Jérémy se tient au comptoir, juste devant la porte d’entrée, avec ce qu’elle suppose être sa tournée. Plusieurs énormes chopes de bières sont posées devant lui. Supputant qu’il n’est pas seul, Gwendoline regarde derrière lui et reconnait une partie de sa bande : Greg, François, Alex. Les quatre compères sont de sortie.
Jérémy est aussi étonné qu’elle en la voyant entrer. Il ne remarque pas d’emblée qu’elle est accompagnée.
– Tiens, la nantaise est de sortie. C’est pas souvent qu’on te voit dehors, toi.
– Tu es bien placé pour savoir que je ne bois pas. Je laisse ça aux autres, ajoute-elle en montrant d’un signe de tête les quatre verres remplis de liquide ambrée et recouverts de mousse à ras bord.
– Qu’est-ce qui t’amène ici ? Tu me cherchais ? Dit-il avec un sourire carnassier.
– Pas du tout, rétorque-t-elle vivement. Je suis accompagnée.
Levant les yeux vers l’homme derrière elle, Jérémy change de visage. La gaité affichée qu’il arborait se transforme soudainement en irritation.
– Ton nouveau mec ? Conclut-il avec une hargne à peine dissimulée.
– Mon photographe, corrige-t-elle, passablement énervée.
– Tu fais toujours des photos ?
– Comme si tu ne le savais pas, arrête. Tu as commenté presque toutes les dernières que j’ai postés. Erwann, voici Jérémy, mon ex, dit-elle en faisant volte-face vers lui pour lui présenter.
– Bonsoir, lance-t-il en lui tendant la main.
Pris au dépourvu, Jérémy la saisit à contrecœur, le visage toujours fermé, et le salue à son tour d’un hochement de tête discret.
La poignée d’Erwann est franche et son regard appuyé.
Les deux hommes se toisent dans la pénombre de l’entrée mal éclairée.
Gwendoline vient de comprendre les raisons de la présence de son ex ici. Un match a eu lieu ce soir à la Beaujoire, à proximité, et Jérémy est venu en bande le regarder. Féru de football, il ne rate pas une occasion de suivre ses équipes préférées dont Nantes et Marseille font partie. Lorsqu’ils étaient en couple, il avait à quelques reprises proposer à Gwendoline de l’accompagner mais passer toute la soirée à entendre des mecs beugler n’était pas pour elle une source de plaisir.
Prise de court par la situation, la jeune femme lui souhaite une bonne soirée et cherche dans la salle bondée une place où s’installer.
Un soir de match, les bars sont pris d’assaut et celui-ci ne fait pas exception.
Erwann lui attrape délicatement le bras et demande, légèrement inquiet :
– Tu veux qu’on aille ailleurs ?
– Il existe d’autres bars ouverts à cette heure et proposant autre chose que des boissons froides ?
– Je ne crois pas. Je n’en connais pas en tout cas.
– Restons là Erwann, cela ne me dérange pas.
– Tu es sure ?
– Absolument, confirme-t-elle, bien décidée à profiter du reste de la soirée.
– Comme tu veux. Tiens, il y a un canapé au fond qui vient de se libérer. Tu peux y aller, je te rejoins, je vais commander. On reste sur l’idée du chocolat chaud ?
– C’est parfait.
Tandis qu’il passe leur commande, elle s’installe à la place du groupe de supporters, habillé aux couleurs des célèbres canaris et qui à présent se dirigent bruyamment vers la sortie.
Elle prend place sur un large canapé Chesterfield, une pièce vintage dont la qualité et l’élégance n’a pas son pareil. Même usé comme il l’est, il reste un incontournable de n’importe quel café qui se veut un peu cosy. Il est moelleux à souhait et son cuir souple, tanné naturellement par les années, lui confère un aspect chaleureux et racé. Gwendoline s’enfonce à l’intérieur, déposant son manteau sur l’accoudoir, la chaleur de la salle l’envahissant de bien-être.
Erwann revient vers elle et, voyant qu’elle s’est mise à son aise, la rejoint en prenant soin de s’assoir à une certaine proximité, sans pour autant lui voler de son espace vital.
Dieu sait si pourtant il aimerait se lover contre elle, la frôler davantage, la toucher. Et ce n’est pas la présence de son ex qui peut l’en dissuader. Au contraire, cette situation cocasse l’émoustille et réveille en lui un sentiment qu’il n’a plus ressenti depuis longtemps. Est-ce son instinct animal qui lui dicte de se montrer un peu plus démonstratif, comme pour afficher « chasse gardée » ?
Il n’a jamais été du genre bagarreur mais savoir que, ce soir, tout pourrait dégénérer, n’est pas pour lui déplaire. Il s’étonne lui-même de percevoir dans son cœur une pointe de jalousie à l’idée qu’elle a partagé un temps, le lit de ce jeune freluquet.
Tout en discutant beaucoup trop fort avec ses potes, Jérémy les observe toujours du coin de l’œil, à la dérobée.
Plus la soirée avance, plus Erwann ressent le besoin d’un rapprochement physique, comme aimanté par le corps de déesse de la jeune femme qu’il ne cesse de regarder. Bien qu’essayant de se montrer discret, il profite de chaque occasion pour l’observer avec plus d’attention. Son visage est doux et solaire, légèrement arrondi, et ses yeux d’un vert intense lui rappelle la nature qui s’éveille durant cette saison de renouveau.
Même s’il ne s’attendait pas à se retrouver dans une sorte de scène de ménage à trois, Erwann jubile intérieurement, bien qu’il essaie de le masquer.
– Un peu bizarre comme situation, désolée, lui glisse-t-elle à l’oreille.
– Au contraire, je trouve cela plutôt… intéressant. Vu les regards que ton ex me jette, je crois qu’il ne t’a pas cru et qu’il me prend pour ton mec.
– Et bien… Laisse-le croire ce qu’il veut. Cela m’est égal.
– A moi aussi, lui assure-t-il. Pour être honnête, je dirais même que j’en suis ravi…