Au Pays de Léonie

3 mins

Je glisse mon casque sur la tête. Je lance mon player en mode aléatoire en espérant que la randomisation de ma machine sera à la hauteur de mes attentes du soir. Je reconnais très vite les premières notes d’un morceau interprété par Gregory Porter. Son titre est évocateur “No Love Dying” que je traduirais par “Absence d’amour mourant”. La voix grave de Porter est diffusée dans mes écouteurs pour frapper paisiblement mes tympans. Mon corps se relâche et m’offre de bonnes vibes pour écrire un extrait de ma modeste vie que je partage à qui veut bien le lire.

Dimanche, lors d’une course à pied, je me souviens avoir pensé de nombreuses fois à Léonie durant mon parcours. Je levais les yeux au ciel pour tenter de communier et de lui dire que je ne l’oubliais pas. Cette pensée universelle des vivants endeuillés nous taraude tous jusque dans les moindre recoins de nos vies intimes. Quelle place doit-on accorder à notre enfant défunt? Comment conjuguer la vie avec la mort quand on prend conscience qu’elles sont inséparables ? Comment trouver un équilibre entre le trop plein débordant de colère et le pas assez rempli de remord ? Au milieu se trouve la ligne du plaisir qui ne résonne plus assez et vous abandonne à de pauvres pensées ou à des schémas tronqués. Redonner une direction et une place au vivant est et reste l’enjeu majeur de nos vies chamboulées.

La pluie mouillait mes cils, faisant perler des gouttes d’eau sur le pourtour de mes yeux. No cry, no fear… Juste une nature m’offrant de l’air et de l’eau. Je me sentais libéré de l’effort à fournir. Seuls, tout au fond de moi se dessinaient des petits méandres me menant à regarder mon histoire. On apprend alors à cadencer son rythme à la course et ses émotions à la vie. Je sentais ma gorge se nouer en remplissant mon esprit d’images douloureuses qui vous emportent poussées par la mélancolie de l’absence. C’est bien difficile de songer que cette fin d’année scolaire se fera sans notre fille.

Je me répète plusieurs fois par jour que je ne peux plus rien y faire. On tend les bras au ciel en invoquant l’injustice, le hasard, le malheur, le manque de chance, le destin et puis après? J’entends la colère de parents, principal carburant à faire tourner une machine sourde et tempête. Je la comprends. Elle nous traverse tous à un moment ou la douleur surpasse la raison du plaisir. Ma fille a emporté avec elle tout ce que je possédais de rationnel balayant les codes d’une vie passée. La lame de ma faux est aiguisée à ce jour et se tient prête à faucher les préjugés et l’inutile telles des herbes folles. La peur me quitte. Je nage le cœur serré à travers les mots. Je marche vers les autres partageant encore et davantage. Je cours vers l’inconnu. Ce nouveau petit jardin verdoyant apaise les remous et doit être trouvé par chacun de nous afin d’en absorber le venin de l’absence.

Redonner vie en fertilisant une terre devenue aride après la sécheresse d’une mort en vous octroyant toute la place pour y renaître. J’aperçois le champ de ma famille tout proche de moi mais je sais que je dois être pour avoir et que je serais salué par mes proches lorsque j’aurai fini une mue de l’avant vers l’après. Cette étape sera couronnée de succès si nous arrivons à faire preuve de respect pour châtier la colère. Comment continuer de semer abondamment autour de la lettre A du mot amour, seul rempart contre la bêtise.

Je sens le mot liberté reprendre ses lettres de noblesse en posant les bases de ma nouvelle vie. Liberté de vivre ou mourir ou encore liberté d’aimer . J’aime dorénavant la vie sans cadre ou celle qui vous porte vers des envies de partager sans intérêt, d’aimer sans retour, de regarder sans attendre. Ce choix m’anime par la volonté unique qui m’ait offert de voguer au flux et reflux des âmes qui m’entourent avec le seul risque de perdre mon souffle et qui me soulagerait en me rapprochant de mon enfant défunt.

Je finis ma course.

Je pose mon casque

Je vis…

Un jour, une vie d’un papa sans son enfant. 21 Mai 2019 – 1h10 mn

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1 Commentaire
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Leannan Mhèinn
4 années il y a

Wahou !!! My God !!! quel témoignage fort et émouvant … je n’aurai qu’un seul petit mot à vous transmettre, mais qui signifie tout, pour chaque jour qui passe et à venir…. GAMBARIMASU !!!!!

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