Partir travailler en Inde n’est pas un hazard. Hortense aime plus que tout ce grand pays pourtant discret. Elle regarde les femmes aux traits fins, de petite taille mais d’une immense douceur envers la terre. Voilà peut-être ce qu’elle vient chercher là, une forme de délicatesse, enfouie dans la nature, sa nature. Rêver Inde, c’est rêver un monde différent, autre. Un changement dont elle sent le besoin pressant. Adèle se racle la gorge pour troubler le silence. C’est la première fois qu’elles en parlent ensemble, vraiment, clairement, en abordant les possibilités de correspondances régulières, les voyages, et puis le vide immense du départ. Hortense sent le mur d’amitié se ronger à l’approche des mois d’été, comme une eau salée contre un rocher. Partir vite, oui, mais partir loin….Les deux amies se regardent, elles ont compris. Hortense va quitter Paris, la France, et plus personne ne pourra l’en empêcher. C’est décidé, choisi, bouclé. Terminé. Ou entamé. Adèle ne rit pas. Assise sur les bords d’un fauteuil de cuir, elle tourne lentement le café de sa tasse.
– J’ai l’impression que tu attends un feu vert, finit-elle par lancer d’une voix calme. Je me trompe ? Franchement Hortense, depuis quand te faut-il une autorisation ? Depuis quand te faut-il un quelconque avis, même ? La vie n’est pas un cahier de charges et mon rôle n’est pas de l’inspecter. Grandir, partir, fuir, j’ignore les raisons de ton départ. Mais fonce ! Va-t-en ! Qui te retient ?
Hortense inspire profondément. Il ne faut pas pleurer. Surtout pas. Tout semble tout d’un coup trop fort. Les mots, le silence, son ton de reproche et le gout amer qu’elle y ajoute.
– J’aime des gens ici ! S’écrit-elle finalement, cachant son émotion dans les aigus. Toi la première ! Et ma grand-mère…
– Mais pour qui tu nous prends ? Je mange, je dors, j’ai un médecin et un avocat. Pourquoi devrais-tu rester ? Mireille est entourée comme une reine, elle vit sans toi. Personne ne te retient, Hortense. On saura se débrouiller. Ou on apprendra. L’amour et l’amitié ne s’arrête pas aux frontières. Dépasse la mer, retourne toi, et je serai là.
Hortense s’enfonce dans sa chaise. Elle lui paraît soudainement bien grande, et elle si petite. Si fragile. Comme elle voudrait se trouver ailleurs ! Chez sa grand-mère, par exemple, en Normandie. Il y aurait des bols de lait à n’en plus finir, avec du pain tartiné de confiture, des petites noix de beurre salé aussi, sur une nappe encore poisseuse de miel. Elle entendrait les rires sourds de son père, les chuchottements des oiseaux à travers la cheminée, le souffle rauque du vent contre la fenêtre. Et puis non, parce qu’il aurait fallu leur expliquer, à eux aussi, dire le départ, justifier, tout quitter.
– Tu pars quand ?
– Fin juillet. Si je suis prise.
– Bon, on croise les doigts alors.
– Pour que je suis acceptée ou refusée ?
– Parce qu’il y a une réponse que tu préfères à une autre ?
Être sur le tremplin, juste avant le grand saut, ce n’est pas facile.
Au fait, quel âge a Hortense ? Je ne crois pas que cela était indiqué dans les premiers textes.
@O. DeJavel
Hortense a 26 ans. On le sait au tout début, chapitre 1 ou 2 je crois.
Merci d’être aussi fidèle !