La rencontre
Le soleil est enfin revenu et j’ai fini de remettre la maison en état. Il est temps de penser au ravitaillement. Direction le village où j’espère que la petite épicerie est toujours en activité, Je n’ai vraiment pas envie de me taper plusieurs bornes pour faire des courses.
Le village s’est agrandi en cinq ans et je constate avec soulagement que je peux trouver sur place tout ce dont j’ai besoin.
Mes emplettes terminées, je décide de m’octroyer une pause en allant boire un café au bar-tabac situé sur la place près de l’Eglise « comme le veut la coutume » je pense un sourire amusé aux lèvres. J’imagine parfaitement les braves gens qui se précipitent au bar, à peine le curé a-t-il dit son ite missa est, enfin maintenant c’est plutôt : la messe est dite !
A l’intérieur du bar, les tables sont quasiment vides. Apparemment les clients préfèrent s’accouder au comptoir pour regarder la télévision ou discuter avec le patron. Je m’installe donc près de la baie vitrée où je pourrai observer les passants et l’activité de la place.
Le serveur, un grand jeune homme au sourire engageant, vient immédiatement prendre ma commande.
En attendant mon café, j’admire les marines accrochées au mur. Un filet accroché au plafond, rappelle que le village a vécu de la pêche, je ne sais pas si c’est encore le cas aujourd’hui. Le comptoir en bois recouvert d’une peinture rouge laqué détonne un peu mais l’ensemble est agréable. Les rires et les discussions entremêlés sonnent agréablement à mes oreilles après ces derniers jours de solitude.
Je pousse un soupir de satisfaction en me détendant sur mon siège.
- Voilà mademoiselle.
Le serveur pose devant moi la tasse de café fumante dont je règle la note et j’en profite pour lui poser la question qui trottine dans ma tête :
- Vous ne connaîtriez pas quelqu’un qui serait intéressé par quelques heures de jardinage ? Je viens d’arriver et mon jardin ressemble à une forêt vierge.
Le jeune homme rit, passe une main dans ses cheveux en réfléchissant.
- Vous êtes la personne qui vient d’aménager dans la maison des Brisson à la sortie du village ?
Je hoche la tête et porte la tasse à mes lèvres.
-
Désolé pour mon indiscrétion, mais les nou-velles vont vite dans le coin, reprend-il avec un sourire chaleureux qui lui creuse une fossette dans les joues. Je vais demander au patron et je reviens vous donner le renseignement, Mademoiselle.
- C’est Enora et je vous remercie.
Je me surprends moi-même. Je n’ai pas l’habitude d’encourager la familiarité. Pourtant j’espère venir régulièrement et pourquoi pas à l’occasion de soirées dont j’ai vu la publicité à la porte du bar. Histoire de me confronter à mes peurs.
-
Ho !..Heu… moi c’est Romain, répondit-il un peu gêné.
- Enchantée Romain. Je lui souris et vois ses pommettes rosir légèrement.
Le jeune homme s’éloigne rapidement avec un signe de la main pour répondre à la demande d’un client et sûrement pour se reprendre. Voilà que j’intimide, c’est le monde à l’envers !
La porte s’ouvre sur deux hommes auxquels je ne porte pas une attention particulière lorsqu’ils s’installent à deux tables de la mienne. Le visage tourné vers la vitre, je ne me préoccupe pas de ce qui m’entoure. Je jette un œil à mon portable, check les messages et fais le tour des réseaux sociaux.
Je lève la tête pour soulager ma nuque que je fais craquer. C’est alors que mes yeux croisent par inadvertance un regard perçant, fixé sur moi. J’ai un hoquet de surprise. Je ne peux m’en détourner. Ses yeux m’ont épinglée et j’ai l’impression de plonger dans les ténèbres. Ils sont si noirs que je n’en vois pas la pupille.
Un flash de douleur me traverse le crâne. Je grimace involontairement, frotte mes tempes en fermant les yeux me délivrant ainsi de cette inquiétante emprise.
En quelques secondes la douleur s’évanouit aussi vite qu’elle est apparue. Je rouvre alors les yeux pour constater que les deux hommes discutent tranquillement comme si de rien n’était. D’ailleurs s’est-il passer quelque chose ? « Tu croises le regard d’un inconnu et tu paniques, c’est n’importe quoi ! … oui, mais un regard flippant quand même). Je me moque de la petite voix apeurée dans ma tête et plonge à nouveau le nez sur mon téléphone en jetant, subrepticement, des coups d’œil à la table où les deux hommes sont installés.
De ce que je peux en voir, il semble grand avec une carrure plutôt imposante. Ses cheveux noirs sont légèrement bouclés et une mèche rebelle lui tombe sur les yeux. Il la ramène régulièrement en arrière en passant une main dans ses cheveux. Sans savoir pourquoi, je suis sûre qu’il est conscient de mon furtif examen. Son interlocuteur a la même carrure avec des cheveux blonds qui frôle ses épaules. Comme il me tourne le dos je ne peux voir son visage.
Le regard d’obsidienne me surprend en pleine séance de matage et cette fois je détourne vivement les yeux, non sans avoir encore une fois ressenti leur froideur glaciale. Je sens mes joues s’empourprer.
L’arrivée de Romain, avec mes renseignements sur un bout de papier, me soulage. Je le remercie chaleureusement et me lève pour partir. Je ne peux empêcher ma tête de se tourner vers la table comme si elle était aimantée et mes yeux se trouvent à nouveau happée par ce regard qui, encore une fois, me cloue sur place et me coupe le souffle. Je dégluti péniblement. Impossible qu’il n’ait pas senti ma peur. Les dents serrées, je détourne les yeux et fais volte-face. Je me dirige vers la sortie, les jambes flageolantes, sentant le poids de son regard dans mon dos.
Une fois installée dans ma voiture, je pose la tête sur le volant pour reprendre mon sang froid. Une brume enveloppe les évènements, me donnant un sentiment d’irréalité. Je peine à me rappeler ce regard, j’essaye de l’attraper mais à peine ai-je le temps de le saisir qu’il s’effiloche. Suis-je le jouet de mon imagination ? Je suis complètement perdue. « Je me suis fait un film, c’est tout, on oublie les regards bizarres et on se secoue ». Je me redresse et prends le chemin de la maison. Plus je m’éloigne du village, plus je me détends. La radio passe Ed Sheeran, mon chanteur préféré du moment et je balance la tête au rythme de la musique dont je fredonne les paroles avant de me lâcher et de chanter à tue-tête.
Arrivée chez moi je souris en retrouvant dans mon sac le papier que m’a remis Romain. L’étrange rencontre est passée aux oubliettes !
***
Quelques jours plus tard
Je me réveille en sursaut, tremblante, inondée de sueur. Je me précipite sur le verre d’eau posé sur ma table de chevet et le bois d’un seul trait tant ma gorge est sèche.
Mais quel cauchemar ! J’essaye d’en attraper des bribes, mais elles s’effilochent avant même que j’ai le temps d’en saisir une, ne reste qu’un sentiment de malaise qui me tient au bord de la nausée. Une migraine me déchire le crâne « génial ! rien de mieux pour commencer une journée ».
Je me marche d’un pas incertain vers la salle d’eau. Je m’empêtre au passage dans ma robe de chambre que j’ai abandonné sur le sol avant de me coucher et manque de me casser la figure, je me rattrape à la porte de justesse « Putain de merde, fait chier ». J’arrive enfin au lavabo sans me tuer et m’asperge le visage. Mon mal de crâne s’est estompé, c’est déjà bonne nouvelle ! Je croise mon regard dans le miroir. De grands cernes s’étalent sous mes yeux. Je grimace, j’ai une sale tête !
Soudain un flash de mémoire me traverse, je vois un homme. Je distingue à peine les contours d’une silhouette, ça pourrait être n’importe qui… mais je sais qu’il s’agit d’un homme. Le souvenir se désagrège sans que je puisse le retenir, me laissant perplexe et un peu effrayée.
Un café ! Mon remède pour aborder toutes les journées surtout celles qui commencent mal ! Le temps que celui-ci soit prêt, le malaise s’est évaporé et c’est d’une humeur plus sereine que je vais prendre ma douche.
Je m’habille rapidement d’un jean qui a déjà bien vécu, un tee-shirt à manche longue et un sweet à capuche. Pas très élégant certes, mais très pratique et c’est principal. Je ne vais pas à un rendez-vous et ne brigue pas le titre de Miss Machin. Je brosse énergiquement mes cheveux que je noue en un chignon lâche et met mes bottes. Mon sac, mon téléphone… et c’est parti !
Intrusion du fantastique, je commence à avoir des sueurs froides.
Super ton récit!
Merci beaucoup pour ta lecture et ton intérêt, j’espère que la suite sera à la hauteur
Sois sure que je vais aimer, tu me fais trop d’honneur.
Ton talent te guide, pas besoin de te fier à qui que ce soit (surtout pas moi).
Merci mais je pense que tu te sous-estimes et je suis comme tout un chacun, pleine de doute 🙂
Je n’en doute pas hi hi!