L’héritage du Zénith – XX

6 mins

Le groupe de Lisithia apercevait au loin  l’horizon se déchirer sous la morsure des cimes des arbres de Dam, quand ils quittèrent la dernière ville avant la forêt maudite. Conscient que les travaux qui les attendraient seraient conséquents, Henry s’était arrêté la veille, pour faire quelques provisions de planches, clous et peintures, mais également pour acheter de la literie. Lorsque les commerçants avaient averti Henry de la dangerosité de leur destination, il se contenta de les remercier poliment pour leur mise en garde. Après leur départ, les commentaires allèrent bon train entre les villageois les observant, le regard médusé, s’éloigner :

— Vous avez entendu ? Ils vont au bois de Dam…

— Dam ? C’est impossible ! Ils ne sont que trois !

— Et en plus, il y a deux jeunes femmes…

— Les pauvres… Pourquoi ne pas les avoir prévenus ?

— Mais je l’ai fait ! Je n’allais pas les retenir contre leur gré…

— Tss… Encore des bienheureux… Ils vont vite déchanter… Quelle tristesse…

Les villageois suivirent leurs silhouettes tant que ce fut possible en poursuivant leurs commentaires, avant de s’en désintéresser. Cela ferait une anecdote. Mais, dans le sillage du convoi, deux ombres furtives, elles, les pistaient à bonne distance…

Les fidèles jumeaux d’Hachbanmeraug avaient décidé de les filer depuis leur départ d’Horgia. Ce n’était pas là une mission qu’il leur avait confiée, et il serait probablement furieux quand il l’apprendrait. Mais ce ne serait pas la première fois qu’ils agiraient de leur propre initiative. Ils le savaient : ce n’était pas le fait de se donner des objectifs personnels qui dérangeait leur seigneur, mais d’échouer. Et si les rumeurs entourant la forêt de Dam étaient un tant soit peu fondées, alors ils échoueraient probablement… Mais si la princesse Lisithia venait à disparaître dans ces bois, ils voulaient le voir de leurs yeux pour le rapporter à leur prince. Qu’importe ce qui pouvait leur arriver là-bas.

Les jumeaux vouaient une fidélité absolue à leur maître. Leur surnom d’« ombre du prince » n’était pas usurpé : rien, ni personne, n’aurait pu les détourner de lui. Pourtant, ils durent œuvrer longtemps pour gagner sa confiance, du moins toute celle dont le prince pouvait faire preuve envers de simples humains.

Originaires d’un petit hameau aujourd’hui rasé de la carte, ils n’avaient jamais connu leurs parents. Ce sont les autres villageois qui s’occupaient d’eux, autant que possible, en échange de divers services. Ils avaient cependant toujours éprouvé une fascination envers l’histoire de Lucifer. D’ailleurs, dans leurs jeux d’enfants, ils ne s’imaginaient jamais autrement qu’en fidèles serviteurs de l’Empreinte, faisant tomber Solaeria pour l’offrir à l’ange déchu, s’attirant ses louanges et devenant ainsi sa garde personnelle…

Pourtant, lorsque Hachbanmeraug vint entraîner ses troupes sur leur village, la réalité sanglante et immorale de la guerre les frappa de plein fouet… Le fils de Lucifer se moquait éperdument de savoir quelles exactions commettaient ses bataillons du moment que l’objectif était atteint, et le résultat d’une bande de guerriers violents lâchée dans une petite bourgade fermière, n’était pas beau à voir.

Lorsque deux d’entre d’eux traînèrent par les cheveux la fillette, qui serait plus tard surnommée « Hini », jusqu’à une grange déjà partiellement incendiée, son frère tenta de l’aider bien vainement… Un le maintenait au sol, hilare, pendant que l’autre se vautrait déjà sur sa sœur en grognant, alors qu’elle se débattait comme elle pouvait…

C’est cependant un gargarisme douloureux venant de la gorge de l’agresseur qui emplit la grange, et non les pleurs et cris de la fillette sous lui. Il se releva d’une façon étrange, hoquetant sous les questions étonnées de son comparse, et se retourna vers lui, une aiguille de tricot profondément enfoncée dans la gorge. Le sang s’écoula de la plaie et de la bouche et il s’effondra dans des spasmes avant de se figer à jamais, les yeux rivés vers la fillette abasourdie, dans un rictus mêlant colère et incompréhension…

L’autre lui lança aussitôt un regard noir. Elle, hébétée, plaquait contre elle les lambeaux de vêtements qui lui restaient. Il se dirigea dans sa direction d’un pas rageur, lui assénant des trombes d’injures, mais libérant du même coup le frère de son emprise. Ce dernier retrouva vite ses esprits. Il se releva, saisit une serpe posée contre le mur, et d’un mouvement ample, la tenant si fort qu’il s’arracha partiellement la peau des paumes, la fit pénétrer dans le flanc du guerrier qui hurla, en s’inclinant sur sa plaie, les yeux haineux fusillant le garçonnet. Lui, avait déjà relevé son arme et l’abattit une nouvelle fois, visant le crâne qui se brisa dans un bruit insoutenable. L’homme s’écroula au sol. Son corps s’agita sous quelques spasmes et se figea.

La fumée de l’incendie envahit rapidement la grange, les deux enfants se réunirent, ne sachant que faire et ne distinguant rien à travers l’épais rideau grisâtre s’insinuant dans leurs jeunes poumons, y remplaçant inexorablement l’air.

Des hennissements bruyants leur indiquèrent l’entrée de la grange. Ils hésitèrent un instant, ne sachant pas ce qui les attendrait dehors, mais ils se dirigèrent finalement vers eux tant bien que mal en se tenant la main et en enjambant les deux cadavres…

Lorsqu’ils atteignirent enfin l’air libre, ils suffoquaient presque, leurs yeux étaient embrumés par la fumée et ils s’écroulèrent aux pieds du cheval salvateur, ne remarquant pas qu’il possédait huit sabots, ni qu’un être immense le chevauchait. Ils entendirent simplement le cavalier ordonner qu’on les emmène.

C’est un seau d’eau froide qui les réveilla bien plus tard. Ils étaient dans une geôle puante, entourée d’hommes et de femmes plus ou moins vivants : certains restaient prostrés dans un coin, d’autres, pourtant des hommes de bonne constitution, pleuraient comme des bébés en murmurant des prières et autres suppliques, d’autres encore gisaient au sol, semblant morts ou très proches de l’être… De l’autre côté de la grille partiellement rouillée, un garde les dévisageait en ricanant.

Des pas résonnèrent dans le couloir. Un soldat au visage peu compatissant à leur sort, se fit ouvrir la cellule par l’arroseur, attrapa les deux enfants sans ménagements, et les emmena dans la cour de la prison. Là, ils durent prendre quelques instants pour s’habituer à la clarté du lieu. Une fois fait, ils observèrent autour d’eux : la place rectangulaire était une vaste étendue de sable et de cailloux plus ou moins gros, entourée de quatre murs gigantesques parcourus par des gardes en armures. Disséminés un peu partout, des prisonniers hurlaient sous les coups de fouets ou autres tortures subies, quand ils ne servaient tout simplement pas d’enjeux pour les gardes les faisant se battre entre eux et misant sur le gagnant…

Et puis, le même hennissement qui les avait sauvés, attira leur attention vers le centre de la cour, où les attendait le cavalier.

Ils ne connaissaient pas encore son identité, mais sa prestance les intimida plus encore que la terreur qu’ils ressentaient. Lorsqu’il ouvrit la bouche, s’adressant à eux sur un ton calme, leurs jeunes corps leur semblèrent pourtant trembler jusqu’au plus profond des os :

— Vous avez tué deux de mes soldats hier… Même s’ils n’étaient pas l’élite de mes troupes, pour de si jeunes enfants, humains, c’est plutôt remarquable… Vous avez su préserver votre vie, et votre dignité, par vous-même… Bien que Belpath vous ait donné un coup de main…, ajouta-t-il en flattant le cou de sa monture. Je vous laisse donc le choix : mourir vite, entrer au service d’Horgia, ou intégrer les forces humaines de mes troupes…

Les enfants ne comprenaient pas tout, mais ils connaissaient Horgia, et ils se demandèrent un instant si l’être terrifiant face à eux était Lucifer, ce personnage qu’ils avaient tant idolâtré dans leurs jeux, mais qui les terrifiait à présent…

Après un temps de réflexion que leur accorda le cavalier, ils optèrent, plus par peur de mettre trop de temps à répondre que par désir, pour la troisième solution, sans vraiment en connaître la nature, et furent envoyés en formation dans une garnison d’humains fidèles au prince Hachbanmeraug, où ils découvrirent la véritable identité de celui qu’ils serviraient désormais, mais qu’ils ne reverraient que bien plus tard.

Entre temps, ils avaient appris, et exerçaient désormais avec maestria les arts du combat, devenant rapidement le fleuron de cette garnison : rapides, ayant des réflexes aiguisés, une capacité d’analyse et d’adaptation au-dessus de la moyenne… Si, en un contre un, il leur arrivait encore de connaître la défaite, ils dominaient tous les combats en groupe, même en infériorité, tant l’osmose était parfaite entre les jumeaux.

C’est en lisant les rapports de formation que l’aîné de Lucifer décida pour la première fois d’intégrer des humains extérieurs à Horgia ou aux royaumes inféodés, à ses troupes personnelles. Et c’est à cette occasion qu’il leur donna leurs noms actuels, s’amusant de les voir plus efficaces en duo…

S’entraîner désormais avec les troupes principales, anéantit rapidement cette fragile confiance en eux, née en dominant la troupe humaine… Même s’ils parvenaient à vaincre les plus faibles des soldats de l’Empreinte, la plupart des entraînements se terminaient en blessures lourdes pour eux. Pourtant, plutôt rapidement, ils montrèrent le même talent et les serviteurs du prince se mirent à les craindre.

Finalement, sans attendre la fin de leur période d’entraînement, ils se glissèrent hors du camp, gagnèrent un village voisin réputé pour sa dévotion au ciel, y tuèrent le roi et repartirent, sans que quiconque ne s’en rende compte avant le matin.

Les jumeaux l’offrirent en trophée à Hachbanmeraug, qui,  en récompense pour cette initiative, les cloua au repos pour plusieurs semaines, tant les blessures qu’il leur infligea en représailles étaient profondes. Ils comprirent sue ce n’était pas tant l’acte que le prince réprouvait, mais le fait d’avoir agi sans réfléchir. Jamais le prince n’avait parlé de ce roi. Les jumeaux n’avaient donc aucune idée de ce que sa mort pourrait représenter.

Toutefois, une fois remis, ils ne retournèrent pas dans leur garnison… Le prince les prit à son service exclusif et dès lors, leurs exploits et les missions qu’ils accomplissaient seuls en son nom, leur donnèrent le surnom de « Gemini, l’ombre du prince ».

Désormais, ils étaient là, suivant Lisithia dans une de leurs missions personnelles, ne sachant pas vraiment où cela les mènerait. Mais, s’ils voyaient une ouverture, ils ne manqueraient pas d’attenter à la vie de la princesse… Même si ça devait cette fois, leur coûter plus que la perte d’un bras…

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1 Commentaire
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Annick Smits
1 année il y a

Hm … sympas les jumeaux, mieux vaut ne pas les croiser ^^

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