J’ai faim…
L’étrange sensation de m’éveiller d’un trop long sommeil…
J’ai faim…
Où suis-je ? Je ne vois rien, je n’entends rien, mon corps me semble si lourd…
J’ai faim…
Martha, les enfants, où êtes-vous ? Pourquoi suis-je dans un endroit si sombre ? Où suis-je… Où suis-je…
J’ai faim…
Je me rappelle…
Cette douleur brutale dans le torse, le sol qui se dérobe sous mes jambes ne me portant plus… Ma vision qui se trouble alors que Martha se précipite vers moi..
Aurais-je fait un malaise?
Martha où es-tu ?
J’ai faim…
Mes membres sont pris de convulsions, ils s’agitent en tous sens hors de ma volonté, provoquant des coups sourds : je suis dans un espace très restreint… Serait-il possible que l’on m’ait enterré vivant ?
La panique m’envahit, je ne le contrôle pas mais je prie pour que mon corps se débatte encore et encore, je suis là, je suis là, je suis vivant !
J’ai faim…
Mon corps se débat toujours tout seul… L’angoisse me gagne. Pourquoi ma panique n’a-t-elle aucun effet sur ma respiration, sur les battements de mon coeur… Je ne respire pas… Mon coeur ne bat pas…
C’est impossible…
J’ai faim…
Mon corps cogne toujours… Je sens mes doigts se briser sur du bois, mais je n’ai aucune douleur… Serais-je une âme prisonnière de son corps ? Pourquoi moi ? Martha, dis-moi ce qu’il s’est passé…
J’ai faim…
Le bois cède, toujours sans mon aval, mon corps se met à déchirer ma prison, comment puis-je avoir tant de force ? Il creuse la terre, mes ongles se déchirent, s’arrachent, le sable entre dans ma bouche, crisse sur mes dents, je n’ai pourtant aucune sensation désagréable…
Hormis la faim…
Je sens l’air frais… Quel dommage que je ne puisse pas respirer à plein poumon… Je me redresse lentement…Titubant… Et là, une stèle, ma tombe, dix ans déjà… Me reste-t-il seulement réellement de la chair sur les os?
J’ai faim…
Je suis un mort qui se lève, comment est ce possible ? Pourquoi mon corps se meut-il sans ma volonté ? Pourquoi mon esprit est-il si vif, alors que mon corps me semble si frêle? Martha, Martha explique-moi…
J’ai faim…
Je marche sans crainte au milieu d’autres cadavres. Est-ce que je leur ressemble? Suis-je moi aussi en un tel état de décomposition ? Sont-ils eux aussi des carcans putrides d’esprits aussi perdus que moi ? Je ne peux pas leur parler, nous marchons dans des directions différentes au milieu d’autres sépultures qui s’ouvrent…
J’ai faim…
Une odeur forte… Je vois un homme courir… Le gardien… Il était déja là quand j’ai enterré mon père… Mon père… Est-il lui aussi parmi nous ? Le gardien nous fuit, il s’arrête… Qu’a-t’il vu? Qu’est-ce ? Quelle étrange chose… Souriante dans l’ombre… Mais mon corps s’en désintéresse et me voilà trainé en dehors du cimetière…
J’ai faim…
La rue panique… De çà et là je vois d’autre morts dévorer les vivants, les cris, les pleurs, les coups… J’avance… Je sens une lame me traverser le flanc, je n’ai pas de douleur, je me retourne, un homme me regarde, affolé de l’inefficacité de son attaque… Il se rejette sur moi en criant, deux “fréres” cadavres lui tombent dessus… Sa chair vole en éclat sous leurs dents… J’ai faim…
J’ai faim…
Mon corps poursuit son chemin, chemin que je connais… Pourquoi ? A-t’il le souvenir de ce trajet que j’ai fait de nombreuses fois à la mort de mon père ?
La porte est fermée… Ouvre-moi Martha… C’est moi… Je reconnais ton parfum, ton odeur, tu es là, je le sais…
J’ai faim…
La porte cède… J’entre… Martha… Comme tu as vieilli… C’est moi… N’ai pas peur… Ton mari est rentré à la maison… Martha… J’ai faim… J’ai faim… Rejoins-moi… Laisse-moi t’embrasser… Encore… Encore… J’ai faim…
J’ai faim… Martha…
Nous ne faisons plus qu’un…
J’ai encore faim…
Toujours aussi atroce, quelle ingéniosité de suivre les pensées des monstres.
Je suis fan!
Le point de vue du mort vivant !
Enfin un peu de nouveauté dans le genre. C’est très réussi !