Chaque jour, c’était la même chose : la descente dans les tunnels chauds par leur profondeurs, et froid par leur éclairage blafard. Chaque jour, les mineurs avançaient tout au fond des ces énormes boyaux pour s’enfoncer là où la lumière n’était plus que faiblarde, là où les foreuses faisaient leur travail d’une discipline de fer, là où les hommes et les femmes assistaient ces monstre de métal dans leur tâche. On avait beau maîtriser les plus grandes technologies, il n’y avait jamais moyen que ces foreuses puissent creuser bien droit tout en broyant les morceaux d’iridium qu’elle extrayait. Alors quatre personnes devaient se placer des deux côtés de la machine, et deux autres écrasaient les morceaux qui étaient lâchés au sol. Tout cela sous la surveillance de plusieurs militaires qui gardaient le lieu. Eux, c’était les fonctionnaires qui avaient raté leur carrière, ceux qui avaient mal répondu à leur supérieur.
« Caporal vous m’avez manqué de respect, non pas seulement à moi mais à l’ordre que nous servons! Je ferais en sorte que vous soyez affecté aux mines d’iridium, si ça peut vous en foutre dans les poumons ça vous en foutra aussi dans la cervelle ! »
Et c’est ainsi qu’ils sont affecté à ce boulot qui consiste à regarder des gens se tuer à la tâche. Autant dire qu’ils étaient rarement de bonne humeur… Et rarement tendres. Les poussière d’iridium étaient extrêmement nocives, on ramenait chaque jour au minimum dix cadavres de mineurs qui étaient mort d’une complication respiratoire qu’ils aient des antécédents ou non. Parfois, c’était des gardes.
Rauli, s’il était là, c’était à cause de la drogue. En fait, c’était un chemin que beaucoup de gens perdus prenaient : orphelin de guerre, placement en foyer, sortie de foyer, consommation excessive de stupéfiants, vente de stupéfiants pour financer sa consommation, et puis… Désintox, prison. Cette prison n’était qu’un petit caillou qui filait dans l’espace autour d’un grand système planétaire habité et dominé par l’homme. C’était peut-être petit, mais dense de population : au moins cinq cent millions de détenus. Et puis c’était horriblement moche : des immeubles des mines, des usines. C’était bien simple : soit on décidait de travailler aux usines, auquel cas on y resterait toute sa vie, ou alors on choisissait les mines où l’on pouvait raccourcir sa peine, au prix d’une santé déplorable. Rauli avait fait ce choix, de toute façon il savait qu’il mourrait ici.
« Alors autant s’amuser à faire de la spéléologie en fin de vie » s’était-il dit en arrivant dans ce merdier.
L’ascenseur avait fini son ascension, munit d’un marteau il s’avançait dans les couloirs principaux qui était pour le moins très large. La mine était très riche en agitation : des trains chargés de marchandises remontaient par des tunnels, quelques milliers de mineurs se déplaçaient de part et d’autres, on ne s’entendait plus, ça criait, jurait, frappait les minerais scintillants. Et rien que cette immense cavité dont des alvéoles de plus en plus petite étaient raccordées ne représentait qu’une mine parmi des centaines d’autres. Rauli traînait beaucoup avec un jeune qui avait vingt ans de moins que lui qui se nommait Jussi, et Katerina une autre affectée à son alvéole qui refusait toujours de lui dire pourquoi elle était là. Tous les trois s’étaient liés très vite : ils se rendaient à chaque fin de session dans la mine dans un de leur minuscule appartement sombre pour s’envoyer des bouteilles d’eau de vie jusqu’à évanouissement. Puis, il se réveillaient avec trois ou quatre heures de sommeil dans la vue. Après, sonnerie : il fallait pointer en bas de l’immeuble sinon on était recherché partout et abattu si on se faisait prendre. Puis direction les mines, en rang.
De nombreuses fois Rauli avait eu envie de combler son immense solitude et de coucher avec elle. En vérité elle lui plaisait, et inversement. Mais l’iridium était passé par là : il était devenu si impuissant, qu’il avait envie de couper ses couilles tellement elles lui était inutiles. C’était pareil pour Katerina, Jussi, tout ceux qui croulaient ici.
Et toutes ces pensées s’effaçaient avec les gravats que sa masse broyait. Tous ces problèmes s’effaçaient lorsque Rauli faisait ses blagues habituelles. Cette fois il avait eu la bonne idée de lancer un morceau de pierre en direction de Jussi en criant :
« Jussi, météorite !
Il évita la pierre.
-
Va te faire foutre, faut que t’arrêtes de te prendre pour un comique, dit-il les yeux et la langue trahissant sa gueule de bois. »
Le surveillant qui devait être dans le même état grogna :
« Toi là bas, jette pas ça c’est précieux. »
Il s’essuya les yeux avant de reprendre :
« Bon allez je vais prendre un café, prenez une pause, d’autres surveillants arrivent. »
Il fit demi tour, tout le monde cessa leur activité pour se ruer sur leurs paquets de clopes. Rauli alluma son briquet, et les trois acolytes allumèrent leur cigarette alors que les nouveaux surveillants étaient déjà là, ne faisant pas trop attention à eux.
« Alors Jussi, on a du mal avec la bouteille d’hier ? Demanda Katerina avec un grand sourire.
-
J’ai… J’ai plus les mots.
-
Fallait être humble, t’as le foie d’un gamin ! Rajouta Rauli.
-
Toi, je t’ai dit d’aller te faire foutre. »
Tout le monde ria, à l’exception de Jussi qui bien qu’il souriait, était encore dans un état second, quand un bruit venu des entrailles de mines figea toutes les voix. Le sol commença à trembler quand un surveillant courut en direction du boyau.
« A terre, gaz ! »
Explosion assourdissante. En moins d’une seconde, tout fut balayé.
Rauli mit du temps à trouver sa lampe. Quand il l’eut trouvé dans sa poche, il inspecta autour de lui, constatant les dégâts de la détonation. Une main lui saisit l’épaule, il éclaira de ce côté quand le visage du surveillant lui apparut.
« T’es vivant ? T’as rien ? Demanda-t-il à Rauli.
-
J’crois oui. Et les autres ?
-
Y en a trois qui se sont prit le plafond sur la tête. »
Le mineur regarda sa cigarette qui était encore dans ses doigts, mais s’était totalement carbonisée. Il en ralluma une autre. Il chercha à terre. Jussi. Il était à ses pieds. Il le retourna sur le dos, il était conscient et vivant. Ravi de voir son ami en vie, il lui sourit.
« Je suis là. On est dans la merde, mais je suis là.
-
Kate, elle est vivante ? Demanda Jussi le yeux à moitié fermés frappé par la lumière des torches.
-
Je suis là, répondit une voix féminine qui sortait de vers la sortie du boyau.
-
Fais chier je pensais que j’étais débarrassé ! dit Rauli en jetant son mégot.
-
Très drôle. J’ai eu une discussion avec les surveillants. Je crois que toutes les issues sont foutues.
-
Je vais aller leur parler, regarde si Jussi a des blessures sérieuses, mais je crois que ça va. »
Il se faufila entre les quelques survivants et les corps qui gisaient au sol. Plus loin dans le tunnel, trois militaires se disputaient sur comment sortir de cette situation non seulement embarrassante, mais aussi profondément terrifiante.
« Cette sortie est morte, mais on peut passer par une autre mine si on trouve un chemin concordant. Et peut-être un autre ascenseur, dit l’un.
-
Moi je te dis que tout a sauté, faut remonter autrement. Il n’y a plus aucun courant qui passe.
-
Hé ben, il vont le remettre et on sera sauvés répondit le premier.
-
Mais je te dis que tout est coupé, t’as entendu cette explosion ? On est sûrement les seuls encore en vie, l’ascenseur est détruit et certainement les autres mines avec.
-
Bon, vous avez prévu quoi ? Demanda Rauli qui s’était joint à la discussion, ce qui n’avait pas l’air de plaire aux militaires.
-
Toi, on t’as pas demandé ton avis, d’ailleurs tu la fermes et tu nous laisses parler ! »
Soudain un caillou atteint un des surveillants qui parlait, et celui-ci s’écroula immédiatement au sol. Le second menaça la foule avec son fusil tandis que le troisième qui n’avait encore rien dit restait en retrait, ne sachant que faire. Soudain, oubliant les règles de la hiérarchie qui par ailleurs avait été soufflée par la détonation, une dizaine de mineurs se rua sur le militaire pour lui asséner des grands coups de gravats sur le visage. Mêlant hurlements et sanglots, il fut bientôt neutralisé. Le troisième qui regardait la scène en tremblant lâcha son arme, et leva les mains en signe d’abandon.
« Vive la révolution, dit Rauli en rallumant une cigarette.
-
C’est toi qui a fait ça ? Il auraient pu nous zigouiller, et c’est ce qu’ils feront quand il apprendront la vérité en haut ! Dit Nassem, un des mineurs qui avait toujours détesté Rauli par sa grande gueule.
-
Et qu’est-ce qu’on s’en fout, répondit Rauli. De toute façon on est bien partis pour crever ici.
-
On va pas crever ici Rauli, intervint Katerina. On descend jusqu’au dernier niveau. Par là, je sais qu’il y a une sortie vers une autre mine. Et puis si l’autre mine a subit l’explosion, on en cherche une autre.
-
Et si le passage s’est écroulé ? Demanda Nassem.
-
On aura essayé. Et on aura plus qu’à trouver autre chose ou mourir. »
Il y eut un long moment d’hésitation. La plupart commencèrent à répliquer et à montrer leur réticence à descendre plus bas.
« Non, on est assez dans la merde comme ça, on va pas s’enfoncer plus ! Pris de son esprit d’initiative, Katerina commanda :
-
Alors on va faire comme chacun veut : Tout ceux qui croient en ce que cet illuminé pense, vous mettez tout votre matériel à gauche, les autres qui nous suivent, mettez tout à droite. Et venez pas chialer si vous trouvez pas de sortie. Le passage de l’ascenseur est bouché ça me paraît assez évident. »
Malgré ces belles paroles, la majorité des survivants choisirent de ne pas s’aventurer plus loin, et rassemblèrent leurs affaires pour essayer de trouver un passage vers l’entrée au niveau de l’ascenseur. Katerina fit la grimace : c’était tant pis pour eux, mais le stock de leur expédition était mince ; il faudrait plusieurs heures de marche et ils n’auraient peut-être pas assez de lumières, de vivres pour un tel trajet. Cependant le militaire restant qui n’avait pas dit un mot depuis tout ce temps s’était rangé de leur côté. Et, chose étrange, Nassem avait fait de même.
« Je suis un peu emmerdé de devoir me coltiner l’autre bouffon surtout si je dois mourir avec lui, dit Nassem à Katerina en pointant du doigt le bouffon en question qui n’était autre que Rauli. Mais je pense que t’as raison. Et je veux pas risquer ma vie sur de la vanité. »
Au final, c’était seulement dix personnes sur les quelques cent survivants qui se rangèrent du côté de l’équipe de Katerina. Les autres partirent vers l’ascenseur hors-service, et tout le monde savait que les deux groupes ne se reverraient plus jamais.
Plus d’une heure était passée sans que personne n’ait dit un seul mot. Le tunnel semblait interminable. Par quelques endroits on apercevait des corps très brièvement le temps que le porteur de la lampe torche ne détourne le faisceau de lumière pour ne pas voir l’horreur d’un corps mutilé par une explosion. Rauli et les autres avaient beau réfléchir, ils ne savaient pas où s’était produit exactement l’explosion, mais il était facile de déterminer qu’elle s’était produit loin du boyau où ils minaient étant sinon ils seraient morts dès la détonation. Ce fut à un moment qu’on entendit une respiration frénétique et sifflotante, c’était le fonctionnaire qui s’effondra au sol en gémissant.
« Hé, il t’arrive mon gars ? Dit Rauli en le pointant avec un fusil qu’il avait récupéré sur un des surveillants défunts.
-
C’est mon asthme… Donnez moi mon sac. J’ai mes médicaments…
L’homme semblait suffoquer et il fut pris d’une quinte de toux violente. Rauli pointa son arme sur la tête du fonctionnaire
« Je vois pas pourquoi je te laisserais pas crever comme un rat ici. T’avais qu’à pas être asthmatique espèce d’enfoiré.
-
Arrête Rauli, intervint Jussi. Tu sais très bien qu’il a pas choisi d’être là.
-
Et alors, tu crois qu’il va pas tous nous balancer une fois là haut ? Et on se fera tous fusiller comme de lapins !
-
Hé le crétin, c’est toi qui les a provoqués c’est de ta faute tout ce merdier, dit Nassem les bras croisés.
-
Parce que tu préfèrerais être en laisse comme un chien à la merci de ces débiles mentaux qui nous auraient probablement tués ? Ça te ressemble bien tiens.
-
Ça suffit Rauli donne lui ce foutu sac…
-
Si ça vous amuse de… »
Un bruit sourd se fit entendre plus loin dans un des boyaux perpendiculaires. Immédiatement tout le monde fit le silence, on entendit des échos puis des pas approcher. Rauli pointa son arme et sa lampe en direction des bruits, attendant que quelqu’un paraisse. Ce fut trois hommes qui criaient au loin et qui les rejoignirent lorsqu’ils aperçurent les lumières des lampes torches. Un vieil homme à moustaches et une femme aux cheveux courts suivaient un autre homme en uniforme. C’était un surveillant qui avait l’air de s’inquiéter de l’état de son confrère, qui fouillait dans le sac tant désiré que lui avait finalement donné Katerina.
« Vous venez d’où ? Qu’est-ce qui lui est arrivé à ce type ? Demanda le fonctionnaire en désignant le second qui suffoquait toujours.
-
Simple crise d’asthme. Ça doit être l’iridium.
-
Qu’est-ce que tu fous avec une arme dans les mains ? Donne moi ça et vous allez me suivre on va remonter par la sortie. Ça va le collègue là bas ?
-
Ils ont tué… Elliot. Répondit en sanglotant le surveillant asthmatique. »
À ce moment là, le militaire qui venait de les rejoindre écarquilla les yeux et posa la main sur son arme de poing, mais n’eut pas le temps de l’utiliser puisque Rauli tira une rafale sur la poitrine du nouveau venu. Il s’effondra au sol.
« Espèce de fils de pute, je savais qu’on pouvait pas te faire confiance ! »
Il pointa son arme sur le jeune fonctionnaire mais Katerina prit l’arme par le canon et dévia un tir qui raisonna dans toute la galerie.
« T’es complètement malade Rauli ! Il faut vite se barrer avant que d’autres survivants ait entendu les tirs !
-
Et l’autre enfoiré, on va le laisser en vie ? »
Katerina hésita d’un air à moitié coupable.
« J’en sais rien. On s’expliquera plus tard pour l’instant faut se barrer et ne plus tirer sur qui que ce soit.
-
Hé ben si je peux juste pas tirer… »
Rauli donna un violent coup de crosse au fonctionnaire qui était à genoux, ce qui lui fit sortir quelques gouttes de sang de la bouche. Après cette altercation, tous se mirent en route y compris le malade qui avait repris un tant soit peu son souffle et qui s’efforçait de suivre les survivant pour qu’il puisse lui aussi survivre.
Tout les survivants avaient rassemblé des planches de bois un peu partout pour pouvoir se réchauffer auprès d’un feu de camp. Tous en avaient profité pour se reposer hormis Rauli qui n’arrivait pas à dormir et fumait cigarettes sur cigarettes tandis que ses réserves de tabac s’amenuisaient rapidement à son grand mécontentement. Il avait la tête ailleurs, il cherchait désespérément à savoir quel jour on était quelle heure, mais impossible de savoir. La perception du temps s’était tut en même temps que la lumière du jour avait disparue.
La marche avait continué depuis des heures durant. Sur le chemin, deux marcheurs épuisés tant par ce périple interminable que le travail acharné qu’ils avaient fournis quelques heurs avant, s’étaient écroulé, puis aidés par ses camarades qui les aidaient à se relever. Un troisième n’avait pas eu cette chance : après quelques toux sifflotantes il s’était mis par terre et commençait à suffoquer jusqu’à perdre son souffle. Rauli le poussa de la crosse de son arme, avant de déclarer le sinistre verdict.
« Il est mort, dit-il. On est combien maintenant ?
– Au moins une dizaine. On ne peux pas compter le groupe dans cette pénombre.
– Bien, continuons. »
Il laissèrent le cadavre du pauvre homme et continuèrent leur marche. Plus ils s’enfonçaient dans le tunnel qui semblait sans fin, plus il faisait froid et plus les dégâts de l’explosion était visibles. Il n’y avait aucun signe de vie, rien du tout même pas un écho qui aurait pu être perçu par la résonance qui trahissaient le cerveau par un phénomène de paréidolie qui était insupportable pour chacun. Rauli au cours du trajet avec shooté une pierre qui était sur le chemin. La pierre avait rebondit dans les ténèbres, et les chocs résonnaient dans toute les galeries jusqu’à devenir des sons étranges qui ressemblaient à des conversations mondaines comme si un bal se tenait dans les profondeurs de la mine. C’était à devenir fou se disait Rauli. Ce dernier devenait de plus en plus fébrile, l’alcool lui manquait et les substances hypnotiques qu’ils avaient coutume de se faire passer entre détenu lui manqua.
« Personne n’a de quoi se retourner le crâne ? Demanda-t-il en marchant. Tout le mon fit non de la tête, seul le surveillant dont le nez dégoulinait de sang hocha la tête qui sortit une bouteille en verre sans étiquettes.
– Donne moi ça.
Il lui tendit une petite bouteille de sa combinaison qui était à peine vide.
– C’est quoi ? Demanda-t-il sèchement.
– De l’alcool. On dilue des sédatifs dedans.
– Bande de salaud. Pendant qu’on se tue à la tâche et qu’on a le droit qu’à une pauvre bouteille d’eau de vie, vous autres vous prenez des hypnotiques. Vous ne valez même pas le quart de ce qui nous sommes. »
Le surveillant, un peu honteux et dérangé par la douleur vive de la crosse qu’il avait reçu au visage ne répondit pas. Rauli ouvrit la bouteille pour en boire à grandes gorgées. Il la tendit à Katerina qui n’en but qu’une petite gorgée et Rauli qui refusa d’un signe de la tête. Il but l’entièreté de la bouteille, les autres compagnons ne désirant pas goûter à ce breuvage étrange qui avait l’air d’être un cocktail dangereux pour le cœur. Mais Rauli savait très bien que cela n’était pas pire que l’iridium que les mineurs inhalaient à longueur de journée.
Quand il eu finit la bouteille, on entendit des échos plus profonds dans les tunnels. Intrigués, il décidèrent de continuer leur route, en direction de ces survivants qui faisaient ces bruits, oui bien poursuivre des vulgaires bruits de pierre qui par le désespoir le cerveau essayait d’interpréter ces bruits comme des conversations mondaines.
Peu de temps après, une lueur vint déranger la pénombre constante des tunnels.Rauli cria pour faire du repérage.
« Y’a quelqu’un ici ? »
Aucune réponse directe. Le groupe s’avança vers la lueur et y découvrirent un feu de camp alimenté par toutes sortes de combustibles, de l’essence à briquet, des bois de palettes, du charbon que l’on pouvait parfois décoller des galeries. Ça empestait une odeur semblable au kérosène. Près du feu, se trouva un vieux mineur, dont la barbe blanche était proéminente. Il était pâle, fin comme un cure dent, et ne semblait pas étonné de la présence des nouveaux venus. Katerina prit les devants, et s’assit près du vieil homme tandis que tous les autres survivants s’agglutinaient près du feu pour se réchauffer.
« Vous avez des vivres ? Demanda-t-elle.
Il eut un une sorte de mouvement de tête étrange, frénétique, avant de répondre à la jeune femme :
– J’ai deux boîtes de champignons. Vous pouvez les prendre. J’attends patiemment la mort, en me réchauffant. Je n’ai pas bu depuis plusieurs jours.
Rauli s’avança pour prendre part à la conversation.
– On monte une expédition pour pouvoir peut-être survivre et remonter saints et saufs de la mine. Vous connaissez ce secteur ? Demanda-t-il Je n’y ai jamais mis les pieds.
– Normalement… plus loin… il y a un boyaux qui mène à un couloir en béton. Je crois que ça rejoint une… une ? Une autre mine. Peut être une sortie si la détonation n’a pas tout ravagé. Avec toute la tuyauterie qu’il y a, je doute qu’il soit praticable.
Rauli ne comprit que quelques mots dû à l’affaiblissement de l’homme et de son élocution. Il s’adressa à Katerina et Jussi :
– Très bien, on va pouvoir sortir de ce merdier récupérer les rations. De ce que dit le vieux, on pourra s’en sortir.
– Ce n’est pas ce que j’ai dit intervint le mineur barbu après avoir entendu les conversations. Je pense qu’on va tous crever ici. »
Katerina observa l’homme avec un mélange de curiosité et de compassion. Puis elle ouvrit une boite de conserve. Elle en prit une poignée qu’elle porta à sa bouche, et la tendit aux autres qui firent de même. La boîte était maintenant vide. Ils se posèrent tous, reprirent des forces. Nassem s’était allongé tentant de dormir ne serait-ce que quelques minutes.
Durant ce laps de temps, Rauli prit le loisir de tourmenter de nouveau le gardiens qu’il avait frappé, et qui avait toujours la marque bleue du coup de crosse qu’il s’était prit dans la joue.
« Tu diras rien quand on sera de nouveau là haut hein ? Réponds !
Il ne répondit rien, se contentant simplement de hocher la tête vaguement.
– Comment tu t’es foutu dans un merdier pareil ? Demanda Rauli. Qui voudrait surveiller des esclaves dans cette foutue obscurité pleine de poussière toxiques ?
– Je… Je n’ai pas eu le choix. Comme beaucoup ici. Après mon affectation, je suis tombé en dépression. J’ai fait plusieurs hospitalisations. On a cru de moi que j’étais irrécupérable, un fou, un feignant, un bon à rien. Alors on m’a mis ici, probablement pour que je serve tout en mourant plus vite. Moi, je voulais combattre contre la commune d’Estrellya. Rauli écarquilla les yeux, ce mot ne le laissa pas indifférent.
– Estrellya ? J’y ai vécu toute mon enfance ! Qu’est-ce qu’il se passe là bas ?
– La commune s’est reformée, ils ont pris les armes et occupent plusieurs quartiers de la capitale. Elle devrait avoir été pris au moment ou nous parlons.
– La commune… Putain, c’est eux qui devraient gouverner l’univers. »
Il n’en revenait pas. Il avait fréquenté longtemps les gens de la commune. Des gens sans abris, drogués, des alcooliques, mais surtout des délinquants qui finançaient la préparation d’une guérilla par la drogue, les enlèvements de bourgeois. Rauli y avait participé longtemps. C’était ce qui l’avait conduit à la mine. Estrellya, c’était sa planète natale. Cela faisait plusieurs années qu’il n’avait eu aucune nouvelle. Il croyait tous ses camarades morts, la commune défaite. Mais apparemment, la réalité était tout autre.
« ça suffit. Je peux plus rester ici à penser à tout ça, faut se barrer, décida Rauli
ll donna quelques coups de pieds à Nassem pour le réveiller.
– ça va, je vais me lever espèce de fils de pute. »
Avant de partir Rauli tendit la main au vieillard qui était toujours assis près du feu. Il le regarda lentement, mais ne lui rendit pas sa poignée de main.
« Je ne viens pas avec vous. Qu’est-ce que vous espérer faire une fois dehors? Il vont vous fusiller. Il vont vous voir avec une arme, d’autres vont témoigner de votre rébellion. Vous allez être fusillé.
Rauli baissa la main, et se visage pour réfléchir. Au fond il avait raison. Mais malgré tout, il remit son arme en bandoulière et continua son chemin avec les autres qui le suivait.
Après avoir continué longtemps dans ces tunnels délabrés, ils arrivèrent enfin à l’embranchement que le vieux barbu leur avait indiqué. Ils ne restait qu’une seule boîte de conserve, et ils n’avaient plus d’eau. Seul Rauli avait toujours sa bouteille d’alcool aux molécules modifiées qu’il buvait pour se tenir en forme. Personne d’autre n’en voulait, elle était à lui tout seul.
« Arrête de boire cette merde, ça déshydrate lui dit à un moment Jussi »
Mais il continuait. Il aimait l’alcool, et par dessus tout l’effet de l’excitant dont le principe actif était dilué dans la bouteille en verre. Ils pénétrèrent dans le tunnel de béton, un tunnel de service qui avait été creusé pour la maintenance. Tout à coup, une forte odeur semblable à de l’ammoniac piqua les nez de la bande. Il eut une sorte de silence qui résultait e nombreuses questions auprès de tout le monde. Isaac commençait à avoir les tempes qui lui faisait mal. Il fut prit d’une migraine, des bourdonnements assaillaient ses tympans, des voix lui parvenaient comme à l’intérieur de se oreilles ; Il regardait partout, sa vision se brouilla jusqu’à devenir totalement noir. Ce fut à ce moment là qu’il perdit connaissance.
Lorsqu’il revint à ses esprits, il retrouva la bouteille dans la main, il n’était plus dans le tunnel. Il trouva Katerina qui attendait le réveil des autres, Jussi assis sur un morceau de roche la tête dans les mains et Nassem qui lui était inconscient allongé sur le sol.
« C’est… c’était quoi ce bordel ?
– Un tuyaux qui a dû éclater dans le tunnel. Du méthane, ou quelque chose qu’ils forent plus en profondeur. Nassem à l’air de respirer.
– Nassem ? Vous auriez dû le laisser crever, on aurait eu plus de vivres. »
Katerina soupira de cette plaisanterie de mauvais goût, si toutefois c’en était une.
« Par contre, pour l’autre… »
Katerina désigna du doigt le soldat qui était à terre, à moitié conscient, un sifflement très inquiétant émanant de ses bronches.
« Je ne sais pas si il va pouvoir s’en sortir, dit Katerina. Je n’ai pas trouvé de médicaments pour l’asthme dans son sac, il a dû les perdre ou il les a tous pris.
– Moi, j’ai une idée dit Rauli. »
Katerina se retourna, se préparant au pire. Et effectivement, Rauli prit son fusil d’assaut à pleine main et explosa la cervelle du malade qui de toute façon n’avait plus aucune chance de survie.
Lorsqu’ils avaient tous atteint le bout du tunnel, ils furent surpris par une lampe torche qui leur perçait la rétine. Aussitôt, comprenant qu’une patrouille les attendait, Rauli jeta son arme à terre.
« Vous êtes survivants ? Cria un des soldat à l’autre bout du tunnel.
-
Non, on est tous morts, ça se voit pas ? Rétorqua Rauli.
-
Fermez-la et mettez vous en file pour qu’on puisse vous identifier. »
Ils étaient restés trois jours dans cette mine. Le tunnel qu’il s avaient traversé était si profond dans la mine que la remontée s’était fait en plus d’une journée. Le bilan de cette déflagration était lourd : des milliers de morts, et seul la joyeuse troupe de Rauli pouvait prétendre à être survivants. Vingt personnes en tout.
Le temps avait finalement retrouvé son cours normal, dans cette immense geôle que représentait cette petite planète minière. Tout ce que Rauli avait gagné, c’était de la vengeance personnelle. Personne n’avait témoigné contre lui sur tout ce qu’il s’était passé, ainsi il reprit son pénible travail comme tous les autres, sans qu’aucun procès n’ait lieux, la mine qui avait explosé était désormais scellée et faisait office d’un grand cimetière pour les défunts ayant péri dans l’explosion.