Bientôt, elle serait à lui.
Il l’avait suivie à travers plusieurs ruelles. Elle marchait vite, mais il ne la perdrait pas. Parfois, elle s’arrêtait. Comme si elle sentait ce danger tapi dans les ténèbres de cette nuit sans lune. Elle regardait alors autour d’elle, méfiante, et reprenait son chemin, en rasant les murs.
Des murs, il n’y en avait désormais plus. Le cœur de la ville avait cédé sa place aux maisons individuelles et leurs vastes jardins.
Ici, il y a avait trop d’options, elle pouvait lui échapper. Tant pis pour la chasse, cela faisait trop longtemps, il ne pouvait se permettre de la laisser lui échapper.
Nouvel arrêt. Il fallait passer à l’acte, s’approcher doucement… Jusqu’à ce que sa présence soit perçue, mais inévitable… Instiller l’éphémère terreur… Avant le néant.
Elle se mit à courir, il courait plus vite. Bientôt la lame tranchante sortie de son fourreau pour lui lacéra le flanc… Un cri resterait sans écho.
Fier, le chat errant se saisit de la musaraigne. Enfin un repas digne de ce nom. La tête haute, il traversa la rue, s’arrêta entre deux poubelles pour profiter de son repas. Derrière lui, des pas lourds foulèrent la pelouse de la petite maison blanche non loin. Il y avait longtemps que les lumières s’y étaient éteinte. Les pas résolus s’y dirigeaient.
L’animal tourna la tête dans leur direction, reprit sa proie, et partit en toute hâte, disparaissant dans la nuit.
L’ombre dans l’ombre fit tranquillement le tour de la maison, laissant ses doigts gantés glisser contre le crépi du mur, sur les volets, la porte, la poignée. Il l’abaissa plusieurs fois délicatement tout en sachant très bien qu’elle ne s’ouvrirait pas.
Il n’était pas ici par hasard. Il observait la famille depuis plus d’une semaine. Ils étaient les élus. Un couple avec une fillette. Il avait noté les horaires de chacun. Il aurait pu s’en prendre à la gamine n’importe quand. Elle rentrait seule de son école, certes non loin, et restait chez elle seule, jusqu’à ce que sa mère revienne environ une heure plus tard.
Mais il n’était pas ce genre de prédateur. Il se moquait de savoir “qui”, du moment qu’ils avaient de la vie en eux.
Les poubelles lui avait permis d’apprendre leurs habitudes alimentaires, et d’autres petites choses de leurs quotidiens. Mais là encore, c’était davantage par amusement que par réel intérêt.
Il retourna à l’arrière de la maison, saisit les tiges de la fausse, mais réaliste, plante dissimulée parmi d’autres vraies, et souleva le faux terreau pour se saisir de la clé cachée au fond du pot.
“Sésame ouvre-toi” pensa-t-il.
De fait, il se trouva dans l’entrée. De là, la diode d’une box, et la lumière blanchâtre d’un petit aquarium ne combattaient que faiblement l’ombre ambiante. Le silence lui, se disputait avec un chauffe-eau paresseux, ronronnant doucement.
Il visita chaque pièce, effleurant là encore le moindre objet comme un aveugle voulant se familiariser avec son environnement.
Une porte s’ouvrit à l’étage et il se figea. Un bâillement sonore résonna dans l’escalier craquant sous des pas endormis. Le père apparu dans l’entrée, tourna vers la cuisine, inconscient de la silhouette se tenant dans le salon, observant ses moindres gestes. La lumière du réfrigérateur dévoila sa présence, mais le père lui tournait le dos. La porte se referma, et il disparut de nouveau dans les ténèbres.
Il but de longues gorgées, ignorant que des doigts intrus s’étaient promenés sur le rebord du verre qu’il portait à ses lèvres. Il poussa un soupir de satisfaction, ne prit pas le soin de ranger la bouteille, et se dirigea de nouveau vers l’escalier.
Une ombre mouvante projetée par l’aquarium sur un mur attira son attention. Intrigué, il observa la porte d’entrée, s’assura qu’elle était bien fermée, puis se désintéressa du phénomène, refoulant le frisson lui ayant remonté le dos un instant.
Il allait mettre un pied sur la première marche lorsqu’un froid mordant passa sur sa gorge. Un cri mêlant surprise et douleur se noya aussitôt dans le sang inondant sa bouche.
La silhouette, toujours derrière le père, l’enlaça jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un poids mort dans ses bras. Il l’allongea délicatement au sol, et posa à son tour un pied sur la marche.
Peu importe que les marches craquent. Qui était descendu, devait remonter. Rien à craindre.
L’étage lui offrit le choix : quelle chambre ? Sa longue observation lui avait permis de savoir qui se trouvait où. La fillette était à droite, en face du bureau, les parents à gauche, face à la salle de bain.
Il opta pour la mère.
Quand la porte grinça lorsqu’il franchit le seuil de la chambre, elle s’agita dans le lit, mais, s’attendant au retour de son mari, elle ne fit rien de plus. Il prit son temps, comme toujours. Rien ne pressait. Quand elle s’étonna du temps que celui qu’elle prenait toujours pour son mari mettait à se recoucher, elle ouvrit les yeux, l’appela, et en l’absence de réponses, alluma sa lampe de chevet. Elle eut à peine le temps de voir les pupilles de l’être accroupi face à elle se retracter sous le choc de la lumière, qu’une main vint se plaquer contre sa bouche.
Elle sut que s’en était terminée pour elle. Elle le supplia du regard de ne pas la faire souffrir. Il connaissait ce regard. Cette crainte de tout ce qu’il pourrait faire avant d’y mettre fin.
Mais il n’était pas ce genre de prédateur. Le sang de son mari se mêla bientôt au sien. Et il la regarda s’éteindre doucement, essuyant ses larmes du revers de la main.
Il visita ensuite la salle de bain, puis le bureau, avant de tourner la poignée de la dernière pièce.
La fillette dormait dans son lit. Une veilleuse offrait son faible halo à la chambre. Là encore il l’explora. Un cartable usé contre un petit pupitre de bois, des cahiers ouverts sur des exercices inachevés. Parmi les fournitures scolaires étalées sur le bureau, il y avait cependant un objet qu’il ne s’attendait pas à trouver.
Une ceinture.
Une ceinture d’homme, d’adulte. Soigneusement enroulée. Posée à côté d’une longue tige de bois.
Cet objet n’avait rien à faire là. Chaque chose devait avoir une place, et cet objet trônant là où aurait du se trouver une peluche ou tout autre objet d’enfant, était un affront pour lui. D’ailleurs, il n’y avait rien ici qui témoignait des jeux de la petite fille. Il parcourut les cahiers. Des notes de professeurs notifiaient les parents du comportement de leur fille, trop réservée, refusant de se mêler aux autres lors des cours de sport. Ils sommaient les parents de faire quelque chose, et proposaient les services du psy scolaire. Un mot des parents les assuraient qu’ils s’occupaient fermement du problème.
Ils auraient mieux fait de regarder ses autres cahiers.
Des pages entières d’insultes, des dessins obscènes la représentant, des menaces à peine voilées…
Elle quittait l’enfer scolaire pour l’enfer familial.
Cela ne lui allait pas du tout. Il était passé à côté de ce fait. Les murs lui avait caché la maltraitance et le harcèlement.
Quelle vie pouvait-il bien rester dans cette gamine brisée ?
Son poing s’abattit sur le pupitre, réveillant la gamine.
Repérant cet inconnu dans sa chambre, elle se recroquevilla contre son oreiller, mais n’appela même pas à l’aide.
Il devait y avoir longtemps qu’elle n’attendait plus de secours de ses parents…
Il n’aurait aucun plaisir à prendre cette vie-là.
On l’avait devancé. Une bande de gamins tortionnaires, des adultes aveugles rejetant la faute sur elle, des parents violents… Tous avaient emportés un peu de sa vie.
Il s’approcha d’elle, remarquant les marques sur ses bras et ses jambes. Il devina celles masquées par son pyjama. Elle pleurait doucement. Il y avait donc encore un peu de vie en elle.
Une infime braise.
Il posa la lame couverte du sang de ses parents sur sa couverture ornées de licornes, et lui expliqua longuement sa vision du monde. Et des autres. De ce devoir qu’on les gens comme eux à arracher aux autres ce qu’on leur refuse.
Elle l’écouta, apeurée, tout d’abord, puis ne comprenant pas ce qu’il attendait d’elle. Et puis, alors que l’aube naissait, il retira un gant, et lui tendit la main :
“Laisse-moi te montrer. Donne-moi des noms”
Elle resta prostrée un instant.
Puis glissa sa jeune main dans la sienne.
Joli et une fin inattendue. J’aime beaucoup.
Un humaniste en somme.
Jolie fin !
Magistral ! Comme d’habitude !
@O. DeJavel heureusement l’habitude ne fait pas que l’on se lasse.
Un peu d’espoir dans ce monde de brutes ;-)) !
Un titre bien choisi qui appelle la lecture du texte écrit brillamment et une fin remplie d’espoir !