Je cours, encore, encore, je m’enfuis à travers le jardin. Je ne regarde pas la mare, n’admire pas le portail, je cours. L’air est froid, glacial, il tape contre mon pyjama. Je sens l’air dans mes poumons, et continue. C’est bête, mais en mettant de la distance entre la maison et moi, j’ai l’espoir que les mots s’envoleront sur le chemin. Je m’arrête et m’appuie contre un chêne. Je passe ma main contre mon visage. Mouillé. Les secondes redéfilent devant mes yeux, une par une, le son aussi. J’entends maman chuchoter “Non, c’est pas possible, je ne peux pas leur dire ça, ils tiennent tellement à cet homme. Peut-être que c’est juste une mauvaise passe. Et puis ça se soigne bien, les…” C’est à ce moment là qu’elle m’a vu, dans l’entrebaillement de la chambre. Je ne sais pas si je pleurais déjà. Elle a dit “attends, je rappelle”, et j’ai vu qu’elle cherchait une issue. Elle a sourit, j’ai vu ses yeux regarder partout, en bas et en haut, puis se poser sur moi. Ses doigts tenait le téléphone, elle avait peur qu’il tombe. Je suis sortie après avoir demandé “où ?” d’une voix aussi assurée que j’ai pu. Rassurée.
Le noir de la campagne mettent à nu nos émotions. On n’entend que moi. Je cache mes cris, ouvre les yeux de toutes mes forces, je ne veux pas revoir la main de maman contre son ventre. Estomac. Il a un cancer. Une “tu meurs” comme je l’écrivais plus jeune. Jean-Marie a un cancer, là, et moi je suis perdue. On est perdus. Tous les deux. Simplement on me sauvera, lui il partira. Le sang bat dans mes tempes. Je cours bien une dizaine de minutes avant de me laisser tomber dans le fossé, épuisée. Assise, je me calme petit à petit. Mais à chaque souvenir de ma mère, la main sur le combiné, je me sens tomber. J’entends les pas de papa dans les feuilles, il me prend contre lui. Sa chaleur me fait frissonner, sa douceur apaise.
– On ne fuit pas les mots, Clémentine, murmure-t-il contre mon oreille.
La vérité abjecte fait mal, rien ne sert de courir.