« Bonne nuit Papa, et une très bonne année. On se voit bientôt. Je t’aime et je pense à toi, ta fille chérie. »
Ne se souvenant pas d’avoir vu le mot quand il s’est préparé avant d’aller à la soirée, Erwann comprend que Manon-Tiphaine est repassée par la villa, lorsqu’il était absent.
Cette petite note manuscrite le touche plus qu’il ne l’aurait imaginé. Son cœur se serre au souvenir de leur dernier baiser. Elle était sur le pas de la porte, et malgré son mètre quatre-vingt, elle dût se mettre sur la pointe de pieds pour l’embrasser. Elle avait tellement grandi, était devenue une jeune fille si vite, comme si toutes ces dernières années lui avaient échappées.
Erwann passe la main sur la buée qui a recouvert le miroir et observe les traits de son visage fatigué. Même si quelques signes de l’âge sont indéniablement apparus depuis quelques temps, il conserve son allure de jeune premier.
Après ses cheveux, c’est sa garde-robe qui a pris un coup de frais grâce à l’intervention de sa cousine, Sandra, décoratrice d’intérieur spécialisée dans les décors de plateaux de cinéma et de théâtre. Elle lui a concocté un nouveau dressing à faire pâlir les amateurs de street art. Désormais, il affiche toute la panoplie du hipster, mélange de bûcheron et de graffeur : Chemise portée sur un tee-shirt blanc, jean déchiré ou chino en toile assortis à des boots ou des baskets, dont il fait à présent collection.
A l’arrière de sa chambre a été aménagé un immense shoesing, dans lequel sont rangées toutes ces nouvelles Sneakers, Converse et autre Adidas en édition limitée. Ses placards regorgent de chemises à carreaux, de tee-shirts à messages et de hoodies, qu’il prend plaisir à marier pour exprimer son humeur du jour.
S’il n’a rien perdu de son attrait physique au fil du temps, ce qui lui fait défaut, en revanche, c’est d’y croire à nouveau.
Aucune femme n’a trouvé grâce à ses yeux depuis sa séparation, il y a quatre ans. En tant que photographe, il est au contact de nombreux modèles, toutes plus jolies les unes que les autres. Pourtant, même si certaines ont déjà tenté leur chance en lui faisant des avances, il n’a pas ressenti le désir d’y répondre favorablement. La plupart d’entre elles sont beaucoup trop jeunes et lui donnent l’impression d’être draguée par sa fille. Cette pensée vient réveiller la nausée d’un repas richement arrosé.
Au-delà de sa nouvelle dégaine et de sa coiffure très arty, ce qui a fait toute la différence, pour lui, c’est l’apparition de ses nombreux tatouages. Ce fût comme une renaissance.
Lorsqu’il a recouvré à contrecœur son statut de célibataire, Erwann a morflé. Pour l’aider, Quentin, artiste passionné par le tatouage et le piercing, lui a suggéré de passer sous ses mains expertes. Désireux de se réapproprier sa nouvelle existence, Erwann s’est aussitôt laissé tenter. Il ne l’a jamais regretté.
Pour casser cette image trop lisse qu’il ne supportait plus, il n’a pas hésité à passer des heures dans le fauteuil du studio de tatouage aménagé par son pote pour subir de longues séances de torture. La douleur était cuisante mais elle en valait la peine. Elle lui a autant permis d’extérioriser la souffrance qui l’habitait que de se recréer et de se glisser dans la peau d’une nouvelle personnalité.
Depuis que tout un tas de dessins ornent sa peau bronzée par le soleil breton, on ne cesse de lui en parler et de le questionner à ce sujet. Rien n’éveille plus la curiosité des gens qu’il rencontre que cette nouvelle lubie addictive.
Désormais, ses deux bras sont recouverts presque intégralement de noir et gris, parsemés de quelques touches de couleurs. En sus, il arbore un superbe dessin dans le cou, une zone si sensible que son ami et lui ont dû s’y reprendre à plusieurs fois pour venir à bout de l’encrage.
Mais ce n’était pas le pire dans cette expérience de transformation radicale. Ce qui l’a le plus traumatisé, c’est de raser l’intégralité de son cou pour laisser le terrain vierge de tous poils à chaque séance. Erwann, très attaché à sa belle et longue barbe brune, en aurait pleuré. Cela étant, c’était pour la bonne cause car le dessin final est absolument magnifique et correspond parfaitement à ce qu’il attendait.
Quentin était si fier de sa réalisation qu’il a pris une photo du cou de son nouveau et fidèle client pour le placarder en grand sur la devanture de sa boutique. Ce fût la petite heure de gloire du photographe fraîchement divorcé.
Un nouvel homme était né.
En allant se coucher, il s’arrête devant la chambre de sa fille, entre et dépose un petit mot sur son oreiller. “Tu es et seras toujours la plus belle chose qui me soit arrivée. Je t’aime ma princesse. Papa “
Tout cela à l’air bien réel en tout cas. Est-ce une fiction?
C’est une fiction mais une fiction s’inspire toujours d’une certaine réalité 😉
Merci pour votre commentaire, c’est agréable d’avoir des retours 🙂