— Vas-y !
L’enfant se trouvait dos à la fôret, et face à quatre autres gamins. Il jeta un œil par-dessus son épaule, et baissa les yeux en reportant son attention vers celui qui venait de l’interpeler.
— Mais… On n’a pas le droit d’aller dans la forêt…
— C’est pas mon problème ! C’est toi qui a envoyé mon ballon là-bas, alors c’est toi qui t’y colles !
— T’en fais pas va, intervint un autre. Il doit pas être bien loin. Tu vas vite le trouver…
L’enfant hésita, parcourut les visages lui faisant face, moqueurs ou encourageants, et poussa un long soupir en abdiquant :
— OK, j’y vais…
Il se tourna vers le mur vert sombre se dressant tel un défi, et franchit les premiers petits bosquets.
Après quelques pas, il crut que la végétation venait de l’avaler. Il entendait encore ses camarades rire, mais ne les voyait déjà plus.
Où pouvait bien être ce fichu ballon ? Il n’avait quand même pas frappé si fort… Un geai s’envola juste à ses côtés et le fit sursauter. En le suivant du regard pour le maudire, il vit deux écureuils se pourchasser en descendant le tronc d’un vieux chêne comme si ce dernier était entouré d’un escalier en spirale. Sans vraiment y prendre garde, il s’avançait toujours plus profondément dans les bois. Le nez en l’air, il tentait de déceler d’autres animaux dans les feuillages bruyants, ondulant loin au-dessus de sa tête.
Un contact contre son mollet lui fit baisser aussitôt les yeux, pour y trouver le fameux ballon. Il remonta son supposé trajet du regard, et fit un pas en arrière en y trouvant à la source un homme assis sur un tronc, le fixant :
— Ce n’est pas très prudent de se promener seul ici…
L’enfant ne demanda pas son reste, récupéra le ballon par réflexe, et détala en sens opposé.
Lorsqu’il retrouva ses camarades qui se moquèrent de son visage blême, il ne dit rien. Mais les yeux de l’homme le suivraient longtemps, jusque dans ses rêves et cauchemars. Il n’avait jamais vu des yeux comme ça, de deux couleurs différentes…
De son coté, Vincent sourit en voyant l’enfant détaler. Dans son dos, stoppée précairement par le tronc abattu, la cuscute serpentait sur le sol… Elle y dessinait une véritable toile d’araignée complexe, étouffant les autres plantes, et s’attaquait même aux bases des arbres.
Il se leva et se mit en marche parmi elle, s’enfonçant toujours plus dans la forêt.
Lentement, la végétation parasitée céda sa place à de petits animaux. Mulots, serpents, merles… Tous empêtrés dans le réseau végétal vorace. Plus il poursuivait son chemin, plus les proies de la plante se révélaient plus imposantes : ici, un lapin, là, un chat, ou encore un marcassin. La liste s’amplifiait jusqu’à un très vieux chêne dont le feuillage dégoulinait littéralement de sang. Autour de lui, des biches et chevreuils au regard vide tentaient encore vainement de se débattre pour s’extraire du piège mortel. En hauteur, diverses espèces d’oiseaux pendaient en agitant leurs ailes, tels de macabres décorations.
Vincent n’exprima aucun dégout, pas plus que de la compassion. Il n’en avait pas eu davantage pour l’enfant, qui aurait certainement fini ainsi, s’il ne l’avait pas fait fuir. La raison de son geste était tout autre. Si l’enfant avait disparu, on l’aurait cherché. Et il était encore trop tôt pour découvrir cet endroit.
Certains devaient encore payer avant le grand final. Et à ce moment-là, peu importe ce qui se passerait. Toute la ville était coupable. L’innocence et l’ignorance ne serait pas tolérée comme excuse.
Il avança jusqu’au tronc, et y posa la main. Il s’assit en s’y adossant, et sortit un petit carnet de sa poche.
Quelle ironie. Ils avaient tué celle qui avait entre ses mains de quoi tous les sauver… Et pour quoi ? Pour un mirage stupide. Mais il ne prendrait pas le temps de leur expliquer leur faute. Cela ne les en absoudrait pas.
Il se souvenait de ce jour tragique. Bien sûr, il savait que sa relation avec Véronica n’était pas bien vue des habitants, surtout du fameux quatuor. Même son père à elle avait fini par désapprouver, après une discussion houleuse avec Roland. Véronica lui avait confié les avoir entendus, bien qu’elle n’ait pas compris le fond des propos.
Le père de Vincent lui, ne cessait de dire qu’il devait se trouver une compagne comme la fille des Norgue, que son père était d’accord. Véronica ne pourrait jamais comprendre l’âme de la ville, et qu’il ne pouvait se corrompre avec cette étrangère. Qu’il était destiné à de grandes choses. Le prêtre renchérissait qu’il avait été choisi, et Odejeanne restait silencieux…
Mais on ne lui avait jamais rien expliqué. On se contentait de lui dire qu’il comprendrait le moment venu.
Il aurait dû sentir le piège. On ne l’avait jamais autorisé à quitter Lioster. Et finalement, on lui permit d’aller découvrir les villes alentours durant un long mois. Soi-disant pour lui changer les idées après le tragique accident de ses parents, morts tous les deux sous ses yeux.
C’était un peu tard. Cela faisait plusieurs années que les chevaux s’étaient emballés et les avaient piétinés…
Mais il était trop heureux de pouvoir s’éloigner de la ville. Si Véronica avait pu venir avec lui, rien ne serait arrivé. Mais elle était restée. Elle lui avait confié ce petit carnet dans un sourire.
Savait-elle ce qui l’attendait ? Ce doute le rongeait.
Cela ne changerait de toute façon rien. Cette ville serait punie. Même s’il devait s’allier au diable pour ça, et lui céder son âme.
Le maire serait le dernier. Il voulait qu’il souffre à voir sa ville mourir sous ses yeux. Il savait qu’il était responsable de ce qui arrivait. Il était le plus proche de Véronica. Comment avait-il pu les laisser faire ?
Il avait des questions à lui poser, et il prendrait son temps pour obtenir les réponses.
Comment avait-il réussi à convaincre cet homme d’un tel geste ? Quels mots avaient pu pousser un père à tuer sa propre fille avant de se donner la mort ?
Georgie n’avait donné aucune réponse. Tout juste a-t-il concédé être celui qui devait s’assurer que le père ne se dégonfle pas…
Roland parlerait. Il était le dernier encore en vie du quatuor. Il ne lui laisserait pas le choix. Il avait promis à Véronica qu’elle verrait la peur dans les yeux de ses bourreaux, qu’elle verrait la détresse s’emparer de la ville. Qu’elle la verrait disparaître.
Après avoir passé la journée en forêt, il profita de la nuit naissante pour se diriger vers son ancienne demeure. L’heure de Roland n’était pas encore venue. Le manoir des De Katre trônait toujours au milieu du quartier noble, et lui inspirait toujours autant de dégoût.
Il remarqua une personne postée devant la grille ornée, observant la demeure. Il s’approcha :
— Puis-je vous aider ? demanda-t-il sur un ton monocorde, ne témoignant ni surprise, ni colère.
L’homme, vêtu d’un long manteau au col relevé, un chapeau haut de forme rivé sur la tête masquant son visage dans une ombre impénétrable, se tourna, prenant appui sur sa canne aux traits féminins :
— Peut-être bien, répondit Nathyon sur le même ton.
( à suivre… )
On commence à apprendre des choses intéressantes … J’aime ça 🙂
Oh ! …mais ce Vincent est une cocotte minute gonflée à bloc, prête à exploser ! La tension monte ! Krystal & co. feraient bien de déguerpir… ou d’offrir une psychanalyse à Vincent. Ce serait plus sympa.
En attendant, je ne sais si je dois colliger les lettres changeantes du nom de l’auteur. Peut-être y a-t-il un message caché ! Antho Caest, Cnest, Clest… Je ne me rappelle pas des autres lettres changées antérieurement, c’est embêtant… tout ça est trop mystérieux…
Je vois qu’on est attentif à tout^^
Juste un petit ajustement technique et phonétique, rien de plus :)et il n’y en a eu qu’un.
En tout cas, merci à tous les deux pour vos commentaires réguliers 🙂