Dans un même geste, Ils portent à leurs lèvres leur chocolat crémeux, légèrement tiède à présent, et le sirote tous les deux enfoncés dans les coussins accueillants du canapé.
Malgré la foule d’habitués au bar et aux tables autour d’eux, ils semblent être seuls au monde. Qu’importe le bruit environnant, la musique d’ambiance ou le son de la pluie qui tambourine désormais sur le toit de l’établissement, rien ne les détourne l’un de l’autre.
Ils sont là, se regardant droit dans les yeux, se souriant, en silence.
Erwann la fixe malgré lui et remarque qu’est maquillée avec savoir-faire et n’a nullement eu la main lourde, ce qui lui apporte beaucoup de fraîcheur et de simplicité. Elle est lumineuse sans effort, naturelle et pétillante. Lorsqu’elle sourit de ses dents blanches et bien alignées, son regard émeraude se pare d’un éclat dont il ne se lasse pas.
Captivés l’un par l’autre, ils s’observent intensément et l’espace entre eux paraît se résorber. Pourtant, ils ne sont pas collés l’un à l’autre, assis l’un près de l’autre, se touchant à peine, se frôlant un peu.
Il n’ose pas. Il a peur de la brusquer, d’aller trop vite, de se tromper. Il a peur de trop parler, de se dévoiler plus que nécessaire. Il a peur de s’imaginer des choses et d’être déçu.
Même si elle en a envie, elle ne veut pas faire le premier pas et espère qu’il prendra également son temps. Elle aime les hommes entreprenants mais patients. Elle le sent perturbé par moments, mais ne veut pas se montrer trop curieuse. Son passé semble le hanter comme une ombre qui assombrit son regard. Il lui plait mais elle n’ose pas le lui montrer ouvertement, ne voulant pas paraître empressée.
Chacun de leur côté, ils doutent, d’eux-mêmes et de leur intuition. L’amour est une faiblesse qui les rend vulnérables. Pourtant, ils sentent tous les deux qu’ils aimeraient davantage. Mieux se connaître, se toucher, s’embrasser.
Leurs regards en disent long du désir qui les animent.
Mais à quoi bon se précipiter ?
Ils profitent juste de cet état de grâce dans lequel ils sont plongés.
Un peu plus tard, l’infatigable Fred revient débarrasser leur table et les informer de la fermeture imminente des lieux.
Ils n’ont pas vu l’heure passer, comme cela arrive souvent lorsque le plaisir que l’on prend dans l’instant présent nous fait oublier le temps qui s’écoule. Comme lorsqu’il fait des photos. Comme lorsqu’elle écrit. Tous les deux connaissent ce sentiment d’oubli de soi et du monde extérieur lorsque quelque chose les captive au point d’en oublier l’heure.
Erwann le remercie chaleureusement tout en se mettant debout, tendant une nouvelle fois la main vers son modèle pour l’aider à se relever. Il se saisi ensuite de son manteau sur le bras du sofa et attend qu’elle se tourne pour lui permettre de l’enfiler.
Sa galanterie lui fait tourner la tête de plaisir. Il est si prévenant et attentionné envers elle qu’elle se laisse faire avec délectation. Groggy par la chaleur du bar et l’heure tardive, elle en a complètement oublié Jérémy.
Lui, en revanche, n’a cessé de les observer. Toujours entouré de ses potes de plus en plus alcoolisés, son ex se montre aussi discret qu’un feux d’artifices tiré un soir de 14 juillet. Lorsqu’ils s’avancent tous les quatre vers la sortie, poussé par un Fred qui ne semble pas gêner de s’en débarrasser ouvertement, Gwen se fait bousculer.
Sans réfléchir, Erwann intervient et s’interpose entre les quatre jeunes hommes et sa modèle, dans une attitude protectrice. Jérémy s’en offusque :
– Arrête de jouer au héros, le photographe, on connait ta combine. J’ai toujours soupçonné Gwen de vouloir tous se les taper. La preuve ! J’avais raison. Séance photo, mon cul, ouais, vocifère Jérémy à toute l’assemblée.
– Mais qu’est-ce que tu racontes, t’es pas bien ? intervient la jeune femme, choquée.
– C’est bon, Dudu, laisse tomber, renchérit Alex, son pote, que Gwen connait un peu car elle a été plusieurs fois manger chez lui.
– C’est pas le meilleur endroit pour faire un scandale, mec, lui balance Erwann excédé. Toi et tes potes, sortez.
– Tu te prends pour ma mère maintenant Yohann ?
– Erwann, rectifie la jeune femme, agacée. Arrête de faire le chaud, Jérémy. Avance et laisse-nous passer.
D’un signe de tête, Fred demande à Erwann s’il a besoin d’aide en montrant le petit groupe de supporters qui sort enfin du bar. Erwann lui répond par la négative, confiant en ses capacités à les maitriser.
Soudain, Jérémy loupe la dernière marche et s’étale de tout son long sur la chaussée trempée. Ses trois camarades l’entourent et l’aide à se relever, Alex et Greg le tirant par un bras de chaque côté.
François, le plus gentil de la bande, un gros nounours que Gwen a toujours apprécié, se retourne vers elle et lève les mains au ciel, en signe de résignation. Elle comprend qu’ils ont essayé de le calmer depuis leur arrivée à la soirée mais que Jérémy, de plus en plus éméché, cherchait la confrontation. Elle lui répond d’un signe de tête et lui souhaite quand même une bonne soirée, laissant les quatre acolytes se diriger vers la vieille bagnole de Jérémy, garée de l’autre côté de la rue.
Erwann le salue également, et dans un nouveau geste protecteur, resserre son bras autour de la taille de la jeune femme.