignasse rousse. Ses deux agates vertes, vives et malicieuses présagent déjà quelques polissonneries.
Ce jour-là, Robert revêt un tablier blanc fraîchement passé au fer, saisit son tranchoir, la main de son fils et traverse le chemin vicinal de tous les vertiges pour rejoindre la maison familiale d’Héloïse.
Dans la cour intérieure de la ferme, un vieux billot – ridé aux coups de grâce – s’impatiente.
La bête vouée au sacrifice cancane. Déclame du croupion. Se dandine avec nonchalance dans l’allée centrale – côté jardin.

À quinze ans, Robert commence sa carrière de bourreau aux abattoirs de Pontellie. Après vingt années de serial killer accro aux spasmes des bovins, un burn out lui interdit définitivement le pistolet d’abattage.
Une rapide reconversion le condamne de nouveau à servir la filière de la mort – elle l’oblige dorénavant à l’autopsier. Son travail au clos d’équarrissage de la ville est certes plus nauséabond mais moins stressant et surtout avéré d’utilité publique !
Fine lame, il est toutefois sollicité dans le village de Morttue pour les exécutions capitales – volaille, agneau pascal, cochon de lait dégustés aux anniversaires, aux mariages.
Le père d’Héloïse, Polo – plutôt habile pour caresser la topette – endosse généralement le rôle d’assistant.
Au moment décisif, il immobilise Oscar avec héroïsme – sans aucun tremblement éthylique – sur le bord du billot. Son cou allongé subito à l’horizontale implore la clémence du tranchoir.
Un coup sec – fatal – précipite la tête sur le sol. Le palmipède se tord dans des convulsions extrêmes, l’assistant lâche prise, perd son béret, Oscar prend ses palmes à son cou, gesticule sur vingt mètres dans un puissant lasso de sang frais, puis pique du nez au fond du jardin – près du poulailler.

Derrière le grillage, tous les volatiles pétrifiés l’observent – embarrassés.
La mère d’Héloïse, Marcelle, se précipite, s’empare de sa dépouille, la soupèse – s’écrie :
— Bon poids ! Bravo mon chou !
Serré sur son tablier imprimé pois – Garden party de la Redoute – Oscar couvert d’éloges reste stupéfait de ce soudain élan d’affection. Elle lui a bien donné jadis quelques becs sur sa nuque pour se faire pardonner ses coups de badine – il lui chapardait de temps à autre des laitues – mais aujourd’hui c’en est trop – v’là t-y pas qu’elle lui récite la recette de son magret au sirop de capucines – encore une de ses obsessions gourmandes !
Héloïse scrute du regard la tête projetée sur le gravier. À pas comptés tourne autour. Tourne encore et encore. Pendant cette circumambulation cadencée, elle croit discerner deux majuscules symboliques gravées dans ses pupilles – G et H.
Les yeux voyeurs d’Oscar pivotent aussi avec elle – ils lorgnent ostensiblement les dessous chics de sa robe.
— Cou tordu!
Elle saisit sa tête, la pose sans tarder sur le billot. Avec un petit sourire suffisant, elle glisse index et majeur sur ses paupières pour les refermer.
Giacomo lui prend la main :
— Tu viendras cet après-midi voir ma nouvelle vache ?

Héloïse s’empresse de demander la permission à sa mère. Permission accordée – en ricanant – Robert a vendu tout son troupeau l’année dernière !
Marcelle :

— Mais que vont-ils encore nous inventer,ces gamins !?

Près de la fontaine – un bruit sympathique de ralliement. L’assistant boucher Polo vient de faire sauter le bouchon d’une bouteille – très attendue – de Chardonnay bien frais.

L’après-midi venu, Marcelle ôte son tablier de cuisine, se refait une beauté devant le miroir du couloir, saisit la pomme du goûter, la menotte d’Héloïse et s’engage sur le chemin vicinal de toutes les tentations pour rejoindre l’ancienne exploitation de Robert.

Elle la quitte après les sempiternelles recommandations d’usage :

— Pas de bêtises, hein !

Elle insiste avec le “hein”.

— Tu m’écoutes, hein !

Voilà bien une interjection rustaude qui ne suscite – depuis bien longtemps – aucune approbation de la part de sa fille. Force d’habitude, elle acquiesce par d’impatients cillements d’yeux.

— Tu dis bonjour, tu ne t’éloignes pas de la maison, tu ne salis pas ta nouvelle robe, tu mouches ton nez !

À chaque injonction, la main maternelle secoue son épaule comme un prunier. Ce geste suprême clôt d’une manière décidée ses paupières – elles exigent son départ.

La petite grenouille

Giacomo décide d’aller brouter le pré des Quatre Bœufs – ainsi nommé pour saluer la mémoire des premières bêtes de somme achetées par son grand père. Une acquisition aisément réalisée avec l’or extorqué aux Sioux pendant son périple au Dakota.
En haut du pré, la pomme se débine des mimines d’Héloïse. Après plusieurs rebonds acrobatiques, elle dévale vers le lavoir. Les deux compères essayent de la rattraper. De galipettes en galipettes, ils s’esclaffent. Arrachent maintes touffes d’herbe folle. Titubent à dessein. Se bidonnent d’onomatopées croustillantes – se bousculent pour saisir le goûter.
Héloïse empoigne en n la pomme, la mord à belles dents – immobilise Giacomo sur le dos – présente le fruit à sa bouche pour qu’il le boulotte.
Nez à nez, œil pour œil – à tour de rôle pour point le perdre – ils écrabouillent sa chair. Son jus acidulé dégouline sur leurs joues. Elle bénit ce quatre-heures – fait durer le plaisir.

Quand il ne reste qu’un trognon, elle le chaparde pour l’engouffrer goulûment. Ingurgite les pépins, la queue – exhibe deux gosses boules sous ses joues.
Giacomo boit du petit lait. Il tapote sur cette nouvelle bouille rigolote qui du coup expulse un interminable jet de pulpe.

— Tu mollardes comme mon papa!

Héloïse s’esclaffe, tape à plusieurs reprises le sol avec la paume de sa main. Il entonne :

— Mon papa est amoureux… mon papa est amoureux de ta maman… bisous, bisous !

Elle cueille une marguerite pour l’effeuiller :

— Un peu, beaucoup… à la folie !

Héloïse recommence et triche :

— À la folie,pas du tout! Pas du tout! Pas du tout !!!

Giacomo sourit d’une oreille à l’autre – son regard musarde sur les petits dessous maternels prisonniers des pinces à linge de l’étendoir…

— Si on allait réveiller le vieux Ferguson!?

Pour remonter le cours du ruisseau jusqu’au vieux briscard, ils attachent les lacets de leurs chaussures pour les suspendre à leur cou. Elle entortille du bout des doigts le bas de sa robe à sa ceinture.

Giacomo, entrevoyant sa petite culotte bariolée, s’exclame :

— Gare à vous têtards à la godille, crapauds croque-notes, couleuvres paresseuses, truites indociles, gare à la petite grenouille d’Héloïse ! Elle mouillera son cul pour vous attraper !

Il l’invite – le temps d’un frisson – à plonger sa main sous un caillou pour s’assurer qu’une belle se cache.

À la troisième tentative, une truite décampe entre ses gambettes. Héloïse jubile.

— Tu dois la caresser doucement – jusqu’à la tête – puis la saisir. Elle est toute ouïe.

De tentative en tentative, de pierre en pierre, leurs pieds transis avancent clopin-clopant vers la gouille du pont Gaulois – sans aucune prise.

Giacomo lace ses chaussures et se fraie un passage à travers la végétation luxuriante qui grimpe sur cet illustre monument en péril. Gaillardement, il s’agrippe au faîte du plus grand frêne – pour l’encourager elle vocalise le cri de Tarzan. De tout son poids il le fait plier parachutant ainsi son corps sur l’autre bord du ruisseau. Elle applaudit, frétille de joie, porte aux nues son héros – le gratifie à la sauvette d’une bise sur la joue.
Écarlate, il prend aussitôt la poudre d’escampette vers le chemin des Vignes.
Tout essoufflée, elle le rejoint face au vieux rouillé pour le solennel salut militaire – eu égard aux services rendus à la paysannerie d’après guerre – suivi d’une prosternation au ras des pâquerettes devant sa manivelle :

— Salut ! Oh toi papi Bull ! Papi labour !

À son retour du Dakota, Grand-Père fut jalousement surnommé Bull dans tout le village – une allusion au grand chef résistant indien Sitting Bull – Le bison mâle qui se roule dans la poussière.

Giacomo escalade le vieux, s’assied sur son fessier troué – l’oscille avec complaisance. Héloïse lui tend la main, il la hisse – l’installe devant lui entre ses jambes. Ils secouent de plus belle le siège de papi, caressent à quatre mains son volant, activent son démarreur – accompagnent la voix du moteur :

— Prut, prut,… mais aussi prout, prut, prout… mais encore pour un démarrage en trombe… broum, brum, brououm, prut, prout, broum…
Pendant dix minutes Papi leur raconte sa vie de bâton de chaise. Ses premiers coups de pioche dans les Black Hills, ses beuveries de batteuse, ses crampettes dans les granges, son amour de la mécanique, ses tranchées de 14.

Il leur chante sa gnôle, ses crises de goutte et puis patatras soudainement se tait – arrêt du cœur – faute de carburant plus qu’une seule voix :

— Elle est où ta nouvelle vache ? réclame Héloïse.

Marguerite

Dans la pénombre d’une étable abandonnée aux gazouillis des hirondelles, Giacomo avance lentement. Il se remémore le tintamarre de la traite. Cacophonie de jets laiteux dans les bidons métalliques, miaulements quémandeurs de sa chatte Sardine, beuglements en canon aux râteliers, sempiternels pissements à la rigole, ruminations placides réveillées par les cris furibonds d’Olga – sa mère – allergique aux coups de queue.

Devant chaque emplacement vide, il interpelle ses regrettées tarines :

— Mignonne, mon idole. Rosalie, ma généreuse bouse. Baronne, agile du toupillon. Coquette, au chignon frisé. Friponne, l’imprévisible langue. Sultane, reine de la corne. Polka, fofolle au pré et toi, Nénette aux lunettes fardées…
Dans le box des petits veaux, il exprime son dépit par de violents coups de pied dans un reste de botte de paille. Il se met à quatre pattes pour mugir son crève-cœur, Héloïse aussitôt plie ses guiboles et meugle – naseaux fumants – toute sa compassion :

— Mhh, mhh, meuh, m-e-u-h, m-e-u-h… et comment tu t’appelles la vache ?

— Marguerite ! Clame Giacomo.

Ces deux vaches complices se soulagent allégrement – p-s-s-se… splatche… berk ! Elles s’encanaillent, se bichonnent, se reniflent le museau, se lèchent la robe – avec leurs bras en queues se chassent mouches.
Héloïse :

— C’est l’heure de la traite!

Ses doigts se glissent sous la mamelle de Giacomo :

— Psitt…pisst…tinte le lait dans le bidon!

Amusé, il ôte à bride abattue son short et son slip pour tester son apprentie trayeuse. Elle attouche le trayon, le ballotte – pouffe de rire quand il grandit.

— Moi aussi ! Moi aussi !

Elle relève sa robe – met bas ses dessous bariolés. La patte de Giacomo glisse sur cette jeune mamelle avec peu de conviction, il sait très bien qu’une génisse n’a pas de lait mais, pour semblant, feint tout de même :

— Psitt…pisst…

— Héloïse ! Héloïse ! C’est pas vrai ! Mais où est-elle encore passée cette gamine… !?

La porte de l’étable s’ouvre tout à coup libérant la lumière sur deux adorables popotins.

Marcelle crie comme une diablesse au scandale. Distribue fessées, paires de claques en veux-tu en voilà à ces deux vaches étonnées. Beuglements, pleurs, hurlements. Elle s’empare d’une patte et traîne sa fille vers la sortie en aboyant de plus belle :

— Mais qu’est-ce que j’ai donc fait au Bon Dieu !

Giacomo, le mufle dans la paille, sanglote, interroge son Papi labour, ne comprend pas…

Héloïse est privée de visite à la ferme pendant bien des mois. Giacomo guette souvent son passage sur le chemin vicinal de toutes les amertumes.

Elle lui fait parfois quelques signes furtifs – de la patte.

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