L’héritage du Zénith – XIX

7 mins

Cette nouvelle ne déclencha aucune réaction visible sur le visage de l’empereur, qui, en bon chef de guerre, s’attendait tôt ou tard à cette conclusion, mais il n’en dit rien :

— Voilà de bien mauvaises nouvelles, mon ami… Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

— Cela fait un moment que je n’ai plus de nouvelles… Ce n’est pas normal… Je… Je crains qu’ils ne soient plus de ce monde… Et s’ils le sont encore, combien de temps tiendront-ils avant de donner mon nom ? J’avoue ne pas pouvoir leur en vouloir… Je n’ose imaginer quelles tortures ils peuvent subir à l’heure qu’il est…

Le prince afficha un air attristé qui flatta paradoxalement l’empereur… Il avait quelquefois craint que la popularité de ce jeune prince adulé à sa cour, ne puisse lui être néfaste. Ce fait, n’avait évidemment pas échappé à Evysciel, qui jouait actuellement un parfait rôle de composition pour désarmer sa vigilance : Evan, un danger pour l’empereur ? Non, impossible, il était bien trop faible émotionnellement… Et c’est exactement ce que Edgar XIX, empereur et guerrier absolu, se disait, même s’il n’en fit pas part :

— Ta compassion t’honore jeune prince, mais ceux qui nous servent en connaissent les risques… Ils doivent être loués pour leur dévotion et toutes les victoires que leurs inexorables sacrifices nous ont apportées, nous lèverons notre verre à leur mémoire ce soir. Quant à ta sécurité, si tu t’en inquiètes, sache que mon invitation de demeurer ici est toujours valable.

— Je vous remercie mais… Comme je vous l’ai dit, je devais vous parler « de » sujets bien sombres… Je crains de devoir vous révéler que le dernier contact que j’ai eu avec l’un de mes espions, m’a appris que le prince d’Horgia avait également un espion à votre cour…

Jusque-là impassible, Edgar se leva d’un bond, la rage ayant gagné en un instant son visage feignant d’habitude si aisément la sérénité :

— Quoi ? C’est impossible ! Qui est-ce ?

— Je suis navré, je ne peux vous en dire plus… Il était censé essayer d’en apprendre davantage, mais…

— …C’est en cherchant que ton espion se serait fait repérer…

— Je le crains… Vous devez savoir, Majesté, que son désir le plus cher a toujours été de servir la cause humaine… Je crains qu’en cherchant à vous préserver, il n’ait pris des risques inconsidérés…

— Je vois… Et malgré la menace, tu es tout de même venu me prévenir…

— C’était la moindre des choses, je ne pouvais pas le laisser s’être sacrifier pour rien… C’est… C’était mon ami également…

— J’en suis navré… Je vais faire interroger tout ceux me semblant suspects, et si un traître se cache à ma cour, il va le payer de sa vie !

— Si je suis me permettre, j’aimerais vous soumettre un autre plan…

— C’est-à-dire ?

— Si un espion se cache parmi nous, ne vaudrait-il pas mieux éviter de lui faire savoir qu’on le cherche ? Il pourrait au contraire nous être plus utile, libre de rapporter des faits… Des faits qu’on aurait volontairement laissés traîner à ses oreilles… Ainsi, notre ennemi obtiendrait de fausses informations, ce qui pourrait nous être utile, et au final, cet éventuel espion finirait malgré tout mort : soit parce que nous l’aurions démasqué, soit pour avoir rapporté de faux renseignements à Horgia. Quant à vous, il suffirait alors de voir qui s’absente, et qui ne revient pas, pour avoir l’identité du traître…

L’empereur partit dans un grand éclat de rire sonore et vint fermement taper l’épaule du prince :

— Voilà le stratège que je connais ! Je préfère te voir ainsi mon ami ! Parfait ! Nous ferons comme tu dis ! Même si je déplore dans cette stratégie de ne pouvoir châtier ce traître de mes mains ! Mais l’idée du prince d’Horgia, découvrant qu’il a été dupé, suffit à atténuer cette déception !

Evysciel sourit. Ce stratagème était des plus simple pour l’enfant de Lucifer, mais c’était tellement amusant de voir l’empereur s’extasier pour si peu. Mais le « prince » devait être sa personnalité actuelle, aussi, c’est avec respect que sa tête s’inclina face à ces compliments :

— Je vous remercie… Il y a un dernier point dont je dois vous faire part, plus léger, mais toutefois important. Comme vous le savez, le roi Maximilien IX a disparu. Il aurait, dit-on, fui avec une courtisane, et depuis son fils a reprit le trône…

— Oui, je sais…, grogna l’empereur. Maximilien me déçoit plus que tout. Lui qui a toujours été soumis au ciel, déserte son royaume pour une vulgaire catin…

— Une catin de grande beauté, si j’en crois le nombre de nobles enviant le roi…, souligna Evysciel, s’amusant de sa propre duplicité.

— Une femme est une femme. Avec tout le respect que j’ai pour mon épouse, mais surtout pour ma mère, l’ancienne impératrice, dont la fin misérable prouve bien que nous sommes différents.

— Malgré tout, votre majesté, nous ne pouvons nier que ce sont ces intrigantes qui sont à l’origine de la grandeur et de la décadence de bien des royaumes… Si nous, hommes, n’étions pas aussi faibles, elles ne pourraient pas se jouer aussi facilement de nous…

— Peu importe les femmes ! stoppa-t-il fermement. Dis-moi plutôt ce que j’ignore au sujet de ce roi coureur de jupons !

— Pardonnez-moi… En fait, cela concerne son pleutre de fils… Il semblerait qu’il ait décidé de se rapprocher de l’Empreinte, dans l’espoir de ne pas être envahi, et aurait projeté pour cela d’offrir ses terres au prince Hachbanmeraug afin d’en faire une base avancée… Et ce royaume n’est pas très loin des frontières de l’empire…

L’empereur, dont la colère montait durant les révélations du prince, éclata lorsqu’il eut fini. Il insulta copieusement le roi incriminé, par des termes bien peu adéquats dans la bouche d’un empereur, puis poursuivit :

— J’annexerai son royaume dès demain par la force ! Il va comprendre ce lâche !

— Si je puis encore me permettre, il serait plus sage d’en faire l’annonce demain, en laissant entendre une date assez éloignée, afin de voir qui, ici, partirait plus tôt que prévu… Cela vous permettrait de faire une liste de suspects… Quant à l’attaque, vous la lancerez, évidemment, plus tôt qu’annoncée…

— Il va donc falloir que j’attende pour écraser la tête de ce pleutre…, maugréa Edgar. Mais je vois où tu veux en venir, nous ferons à ta guise.

Le prince s’inclina en remerciant l’empereur de sa confiance et le plan se déroula comme prévu.

En conseil le lendemain, le roi annonça son désir d’annexer le petit royaume à ses portes, et en donna la raison, en ne parlant évidemment pas, même à ses généraux, de l’éventuelle présence d’un traître dans leurs propres murs. Très vite, la rumeur d’une guerre se propagea. Et même si Evysciel avait totalement inventé ses histoires d’espions, sa connaissance de l’esprit humain ne lui laissait aucun doute sur le fait qu’une perspective guerrière ferait se retirer les moins courageux des courtisans, se rappelant soudainement d’urgences sur leurs terres… C’était toujours le cas lorsque l’empereur lançait une nouvelle campagne. Mais cette fois, la vigilance d’Edgar avait été suffisamment façonnée pour y prêter une attention particulière… Chaque fois qu’il voyait un courtisan partir précipitamment, il avait envie de l’étrangler de ses mains… Quoi qu’il advienne par la suite, les relations entre l’empire et ces différents nobles s’en trouveraient à jamais altérées…

Quand les départs précipités cessèrent, l’ordre d’attaque immédiat fut lancé, à la surprise des généraux eux-mêmes. Ainsi, l’empereur prit le commandement d’une armée peu préparée et peu nombreuse, le gros des soldats dispersé dans l’empire n’ayant pu arriver à temps. Mais c’était largement suffisant pour mater leur cible…

Une nuit, alors que le groupe faisait étape dans un petit bois, un cri déchira le campement. Il fut bientôt accompagné par d’autres nombreux tandis que les torches tombées au sol dévoilaient des corps secoués de spasmes sur lesquels couraient de nombreuses araignées, glissant de leurs fils depuis les branches des arbres alentours, terrassant les soldats, tentant de s’enfuir, de leur mortel venin.

Au milieu du chaos, l’empereur hurlait en vain comme un beau diable, tout en tranchant et écrasant les arachnides afin de mobiliser sa troupe.

Soudain, les pattes d’une bien plus grosse, mais celles-ci étaient noires contrairement à la blancheur des autres, vinrent se refermer sur l’armure d’or, alors que les crochets immenses percèrent sans mal sa cuirasse et pénétrèrent dans l’épaule impériale.

Il réussit à se débarrasser de l’assaillante mais déjà le poison faisait effet. L’empereur sentait ses forces le quitter et au-dessus de sa tête, des dizaines de petites se laissèrent tomber des arbres, le recouvrant petit à petit de soie blanche dont il ne parvint rapidement plus à se dégager… Le cocon l’enserrant inexorablement se formait au fur et à mesure que son regard se brouillait… Voyait-il réellement face à lui, le prince Evan, couvert de ces immondes créatures ? Le voyait-il les caresser comme s’il s’agissait de chiens ? Voyait-il réellement ces longues formes sombres se dessiner dans son dos prenant lentement l’aspect de deux ailes noires ?

Oui, il voyait tout ça… Alors, il comprit qu’il avait été dupé… Dupé par ce prince dont il ne connaissait finalement pas grand-chose, dupé par son charisme, et sa faiblesse physique apparente, dupé par les victoires finalement bien dérisoires dans leur portée qu’il avait apportées à l’empire…

— Sois maudit, Evan ! hurla-t-il alors que la rage déformait son visage couvert de sueur. Si tel est bien ton nom ! Je suis Edgar, fils d’Edgar ! Homme parmi les hommes ! Jamais je ne me soumettrai ! Ni aux cieux, ni aux ténèbres ! Ma colère sera sans limite !

Le colosse se mit à se débattre et le cocon finit par se déchirer. Evan observa la scène, affichant un magnifique air surpris totalement feint :

— Il semblerait que je t’ai sous-estimé… Mon prince ne sera pas content… Je dois partir à présent !

L’empereur vit alors Evan s’envoler, puis les araignées se disperser, ne laissant que des cadavres derrière elles… Quant à Edgar, il lui faudrait la nuit pour se remettre du venin de cette araignée noire, qui ne possédait en fait qu’un puissant anesthésiant… Il aurait l’impression de ne devoir sa survie qu’à sa seule force, et à son retour au palais, il sombrerait dans une paranoïa profonde l’incitant à se méfier de tous… Certains ne croiraient pourtant pas sa version d’une trahison du prince Evan. Il était trop apprécié à la cour, et pour une bonne partie, l’empereur lui jalousait déjà son charisme…

Ainsi, l’enfant du Lucifer, dont le but n’avait jamais été de tuer ou capturer l’empereur, avait parfaitement conscience d’avoir allumé une mèche, qui mènerait inévitablement à l’explosion des relations au sein même de l’empire…

 

Evysciel, du haut d’un arbre, observait avec délectation le carnage de ses protégées. Souriant, l’être énigmatique porta son attention vers l’horizon, semblant s’adresser à quelqu’un au loin :

— Voilà de quoi t’occuper, mon cher frère… La rage de l’empereur contre toi est à son paroxysme… Peu importe ce que père prévoit pour nous, tu risques avoir du mal à t’y consacrer pleinement…

Quant à moi, je me ferai une joie de colporter la rumeur d’une telle humiliation pour l’empire Réchénan et d’attiser le feu couvant dans ses propres rangs… Son assurance va drôlement trembler… Voilà de quoi épater père… J’occupe un rival et affaiblis un ennemi…

L’ange sombre leva un peu plus les yeux vers le ciel étoilé, l’air pensif, puis conclut :

— Et toi, ma très chère Lisithia… Comment vais-je m’occuper de toi, petite sœur ?

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1 Commentaire
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Annick Smits
10 mois il y a

Ce n’est vraiment pas mon préféré lui … >< surtout ses bestioles.

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