Deux Joyaux Violets. Prologue.

6 mins

Lorsque j’étais enfant, ma mère m’avait emmené à l’anniversaire de Manon. Une fillette de mon âge, qui avait la fâcheuse tendance de me martyriser. Les enfants étaient souvent cruels entre eux, mais les adultes ne le comprenais jamais vraiment. A priori, ma mère ne semblait pas être au courant que cette gamine était en réalité un véritable tyran avec moi.

 C’est une des raisons pour laquelle je lui aies pardonné, elle voulait faire au mieux pour m’intégrer. Je venais d’être adoptée, une toute nouvelle vie s’annonçait avec des parents attentionnés et remplis de bonne volonté. Ils étaient prêts à me rendre la plus heureuse, pour que je me sente à l’aise au maximum. Non, je ne la blâmerai jamais pour ce qu’elle a pu faire et pour l’amour qu’elle m’a porté. C’était une merveilleuse mère.

 Bien sûr, elle ne comprenait pas, m’intégrer facilement n’était pas une chose aisée, et surtout pour moi. J’avais un penchant pour la solitude. Lorsqu j’étais enfant, elle m’apparaissait comme un fantôme rempli de douceur, elle m’appelait et je me fondais en elle, comme pour m’oublier. Me retrouver me permettait de me recharger, de m’entendre penser distinctement, j’en avais besoin. Beaucoup d’adultes m’observant quelques minutes pouvaient croire que j’étais malheureuse, j’avais cet air triste et nostalgique sur le visage. Celui d’une enfant en manque de quelque chose, une enfant ressassant un passé inexistant, oublié et balayé. Car ma vie avait commencé à l’âge de mes sept ans, mes souvenirs étaient pauvres, voire inexistants. À force des années, j’avais mis ça sur le compte d’un quelconque traumatisme lié à mon ancienne vie. Mon esprit avait automatiquement bloqué des souvenirs trop douloureux. Cela n’avait aucun sens, mais je m’accrochais à ses hypothèses, ayant trop peur de la vérité, probablement.

 Ma mère entra la première après qu’une dame âgée lui ouvrit la porte. J’étais à ses talons, ma petite main s’accrochant désespérément à sa jupe. Je ne voulais pas être ici, mais je n’osais refuser cette invitation, faisant plaisir à ma nouvelle maman. Je voulais paraître parfaite à ses yeux, de peur qu’elle ne me renvoie à l’orphelinat, me trouvant trop ingrate.

 Lorsque nous nous introduisîmes dans la cuisine, la première chose qui me frappa fut la couleur de la tapisserie. Un violet très claire, de mauvais goût. C’était horrible. Plusieurs femmes et un seul homme discutaient autour d’un café, leurs regards se dirigèrent directement sur nous. Spécialement sur moi. C’est que je n’étais pas très commode comme gamine, j’avais de longs cheveux bruns – que j’avais fait couper quelques mois plus tard -, ils me tombaient sur le haut des genoux et j’avais des iris violets, similaires à la monstrueuse tapisserie de cette cuisine. D’ailleurs, ils avaient eu le don d’en effrayer plus d’un. Étrangement, c’était essentiellement les adultes qui me repoussaient. Les enfants étaient parfois trop innocents pour juger les différences de l’être humain ; cependant, Manon et ses amies étaient une exception à cette règle.

 Bien évidemment, ils se mirent à me fixer avec méfiance, me lorgnant tel un rat de laboratoire. Se demandant comment une créature comme moi ait pu fouler cette terre. La nouvelle de l’adoption avait déjà fait le tour de l’école et avait déjà fait parler quelques bouches curieuses, notamment celles des parents.

— Quelle magnifique petit ange ! Se mit à s’attendrir la vieille dame pour encourager ma mère.

 Cependant, du haut de mes sept années, il y avait de quoi devenir très intimidée par ces regards inquisiteurs. Je me réfugiais derrière les jambes de ma mère afin de cacher mon visage rougissant. Elle se mit à rire, amusée, puis me prit dans ses bras réconfortants.

— Ne te fais pas de soucis Trésor, vas jouer avec Manon et ses amies. Et sois gentille.

 Elle me caressa les cheveux puis me fit un baiser sur la joue. Ses marques de tendresse étaient encore étrangères pour moi, mais j’y prendrai goût avec le temps.

— Je serai dans la cuisine si tu as besoin de moi, d’accord ?

 Je hochai la tête même si j’avais envie de lui hurler de ne pas me laisser seule avec elles. Ma mère s’éloigna puis disparut de mon champ de vision. Je pris mon courage à deux mains pour ensuite me diriger vers le salon d’où retentissaient les voix des petites filles. Je marchais doucement vers elles, de peur qu’elles me remarquent et que tous cela deviennent réels. Manon et les filles ne m’avaient pas encore aperçu, ce qui me donna le loisir de zieuter sur leur activité en parfaite agente secrète. Elles jouaient au Docteur Maboul. Le jeu de société qui consiste à attraper avec une fine pince les objets insolites dans le corps du patient, sans toucher les parois bien sûr. Il faut faire preuve de patience et de précision, tout ce que Manon n’avait pas, en réfléchissant. Bien évidemment, je me pris les pieds dans un jouet et celui-ci se mit à hurler une chanson tout à fait insupportable. Les quatre fillettes sursautèrent à l’unisson et je fus découverte à mon insu.

— Salut, me présentais-je de suite, quelque peu mal à l’aise.

— Qui t’as invité, toi ? M’avait répondu Manon, en toute impolitesse.

— Tes parents.

 Je lui avais répondu sur le même ton, j’étais peut-être nouvelle dans ce monde, mais je n’aimais pas que l’on me marche dessus. En vérité, je laissais passer beaucoup de choses pour Manon, car si j’agissais, j’avais peur que ma mère et mon père me répudient. J’étais complètement tourmentée par cette éventualité, je n’étais qu’une enfant qui ne voulait pas retourner à l’orphelinat. C’était un lieu qui symbolisait la solitude et l’abandon, et cela me terrifiais.

 Manon fit la grimace, je fronçais les sourcils, tentant d’être menaçante, ce qui échoua. Une gamine aux cheveux roux prit la parole :

— T’as les yeux violets ! Elle se rapprocha de mon visage sans gênes.

— Je suis née comme ça, haussais-je des épaules.

— C’est… Bizarre. T’es comme la méchante dans mon livre préféré ! déclara soudainement Manon en riant.

 Elle frottait ses doigts sur son menton comme si elle avait purement réfléchi avant de sortir sa bêtise. Aujourd’hui, ces accusations m’auraient fais bien rire, mais à mes sept ans, je n’avais pas assez confiance en moi pour passer simplement outre.

— Quoi ! Mais non, je suis pas…

— Si, t’es un monstre ! Me coupa-t-elle en brandissant son doigt vers moi.

 Je sursautai malgré moi, sous l’assaut de son insulte qui avait pour but de m’éjecter de son groupe. Elle avait décidé que je n’étais pas assez bien pour y entrer, mais d’une façon un peu trop violente à mon goût. Mon cœur se tordit de douleur et mes yeux s’embuèrent de larme sans que je puisses les retenir. Si je pouvais, je donnerais la force que j’ai aujourd’hui à cette petite fille de sept ans, afin qu’elle assume pleinement ce qu’elle est, avec fierté. J’enrage encore aujourd’hui en y pensant.

 Je reculais, pris quelques secondes pour regarder la scène qui se passait sous mes yeux : les gamines frappaient dans leurs mains à l’unisson en répétant sans arrêt la même phrase. C’était assourdissant.

 « Tori le monstre, Tori le monstre, Tori le monstre… »

 Cette litanie ne s’arrêtait plus, leurs paroles étaient simples, pourtant, elle résonnaient dans mon esprit et le torturait. Comme si elles gravaient au fer-blanc, indélébile, cette phrase sur ma peau, pour que jamais je ne l’oublie. C’était ma malédiction.

 Malgré mes efforts, je ne pouvais retenir une larme qui coula le long de ma joue, et le fait qu’elles aient réussi à me faire pleurer me mit hors de moi. La colère prit la place du chagrin et la pièce se chargea d’onde négative. Je pouvais le sentir, courir le long de ma peau, me hérissant les poils sur mes bras.

 « Personne ne doit avoir le droit de te faire pleurer ! Personne ! Tu m’entends. »

 Cette phrase résonna du fond de mon inconscient et je me détestais soudainement, pour avoir versé rien qu’une larme pour ces pimbêches. J’avais chaud d’un coup, très chaud. J’avais l’impression que mes veines allaient exploser.

 Je sentis un liquide froid qui me fut agréables se répandre dans mes vaisseaux sanguins, il apaisait la chaleur cuisante de mon corps en ébullition. Sur le moment, plus rien n’avait d’importance, je me sentais détestable d’avoir pleuré. Mais la colère avait aveuglé ma perception des choses et je me sentais tellement confiante et puissante que je n’avais pas réussi à interpréter le danger que je pouvais engendrer pour de simples enfants.

 Soudainement, le bip du Docteur Maboul se mit à retentir, obligeant les fillettes à placer leurs petites mains sur leurs oreilles. Les verres de grenadine posés sur la table basse du salon se mirent à exploser en milliers d’éclats, manquant de peu leurs visages. Les enfants crièrent, terrorisées, et rejoignirent leurs parents respectifs en me fuyant. Tandis que moi, je restais debout, immobile comme un piquet. Incapable de bouger, j’étais tétanisée sur place. Je ne me rendais pas encore compte, de la gravité de ce qu’il venait de se passer. Etait-ce normal ?

 J’étais réellement un monstre ?

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3 Commentaires
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ccccccccccccc bbbbbbb
2 années il y a

Gééénial! Chapeau à l’auteure.

Gaëlle Galindo
2 années il y a

J’aime beaucoup ce prologue ! Ça me fait penser à Charlie de stephen king. J’aime bien ces histoires où les enfants sont mit en avant par des super pouvoir inexplicable.

Fairyazula
2 années il y a

Étant moi-même une auteure de fantastique, je dois dire que j’aime beaucoup, ça sort de l’ordinaire. Continu comme ça.

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