Le lendemain, à la fin des cours, je tente de sortir de la classe précipitamment, ignorant Hermine et Charlotte qui m’appellent. Je me mélange à la mélasse d’élèves qui quittent les lieux mais Charlotte me rattrape par la main, et Hermine nous rejoint, dans les escaliers.
– Tu es devenue sourde ou on sent vraiment mauvaise ? plaisante Hermine.
– Non aucun des deux, je suis juste… épuisée.
– Sérieux, après seulement deux semaines de cours, je te reconnais bien là, Elza. Faudrait que tu te détente. À ce train là, tu pas faire des vieux os… commente Charlotte.
Je ne réponds rien. Il n’y avait rien à dire, elle n’avait pas tout à faire tort mais je n’allais quand même pas leur dire que j’avais des vues sur un homme (qu’elle a probablement déjà vu !) avec qui j’ai flirté un moment mais qui va sûrement me jeter puisqu’ il a découvert mon âge.
– On te le dit souvent, en plus, ajoute Hermine.
– C’est la communauté scientifique chargé de mon état de santé ? j’ironise.
– Je dois aller chercher un truc pour mon frère à la libraire. Et veux venir avec nous ? Ça va te changer les idées, propose Hermine, changeant radicalement de sujet.
Non, pas la librairie encore. J’ai eu ma dose de cet endroit.
– Oui ! Et après ça vous dit qu’on aille au café ? Ca fait un moment qu’on s’est pas toutes retrouvées, propose Charlotte.
– On invite les garçons ?
– Oh non. Le but c’est d’être entre filles !
– Faisons ça. Donc Elza tu viens ?
Je me résous, trop fatiguée pour inventer une excuse, à me joindre à elles et on se dirige vers la libraire dans un chemin silencieux.
Arrivées là-bas, je m’assois derrière la table qui était posée au milieu du magasin, pendant que mes amies faisaient leur choix. Je jouais avec un bout de papier posé. Derrière moi, le vieux gérant et sa seule employée avec, triaient une étagère qu’ils venaient visiblement d’aménager. Ils étaient en train de discuter de leur vie, mais je ne les écoutais pas et me contentait de plier encore et encore mon papier. Et là, j’entendis une chose qui piqua ma curiosité.
– D’habitude, c’est Ibrahim qui s’en occupe, pas moi, déplore le gérant sur un ton plaintif.
– Ah d’ailleurs, il est absent aujourd’hui ?
– Oui, il doit s’occuper de sa fille, la femme avec qui il vit est trop prise par son boulot et personne ne peut la garder.
– Oh il a une famille ?
– Oui, je sais que tu ne t’entends pas avec lui, mais derrière chaque homme, y a un enfant, plaisanta l’homme.
Impossible de décrire ce que je ressentais à ce moment là. Mais mon cœur se mit à battre trop vite, j’en eu la nausée… alors en tentant d’être discrète, je rejoins mes amies et leur dit que je dois rentrer chez moi. Elles cherchent à comprendre et insistent pour que je reste pour qu’on aille ensemble au café mais décline rapidement l’invitation en pretextant un horrible mal de ventre, soudain. Je savais qu’elles ne me croyaient pas mais n’ont pas posé de questions. Alors je suis sortie précipitamment sans faire de bruit en jetant derrière moi un dernier coup d’œil vers le gérant et sa collègue.
Déçue ? Je l’étais complètement.
Triste ? Trop tôt pour le dire.
Des envies de meurtre ? Carrément.
Je rentre chez moi au pas de courses, luttant avec moi même pour empêcher ma douleur de s’extérioriser. Au fond, je n’étais pas en colère parce qu’Ibrahim m’avait draguée au point de vouloir visiblement avec une discussion avec moi quant à mon âge, alors que depuis le début, il était apparement en couple et avait une fille. Non, j’étais en colère contre moi même, parce que j’ai laissé un homme pénétrer suffisamment dans mes sentiments pour qu’il puisse passer un coup de lame de rasoir sur mes blessures pas encore complètement cicatrisé. Finalement, c’était une énième preuve, avec la déclaration de Vincent que le fantôme de mes vieilles peines et angoisses continuait de me hanter. Mais je me mentais à moi même. Je devais d’abord mettre de l’ordre de ma tête comme il se doit et m’engager dans quelque chose de fort. Et si au final, qu’Ibrahim soit un cœur volé était une bonne chose ? Si il n’avait eu personne, nous aurions sûrement pu commencer quelque chose de sérieux et au fil des mois, j’aurai réalisé que je ne suis pas prête pour une relation, encore sous le choc de la précédente en date. Mais si je n’avais pas découvert son histoire, que ce serait-il passé ?
Un frisson désagréable parcoure mon corps.
Mais ça m’apprendra à m’attacher trop vite aux autres. Rafaella me le reprochait tout le temps….
Putain de sentiment de merde.
Oui, putain de sentiment de merde. Je prends mon courage a deux mains et crie de toutes mes forces :
– Putain de sentiment de merde !
Et dieu que ça fait du bien.
Je respire un bout coup et reprends la route. Devant la maison, j’aperçois Salomé en train de sonner à la porte. Je m’avance vers elle à pas de loup mais elle se retourne au dernier moment.
– Même pas peur, lâche-t-elle.
– Salut.
Je me remémore notre dernier et laborieux échange et devine que m’excuser est la première chose a faire.
– Je suis désolée pour l’autre fois. J’aurai pas dû m’énerver comme ça et partir alors qu’on voulait se faire une après midi ensemble. C’est que… Alyssa, c’était ma meilleure amie a une époque et a un moment donné, c’est devenu trop compliqué entre nous après elle est partie…
– C’est moi qui devrait m’excuser. J’ai vu que parler d’elle t’a blessé.
– Ca te dit qu’on se pardonne tout et qu’on fasse comme si il ne s’était rien passé.
– Ca me dit carrément.
Elle me prend dans ses bras et je suis rassurée de voir que je suis capable de bien soigner mes relations.
– Bon. Sinon, c’est qui ?
– De quoi qui ?
– Le connard qui t’a blessé.
Je rêve ?
– De quoi tu parles ?
– T’as une sale mine.
– Oh tu sais avec les cours, je suis crevée. Oh et sinon, qu’est ce qui t’amène à la maison en fait ?
– Je dois partir quelque part avec ton père. On s’est donné rendez vous chez vous mais il est apparemment pas là.
Et depuis quand Salomé et mon père se voient en dehors du boulot ? Faut que je calme mon esprit qui écrivait déjà des scénarios accablant pour ma pauvre âme. Non, Salomé n’a pas la tronche d’une belle mère. Beurk. Salomé et papa… ôte vite cette image de ta tête, Elza.
– Non, c’est pas ce que tu crois, reprend-t-elle, comme si elle avait lu dans mes pensées, on doit aller à une vente aux enchères, pour espérer avoir un pur-sang arabe. C’est pas une occasion à louper. Claude devait y aller mais lui aussi, il a ses trucs.
– Attends mon père va à une vente aux enchères et m’en a même pas touché un mot ?
– Salomé !
On se retourne et on voit mon père à l’allée d’en face. Là où j’ai vu Ibrahim pour la première fois…
– Bah j’ai appris la grande nouvelle ! dis-je.
– Salomé faut que t’apprenne à la fermer.
– Oh ça va ! Elza peut savoir. On va pas infiltrer une base américaine.
Mon père soupire d’agacement et se tourne vers moi.
– Désolé, petite, de ne pas t’en avoir parlé. Je voulais te faire la surprise pour pas que tu sois déçue. Je sais à quel point tu aimes les chevaux du centre.
Ah papa si tu savais… j’ai eu mon lot de déception pour la journée.
– Ne t’en fais pas. Je rentre et bon courage. Rendez nous fière !
– Merci. Le dernier mot, on va te le dédicacer, pouffe Salomé.
– J’ai croisé une de tes amis, d’ailleurs, dit mon père. Tu sais, c’est la brune, celle qui est très intelligente et perspicace.
– Hermine ?
– Oui, je crois. Elle m’a dit que tu ne te sentais pas bien. Que vous étiez ensemble à la librairie et que tu es partie précipitamment.
– J’ai eu mal au ventre mais ça va mieux.
– Je lui ai dit que je ne savais pas alors j’ai pensé que je devrai sûrement rester pour toi.
– Non ! Je te jure, j’ai la forme, regarde !
Je me met à sautiller pour lui montrer que je tenais encore debout.
– T’es sûre ? Salomé peut y aille toute seule. Ça ne te gêne pas hein ?
– Non du tout, intervient-elle.
– Non, j’insiste, vas-y. J’ai des devoirs en plus donc partez et gagnez ce cheval.
Mon père me regarde un moment, dubitatif mais finit par m’ébouriffer mes cheveux et me dit, en souriant :
– Prends soin de toi. Et si ça va pas…
– Je sais, j’appelle Hérault.
– Au revoir, je rentrerai peut être tard alors j’ai fait le dîner, il est dans le four.
Il s’en va avec Salomé et je les vois déjà en train de discuter activement à propos du fameux cheval qu’ils vont gagner.
C’était plutôt une bonne nouvelle et je me réjouissais de l’arrivée d’un nouveau venu. Je me met tout de suite à songer au nom. Si c’est un étalon, il doit s’appeler Santiague. Et si c’est une jument, Scala. Oui, c’est magnifique Scala.
Je rentre chez moi, m’enferme dans ma chambre et m’empare de mon walkman pour commencer mes devoirs en écoutant un peu de musique et cela m’avait vraiment détendue.
Apres avoir finie, j’ouvre la fenêtre de la chambre qui donnait sur la sortie du village, une route qui s’étendait à perte de vue. J’inspire profondément et je me dis que je devais me réjouir d’une chose. Je suis en vie, je n’ai pas de regret, j’ai encore le pouvoir de changer mon destin.