Au milieu de cette noirceur qui m’accueillit en entrant dans la pièce, se trouvait une flamme bleue éclairant à peine ses entourages d’un léger halo bleuté. En un instant, la salle fut baignée d’une lumière vive et je dus me cacher les yeux de mes mains. L’illumination s’atténua lentement pour devenir une lueur pâle en plein centre de la salle. Une femme – sa silhouette du moins – était assise sur le sol et priait dans langue qui m’était inconnue. Puisque la pièce n’était plus plongée dans l’obscurité totale, la dame se leva et je devinai rapidement qu’elle était un centaure grâce à son corps de cheval. Je m’attendais à une elfe, pensais-je surprise. Sa robe argentée faisait penser à une étoile éclairant la nuit tout comme ses cheveux qui ondulaient en une cascade d’argent jusqu’à ses sabots blancs. Son visage demeurait indistinguable dans la pénombre. Lentement, elle s’avança vers moi, faisant claquer ses sabots sur le sol, puis, avec grâce, me tendit sa main, ce que je fis sans hésiter un instant. Le creux de sa paume était tiède, mais douce. Je la lâchais un instant plus tard.
— On m’a prévenu de ta visite et j’étais impatiente de te rencontrer, jeune ange. Je suis celle que l’on désigne le nom de prophétesse, me dit-elle de sa voix mélodieuse.
D’un simple geste de la main, les flammes bleutées grandirent, puis la pièce devint claire comme si on avait ouvert les volets pour laisser passer la lumière du soleil. Après avoir jeté un coup d’œil aux alentours, je montai mon regard pâle vers son visage au teint rose. Je n’avais que peu de mots pour décrire la splendeur de ce-dernier. La centaure possédait des traits fins et doux qui étaient encadrés par des boucles argentées, mais aussi cachés par un bandeau couleur neige lui obstruant la vue. Un voile transparent reposait sur le dessus de sa tête et traînait paresseusement sur le sol de marbre ainsi que sur une partie de son dos. Il recouvrait ses oreilles de cheval qui se trouvaient sur le dessus de sa tête.
— Pourquoi portez-vous un bandeau ? lui demandais-je avec curiosité sans savoir si j’avais le droit de lui poser des questions.
— Pour empêcher mes yeux de me faire souffrir. Mes pouvoirs se manifestent à travers mes iris alors je dois les cacher en tout temps, me répondit-elle avec un doux sourire. Te sens-tu prête ? Lorsque j’ouvrirai mes yeux, j’entrerai dans ton esprit.
— Est-ce douloureux ? l’interrogeais-je peu certaine.
— Seulement si tu me résistes. Laisse-moi voguer librement sur les flots de ton âme et cela ne te fera aucun mal, me rassura-t-elle avec un nouveau sourire.
Je déglutis nerveusement, mais hochai tout de même la tête en signe d’approbation. Elle retira délicatement son bandeau, prit possession de mes mains, puis ses paupières s’ouvrirent sur des prunelles vertes rappelant les plaines émeraudes en été. Au moment où son regard pur entra dans le mien, mon sang ne fit qu’un tour dans mon corps. J’avais l’impression d’être paralysée. Pourtant, malgré ce que je ressentais, mon corps restait debout sans tituber. C’était comme si une force invisible m’empêchais de tomber sur le sol. Je sentais son âme naviguer sur mes pensées et dans les plus petits recoins de mon esprit. Au début, il y avait une démangeaison désagréable un peu comme un picotement qui se répandait partout dans mon corps, mais plus les minutes s’éternisaient, plus c’était douloureux. Pourtant, je ne résistais pas. La douleur ne cessait d’augmenter, puis ce fut comme si je brûlais vive. J’hurlai tant c’était insupportable. La prophétesse referma ses paupières, alors ma souffrance s’acheva aussi rapidement qu’elle avait commencée. Aussitôt son emprise sur mon esprit relâché, je m’effondrai durement sur le sol, le cœur battant la chamade, le souffle ainsi que maintes gouttes de sueur perlant sur mon front. J’en avais des frissons. Me tournant désormais le dos, la devineresse réfléchissait à haute voix sans que je puisse comprendre ce qu’elle disait, mais cela ne présageais probablement rien de bon.
— C’est presque impossible. Est-ce bien cela ? murmura-t-elle pour elle-même.
Elle pivota son torse pour me faire face à nouveau. Les sourcils froncés et les oreilles rabattues, elle avait remis son bandeau sur ses yeux verts. Son expression était crispée et ses mains tremblèrent légèrement lorsqu’elle agrippa le pan de tissu de son voile comme s c’était son point d’encrage.
— Qu’y a-t-il prophétesse ? Avez-vous vu quelque chose dans mon âme ? lui demandais-je en titubant après m’être relevée.
— Disons que c’est compliqué, commença-t-elle, une pointe d’hésitation dans sa voix. Ne t’en fait pas jeune ange, je t’expliquerai.
Son ton doux était revenu, mais je savais que c’était pour tenter de me rassurer ou étais-ce pour se rassurer elle-même ? Je n’avais pas la réponse à cette question. En me prenant la main, elle continua se qu’elle disait ;
— Allons en parler d’en un endroit un peu plus adéquat. Il pourrait y avoir des oreilles indiscrètes et je ne voudrais pas que ce que je m’apprête à te dire se rendent aux leurs.
Que voulait-elle dire par des oreilles indiscrètes ? Que nous étions espionnés dans le palais du roi des elfes ? Je croyais qu’il n’y en avait pas ici ? Je laissai tomber mon questionnement pour me concentrer sur le chemin que la prophétesse entamait en dehors de la salle aux flammes à la lueur bleutée. Après plusieurs minutes de marche, nous pénétrâmes un petit salon royalement décoré de tapisseries aux couleurs de la forêt et du ciel. Un tapis de velours émeraude revêtait le sol de pierre et des piles de coussins se trouvaient dessus. Des bibliothèques recouvraient le mur entier sur la gauche. Après avoir fermé la porte derrière elle, la centaure s’assied dans les édredons non sans pousser un petit soupir. Je m’installai à mon tour, puis elle repoussa son voile puisqu’il se trouvait devant son visage.
— Nous pouvons parler librement ici : nous sommes dans les quartiers privés du roi. Personne n’oserait venir jusqu’ici seulement pour nous écouter parler.
— Avons-nous le droit d’être ici ?
Elle émit un petit rire cristallin, puis me répondit :
— Le roi me fait confiance, alors ne t’en fais pas jeune ange. C’est justement la raison pour laquelle il est mieux de parler ici qu’ailleurs dans le palais.
— Je comprends. Dame Caelyn, qu’avez-vous vu dans mon esprit tout à l’heure ? Étais-ce bon ?
Son expression joyeuse s’effaça pour laisser place, à nouveau, au stress de tout à l’heure. Elle redevient nerveuse. Je suis certaine que c’est une bonne nouvelle, ironisais-je. Elle inspira un grand coup puis se lança ;
— Pour faire court et simple, la voie vers ton esprit est bloquée par une barrière magique. De plus, ton âme est corrompue, faute de ta nature.
— Ma nature ? Ne suis-je pas un ange ? Pourquoi y aurait-il une barrière sur mon esprit ? Je ne comprends pas, lui dis-je perdue par ce qu’elle venait de dire.
— Tu es en partie ange, mais ton autre moitié, démon, corrompt ton âme qui se trouve en partie divine. Malheureusement, ton déferlement de magie a, en quelque sorte, activé ta partie maléfique. Tu dois être extrêmement prudente, car tu ne dois en aucun cas te laisser dévorer par ton démon intérieur. Si tu le laisse, j’ai bien peur que tout espoir sera perdu.
— Que se passera-t-il si je le laissais ? Et pourquoi aurais-je une barrière autour de mon esprit ?
— As-tu déjà entendu cette phrase ? « Le grimoire de diviotis restera caché jusqu’à ce qu’un asura émergera à nouveau et ce, jusqu’à ce que la prophétie sera réalisée. Lorsque ce jour viendra, tous les démons périront, laissant les races divines libre de leur joug qui durent depuis le début des temps». C’est la prophétie du grimoire créée par nos dieux il y a de cela bien des années.
— Je crois avoir lu le passage énoncé dans un des livres de mon orphelinat. En quoi cela a-t-il un rapport avec moi ?
— Les asuras, lorsqu’ils naissent, ont un grand pouvoir incontrôlable en eux et une barrière magique scelle leur esprit jusqu’à ce qu’ils apprennent les diviotis – de sorts très puissants – pour pouvoir les utiliser. Ces sortilèges et l’esprit ne peuvent être dissociés, alors le corps créé une barrière qui protège son hôte jusqu’à ce qu’ils soient en mesure de les manier. Toi, ma chère ange, tu es la prochaine asura.
Je ne savais pas exactement ce que cela impliquait, mais j’avais l’intuition que ce n’étais pas la meilleure chose qui me soit arrivée. De plus, était-ce vraiment moi ou il y avait une erreur sur la personne ? Est-ce que cela voulait dire que je devais abandonner ma vie normale et renoncer mon avenir de soldate ? Mon plan de vie était presque déjà déterminé et, à cet instant, il venait de partir en poussière.
— Êtes-vous certaine que je suis une asura ? Pourquoi moi ? N’y a-t-il pas une personne mieux qualifiée pour jouer ce rôle ?
Son rire cristallin résonna à mes oreilles. Avais-je dis quelque chose d’amusant ? Je ne croyais pas.
— Les asuras naissent lors d’éclipses lunaires ou solaires. Ce qui font d’elles des évènements très rares. Le phénomène est si rare qu’il peut même y avoir plusieurs siècles entre chaque asura. Tu es née lors d’une éclipse lunaire. Il ne peut y avoir erreur. Tu es la seule et unique en mesure de compléter la prophétie instaurée par les dieux.
— Que font-ils exactement ? demandais-je encore réticente à croire à tout cela.
— Ils utilisent les diviotis, des sorts magiques assez puissants pour détruire le monde, pour tenter de mettre un terme à la race des démons afin que les races divines puissent vivre en paix.
— Si ces sorts sont si puissants, pourquoi me les confier ? Je suis incapable de maitriser mon propre pouvoir, lui dis-je dépassée par ce qu’elle venait de dire.
Elle me fit un sourire compatissant puis reprit ce qu’elle disait.
— Au fil du temps, tu apprendras à maitriser ton immense magie, de plus, comme je te l’ai dit, tu es la seule qui soit en mesure de porter les diviotis. Nous avons besoin de toi pour compléter la prophétie.
Un voile sombre couvra alors mon visage. J’étais, jusque-là, peu convaincue. Je n’avais jamais demandé à être une sorte de héro. Ce n’était pas pour moi. Je m’en sentais incapable et pourquoi souhaiterais-je exterminer une race entière simplement en raison d’une prophétie aussi dévastatrice créée par nos dieux ? Je croyais qu’ils ne nous voulaient aucun mal ?
— Est-il vraiment nécessaire de faire un aussi grand génocide pour permettre au races divines de survivre ? La cohabitation ne peut être envisageable ? Je sais que nous avons toujours été en guerre contre les démons, mais cela pourrait arrêter !
— Parfois, la mort d’un est requise pour sauver un autre. C’est exactement ce qui se passe dans notre cas, me répondit-elle d’un ton sans émotion comme si un génocide ne lui faisait ni chaud ni froid. Si la cohabitation entre nos peuples avait été possible, la prophétie n’existerait pas.
Je supposais qu’elle avait raison, mais quand même !
— Je n’ai pas du tout envie d’être une asura, lui avouais-je dans un soupir après un instant de réflexion.
J’avais de la difficulté à assimiler toutes ces informations et c’était un peu trop pour mon cerveau : j’avais de la difficulté à absorber la moindre chose.
— Tu es obligée. C’est ta destinée. Seul les dieux sont en mesure de la changer et je doute qu’ils le fassent, car cela fait bien des années qu’ils ne nous donnent plus de messages. As-tu d’autres questions ? me demanda-t-elle sur ce même ton froid qui me mettait mal à l’aise.
Seule une me trottait dans l’esprit depuis mon plus jeune âge, mais je doutais qu’elle soit en mesure d’y répondre. Je désirais aussi sortir d’ici au plus vite, car je sentais que la prophétesse devenait de plus en plus acide envers moi.
— Savez-vous qui sont mes parents ? Avez-vous une idée de ce qui leur est arrivé ?
— Malheureusement non, me répondit-elle à nouveau avec cette douceur qui lui était propre. Je ne pouvais que t’éclairer sur les asuras et ta nature, mais je sens que tu trouveras les réponses à tes questions rapidement.
Elle me sourit tendrement, puis m’indiqua la voie vers la porte. Elle paraissait avoir deviné que je n’avais pas d’autres questions. De plus, sa dernière phrase laissait deviner que la conversation était terminée. Je me levai de la pile de coussins duveteux et ouvris la massive porte en cuivre forgé, recouverte de motifs floraux plus magnifiques les uns que les autres. D’un pas incertain, je longeai plusieurs couloirs, puis j’aboutis dans le hall principal. Garan, au loin, m’aperçut et me montra l’arche menant à la salle du trône d’un geste de la main. Je hochai la tête et y allais. J’avais presque oublié que le roi m’avait demandé de venir le voir après ma rencontre avec la prophétesse. En pénétrant dans la pièce au plafonds voutés, je remarquai que le roi somnolait sur trône en cuivre, son livre reposant sur ses genoux. Comme le ferait n’importe qui, je m’agenouillai devant le monarque, puis émit un petit raclement de gorge pour le réveiller et l’avertir de ma présence. Cela fonctionna, car le roi ouvrit les yeux et me fit un petit sourire en s’excusant. Après un bâillement, il me demanda comment la rencontre avec la prophétesse c’était passée.
— D’après elle, je suis à moitié ange et à moitié démon. Je serais aussi une asura.
— C’est une bonne nouvelle. Peut-être que la prophétie sera enfin réalisée.
Enfin réalisée ? Y avait-il quelque chose que la devineresse ne m’avait pas dit ? Je ne dis rien, puis le roi me congédia, satisfait par cette nouvelle. Comment cela pouvait-il les enchanter ? Je ne comprenais pas. Je sortis du palais, confuse et encore plus perdue qu’avant, et me dirigeai vers le campement. Je m’installai plus en retrait et ignorai ma ration du soir. La visite avait durée toute l’après-midi donc le crépuscule commençait à montrer le bout de son nez. Épuisée, je m’enroulai dans ma cape et sombrai dans les bras de Seiren, le dieu du sommeil et des plaisirs. Pendant la nuit, mes songes furent hantés par des visons cauchemardesques. Je rêvais constamment que j’utilisais les diviotis pour tuer les démons et que, par la suite, une massive pile de corps sanguinolents gisait sous mes pieds. Je me réveillai en sursaut et en sueur plusieurs fois pendant la nuit.
Asura – Dieux et diviotis – chapitre 6