Roland haussa les épaules :
— Georgie ? Un garçon un peu turbulent durant sa jeunesse, mais il s’était grandement assagi. Vous savez… Son père était… dur. Comme on dit poliment. Alors bon, gamin, il reproduisait l’atmosphère familiale avec les autres enfants. Je crois pas qu’il avait un mauvais fond, je crois qu’il essayait de prouver à son père qu’il était digne de son nom… C’était peine perdue. George ne s’intéressait vraiment qu’à ses mines. Non, vraiment, Georgie ne méritait pas ça.
— Alors pourquoi ? questionna Nathyon.
— Pourquoi, quoi ?
— Vous dites que la figure centrale de cette famille était un père violent. Alors pourquoi ce père est-il relégué au simple témoin, alors que le fils se retrouve mis en lumière ?
— J’en sais rien, je vous dis ! se renferma le maire.
— Une idée de ce qui aurait pu provoquer son changement de comportement peut-être ?
— Et comment ? Vous pensez que je passais mon temps derrière tous les gamins ?
— Une fuite urinaire devant une assemblée de gamins hilares. C’est vrai qu’on avait bien ri ce jour-là !
C’était une voix féminine qui venait de répondre. La jeune femme avança vers les deux hommes, recoiffant d’une main sa chevelure brune coupée au carré pour faire passer une mèche derrière son oreille droite. Elle adressa un salut de la tête à Nathyon, et un sourire provocateur à Roland :
— Monsieur le maire. Vous devriez passer à mon cabinet, vous semblez avoir des pertes de mémoires… Un tel exploit de Véronica, vous ne pouvez l’avoir oublié !
— Krystal…, fulmina Roland intérieurement. Je t’en prie, ce n’est pas le lieu.
Elle ignora sa remarque, et se tourna vers Nathyon, tentant de percer de son regard vert les ténèbres masquant le mystérieux personnage. Elle lui tendit la main :
— Krystal Belperone. Médecin. Enchantée.
Nathyon lui serra la main, mais ne répondit rien. Même si c’était difficile à dire, elle avait l’impression qu’il scrutait davantage les réactions du maire, qu’il ne lui prêtait attention à elle.
Roland, après une hésitation, prit la suite de la discussion :
— Je te présente… Monsieur… Nathyon. Il va enquêter sur… tout ça. C’est bien ça, n’est-ce pas ?
— C’est mon fardeau, en effet…, répondit Nathyon d’un ton monocorde.
— *Drôle de formulation*, pensa-t-elle. Cool. Si je peux vous aider.
— Bien, poursuivit le maire, je ne pense pas que vous ayez encore besoin de moi, donc je vous laisse. Vous savez où me trouver. Krystal… Je te fais confiance.
Elle lui sourit. Les derniers mots du maire résonnaient bien plus comme un ordre, et elle en était pleinement consciente. Le maire s’éclipsa sous leurs yeux, après un dernier regard au macabre spectacle. Krystal se tourna vers Nathyon :
— On monte ?
— C’est magnifique, n’est-ce pas ? demanda-t-elle alors qu’elle se penchait sur la plante. De loin, c’est plutôt angoissant, mais de près, c’est une merveille ! Vous avez vu comme elle s’entoure autour de sa proie ? Et cette grappe rougeâtre, là ? Ce sont des sacs de graines ! Et puis, vous pouvez tirer ! Elle arrachera les chairs plutôt que de s’enlever !
— Vous n’êtes pas perturbée par le spectacle ?
— Vous savez, ici, les accidents sont nombreux. Quand vous intervenez au fond d’une mine pour tenter de sauver un homme qui a la moitié du visage écrasé sous une pierre ; que vous tentez de soulager un enfant ayant mangé une mauvaise baie, et qui vomit du sang sur ses parents pensant encore pouvoir le sauver… Plus rien ne vous choque. Évidemment, la première fois ça m’a fait un choc, je ne vais pas mentir. Mais cette plante à au moins un petit côté esthétique.
— Et eux en bas ?
— Oui, c’est atroce… Roland, pardon… le maire, vous l’a dit ? L’auteur s’arrange pour que leur calvaire dure assez longtemps pour voir la floraison. Ils ont tout ressenti, puis tout vu. Je ne sais pas qu’elle place est la plus enviable.
— Vous connaissiez les victimes ?
— Pas vraiment la famille. Georgie, un peu. Enfin, ce n’était pas une relation, mais tous les enfants le connaissaient. Vous allez me demander de quoi je parlais tout à l’heure, n’est-ce pas ? Une gamine s’est un jour interposée pour l’empêcher de harceler un autre enfant, elle l’a tellement engueulé qu’il s’est pissé dessus devant tout le monde. Après ça, il a fait profil bas.
— Cette Véronica, je suppose ?
— Oui…, dit-elle avec une tristesse dans la voix qu’elle regretta, mais elle ne parvint pas à stopper ses mots. C’était son genre… Toujours à se mêler de tout. Surtout quand il s’agissait de lui.
— Lui ?
— Un autre gamin dont elle était proche, répliqua-t-elle sèchement, bien que le ton fût principalement adressée à elle-même. Elle était persuadée que Nathyon chercherait à approfondir, mais il n’en fut rien.
— Le maire vous a tout d’abord présentée comme Norgue, avant de se reprendre. Pourquoi ?
— Je ne vois pas vraiment l’intérêt de cette question, mais je n’ai rien à cacher. Belperone est le nom de ma mère. J’ai coupé les liens avec les Norgue. Si mon père n’était pas mort, je ne serais même pas ici.
Un temps silencieux passa, Nathyon observa les témoins depuis sa nouvelle position, puis la plante. Des témoins, figés dans cette posture terrorisée mais curieuse. Peut-être même était-ce un voyeurisme malsain qui était représenté par ces doigts légèrement écartés…
Un homme, laissé à la merci d’une plante trônant face à cette assemblée. Un spectacle offert à leurs yeux agonisants. Une offrande à la mort.
— Cette plante, c’est une cuscute ?
— Elle en a la plupart des caractéristiques, oui. Mais un ami botaniste est formel : il n’a jamais vu ça. Il voulait venir l’étudier, mais quand Roland l’a appris, il a refusé, prétendant qu’il ne voulait pas que sa ville devienne un cirque. Mais une plante avec une telle croissance, ça… La lentille d’eau est rapide, mais là, la pauvre est surclassée. Une des personnes chargée de surveiller une précédente victime, s’est endormi. Résultat, à son réveil, la plante s’était enroulé autour de son mollet. Il a fallu que je procède à l’ablation d’une partie du muscle pour les séparer… Quant à se nourrir de sang… Le sang séché est un engrais reconnu, après tout. Cette petite gourmande le préfère juste encore chaud…
Il ne releva pas le trait d’humour noir.
— Il y a donc deux scènes différentes. D’un côté, nous avons le travail minutieux, mais rationnel, d’un sadique, et de l’autre, l’utilisation d’une plante inconnue.
— Si vous le dites…, répondit-elle sur un ton peu aimable qui lui échappa encore. Et sinon, vous avez des pistes ? tenta-t-elle pour changer de sujet.
Elle sentit son regard peser longuement sur elle sans même le voir, comme s’il avait prononcé certains mots dans l’unique but de la faire réagir de la sorte.
Il se dirigea finalement sans répondre vers les escaliers, et entama la descente des marches tout en s’adressant finalement une dernière fois à la jeune femme :
— Nous nous reverrons, je pense. Mais je peux déjà dire une chose : cette ville se meurt de ses secrets.
Krystal soupira :
— Attendez… Cette ville a des secrets, c’est certain. Je ne les connais probablement pas tous moi-même. Elle se méfie des étrangers qui viennent remuer tout ce qu’elle cache. Je ne porte pas cette ville dans mon cœur comme vous l’aurez compris. Je ne m’en cache pas. Mais il y a quand même des personnes auxquelles je tiens. Donc, je vous le demande sincèrement : êtes-vous vraiment là pour nous aider ?
— Je ne suis pas un sauveur mademoiselle Belperone. J’ai une tâche à accomplir, et je le ferai. Quel qu’en soit le prix. Mais la vraie question est de savoir si cette ville a vraiment envie d’être sauvée.
— … Vous devriez…, hésita-t-elle… Vous devriez vous intéresser à Lioster. Le fondateur de cette ville.
Nathyon fit un geste de tête, et poursuivit sa descente des marches, laissant Krystal seule avec la plante. Elle soupira :
— C’est la bonne décision. Tu aurais fait pareil. N’est-ce pas, Véronica ?
( à suivre… )
Toujours aussi angoissant … et pas très perturbée par le spectacle Kristal. Est-ce un indice ?
Sinon j’aime toujours autant ^^
OdeJeanne ne veut pas que Krystal ne se l’ouvre lorsqu’elle sera seule avec Nation, euh ! Nathyon (convention tacite autour du secret).
Pour Georgie, y’a un truc section Pinaille : Nous savions déjà ce que Krystal a révélée à Nathyon. En soit, cela demeure une répétition. Il aurait fallu ajouter un détail supplémentaire pour que le lecteur, ce pauvre mendiant en quête de comprendre, se sente sur une piste, ou, si on veut, qu’il se sente plus intelligent que Nathyon.
Côté Cucuste, tout baigne ! Nous avons appris que les suppliants ne meurent qu’après la floraison, ce qui est excellent comme nouvelle information.
Krystal qui s’adresse à la plante en l’appelant Veronica : Ah ! Voilà une bonne chute ! Il est donc probable que Krystal envoie Nathyon sur une piste èloignée (Lioster) pour protéger Veronica. OdeJeanne sera satisfait… Je spécule, bien entendu.
Cher auteur, je piaffe d’impatience en attendant le IX !