Quand on passe sur la route de Lavausseau, il y a cette petite maison près des autres dans laquelle séjourne un tracteur rouge, et des poules aussi, qui courent lorsqu’on arrive. Le portail est ouvert, souvent la porte aussi, jamais les fenêtres, juste la porte. Quand on entre, cela sent le cognac à plein nez, une odeur acre et vilaine, qui fait tousser ou grimacer. Moi j’aime bien. Dans la maison, on lit une solitude conviviale. Il fait froid, la table est poussireuse, mais des verres attendent d’être rempli. Parfois il y a aussi une bouteille de grenadine que Simon regarde avec envie, et quelques cigarettes mal roulées. Jean-Marie ne dit jamais “entrez”, de toute façon c’est déjà fait. Il sourit en nous embrassant, et sort une bouteille de pastis. Il nous regarde, on le regarde, souvent c’est maman qui brise le silence, et je lui en veux toujours, parce qu’elle casse la plus belle des mélodies.
On y va presque toutes les semaines, chez lui. Il ne dit jamais non, jamais oui non plus. Une fois, il était descendu dans ses vignes, un peu plus loin sur la route. C’était drôle de le voir si attentif, comme un père qui habille son fils. Là, sans être agressif, il avait montré son agacement par ses mouvements soudainement si brusques: nous le dérangions. Il avait fini par s’arrêter pour discuter des remèdes contre les limaces, avant de nous entrainer dans sa demeure.
Nous sommes peut-être un lundi, tous attablés dans son salon. Pour une fois, j’ai eu le droit de gouter dans le verre de papa. Un liquide d’un gout amer, sucré, acide à la fois est venu m’enflammer la bouche et chatouiler mes narines. J’ai retenu de toutes mes forces mon envie de cracher en toussant de dégou. Jean-Marie a sourit timidement avant de servir à nouveau mon père. Devant ma grenadine, j’ai reprit des couleurs et savoure mon sirop sans rien dire. Dans un coin de la cheminée séjourne une dizaine de cadres dans lesquels des enfants semblent rire à gorge déployées.
– Ce sont vos neuveux ? Demande doucement ma mère.
– Oui. J’en ai cinq.
Jean-Marie s’est servi un verre plus petit, il ne le boit pas d’un coup. Il parle, par contre. Beaucoup. De ses neuveux, son service militaire en pleine mer, il nous dévoile un petit bout de l’homme qu’il a été et est encore. Maman et papa écoutent, moi je doute. Cette boite de médicament, posée là sur la table, jamais vue avant, jamais connue tout simplement. Elle me regarde l’air de dire “je sais” et sa niaiserie m’agace. Blanche, couleur de la pureté, alors qu’elle cache quelque chose. Et sa main, à Jean-Marie, contre son ventre, qui bouge de haut en bas…Que ne veux-tu pas nous dire ?…
Souvenirs de mon enfance en Normandie, foins et pommes, on était petit, on ne buvait pas, mais ton texte me ramène à ce rêve.
Bravo!