Chapitre 03 – Partie 02

3 mins

 Otis s’affaissa en avant et se retint en posant ses mains sur les genoux. Il rechercha l’air désespérément comme un poisson péché hors de l’eau. Séréna le prit par le bras et l’écarta du tumulte dans un couloir plus discret. Elle lui laissa le temps de reprendre ses esprits. Il se redressa et s’adossa à la paroi métallique du passage. Le froid glacé du métal transperça son maillot et le traversa d’une vague de frissons.

« Le whisky ?

– Oui ?

– Ça existe toujours ?

– Bien sûr, quelle question ? S’étonna Séréna.

– Vous en avez ?

– Oui, ce n’est pas le meilleur certes. God Joe le distille lui-même. Il transperce le foie comme de l’acide, un vrai tord boyaux.

– Tant mieux ! J’en veux un verre… Et tout de suite.

– Tu es sûr ?

– J’en ai besoin maintenant !

– OK, on y va. En route pour la taverne de l’Egout Soiffard.

L’établissement se situait tout au bout de ce grand hall de vie, adossé au mur de l’égout, juste en-dessous d’une fontaine d’eau craché par une conduite d’un mètre de diamètre à peu près. Cette eau, étonnamment saine, était réceptionnée dans un grand entonnoir placé sur le toit en tôle de la taverne.

– Cette eau que tu vois là est notre source de vie ici.

– Elle est potable ?

– Oui. Un de nos commandos a réussi à détourné une des conduite d’eau du centre d’assainissement du quartier ci-dessus, il y a trois ans. Nous avons perdu trois hommes dans cette mission. Malgré ça, les services de surveillance n’ont pas détecté notre by-pass. C’est assez miraculeux.

– Jusqu’au jour où ils le découvriront.

– Oui.

– Et ça les amènera directement ici.

– C’était le risque à prendre.

Ce coin du quartier souterrain était plus sombre que le reste, éclairé par des dizaines de lanternes de différentes couleurs. Deux bâtisses préfabriquées encadraient la taverne de l’Egout Soiffard. A leurs fenêtres, Otis remarqua que chacune d’elle abritait une femme dans son chambranle à l’exception d’une ou deux accueillant de jeunes hommes. Elles observaient le passage et interpellaient les hommes qu’y si trouvaient. Devant les portes d’entrée, l’une était gardée par une femme obèse… Enorme, l’autre part une vieille femme rachitique.

– Des bordèles ! conclut Otis

– Maison closes !

– Elles ne sont pas très closes entre nous.

– Faut bien que nos hommes vident leur frustration de temps en temps.

– Es-tu une consommatrice ?

– Eh, ce ne sont pas tes affaires.

– Ça veut dire oui ça.

– Mais non. C’est juste que nous ne sommes pas assez intimes pour nous confier ce genre de choses.

Ils passèrent devant les devantures et soudain le silence s’installa, plus une putain ne hélait. Les femmes observaient Otis, certaines avec délectation, mais plus un son ne sortait de leur bouche avide de mots aguicheurs.

Le vertige d’Otis ne s’arrangeait pas.

Ils parvinrent enfin à l’entrée de la Taverne. Pas de politesse, Otis précéda Séréna, se précipita sur les portes battantes et s’engouffra dans l’obscurité rassurante du rade.

Chaque petite table était éclairée par des grandes bougies collées par la cire directement sur leur plateau. Celle-ci bavait au centre des tables.

Les deux arrivants s’installèrent à la table la plus proche du comptoir ; amas soudé d’une multitude de tôles différentes. Un gros homme en sueur débarqua de l’arrière-salle.

– Ah Séréna ! Ma jolie panthère noire ! s’exclama le barman

– Salut God Jo !

– … Et ton nouvel ami… Mais est-ce notre souffle d’espoir ? Le O10 ?

– C’est ça. Sert lui le meilleur de ton whisky, pas du frelaté s’il te plaît.

– Frelaté ? Quel manque de respect.

God Jo s’empara d’une bouteille sans étiquette et servi une rasade de son liquide dans un gobelet. Il contourna le comptoir et plaça le gobelet sur la table face à Otis.

– Voici mon jeune ami, vous m’en direz des nouvelles.

– Merci.

L’odeur et l’effluve qui s’échappait du whisky piquaient déjà les narines d’Otis. Il prit fébrilement le contenant entre ses doigts et l’approcha de ses lèvres.

– Fait attention, à part un peu d’eau, tu n’as rien bu depuis 350 ans, prévint Séréna.

– J’en fais mon affaire.

Otis fit couler lentement le liquide sulfureux dans la bouche. Il le fit barboter quelques secondes entre les lèvres et la langue qui chauffèrent instantanément. Enfin il ouvrit les portes de sa glotte et libéra le fluide en fusion dans sa gorge. Une traînée de feu se propagea de la trachée à l’estomac. Otis ferma les yeux et resserra ses mâchoires.

Séréna attendait le cri de douleur.

– Putain, qu’est-ce que ça fait du bien ! se régala Otis, à la surprise totale de sa comparse.

– Ce n’est pas croyable !

– Comment ça pas croyable ? Monsieur est un fin connaisseur, complimenta God Jo.

– Non, rassurez-vous, votre whisky est parfaitement dégueulasse… Mais c’est une pure jouissance !

Un moment de silence flotta dans la salle. Le barman légèrement vexé retourna à l’arrière-salle sans un mot. Cette pièce était en fait sa distillerie juxtaposée à l’entrepôt qui renfermait la citerne d’eau potable et son système de distribution clandestin.

Otis prit le temps d’une deuxième gorgée et posa son gobelet.

– Raconte-moi ! demanda Otis.

– Quoi ?

– Tout !

***

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